
« – Vous devriez vous méfier. Personne ne peut dire ce qu’un camp ou l’autre fera une fois que la rage les aura tous gagnés. Vous pourriez bien vous réveiller un bon matin et voir une armée débarquer. Même deux, peut-être.
Le vieil homme fit un geste de la main.
– La guerre va là où vont les hommes, dit-il. Et les hommes vont partout. »
Tout d’abord, lire la quatrième de couverture peut, dans le cas de ce roman, s’avérer déconcertant, puisqu’elle associe les personnages qui mettent les trois quarts du livre avant de se rencontrer.
Essayons donc de ne pas tomber dans ce travers, ce qui n’est pas évident, d’autant que la construction faite d’allers et retours propose de découvrir des événements bien avant qu’ils ne soient réellement racontés. Je commencerai donc par les personnages : Tom, petit garçon muet, devenu adolescent raisonneur, puis tueur hors-la-loi et Pigsmeat, gamin élevé sans amour par son père, viennent de fermes de la même région, mais leur rencontre ne va pas de soi, tant ils sont différents. Les routes de l’Ouest les accueillent tous les deux, de même que Flora, belle esclave abusée et exploitée par son maître, et que seule la haine fait tenir debout.
« Le soir, il marchait en suivant le soleil qui s’enfonçait dans d’étranges horizons. Ils voyait des ciels rouges, des ciels jaunes et puis des ciels si bleus dans le long crépuscule qu’ils en devenaient violets et fantastiques, rehaussés par le scintillement d’étoiles froides chaperonnées par la comète qui plongeait vers l’ouest. »
Ayant découvert Lance Weller avec le formidable Wilderness, je m’étais promis de le relire, et voilà qui est fait.
Après un petit temps d’adaptation, j’ai été emportée par ce roman comme par le précédent. Malgré quelques scènes violentes, comme l’était cette époque, et difficiles à lire, les personnages fascinants, les liens qui les unissent, et leur épopée si bien racontée m’ont fait vagabonder en plein XIXème siècle, vers des horizons démesurés.
L’errance sans but de Tom et Pigsmeat m’a fait parfois douter du contexte politique et géographique et je le précise donc : les Marches de l’Amérique, c’est une zone correspondant peu ou prou au Texas et au Nouveau-Mexique, qui, à cette époque d’avant la Guerre de Sécession, n’appartient ni aux États-Unis, ni au Mexique, qui la convoitent, tout en essayant d’en chasser les Indiens. C’est donc tout sauf un endroit calme.
Comme dans Wilderness, c’est le style qui fait la différence avec d’autres romans du Grand Ouest : l’auteur dépeint avec autant de maestria les trognes des personnages que les intérieurs sordides, autant la rudesse des paysages que les ciels sans fin. Sa manière originale d’annoncer les événements ne leur fait rien perdre de leur force, bien au contraire, et de même, les retours en arrière s’avèrent toujours judicieux.
Bref, un auteur que je recommande, avec ce titre ou un autre.
Les Marches de l’Amérique de Lance Weller, (American Marchlands, 2017) éditions Gallmeister 2017 (2019 en poche), traduction de François Happe, 355 pages.