Rentrée littéraire 2020 (10)
« Je vais en montagne parce que c’est là-haut qu’est arrivé le bord de la terre. Sa frontière avec le ciel et l’univers se trouve là-haut, et alors en grimpant je peux aller jusqu’au point où il n’y a plus rien à escalader. Je suis la terre jusqu’à l’endroit où elle s’est élevée et continue encore à s’élever. Car les montagnes grandissent. »
Un accident de montagne donne lieu à un interrogatoire. En effet, il se trouve que l’homme qui a donné l’alerte pour signaler une chute mortelle connaissait depuis très longtemps la victime. Ce dernier l’avait même dénoncé, ainsi que leurs camarades, à la police. S’agit-il d’une coïncidence, comme s’obstine à l’affirmer le suspect ? Entre lui et le juge d’instruction, un dialogue à fleurets mouchetés s’engage, retranscrit à la manière d’un rapport judiciaire, et entrecoupé par des lettres du prévenu à la femme qui l’aime.
Les deux hommes abordent de nombreux sujets dans ce qui devient plus une discussion philosophique qu’un interrogatoire. La haute montagne tout d’abord, que l’un connaît et fréquente, dont l’autre ne sait pas grand chose. Le passé d’activiste ensuite, sur lequel il faut forcément revenir, l’amitié et la trahison, l’emprisonnement et la solitude, la vengeance, si toutefois il y a eu vengeance.
« Un sujet délicat me vient maintenant à l’esprit. Tu me demandes parfois si je suis jaloux. Je te réponds non. Parce que ti voglio bene, je t’aime. Le mot bene, bien, change tout. Si on l’enlève, il reste : ti voglio, je te veux. Là oui, on est jaloux. Mais moi j’ajoute le mot en plus, juste et précis : ti voglio bene. »
Si j’avais écrit ce billet juste après lecture, j’aurais sans doute montré un enthousiasme plus débordant. Mais voilà, j’ai laissé passer trois semaines, et je me rends compte que si j’ai retrouvé de nombreuses citations notées dans le fil de la lecture, (et même une note affirmant qu’il me faudrait tout noter, tellement c’est finement écrit !) finalement il ne me reste pas grand chose de ma lecture.
J’ai beaucoup aimé tout ce qui a trait à la marche en montagne, et dans l’ensemble, j’ai été séduite par l’écriture minimaliste et incisive, mais je trouve que la concision du texte se retourne un peu contre lui. J’avais été plus emballée par La nature exposée, qui avait une plus grande force poétique. Là, la profondeur repose davantage sur l’esprit vif des deux protagonistes, et sur les réflexions qu’ils suggèrent. Le retour sur les épisodes advenus quarante ans auparavant, est à mon avis laissé un peu en sourdine, je l’aurais préféré plus étoffé, plus éclairant sur l’histoire de l’Italie, mais l’accusé coupe court dès qu’il s’agit de cette époque…
Je recommanderais ce roman pour une lecture brève et forte à la fois, mais à sa sortie en poche.
Impossible d’Erri de Luca, (Impossibile, 2019) éditions Gallimard, août 2020 traduction de Danièle Valin, 172 pages
D’autres avis chez Krol, Marilyne, Mumu…Qui l’a lu aussi ?