« Elle s’assoit et retire la couverture. Un vent glacial souffle dans la chambre. Elle sentait une telle chaleur dans la maison de retraite, comme si on avait réglé le chauffage au maximum dans toutes les chambres. L’air était sec et sentait bon. Elle n’a pu s’empêcher de penser au passé, aux jours et aux semaines pendant lesquels on n’avait pas encore emmené les morts. Au-dessus de la ville flottait une cloche faite de l’odeur doucereuse des cadavres et du brûlé. »
Continuant un petit tour du côté de la littérature germanophone, j’ai trouvé en bibliothèque ce roman présenté par Eva au printemps. Le cadre en est la ville de Demmin, en Poméranie, entre Berlin et la mer du Nord. Une adolescente, Larissa, surnommée Larry, y vit une vie un peu morne à son goût. Elle se rêve reporter de guerre, et se prépare par des exercices de survie de son invention.
Le récit commence avec un petit côté roman pour ados avec la voix de Larissa, mais, une fois n’est pas coutume, j’ai aimé ce genre de narration. Il faut dire que Larry est une adolescente attachante, originale et déterminée, et qu’on sent vite que découvrir la ville avec elle ne va pas être un long fleuve tranquille.
Cette ville d’Allemagne est malheureusement connue pour une série de suicides qui s’y sont produits en avril 1945, lors de l’avancée des soviétiques vers la petite cité, une vague impressionnante de suicides sans commune mesure avec ce qui a pu se passer ailleurs. Cet aspect de l’histoire de sa ville n’est pas inconnu de Larry, qui occupe aussi un petit boulot bénévole au cimetière de la ville, autre originalité, assurément. La mémoire des disparus de 1945 est aussi présentée aux lecteurs plus ponctuellement par un deuxième personnage, une dame âgée pour qui les souvenirs de cette époque douloureuse remontent, alors qu’elle s’apprête à déménager en maison de retraite.
Les répercussions d’un drame dans une petite ville comme Demmin, même soixante-dix ans plus tard, même sur des jeunes qui n’étaient pas nés, sont considérables et parfaitement examinées dans ce roman. Pour autant le récit ne perd jamais un certain optimisme, grâce à la jeunesse et la foi en l’avenir de Larissa. C’est une lecture touchante à la fois par ce pan d’histoire allemande évoqué et par le choix des personnages et de la narration : un premier roman très réussi.
Les fantômes de Demmin de Verena Kessler, (Die Gespenster von Demmin, 2020) éditions Actes Sud, avril 2023, traduction de Denis Dumas, 256 pages.
Les Feuilles allemandes sont sur Livr’escapades et Et si on bouquinait.