Polars en vrac (11)

A l’approche des Quais du Polar lyonnais, une petite cure de romans noirs et polars s’impose. Voici donc mes lectures « de genre » de février et mars, avec des succès divers. J’en ai lu deux en version originale, mais ne passez pas votre chemin, car ils sont déjà traduits en français !

Commençons par un auteur dont j’affectionne l’écriture depuis la lecture de La constellation du chien. Ce fut, comme toujours, un plaisir de le retrouver dans une histoire policière assez mouvementée. Jack, déjà rencontré dans La rivière, a trouvé un job de guide de pêche pour quelques célébrités qui viennent se ressourcer dans un coin perdu du Colorado. Mais Jack se rend vite compte de détails bizarres, que ce soit dans le comportement du personnel ou dans l’aménagement des lieux. Même s’il déprime quelque peu, sa curiosité n’est pas totalement éteinte ! Beaucoup de thèmes se mêlent dans ce roman qui joue bien son rôle (de page-turner) sans être le meilleur cru de l’auteur.

Par une écriture immédiatement envoûtante, R. J. Ellory emmène les lecteurs dans le Nord du Canada, où des jeunes filles, sur plusieurs décennies, sont retrouvées mortes. Tout à leur peine, les familles acceptent la thèse d’une bête sauvage qui fait des ravages près des habitations. Seul Jack Devereaux, un enquêteur dans les assurances, revenu au pays, se pose des questions, d’autant plus que son propre frère se trouve parmi les suspects. Malgré ses qualités, notamment une superbe atmosphère, et des personnages complexes, ce roman comporte quelques longueurs et, à mon avis, ne révolutionne pas le genre.

Encore une ambiance hivernale pour ce quatrième roman de la série « Six versions » où Scott King, réalisateur de podcast, revient sur de vieilles enquêtes au travers du portrait de six personnages touchant de prèe ou de loin à l’affaire. Ici, il s’agit d’une jeune fille, trouvée morte de froid dans une tour, à l’orée du village où elle vivait, et était (très) connue comme créatrice de contenu sur Youtube. J’ai été prise par cette plongée très bien orchestrée dans les méandres d’un cold case, qui s’attaque aux thèmes de l’image, de la notoriété, de la jalousie, dans le domaine des réseaux sociaux.

Stanislas Kosinski vit dans une maison isolée, entourée de forêts et de garrigue, où il fréquente le moins d’humains possible et s’absorbe dans des travaux physiques pour éviter de ressasser son expérience traumatisante de militaire au Mali. Deux événements vont venir troubler sa tranquillité, l’installation d’une bergère sur un terrain limitrophe, et l’incursion de chasseurs qui tracent un chemin pour couper à travers ses terres. Dès lors, tout va déraper.
Si j’ai bien accroché au début du roman, le tournant pris ensuite, avec des incompréhensions totales entre les habitants du cru, même le maire, et Stan, m’a laissée plutôt indifférente et pressée d’en finir. L’écriture parvient presque à redresser la barre, et à faire croire à cette histoire, presque seulement.

Le quatrième volume des enquêtes de Sam Wyndham et son adjoint Banerjee se démarque des précédents par sa forme, qui alterne deux périodes et deux lieux, 1905 à Londres, avec le meurtre d’une jeune femme que Sam connaissait bien, et 1922, où il soigne sa dépendance à l’opium dans un ashram dans la région verdoyante de l’Assam. Des thèmes comme la montée du nationalisme indien, et le racisme, donnent beaucoup d’intérêt au roman, et le style de l’auteur entre toujours pour une bonne part dans le plaisir de lecture, ses comparaisons et formules humoristiques ne manquant pas d’alléger l’atmosphère.
Bien qu’un peu moins convaincant, au départ, que les trois premiers, peut-être à cause de l’alternance passé/présent, ou des personnages, le roman rebondit aux trois-quarts du texte. Un événement inattendu lui donne alors un nouvel élan. D’ailleurs, je conseille de ne pas lire des critiques trop détaillées qui en font part… Un bon roman, finalement !

Avez-vous lu ou pensez-vous lire certains de ces romans ?

Nathaniel Ian Miller, L’Odyssée de Sven

L’Odyssée de Sven porte bien son titre. En 1916, le jeune Sven mène à Stockholm une vie trop étriquée qui ne lui convient plus. Il a envie de plus que de rêver par livres interposés. Bien qu’attaché à sa sœur et à ses neveux, il répond à une offre de recrutement et se retrouve mineur dans le Spitzberg. Lui qui a toujours rêvé des grands espaces du Nord travaille sous terre, à enchaîner d’épuisantes et dangereuses journées. A la suite d’un accident, et d’une longue convalescence, il va s’éloigner plus encore vers le nord, y apprendre le métier de trappeur, et s’installer dans un fjord reculé.
En avançant dans le roman, on avance en solitude au fur et à mesure des aléas et et des choix de vie de Sven. C’est Sven lui-même qui mène le récit, et, en tant que narrateur, il n’est pas du genre à se glorifier de hauts faits ou à se mettre en avant. Sa modestie et son autodérision le rendent sympathique, ainsi que son intérêt pour les personnes qu’il rencontre. Il noue de belles amitiés avec McIntyre, un géologue écossais, avec Tapio, le trappeur finlandais socialiste, avec son compagnon canin, Eberhard, et n’oublie pas sa correspondance avec sa sœur et sa nièce préférée, Helga.

Ce qui apparaît assez rapidement à la lecture, c’est qu’il s’agit plus d’un roman d’apprentissage, et aussi sur la survie en milieu difficile (rappelant en cela Ermites dans la taïga) plutôt qu’un roman d’aventures. L’aventure est surtout intérieure, le questionnement stimulant proposé par l’auteur pourrait se résumer ainsi « Pourquoi et comment vivre seul dans une région aussi reculée ? ».
La solitude de Sven n’étant pas totale, les rencontres et les amitiés, les relations en tout genres, y tiennent une grande place. Je ne veux pas trop en dire, non plus !
Au final, une lecture aussi intéressante qu’enrichissante, à laquelle on peut faire une place si on aime la nature dans les régions froides, et l’humanité.

L’odyssée de Sven de Nathaniel Ian Miller, (The memoirs of Stockholm Sven, 2021), Buchet-Chastel, août 2022, traduit de l’anglais par Mona de Pracontal, 480 pages. Sorti en format de poche.

Nathaniel Ian Miller, éleveur dans le Vermont, est également diplômé en littérature et en biologie, et écrit pour plusieurs revues. En 2012, il a participé à la résidence Arctic Circle dans le Svalbard, nom actuel du Spizberg, et a découvert la cabane de Sven. Il s’est librement inspiré de l’histoire vraie d’un trappeur pour écrire ce premier roman.

Repéré grâce à Ariane.

Vassili Peskov, Ermites dans la taïga

Le journaliste Vassili Peskov est abordé un jour par des géologues qui ont découvert grâce à un vol en hélicoptère, puis rencontré, une famille de « vieux croyants » dans un endroit complètement reculé de la taïga. Ils se sont tenus éloignés de ce qu’ils nomment le « siècle », ils n’ont fréquenté personne depuis plus de trente ans, ne sont au courant ni des dernières avancées technologiques, ni de la seconde guerre mondiale. Leurs croyances les empêchent de plus de se nourrir de produits autres que ceux issus de leur potager, de la pêche ou de la cueillette. En 1982, Peskov rencontre le père, Karp Ossipovitch Lykov et sa fille Agafia. Il les revoit à intervalles irréguliers, les interroge et se lie d’amitié avec eux.

J’ai découvert ce récit passionnant dans la boîte à livres de mon village, et me suis rappelée l’avoir rencontré sur les blogs. Ce fut une lecture très enrichissante, je ne connaissais pas les « vieux croyants » et leur mode de vie très primitif m’a tout à fait fascinée. Le climat de la région de Sibérie, entre lacs Balkach et Baïkal, où ils vivent, est des plus rudes et inhospitaliers, passer de longs hivers sous la neige, et faire pousser des légumes au cœur d’une forêt un défi incroyable. D’autant qu’ils trouvent de plus le moyen de prier plusieurs heurs par jour, en plus de tout le travail physique imposé par leur survie. Quant au personnage central, Agafia, sa curiosité et sa bienveillance la rendent vraiment touchante et inoubliable. Elle vit d’ailleurs toujours dans la taïga où elle est née…
Le livre montre bien à quel point l’auteur s’est attaché aux membres de la famille qu’il a rencontrés, et le ton qu’il emploie pour son récit leur rend le plus bel hommage possible.

Ermites dans la taïga, de Vassili Peskov, éditions Actes Sud, Babel, 1992, traduction de Yves Gauthier, 300 pages.
Repéré chez Keisha et lu récemment par Sandrion. J’ai déjà en ligne de mire Des nouvelles d’Agafia qui se trouve à la médiathèque.

David Grann, Les naufragés du Wager

Je ne prétendrai pas être la première à parler de ce formidable récit, d’autres billets l’ont déjà très bien fait depuis sa parution. David Grann a choisi de parler d’une expédition formée en 1740 par la Royal Navy, dans le but plus ou moins avoué d’aller récupérer un trésor sur un galion espagnol. Mais pour cela il faut d’abord une flotte de cinq navires armés jusqu’à ras bord de mousquets, de poudre et de canons, puis recruter des marins et des soldats, des officiers et des canonniers… Ce qui n’est pas le plus facile, la chance de se sortir d’un tel voyage ne dépassant guère une sur deux, si tout se passe bien. Pour les marins du Wager et du reste de la flottille, ce sera bien pire puisqu’on sait dès le prologue que seule une trentaine d’hommes sur les deux cent cinquante que comptait le navire sont revenus en Angleterre.
Après avoir vu l’équipage décimé par le typhus et le scorbut, contourné à grand peine le Cap Horn, et avoir perdu de vue le reste de l’escadre, le Wager fait naufrage près de la côte chilienne, dans une région rude et inhospitalière où vivent quelques autochtones. Les rescapés se réfugient sur une île, tentent d’organiser un campement, mais des clans se forment et s’affrontent, réduisant encore leurs chances de survie. Et les mois passant, les conditions vont en se dégradant, jusqu’à ce que certains d’entre eux décident de construire un navire avec les restes du Wager.

Évoquer de manière globale l’équipage du Wager n’est pas rendre justice au livre, qui dessine des personnages aussi réels que fascinants : le commandant Cheap, le jeune John Byron, le canonnier Bulkeley, entre autres.
J’ai été embarquée des le début par le style de David Grann, et me suis demandée si je pourrais lire un autre roman de navigation après cela. Réussir à rendre aussi vivante chaque manœuvre, chaque épisode, du recrutement de l’équipage aux maladies des marins, de l’ascension de la grande voile à la charge des canons, je gage que peu d’auteurs sont capables de le faire aussi bien !
Et ce n’est là que le début. Les parties concernant la survie des naufragés, le retour d’un petit nombre d’entre eux, le procès où les différentes versions s’affrontent, entre accusations de mutinerie, et dénonciation d’abandon de poste, sont tout aussi passionnantes. Ce qui tient à la masse de documentation lue et « digérée » pendant cinq ans par David Grann, et aussi et surtout à sa manière de restituer tout ce matériau historique de manière expressive et exceptionnellement captivante.
J’avais été éblouie par La note américaine, je l’ai été tout autant par Les naufragés du Wager, mais un peu moins par The white darkness, c’est bien dommage.

Les naufragés du Wager de David Grann, (The Wager, 2023), éditions du Sous-sol, août 2023, traduction de Johan-Frédérik Hel Guedj, 448 pages.

Première étape du Book-trip « en mer » orchestré par Fanja. Vous trouverez tous les renseignements ici, et d’autres lectures de ce roman, parmi d’autres évasions maritimes.

Arttu Tuominen, La revanche

Le polar nordique est une source inépuisable de découvertes, et voici cette fois la Finlande, celle d’une petite ville sur la Baltique, celle aussi d’une boîte de nuit accueillant toutes sortes de communautés. Une nuit, un engin y explose, tuant cinq personnes et faisant de nombreux blessés.
Une équipe de la brigade criminelle est chargée de l’enquête, et parmi les policiers, Henrik Oksman. Lui qui avait toujours réussi à séparer sa vie privée et son métier se trouve plongé dans un dilemme infernal. Il était en effet présent dans la boîte de nuit, et l’a quittée peu de temps avant l’explosion en compagnie d’un homme qui s’avère être connu pour son homosexualité. Connu ne voulant pas dire accepté… Le lendemain de l’attentat, un individu revendique cette attaque sur les réseaux sociaux, prétendant mener une croisade contre l’homosexualité.

Ce roman fait partie d’une série, et vient en deuxième position, ce qui ne m’a pas gênée. Les personnages principaux en sont Henrik Oksman et son collègue Jari Paloviita, qui était, semble-t-il, plus central dans le premier volume. Je le saurai bientôt puisque je me suis déjà procuré Le serment. Voilà qui vous confirme que j’ai beaucoup aimé cette lecture, aux personnages bien campés et assez complexes pour qu’on s’intéresse autant à eux qu’à la découverte du coupable.
L’histoire, bien menée, voit son suspense aller en grandissant au fil des pages, et s’attache surtout à faire entrer dans l’esprit d’Oksman, à partager ses interrogations. Devra-t-il se dévoiler, dans un pays où la différence, sa différence à lui, n’est pas si bien acceptée que l’on pourrait l’imaginer ? Le jeune policier est très touchant dans son immense désarroi.
Ce roman a reçu plusieurs prix dans le monde du polar scandinave, et c’est bien mérité !

La revanche de Arttu Tuominen, éditions La Martinière, septembre 2023, traduction de Anne Colin du Terrail, 384 pages.

Lu aussi par Eve-Yeshé

Michel Jean, Tiohtia:ke [Montréal]

Tiohtia:ke, (à prononcer « Djiodjiagué ») c’est le nom de Montréal pour les mohawks. C’est là que Élie Mestenapeo descend du train pour commencer une nouvelle vie. Après dix ans de prison pour parricide, il ne peut pas rejoindre sa communauté innu de la Côte-Nord, dont il est banni à vie. Cette double condamnation est dure pour le jeune homme, mais il l’accepte. La ville, et le visage complètement inconnu qu’elle lui offre, en font une proie facile, mais heureusement il rencontre rapidement Geronimo, qui lui vient en aide, puis d’autres exclus, issus comme lui de différentes nations autochtones.

De Michel Jean, j’ai déjà lu Kukum, un beau roman plein de sobriété inspiré de la vie de l’arrière-grand-mère de l’auteur. J’ai retrouvé avec plaisir son empathie pour tous, ici pour les nombreux habitants du square Cabot, anonymes aux yeux de beaucoup, devenus de belles personnalités sous sa plume.
L’entraide existant entre les sans-abris est mise en avant par Michel Jean, plutôt que les agressions et les vols, même s’il n’occulte pas les difficultés, le froid, la faim, le manque de toutes les commodités les plus élémentaires. On pourrait lui reprocher d’embellir un peu les bons côtés, d’accorder à Élie quelques circonstances favorables. Personnellement, je ne me plains pas de ce bon tempérament de l’auteur qui lui fait éviter d’écrire des romans trop sombres sur des sujets déjà difficiles. Il n’occulte pas les drames, il les laisse un peu à la marge, il ne s’appesantit pas.
L’émotion n’est pas absente pour autant, au contraire, la grâce et la concision de l’écriture rendent le roman de plus en plus émouvant au fil des pages. Si vous avez aimé Kukum ou d’autres romans de Michel Jean, le parcours d’Élie et de ses compagnons du square Cabot ne devrait pas vous décevoir.

Tiohtia:ke [Montréal] de Michel Jean, le Seuil, septembre 2023, 192 pages.

Les avis de Karine, de Hélène (Lecturissime) et de Luocine aujourd’hui même !



Lectures du mois (32) février 2024 : Amérique Latine

Voici, en quelques mots, une partie de mes lectures de janvier et février, puisque j’ai finalement réussi une incursion en Amérique Latine, de l’Argentine au Brésil, puis à Cuba.

Ce roman français se déroule en Patagonie, en 2015, des Européens y construisent un barrage dans une région montagneuse
Dès le début, les personnages m’ont intéressée, la situation aussi, entre les deux ingénieurs qui surveillent la mise en eau du barrage, d’une part, et ensuite, la transhumance de Danilo, un des expropriés du projet d’électricité. Celui-ci doit convoyer un troupeau de chevaux dans des gorges avec l’aide d’Alma, une jeune native tehuelche.
Les deux actions avancent en parallèle, des soucis surviennent dans un cas comme dans l’autre, et on sent que cela ne va pas forcément bien se terminer. Non sans quelque appréhension, puisqu’on se prend de sympathie pour certains des personnages.
Les rapports humains sont peut-être légèrement stéréotypés, mais ceci est largement compensé par les paysages de Patagonie, et ce qu’on apprend sur les Tehuelches.
La fin, remarquable, n’est pas du tout du genre qu’on oublie, comme cela m’arrive pourtant souvent.
Repéré chez Alex.

Marina Singh travaille comme chercheuse dans un laboratoire, après avoir abandonné des études de gynécologie. Le brusque décès de son collègue le plus proche en Amazonie la bouleverse.
À la demande de son patron et aussi de la veuve du chercheur, elle prend l’avion pour Manaus afin d’essayer de rejoindre, en pleine forêt, l’endroit où son ancienne professeur, Annick Swenson, fait des expérimentations. Elle travaille pour le laboratoire de Marina sur un médicament miracle qui prolongerait la période de fertilité des femmes.
Marina doit attendre un certain temps à Manaus, car le Dr Swenson est plus que discrète sur l’endroit où vivent les Lakashis, les sujets qu’elle étudie, et sur l’avancée de ses travaux.
Si je me suis demandée au début quelle était l’idée directrice de l’autrice américaine en écrivant ce roman, j’y ai vu paradoxalement plus clair au fur et à mesure que le personnage principal s’enfonçait dans la jungle et rejoignait la très originale Dr Swenson. Cela devient passionnant et forcément dépaysant.
L’ensemble se lit bien, tous les personnages ont de bons côtés qui les rendent attachants, voilà une très agréable lecture !

Noté grâce à Keisha qui a été impressionnée par l’opéra de Manaus !

Leonardo Padura retrouve dans ce dernier roman son personnage fétiche, le bouquiniste Mario Conde, ancien policier que ses collègues sollicitent pour enquêter sur l’assassinat d’un haut fonctionnaire, malheureusement connu pour avoir mis au ban de la société de nombreux artistes. Les interrogatoires de l’entourage vont amener bon nombre de révélations.
Conde doit aussi travailler le soir dans une boîte de nuit, ce qui lui laisse peu de temps pour le roman qu’il a en cours, basé sur des faits survenus en 1910, qui vont alterner avec les événements de 2016.
Comme souvent quand un roman entrelace deux époques, l’une passionne plus que l’autre, c’était encore le cas cette fois pour moi. Heureusement, le tout est prenant, et permet de passer outre quelques digressions un peu longuettes, quoique toujours sympathiques, voire humoristiques.
Au final, c’est à mon avis un bon roman, où l’équilibre se fait bien entre le côté policier et les aspects de la vie quotidienne cubaine, mais qui ne surpassera pas mes meilleurs souvenirs de l’auteur : L’automne à Cuba, Passé parfait ou L’homme qui aimait les chiens.

Le Bouquineur est enthousiaste.

Voilà donc ces quelques avis pour participer, sur le fil, au mois latino-américain, toujours sympathiquement organisé par Ingannmic. Petite note à son intention : si les Tehuelches du premier roman vivent bien en Patagonie, les Lakashis d’Amazonie sont totalement imaginaires.

Claire Deya, Un monde à refaire

Le choix de ce roman s’est imposé à moi : une maison d’édition dans laquelle j’ai confiance, un premier roman, la fin de la guerre comme époque et la côte près de Hyères comme décor… tout était là pour me tenter.
Au printemps 1945, un homme se présente pour devenir démineur sur les plages de la Côte d’Azur. Les Allemands y ont en effet laissé tellement d’engins explosifs enfouis qu’il est impossible de laisser la population retrouver le bord de mer. Vincent semble bien mystérieux, on sait qu’il a été prisonnier en Allemagne, et qu’il cherche une femme prénommée Ariane. De révélations en révélations, son histoire va être dévoilée. Il n’est pas le seul, chacun des démineurs, jusqu’au chef de groupe, arrive avec un bagage particulier, qu’il ne raconte que rarement.
Les volontaires étant peu nombreux, attirés souvent par des primes conséquentes liées au risque, des prisonniers allemands sont envoyés en renfort, à l’encontre de la convention de Genève, mais en cette fin de guerre, cela semble dérisoire. Enfin, Vincent va aussi rencontrer Saskia, une toute jeune femme revenue seule des camps et décidée à se réapproprier la maison familiale indûment occupée.

Ce roman marque d’abord par sa parfaite documentation sur l’époque et le travail des démineurs. Le contexte de la fin de guerre et du déminage m’a intéressée bien avant l’histoire d’amour de Vincent qui semble idéaliser sa passion pour Ariane, disparue brusquement un an avant son retour. Toutefois, les questions sur ce qu’elle est devenue sont habilement posées et la quête Vincent donne beaucoup de vivacité au roman.
L’intérêt vient aussi de la psychologie des personnages, vraiment soignée. L’autrice a particulièrement bien évoqué le difficile retour à la vie normale, que ce soit de retour d’un camp ou du maquis. A cet égard, le personnage de Saskia est vraiment touchant.
J’ai trouvé l’action et les dialogues soignés et crédibles, par contre, les lieux ne sont pas assez représentés à mon goût. Je revenais de la région de Hyères, et le manque de descriptions, tout comme les transitions trop rapides d’un endroit à un autre, ne m’ont pas fait du tout retrouver la ville. Cette remarque toute personnelle ne doit pas faire oublier ce premier roman remarquable, que la postface éclaire de manière très émouvante.
N’hésitez-pas donc à vous faire votre propre avis !

Un monde à refaire de Claire Deya, éditions de l’Observatoire, janvier 2024, 413 pages.

Petite pause

De retour d’une quinzaine au soleil, je prends une petite distance avec le blog pendant quelque temps, jusqu’à ce que je trouve un livre qui me donne envie d’écrire quelque chose d’intéressant à son sujet !
J’ai de quoi lire, la pile se porte (beaucoup trop) bien.

Je vous laisse avec des photos de Sanary…

Marseille…

et Hyères avec la villa de Noailles.

Jurica Pavičić, Le collectionneur de serpents

Dernier recueil de nouvelles du mois, sauf découverte de dernière minute : celui d’un auteur déjà rencontré avec L’eau rouge, un roman noir qui explorait les répercussions d’une disparition, celle d’une jeune fille. Ce devait être le premier auteur croate que je lisais, et j’avais beaucoup apprécié ce roman qu’on a vu, avec raison, un peu partout. Revoici donc Jurica Pavičić avec cinq nouvelles assez longues. Là encore, l’auteur est allé vers les atmosphères sombres, sans que ce soient des nouvelles policières.
La première nouvelle, « Le collectionneur de serpents », montre avec beaucoup de finesse et d’empathie trois jeunes appelés dans la guerre serbo-croate en 1992. Ils passent beaucoup de temps à attendre, et l’un d’entre eux, le plus jeune, tue des serpents et collectionne leurs peaux. Mais le conflit se fait proche…
Dans « Le tabernacle », le lien avec la guerre est plus ténu, mais pas absent. Un homme récupère l’appartement de sa famille, qu’un vieux locataire ne voulait pas quitter, et il y fait une curieuse découverte, dans une chambre inoccupée…
La nouvelle suivante, « La patrouille sur la route », une histoire de frères très dissemblables, est assez triste, et la suivante, « La soeur », au sujet d’une maison pleine de souvenirs, l’est également, mais tellement bien écrite aussi…
La dernière nouvelle « Le héros » renoue avec le thème de la guerre, ou plutôt de ses suites, c’est l’histoire d’un géomètre chargé de venir prendre des mesures pour affiner le nouveau tracé de la frontière. Il est logé chez une veuve sur les hauteurs d’un village. Non, ne cherchez pas, cette nouvelle va prendre des chemins auxquels on ne s’attend pas du tout !
Ce que j’ai beaucoup apprécié avec ces nouvelles, c’est qu’elles prennent le temps de bien installer situation et personnages, et qu’elles arrivent à mêler plusieurs thématiques, d’où l’incertitude à chaque fois sur le thème dominant, à savoir celui qui va amener un tournant dans la vie des personnages. C’est particulièrement le cas dans la dernière nouvelle, mais pas seulement. L’écriture, toujours marquante, doit très certainement aussi à la traduction d’Olivier Lannuzel : c’est un plaisir de lecture, vraiment !

Le collectionneur de serpents de Jurica Pavicic, (Skupljač zmija, 2019), Agullo courts, mai 2023, traduction de Olivier Lannuzel, 192 pages.

Lu par Aifelle et Sacha également pour le défi « Bonnes nouvelles ».