
« C’est difficile d’expliquer le territoire d’avant. Le bois d’avant les coupes à blanc. La Péribonka d’avant les barrages. Il faut imaginer une forêt sautant d’une montagne à l’autre jusqu’au-delà de l’horizon, visualiser cet océan végétal balayé par le vent, réchauffé par le soleil. Un monde où la vie et la mort se disputent la préséance et au milieu duquel coule, entre des berges sablonneuses ou des falaises austères, une rivière qui ressemble à un fleuve. »
C’est la voix d’Almanda Siméon, arrière-grand-mère de l’auteur, qui nous arrive par-delà les années, pour raconter sa région et ce qu’elle est devenue. Kukum signifiant grand-mère en langue innu.
Orpheline d’origine irlandaise recueillie par un couple de fermiers québecois, elle a quinze ans lorsqu’elle rencontre Thomas, un jeune indien innu, et tombe amoureuse. Ils se marient très vite, et elle part avec lui, adoptant les us et coutumes du peuple de Thomas, notamment les pratiques nomades, l’hiver passé dans la forêt, où les hommes chassent pour recueillir des peaux qu’ils vendent au printemps, de retour au bord de Pekuakami, autrement dit le lac Saint-Jean. Almanda s’adapte bien, apprend la langue et toutes sortes de techniques, de chasse, de cuisine ou d’artisanat, qui lui étaient inconnues, elle entretient toujours une très belle relation avec Thomas, et aussi avec sa famille, puis des enfants naissent…
« Le bois arrivait de la rivière. Notre rivière, sur laquelle dansait des hommes armés de longues piques munies de crochets de métal à leur extrémité avec lesquelles ils dégageaient les troncs coincés par le courant entre les rochers. Dans nos canots, nous étions paralysés par l’effroi. Devant nous, la Péribonka, étouffant sous le poids des troncs, vomissait la forêt dans le lac. »
Jusqu’au jour où commence une déforestation massive, qui coupe à ces nomades tout accès à la rivière qu’ils remontaient chaque année, les obligeant à s’installer de manière pérenne au bord du lac, puis la scolarisation forcée des enfants, ainsi que l’arrivée du chemin de fer…
Malgré la très belle voix de Michel Jean, et sa manière toute pudique de raconter la vie d’Almanda, je suis restée un peu en marge de l’histoire, et j’en suis bien marrie ! Peut-être est-ce que retrouvant le même décor que La rivière de Peter Heller, dans un genre pourtant très différent, je n’aurais pas dû lire les deux successivement.
Je m’attendais aussi certainement à ce que la jeune mariée rencontre plus de difficultés au début pour s’intégrer à sa nouvelle famille, alors que tout se passe plutôt bien. Almanda est le prototype de la femme forte qui s’adapte avec facilité. La suite est moins rose, mais toujours sobrement racontée. Je reconnais volontiers que c’est un beau roman, aisé à recommander à toutes sortes de lecteurs.
Kukum de Michel Jean, éditions Points, 2022, 240 pages. (paru avant chez Dépaysages, 2020)

Michel Jean, journaliste et écrivain, est issu de la communauté Mashteuiatsh qui est la seule communauté autochtone du Nitassinan (« notre-terre » en langue innu) sur la rive ouest du lac Saint-Jean. Avant d’être une réserve, cette endroit, nommé aussi Pointe-Bleue, était un lieu de rassemblement commercial, mais aussi culturel, pour un peuple nomade, se déplaçant sur les rivières, ce que l’on retrouve dans le roman.
Cette communauté compte actuellement environ 6000 membres, dont un tiers réside sur place.
Un lien pour ceux qui veulent aller plus loin.
Lecture dans le cadre d’une activité autour des minorités/groupes ethniques lancée par Ingannmic (ce qui m’a incitée à mettre en mots mon avis sur Kukum, lu il y a plusieurs semaines !)
