David Grann, Les naufragés du Wager

Je ne prétendrai pas être la première à parler de ce formidable récit, d’autres billets l’ont déjà très bien fait depuis sa parution. David Grann a choisi de parler d’une expédition formée en 1740 par la Royal Navy, dans le but plus ou moins avoué d’aller récupérer un trésor sur un galion espagnol. Mais pour cela il faut d’abord une flotte de cinq navires armés jusqu’à ras bord de mousquets, de poudre et de canons, puis recruter des marins et des soldats, des officiers et des canonniers… Ce qui n’est pas le plus facile, la chance de se sortir d’un tel voyage ne dépassant guère une sur deux, si tout se passe bien. Pour les marins du Wager et du reste de la flottille, ce sera bien pire puisqu’on sait dès le prologue que seule une trentaine d’hommes sur les deux cent cinquante que comptait le navire sont revenus en Angleterre.
Après avoir vu l’équipage décimé par le typhus et le scorbut, contourné à grand peine le Cap Horn, et avoir perdu de vue le reste de l’escadre, le Wager fait naufrage près de la côte chilienne, dans une région rude et inhospitalière où vivent quelques autochtones. Les rescapés se réfugient sur une île, tentent d’organiser un campement, mais des clans se forment et s’affrontent, réduisant encore leurs chances de survie. Et les mois passant, les conditions vont en se dégradant, jusqu’à ce que certains d’entre eux décident de construire un navire avec les restes du Wager.

Évoquer de manière globale l’équipage du Wager n’est pas rendre justice au livre, qui dessine des personnages aussi réels que fascinants : le commandant Cheap, le jeune John Byron, le canonnier Bulkeley, entre autres.
J’ai été embarquée des le début par le style de David Grann, et me suis demandée si je pourrais lire un autre roman de navigation après cela. Réussir à rendre aussi vivante chaque manœuvre, chaque épisode, du recrutement de l’équipage aux maladies des marins, de l’ascension de la grande voile à la charge des canons, je gage que peu d’auteurs sont capables de le faire aussi bien !
Et ce n’est là que le début. Les parties concernant la survie des naufragés, le retour d’un petit nombre d’entre eux, le procès où les différentes versions s’affrontent, entre accusations de mutinerie, et dénonciation d’abandon de poste, sont tout aussi passionnantes. Ce qui tient à la masse de documentation lue et « digérée » pendant cinq ans par David Grann, et aussi et surtout à sa manière de restituer tout ce matériau historique de manière expressive et exceptionnellement captivante.
J’avais été éblouie par La note américaine, je l’ai été tout autant par Les naufragés du Wager, mais un peu moins par The white darkness, c’est bien dommage.

Les naufragés du Wager de David Grann, (The Wager, 2023), éditions du Sous-sol, août 2023, traduction de Johan-Frédérik Hel Guedj, 448 pages.

Première étape du Book-trip « en mer » orchestré par Fanja. Vous trouverez tous les renseignements ici, et d’autres lectures de ce roman, parmi d’autres évasions maritimes.

Carla Guelfenbein, Le reste est silence

« J’approche de la capitale. Les premiers éclairages des rues dessinent des droites et des courbes sur la surface obscure de la terre. Santiago, qui a l’air plutôt chaotique dans la journée, a la délicatesse d’un dessin quand la nuit tombe. »

Tommy a douze ans, et depuis sa naissance, une enfance excessivement protégée, car une maladie de cœur lui interdit tout effort. Un jour, au détour d’une conversation « mondaine » qu’il s’amuse à enregistrer en cachette, il apprend que sa mère s’est suicidée. Tommy est un observateur infatigable de ce qui l’entoure, et en premier lieu, de sa famille. Son père Juan, chirurgien réputé et sa belle-mère Alma le protègent beaucoup, notamment de secrets de famille qui vont bientôt émerger. Mais l’essentiel ne réside pas seulement dans ces secrets, mais plutôt dans les points de vue de chacun, que ces silences rendent bientôt incompatibles.

« Quand papa ne dit rien, c’est comme si soudain quelqu’un éteignait la lumière et laissait tout le monde dans le noir, perdu dans son coin. Voilà pourquoi les silences de papa sont noirs. »

Trois points de vue sont alternés, un peu comme dans la série « The affair ». Les personnages racontent chacun à leur tour, parfois en reprenant les événements qui mènent au délitement de la famille, de manière subtilement différente. Originalité, des petits signes indiquent en début de chapitre de quel personnage il s’agit, au lieu de leur nom : des vagues, une flèche, un sablier… on comprend vite ce que chacun représente. C’est une famille où beaucoup de choses sont tues, le procédé de reprendre les événements vus par l’un ou l’autre est donc intéressant.
J’ai trouvée très jolie l’idée de Tommy de découvrir et noter dix choses sur sa mère. Le personnage du garçon est sans doute le plus immédiatement attachant, mais les autres ne manquent pas d’intérêt pour autant. Je ne dirai rien de la fin du roman, si ce n’est qu’elle est d’une certaine manière parfaite. Seul léger bémol, si j’aime bien en général que le propos d’un roman soit universel, cette fois j’aurais préféré que le Chili, et ce qui le distingue d’autres pays, soit plus perceptible.

Le reste est silence de Carla Guelfenbein, (El resto es silencio, 2008) éditions Actes Sud, 2010, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, 312 pages en poche.

Mimi et Zazy ont aimé aussi.

Le mois latino-américain, c’est chez Ingannmic. Livre sorti de ma PAL pour Objectif Pal.