« J’ai toujours eu un faible pour l’odeur d’humidité et de délabrement dans les vieilles maisons. Peut-être parce que né peu après la guerre, j’ai dû encore traverser, en tenant la main de ma mère, des habitations endommagées par les bombardements, et que l’odeur de pierre humide et de moisi est devenue pour moi celle de la célèbre madeleine de Proust. Quand on est enfant et qu’on n’ a pas encore se souvenirs, même l’odeur de délabrement est une source de bonheur. »
In extremis pour le mois belge, j’ai trouvé ce roman traduit du flamand dans une boîte à livres. C’était l’occasion de lire enfin cet auteur très réputé en Belgique et la lecture du sujet m’a intriguée.
L’auteur raconte dans ce roman comment il a découvert, au moment de la vendre, que la maison où il avait vécu vingt ans à Gand était celle d’un SS flamand, qui plus est père d’un de ses professeurs d’université. Cette maison abandonnée qui l’a séduit en 1979 malgré son piètre état, a abrité auparavant Willem Verhulst, son épouse néerlandaise Mientje et leurs trois enfants. À l’aide des entretiens qu’il a menés avec Aletta et Suzy, les deux filles de la famille, devenues octogénaires, et de nombreux textes, dont des journaux intimes et des documents d’archives, il a reconstitué le parcours autant personnel que politique de cet activiste flamand devenu soutien des plus fidèles de l’occupant nazi. Il s’est également penché sur le pacifisme de son épouse et a tenté de comprendre et parfois d’imaginer, avec l’aide des témoignages, comment ils avaient pu vivre cet antagonisme.
« Rien n’est plus funeste pour la joie de vivre que le sentiment secret de devoir toujours se justifier devant un juge intime qu’on ne connaît pas. Il voit tout et condamne tout ; ce n’est jamais assez bien, on est toujours le perdant, quoi qu’on fasse ; il est insaisissable – il ressemble parfois à un ancien amour, puis à l’ami qui vous a trahi ou à la femme aux yeux perçants qui se moque de vous dans la pénombre. »
Quatre cent soixante-dix pages sur un personnage finalement peu intéressant, un pauvre type, lâche et sans qualités, permet de montrer combien le mal est une chose facile à embrasser pour certains esprits faibles, et de ce point de vue, l’exercice est réussi.
Mais, car il y a un « mais », si la construction rend bien compte de l’approche de l’auteur, j’ai trouvé le style un peu inégal, à moins qu’il ne s’agisse de la traduction, je n’ai pas réussi à trancher. De même, la position de Stefan Hertmans m’a parfois déconcertée, faisant dans une même page le grand écart entre des faits avérés directement tirés de documents et des pensées ou réactions des personnages qui ne peuvent être que dictées par son imagination, auxquelles s’ajoutent des remarques à la limite du jugement. Où est-on alors, dans un roman, un essai, un document ?
De plus, tout cela est un peu long. J’ai envie de dire : « N’est pas Daniel Mendelsohn qui veut… », mais si vous êtes tentés, ne vous arrêtez pas à mon avis, d’autres lecteurs sont bien plus enthousiastes, comme Marilyne ou Nicole.
Une ascension de Stefan Hertmans, (De Opgang, 2020) éditions Gallimard, janvier 2022, traduction de Isabelle Rosselin, 476 pages.
Le mois belge se termine chez Anne (Des mots et des notes).
