Polars en vrac (9)

Le début du printemps, c’est la saison des Quais du Polar, et donc le moment de lire quelques romans noirs ou policiers, genre vers lequel je reviens toujours volontiers, car le polar n’est pas tout à fait mort : clin d’œil au Bouquineur et son débat tout récent…
Commençons par des valeurs sûres. Le premier n’est pas du tout une nouveauté :

John Harvey, Les années perdues, éditions Rivages poche, 1998, traduction de Jean-Paul Gratias, 460 pages.
« Darren connaissait la prison. Ou les IJD, du moins. Les institutions pour jeunes délinquants. Des centres comme Glen Parva où, si on ne trouvait pas un moyen de se foutre en l’air pendant les premiers mois, on avait de bonnes chances d’apprendre toutes les ficelles pour accéder au grand banditisme. »

Dans ce tome de la série consacrée à Charlie Resnick, un duo de jeunes délinquants, un peu bras cassés, montent des braquages de plus en plus violents, alors que d’autres braqueurs plus organisés mettent en échec la police depuis plusieurs mois. Mais ce qui inquiète le policier, c’est la probable sortie de prison de Prior, qu’il a arrêté, plus de dix ans auparavant, et qui pourrait nourrir des idées de vengeance, notamment envers Ruth, la femme dont il pense qu’elle l’a dénoncé.
Ambiance très jazz pour ce polar situé à Nottingham, en deux époques, années 1992 et 1981… comme d’habitude, c’est à la fois bien écrit, avec un art parfait des dialogues et des portraits incisifs, et très prenant. Je ne m’en lasse pas !

Michael Connelly, Les ténèbres et la nuit, éditions Calmann-Lévy, 2022, traduction de Robert Pépin, 450 pages.
« On dit souvent que quiconque veut connaître Los Angeles doit parcourir Sunset Boulevard du centre-ville à la plage. C’est par cet itinéraire que le voyageur peut découvrir tout ce qui fait la ville : sa culture et ses gloires aussi bien que ses nombreux échecs et fissures. »

Le dernier en date des romans de Michael Connelly avec un Harry Bosch retraité mais toujours efficace pour seconder sa collègue Renée Ballard. Celle-ci occupe un poste de nuit et mène de front deux affaires : un mort par balle lors des tirs du Nouvel An, il avait la particularité, si l’on peut dire, d’avoir payé pour quitter ue organisation mafieuse. L’autre affaire est celle des « Hommes de minuit », violeurs en duo récidivistes. Leur dernière victime va peut-être pouvoir permettre de voir ce qui relie ces femmes, ou pas.
Ces deux affaires permettent aux deux policiers d’exercer leur sagacité, sur fond de crise du Covid, mais obligent Renée à aller contre les ordres de son supérieur direct.
Un bon polar, qui se dévore, mais j’avais pressenti l’une des résolutions avec un peu trop d’avance…

Carlo Lucarelli, Péché mortel, éditions Métailié, mars 2023, traduction de Serge Quadruppani, 256 pages.
« – Allez, dit-il, au point où on en est, jetons un coup d’œil. Cherchons une hache et une veste. Et une tête.
Ils ne trouvèrent rien, ni hache, ni veste, ni tête. »

Bologne, juillet 1943. Les unes du quotidien Il Resto del Carlino débutent chaque chapitre et situent bien ainsi les temps troublés et les événements qui se succèdent : débarquement en Sicile, chute de Mussolini, bombardements sur Bologne… Pourtant, le commissaire De Luca, contrairement à sa fiancée, reste assez imperméable à la politique et se concentre sur l’affaire d’un corps sans tête retrouvé dans une maison lors d’une perquisition. Sa ténacité lui permet d’avancer dans ses investigations, même contre l’avis de son supérieur, mais toujours pas de tête ! Et lorsqu’enfin, il en trouve une, elle ne correspond pas au corps.
J’avais déjà lu un roman de Carlo Lucarelli, de la série qui se passait au XIXème siècle en Erythrée, je découvre ce nouvel enquêteur avec le deuxième roman de la série, mais qui revient sur ses débuts. Le contexte historique et les personnages sont passionnants, je me suis peut-être un peu désintéressée de l’enquête à un certain moment, puisque deux semaines après avoir terminé, je ne me souviens plus de la résolution. Mais bon, c’est un polar solide et bien écrit, rien à redire.

Matt Wesolowski, Six versions Les orphelins du Mont Scarclaw, éditions Les Arènes, janvier 2023, traduction de Antoine Chainas, 315 pages.
« Bienvenue dans Six versions, je suis Scott King.
Durant six semaines, nous reviendrons sur la tragédie du Mont Scarclaw. Six manières de voir les choses, six versions différentes. »

Une toute nouvelle série venant d’Angleterre a attiré mon attention, avec les mots « nature sauvage », « cold case » et « podcast ». Vingt ans après la disparition d’un jeune de quinze ans lors d’un camp de vacances sur le Mont Scarclaw, en Ecosse, et la découverte d’un corps dans un marais un an plus tard, Scott King, réalisateur très connu du podcast « Six versions », donne la parole à six personnes qui ont connu ce drame de très près : organisateur du camp, habitants du village ou camarades de Tom Jeffries, ils racontent leurs souvenirs, se contredisent parfois, poussent l’imagination de l’auditeur vers telle ou telle piste. Les personnages ont de l’épaisseur et une légère dose de légende ajoute à la couleur locale. J’ai beaucoup aimé ce roman très original, intelligemment tourné et prenant, et je pense déjà à mettre le deuxième podcast, déjà paru, dans ma pile à lire !

Voilà pour aujourd’hui. Et vous, avez-vous fait des découvertes au rayon policier de votre librairie ?

Policiers et romans noirs en vrac (8)

Robert Galbraith, Le ver à soie, éditions Grasset, 2014, traduction de Florianne Vidal, 572 pages.
« Mais les écrivains sont une drôle d’engeance, Mr Strike. Si vous cherchez des amitiés sincères, généreuses et pérennes, engagez-vous dans l’armée et apprenez à tuer. Si vous préférez les liens éphémères avec des gens qui exercent le même métier que vous et se réjouiront de tous vos échecs, écrivez des romans. »

Dans ce deuxième tome de la série après L’appel du coucou (non chroniqué), Cormoran Strike, toujours avec l’aide de son assistante Robin, est mandaté par une femme pour retrouver son mari. Celui-ci, auteur à succès, a disparu depuis plusieurs jours, et l’affaire va se résoudre en deux temps. Tout d’abord, trouver où il a pu se cacher, ou être caché, et ensuite trouver qui est responsable de sa disparition. Le milieu de l’édition est l’occasion pour l’autrice de dresser des portraits féroces et par là même, une brochette de coupables potentiels. Mais le plus intéressant reste l’évolution des deux personnages récurrents, le détective et son adjointe.

Louise Mey, La deuxième femme, éditions du Masque, 2020, 340 pages.
« Elle n’a même plus besoin de consulter les conseils des experts en morphologie qui disent qu’en forme de huit il faut souligner la taille, qu’en forme de larme il faut accentuer le décolleté. Son corps à elle n’est jamais dans les magazines, il est en forme de débâcle et elle a appris lentement et douloureusement à sélectionner ce qui gommera au mieux ses défauts. »

Sandrine, jeune femme mal dans sa peau et solitaire, rencontre enfin un homme avec qui partager sa vie. Ce veuf éploré dont la femme a disparu l’émeut, et s’intéresse à elle. Ils en viennent à habiter ensemble, et, avec le petit Mathias, presque à former une famille. Mais lorsqu’une femme amnésique réapparaît, et que son compagnon reconnaît la mère de son enfant, la situation se dégrade rapidement pour Sandrine, qui devient « la deuxième femme ».
Je ne vous en dis pas trop sur le thème central, il ne manque pas de profondeur, et est fort bien traité. Il explique aussi certains choix stylistiques puisque c’est le point de vue de Sandrine qui est adopté. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, un thriller domestique, mais plutôt un roman noir sur un sujet de société malheureusement toujours d’actualité.

M.T. Edvardsson, Ceux d’à côté, éditions Sonatine, 2022, traduction de Rémi Cassaigne, 416 pages.
« Les gens sont comme des devinettes, et je n’ai jamais aimé les devinettes. Les réponses sont toujours tirées par les cheveux et ridicules. »

Ce roman, par contre, est clairement du genre à faire peur avec des situations quotidiennes et communes à tous, à savoir le voisinage. Je retrouvais là M. T. Edvardsson, après Une famille presque normale, qui ne m’avait pas déplu. Dans ce nouveau roman, un jeune couple, Mikael et Bianca, emménage dans une maison d’un quartier résidentiel. Ils ne connaissent encore personne dans la petite ville, et font rapidement la connaissance de leurs voisins, un couple de retraités, un homme qui vit seul et une femme qui élève seul son fils adolescent. Un accident survient très vite, et la narration alterne entre des chapitres « avant l’accident » et « après l’accident ».
J’ai écouté ce roman en livre audio, enfin, la moitié seulement, car c’était long, si long, que je m’endormais à tous les coups. J’ai trouvé le nombre de personnages trop restreints pour apporter un suspense vraiment intéressant, et de plus, tous sont proches du cliché, l’ex-mannequin trop aguichante, les retraités rigides, l’ado asocial… Bref, à oublier !

Noëlle Renaude, Les abattus, éditions Rivages noir, 2020, 410 pages.
« … elle se contente de savoir que la crédulité vous fait prendre des escrocs pour des humanistes, des charlatans pour des savants, des petits malins pour des génies, du blanc pour du noir, des œufs de lump pour du caviar, la force de conviction, les mots, le besoin de croire étant les armes les plus redoutables et les plus folles que l’homme ait imaginées. »

Un petit garçon aux parents absents, sans cesse chahuté par ses frères aînés, devient un ado admiratif du camarade plus favorisé, puis un adulte assez solitaire. Mais autour de lui, sans rapport les uns avec les autres, se déroulent des événements dramatiques : un couple est assassiné, une jeune femme disparaît. Est-ce en lien avec son frère qui trafique dans des affaires louches ?
Avec les éditions Rivages noir, il n’est pas difficile de faire de bonnes, voire de très bonnes découvertes. Ce roman de Noëlle Renaude, pour moi inconnue jusqu’alors, ne déroge pas à cette règle. Le style original donne un rythme très personnel au roman et de nombreux personnages secondaires ajoutent de l’efficacité à l’intrigue, ainsi qu’un changement de point de vue inattendu. Ce roman rappelle les bons romans noirs américains. Les petites villes françaises sont aussi des cadres de choix pour des histoires bien sombres !

David Joy, Nos vies en flammes, éditions 10/18, 2023, traduction de Fabrice Pointeau, 336 pages.
« Il fallait le faire. Parce que c’était comme ça que cet endroit était parti en sucette, quand les gens bien qui avaient vu le bateau prendre l’eau avaient refusé de boucher les trous avec leurs doigts. Ils avaient été trop nombreux à se taire et à ne rien faire, à se tenir en retrait et à regarder le monde se casser la gueule. Raymond Mathis en avait marre de le regarder sombrer. »

L’histoire de Ray Mathis, retraité veuf et père d’un junkie depuis de longues années, tourne mal lorsque son fils, une fois de plus, vient lui quémander de l’argent. Il s’agit cette fois d’une très grosse somme que Ricky ne peut seul rembourser. Excédé, son père décide de prendre en main les choses, d’autant qu’il se rend compte qu’il ne peut pas compter sur la police locale.
Une fois encore, ce sont les Appalaches qui servent de cadre à David Joy, après le formidable Ce lien entre nous. Et lui aussi, comme son personnage, s’attaque à la drogue qui détruit nombre de jeunes, laissant leurs familles désemparées. Comme dans le roman de Noëlle Renaude, ce sont les invisibles, les abonnés aux galères, aux boulots précaires et aux « remontants » en tous genres, qui sont au centre du texte. Un roman parfaitement documenté, ce qui ne l’empêche de toucher au cœur !

Peut-être avez-vous lu un ou plusieurs de ces romans ? Sinon, j’espère vous avoir donné des idées.

Polars en vrac (7)

Puisque la météo ne se prête pas au jardinage ni à la marche dans la campagne, j’en profite pour résumer brièvement mes dernières lectures de polar, résumés assortis d’avis tout aussi brefs ! Voici donc les choix des deux derniers mois :

Maurizio de Giovanni, Le Noël du Commissaire Ricciardi, éditions Rivages noir, 2017, traduction de Odile Rousseau, 320 pages.
« Ricciardi pensait aux morts. Il pensait que Noël ou pas Noël, fête ou pas fête, fraternité ou pas fraternité, quelqu’un mourait toujours et qu’il lui revenait, à lui, de voir le sang et ses ravages. »

Avec le commissaire Ricciardi, je retourne toujours volontiers dans la Naples des années 30, non que la vie y soit particulièrement plaisante, mais parce que l’auteur réussit toujours tellement bien à esquisser les lieux et leurs personnages. Un couple est retrouvé assassiné à l’arme blanche dans son appartement cossu des hauteurs de Naples. L’enquête du commissaire et de son adjoint Maione révèle que le mari, milicien, n’était pas quelqu’un de bien, et que nombreux auraient pu être ceux qui lui en voulaient.
Dans ce volume se passant à Noël 1931, la politique prend davantage de place, et chacun se positionne plus clairement par rapport au fascisme. C’est, parmi les cinq que j’ai déjà lus, mon tome préféré, car les questionnements y sont nombreux, tant concernant l’enquête, que la vie privée de Ricciardi et Maione. J’ai aimé aussi que les investigations évoquent les crèches napolitaines, les presepe, un particularisme local très intéressant. (vous pouvez lire ceci si cela vous intrigue)
Voir un autre avis chez Marilyne.

Gwenaël Bulteau, La République des faibles, éditions de la Manufacture, prix Landerneau 2021, 368 pages.
« – On disait : vive la République ! et le client répondait : Qui prend soin des faibles ! »

Reculons un peu, à la fin du XIXème siècle, à Lyon. Là aussi, un commissaire devra s’intéresser à la manière dont vivent les classes populaires, sur les pentes de la Croix-Rousse, pour identifier l’assassin d’un garçon disparu depuis des semaines et qu’un chiffonnier retrouve mort. Le commissaire Soubielle devra aussi fouiner dans les milieux antisémites et parmi ceux qui les combattent.
J’ai trouvé ce roman vraiment bien tourné, avec un ton et des détails qui fonctionnent bien. L’auteur s’est particulièrement penché sur la manière dont les enfants étaient peu considérés par leurs parents, et par les adultes en général, des torgnoles tombant facilement, des paroles malheureuses leur étant adressées ou dites devant eux… J’ai tout de même trouvé ce roman très sombre, un peu trop, et parfois inégal au niveau des dialogues, mais ce sont des défauts finalement minimes pour un premier roman.

Dolores Redondo, De chair et d’os, éditions Folio, 2021, traduction de Anne Plantagenet, 608 pages.
« Elle avait lu quelque part qu’il ne faut pas revenir dans un lieu où on a été heureux, car c’est une façon de commencer à le perdre. »

Deuxième roman de la trilogie du Baztan, que j’ai enchaîné assez rapidement après avoir dévoré le premier. L’inspectrice Amaia Salazar, à peine remise d’une récent accouchement, et de l’enquête précèdente, travaille cette fois sur des crimes conjugaux, dont les auteurs sont connus, mais qui à chaque fois, se sont suicidés en laissant une inscription identique, « TARTTALO ».
Le scénario emberlificoté à souhait, la région du Pays Basque espagnol toujours aussi bien décrite, brumeuse et humide, font que le roman se lit aisément. Toutefois, je suis moins emballée que par le précédent, trop de fantastique et de superstitions m’ont un peu lassée, des rebondissements se succédant à un rythme effréné m’ont fait trouver le tout assez peu vraisemblable. Continuerai-je la série ?
Vu chez Eva.

Abir Mukherjee, L’attaque du Calcutta-Darjeeling, éditions Folio, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez-Battle, 464 pages.
« D’après mon expérience, les très riches et les très pauvres sont souvent gênés par l’endroit où ils vivent. »

Encore une série, et un voyage dans le temps et l’espace, avec un enquêteur britannique, vétéran de la première guerre mondiale, Sam Wyndham. A peine arrivé, il doit débrouiller une affaire d’assassinat concernant un anglais influent, aux abords d’une maison de passe. Son adjoint indien lui est d’une grande aide, car Wyndham est encore peu au courant des pratiques locales. Il se demande pourquoi ses supérieurs l’envoient, alors qu’il est déjà en pleine enquête, en déplacement sur la ligne Calcutta-Darjeeling, où un train a été attaqué, sans que rien soit dérobé et faisant « seulement » une victime, un surveillant autochtone.
La plus grande partie du récit se déroule à Calcutta, et l’atmosphère recréée, des plus dépaysantes, constitue un vrai régal de lecture. L’enquête montre la répression britannique se mettre en place contre les velléités toutes neuves d’indépendance des Indiens, et s’appuie, avec beaucoup d’habileté, sur un grave événement historique survenu en 1919. L’ensemble est vraiment bien fait, et je continuerai cette série, sans aucun doute.
Repéré chez Athalie.

Craig Johnson, La dent du serpent, éditions Points, 2019, traduction de Sophie Aslanides, 480 pages.
« C’était une femme typique du Wyoming , de cet âge indéfinissable entre trente et cent ans où les femmes trouvent une certaine paix et s’y installent. »

Un jeune fugueur qui se réfugie dans un cabanon de jardin et vole sa nourriture, voilà une affaire pas bien compliquée pour Walt Longmire, si ce n’est qu’il est suivi par un drôle de bonhomme, venu d’un lointain passé (si, si !) et que la mère du tout jeune homme semble avoir disparu. Les recherches du shérif du Wyoming le mènent vers une secte plutôt fermée et hostile, dont le jeune homme a été exclu.
Lire Craig Johnson, c’est toujours une lecture réconfortante, avec de l’action, des incursions dans la vie privée des enquêteurs, beaucoup d’humour, et sans dérapage aucun vers le sordide. Et ça me plaît toujours autant, après une dizaine d’épisodes lus.
Autre avis chez Keisha.

Et vous, connaissez-vous ces auteurs ?
Dolores Redondo, Craig Johnson et Abir Mukherjee seront ces 1er, 2 et 3 avril aux Quais du Polar à Lyon.

Fiona Barton, La veuve

Repéré sur le blog d’Athalie peu de temps avant le mois anglais, ce roman m’a rappelé que j’avais l’intention de jeter un coup d’œil du côté de cette auteure, journaliste venue aux Quais du Polar en 2017 et qui vit dans le Sud-Ouest de la France.

veuve« L’inspecteur principal Bob Sparks fait partie de ma vie depuis si longtemps ; plus de trois ans maintenant. Mais je crois qu’il disparaîtra peut-être avec toi, Glen. »
Tout commence avec Jane. C’est elle, la veuve, elle vient de perdre son mari, et tout recommence comme trois ans auparavant, lorsqu’il avait été accusé d’avoir enlevé et fait disparaître Bella, une fillette de deux ans. Les policiers veulent de nouveau interroger la jeune femme, les journalistes assiègent sa maison, car elle représente l’information la plus croustillante qui soit pour les tabloïds, et qu’elle va peut-être, enfin, parler. Une journaliste plus persuasive que les autres réussit à la convaincre de la suivre dans un hôtel, à l’abri des regards, et à lui parler.

« Tout journaliste qui se respecte dispose de sa propre technique d’approche. […] Elle suivait ses propres règles : toujours sourire, ne jamais se tenir trop près de la porte, ne pas commencer par des excuses, et essayer de détourner l’attention du fait que l’on court après un sujet. »
Racontée alternativement par Jane, par Kate la journaliste ou par le policier en charge de l’enquête, l’histoire revient sur les débuts du mariage de Jane et Glen, sur la période où il était suspect principal d’un crime horrible, et examine les moindres pensées de Jane maintenant qu’elle se retrouve seule. Jane a trente-huit ans, mais semble raisonner encore comme lorsqu’elle a rencontré son futur mari, à dix-sept ans. C’est très bien fait et assez perturbant.
Quant à Kate, elle dévoile les ficelles de son métier de journaliste spécialisée dans les affaires judiciaires. Cette disparition, suivie plusieurs années après de la mort du principal suspect, est pour elle le sujet idéal, et elle n’entend pas lâcher Jane tant qu’elle ne lui aura pas tout dit. Mais que sait Jane, que veut-elle bien dire, que garde-t-elle pour elle ? Des indices sont lâchés au détour d’une page, les paroles ou pensées de Jane sèment le doute, les rares faits avérés ne suffisent pas…
C’est toujours intéressant lorsque le lecteur manque de certitude quant à la sincérité d’un narrateur. C’est l’un des points forts de ce roman, avec la description « de l’intérieur » du travail de journaliste. Ce n’est peut-être pas le meilleur thriller psychologique que j’ai lu, mais il est parmi les plus prenants, très bien structuré et soulevant beaucoup de questions.

La veuve de Fiona Barton, (The widow, 2016) éditions Fleuve Noir, 2017, traduction de Séverine Quelet, 446 pages (en Pocket).

Le mois anglais est chez Lou et Titine.
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James Sallis, Willnot

willnot« J’ai progressivement pris conscience qu’aucun endroit où j’étais passé n’arrivait à la cheville de Willnot sur le plan de la tolérance envers sa population. Sans encourager en quoi que ce soit les comportements transgressifs ou aberrants, la ville refusait d’isoler leurs auteurs ou de les mépriser. Mue par une sorte de fatalisme collectif, elle préférait regarder ailleurs et vaquer à ses occupations. »
J’ai grande envie de vous parler de ce roman, mais je me trouve bien ennuyée au moment de le résumer, ce qui semble à peu près impossible à faire de manière claire. Essayons de citer au moins quelques faits : des cadavres sont découverts dans la petite ville de Willnot, et le médecin du coin est appelé à la rescousse pour donner son avis sur cette trouvaille. On suit ensuite Lamar, le médecin, dans sa vie quotidienne, parmi ses patients se trouve un vétéran passablement déboussolé qui disparaît aussi vite qu’il était apparu. Quant au lycée local, on suit aussi ce qui s’y passe grâce à Richard, le compagnon de Lamar, qui y enseigne.

« Ça m’a… rappelé des souvenirs. » Un sourire indéniable, cette fois. « Ce qui est une bonne chose. On devrait payer les gens pour qu’ils nous rappellent nos souvenirs. Un nouveau métier. »
L’auteur était aux Quais du Polar et j’ai eu le plaisir de l’écouter dans une table ronde avec Ron Rash et Chris Offutt, à parler tous trois, non sans humour, de l’Amérique dans tous ses états et d’écriture.
Voici une excellente surprise glanée sur l’étagère des nouveautés à la bibliothèque. Après un début qui évoque un polar, l’aspect chronique de petite ville prend le dessus, et de quelle façon : avec malice, tendresse, et une énorme dose d’humanité. S’il faut au début prendre un peu ses marques, s’habituer à l’humour de l’auteur qu’on rencontre pour la première fois, la suite est juste un régal. Mélangeant avec dextérité les thèmes de la vie difficile dans les petites villes, du stress post-traumatique, du vieillissement, qui peuvent sembler sombres, le roman convainc par sa sincérité. Au début, le texte reste un peu hermétique, fermé sur lui-même, et sur les questions qu’il pose, mais grâce à cela, il devient difficile à lâcher.

« – Il t’arrive de repenser à ton enfance, Lamar ? À cette part essentielle de notre vie qui nous manque ?
– Comme je te l’ai déjà dit, je n’en ai jamais vu l’intérêt. Je n’en ai jamais eu envie. Je me suis construit sans éprouver ce besoin-là. S’il nous manque quelque chose ? Sans aucun doute. Mais c’est pour ça qu’on lit, non ? Pour ça qu’on tisse des liens avec les autres. Ça nous permet de nous faire une idée de ces vies qu’on ne peut pas vivre. »
Imaginez lorsque l’humour se mêle de philosophie, de réflexions sur la vie, sur la foi en l’humanité, sur le sens de l’histoire, sur la mort, parsemées de citations pertinentes, de dialogues réjouissants, et d’anecdotes sur la vie à Willnot, moitié ville réelle, moitié ville-fantôme…
Ce mélange des genres, qui pourrait sembler un peu désordonné, marche particulièrement bien, un peu à la manière de Richard Russo quand il décrit la ville imaginaire de Mohawk. Parfait pour les adeptes de chroniques américaines de la vie rurale, ce roman séduira aussi de nombreux autres lecteurs, pourvu qu’ils ne s’attendent pas à un polar classique ou à un thriller. On en est loin !

Willnot de James Sallis (2016) éditions Rivages/noir (février 2019) traduction de Hubert Tézenas, 220 pages.

Shari Lapena, L’étranger dans la maison

etrangerdanslamaison« Est-ce que c’est ça, « sentir son monde s’écrouler »? Quelques instants plus tard, il relève les yeux. Il ignore totalement ce qui va lui tomber dessus, il sait juste que le coup sera terrible. »
J’ai remarqué l’année dernière le premier roman (Le couple d’à côté) de cette auteure canadienne de thrillers, sans penser à passer à l’acte, mais le fait qu’elle soit invitée aux Quais du Polar cette année m’a donné envie d’y jeter un coup d’œil.
Classiquement dans ce genre de roman à suspense conjugal, un couple marié, bien sous tout rapport, aisé et amoureux, va se trouver confronté à un événement déstabilisant qui remet en question leur couple, et bien plus encore.
Dans ce roman, cela commence très vite, avec Karen, l’épouse, qui se retrouve à l’hôpital suite à un accident de voiture dans un quartier mal famé. Ni elle ni son mari ne savent ce qu’elle pouvait faire là. Karen a perdu tout souvenir de l’accident, elle se souvient seulement que peu de temps auparavant elle avait remarqué des intrusions bizarres à leur domicile, des objets déplacés, des choses infimes…

« Pendant que le jour se lève, une brume légère monte du jardin. Elle reste longtemps derrière la porte-fenêtre à essayer de se rappeler. Il lui semble que sa vie entière en dépend. »
Je suis un peu mitigée suite à cette lecture. La narration au présent et le style assez plat donnent l’impression d’une histoire un peu simplette, ce qu’elle n’est pas du tout, il faut s’attendre à bien des imbroglios, des non-dits et des manipulations… Ma lecture est passée par des hauts et des bas, des moments où j’ai apprécié la tension que l’auteure réussissait à créer, et d’autres où je trouvais l’intrigue pas follement originale. P
ourtant l’envie de savoir la suite est toujours demeurée, et bien m’en a pris car la fin, surprenante, donne rétrospectivement du piment à l’ensemble du roman.
Je pense que le style thriller domestique est un peu trop exploité par les auteurs et les éditeurs, au risque de lasser le lectorat. Après trois ou quatre romans de ce style, j’ai l’impression d’avoir atteint ma limite.
À cela je dois ajouter le fait que Les furies de Lauren Groff joue un peu sur ce registre, mais avec une écriture et une profondeur que ses consœurs (ce genre de thriller psychologique étant plutôt féminin) peinent à atteindre. Il devient donc difficile de lire un de ces romans en ayant à l’esprit Les furies, qui, même si je ne l’ai pas adoré, tourne toutes les comparaisons en sa faveur.
Au final, un roman convenablement prenant, mais pas inoubliable.

L’étranger dans la maison, de Shari Lapena (A stranger in the house, 2017) éditions Presses de la Cité (janvier 2019) traduction de Valérie Le Plouhinec, 304 pages.

Eve-Yeshé a passé un bon moment, Sharon a aimé.

Merci à Explorateurs du polar sur lecteurs.com et aussi à Netgalley

Lilja Sigurdardottir, Piégée

piegee« Si seulement elle n’avait pas été aussi naïve. Si seulement elle avait su que c’était ainsi qu’on se faisait prendre au piège. »
La littérature islandaise, de plus en plus abondamment traduite en français, montre des facettes des plus variées aussi de la société islandaise, et c’est parfois surprenant.
Prenons ainsi cette jeune femme d’affaire qui effectue chaque mois plusieurs allers et retours entre l’Islande et le continent européen, mallette à la main, joli manteau, coiffure soignée, ni trop pressée, ni trop nonchalante. Son côté trop parfait, c’est précisément ce qui attire l’attention de Bragi, un contrôleur des Douanes proche de la retraite.
Voyons maintenant cette jeune business woman de plus près, et nous apprenons que Sonja, jeune maman divorcée, s’est retrouvée piégée par un avocat véreux, et doit, dans l’espoir de récupérer la garde de son fils, passer de la cocaïne, en quantités de plus en plus importantes, et en prenant de très gros risques.

« Ce n’était pas la première fois qu’elle surveillait cette maison. À ses débuts, elle avait beaucoup observé les allées et venues depuis sa voiture, tentant de reconstituer dans sa tête le planning de l’animal et de son maître. »
Une fois commencé, ce roman est difficile, voire impossible à lâcher. Il est particulièrement bien mené et recèle son lot de surprises et de rebondissements. Redoutablement efficace et malin lorsque se présente la version de Bragi, le contrôleur des Douanes, le roman excelle aussi à dresser un contexte solide avec la crise financière de 2010, incarnée par Agla, la compagne de Sonja. Elle s’est, avec deux de ses collègues, mise dans une situation bien compliquée, elle aussi, que je serais bien en peine de vous expliquer en détails toutefois. Le monde de la finance et moi sommes irréconciliables, mais Lilja Sigurdardottir parvient à l’expliquer sans alourdir le roman.
S’il est certain qu’on ne recherche pas ce genre de lecture pour un style inoubliable ou des réflexions philosophiques hors du commun, il faut admettre que ce roman, le premier d’une trilogie, remplit parfaitement son office. Je le recommande pour une vision inhabituelle de l’Islande, très urbaine et impitoyable, et pour la connaissance fine de la psychologie des personnages. La suite se trouve d’ores et déjà dans ma pile à lire, et j’ai hâte de savoir, au vu des événements marquant la fin du premier tome, comment va réagir Sonja.

Piégée de Lilja Sigurdardottir, (Gildran, 2015), éditions Métailié (2017), traduit par Jean-Christophe Salaün, 336 pages, sorti en poche chez Points.

L’auteure était présente cette année aux Quais du Polar et il doit être possible, je pense, d’écouter en podcast les conférences. (ici, en fouinant un peu…) (et voici déjà son portrait).
Lire le monde c’est chez Sandrine.

Lire-le-monde

David Grann, La note américaine

noteamericaine« Lorsque Anna rentrait, elle aimait retirer ses chaussures, et Mollie aurait voulu pouvoir entendre le bruit réconfortant qu’elle faisait en se déplaçant nonchalamment dans la maison. Au lieu de cela, il y régnait un silence aussi calme que dans la Prairie. »
Dans les années 20, le peuple Osage, installé ou plutôt relégué par l’état américain cinquante ans auparavant dans un coin aride et reculé de l’Oklahoma, connaît une prospérité inattendue, lorsque du pétrole est trouvé sur leurs terres. Même s’ils ne l’exploitent pas eux-mêmes, une redevance leur est due sur chaque baril tiré du sol. Ils font construire de belles maisons, emploient parfois des domestiques blancs, achètent des voitures somptueuses…
Mais quelques décès pour le moins suspects attirent l’attention des autorités. Mollie Burkhart, une mère de famille Osage, voit ses frères et sœurs mourir tour à tour, et notamment, sa sœur Anna disparaît mystérieusement. Lorsque la police locale se révèle impuissante, des agents du tout nouveau Bureau of Investigation, qui deviendra plus tard le FBI, sont envoyés, certains s’infiltrent même parmi la population en tant que gardien de troupeaux, agent d’assurance ou chaman indien. De plus, de nouvelles techniques d’investigation sont exploitées par l’agent Tom White qui dirige l’enquête.

« Dans les endroits tels que le comté d’Osage, où le coroner ignorait tout des techniques scientifiques et ne disposait d’aucun laboratoire médico-légal, le poison était la voie royale pour un meurtre. Plusieurs narcotiques étaient disponible à satiété dans les préparations disposées sur les étagères des apothicaires et des merceries, et, contrairement aux coups de feu, on pouvait les administrer sans bruit. »
On retrouve dans ce livre, parmi une foule de personnages réels, l’inamovible John Edgar Hoover, sur lequel j’avais déjà lu La malédiction d’Edgar de Marc Dugain, Hoover qui (je m’auto-cite) « a eu un rôle d’une importance énorme aux États-Unis, a côtoyé huit présidents américains de 1924 à 1972, les a épiés, manipulés ou influencés, ne s’est jamais laissé évincer. » Le livre de Dugain s’intéresse plus au Hoover des années 50 à 70, celui de David Grann évoque le créateur du FBI en 1924, qui prend très à cœur les meurtres des Osages, même s’il s’agit sans doute essentiellement de faire connaître le tout jeune Bureau et de montrer que ses agents sont capables de résoudre des affaires complexes, et d’utiliser des méthodes particulièrement innovantes.
La recherche passionnante menée par David Grann se dévore comme un roman noir, mais de nombreux documents et surtout des photos, permettent de ne pas oublier que tous les protagonistes ont vécu, ont eu une famille, des enfants, des amis, et que certains ont été assassinés de manière odieuse. Et non seulement, c’est la convoitise des autres qui les a conduits vers la mort, mais c’est une autre forme de cupidité qui a empêché les premières enquêtes d’être menées à bien.
Un formidable travail de documentation, mis en forme de manière parfaitement construite, sur un épisode méconnu de l’histoire des États-Unis : à lire, incontestablement.

La note américaine de David Grann (Killers of the flower moon. The Osage murders and the birth of the FBI, 2017) éditions Globe (juin 2018) traduit par Cyril Gay, 363 pages.

Repéré grâce à Keisha et Marilyne.

Maurizio de Giovanni, Et l’obscurité fut

etlobscuritefut.jpg« L’enfant semblait serein. Son visage ne trahissait ni peur, ni inquiétude.
Puis il disparut à leur vue. »
Un enfant disparaît lors d’une sortie scolaire au musée. Les sœurs qui surveillaient le groupe n’ont rien vu. Seule la caméra de surveillance montre Edoardo, dit Dodo, partir en tenant la main d’une femme en sweat-shirt à capuche. Son grand-père est un riche entrepreneur napolitain, la piste de l’enlèvement contre rançon est donc privilégiée par les policiers du commissariat de Pizzofalcone.
Ils reviennent dans ce roman, après La méthode du crocodile et La collectionneuse de boules à neige, l’équipe de l’inspecteur Lojacono, tous affectés à ce commissariats en raison de différents problèmes, l’un avec la mafia sicilienne, l’autre avec son impulsivité, d’autres avec une famille en miettes ou une dépression chronique. Malgré ces problèmes, ou pour y échapper, tous s’investissent à fond dans l’enquête, il n’est pas question de perdre un seul instant pour retrouver le petit garçon.

« Il y a des nuits.
Des nuits auxquelles on arrive comme au sommet d’une montagne, si épuisé qu’on a du mal à garder les yeux ouverts.
Des nuits pleines de rien, où tout ce qu’on souhaiterait, ce serait dormir sur le ventre, chez soi, dans une rassurante odeur de renfermé.
Des nuits où il faut se barricader contre le monde extérieur, ce fardeau à couper le souffle, et empêcher les doigts sombres de s’introduire par les interstices des fenêtres, jusqu’à l’âme.
Il y a des nuits. »
C’est avec plaisir que j’ai retrouvé le commissariat napolitain et que je me suis attachée à leur enquête. Même si les vies privées de chacun des membres de l’équipe prennent de l’épaisseur, la recherche du petit Dodo, dix ans et une famille qui se déchire, est très prenante, d’autant que l’auteur alterne avec le point de vue du petit garçon enfermé, ou celui de ses ravisseurs. De plus, des sortes d’intermèdes poétiques ponctuent le texte comme celui sur la nuit ou sur le mois de mai, très différents l’un de l’autre d’ailleurs, mais tout aussi saisissants. Je trouve d’ailleurs que l’auteur à gagné en art de faire monter l’émotion depuis le roman précédent… Et ce jusqu’au dénouement…
Les personnages secondaires le sont beaucoup moins, et gagnent en véracité, en poursuivant leurs histoires personnelles en parallèle. Cela donne grande envie de lire la suite, mais j’ai l’impression que pour l’instant seuls trois volumes sont traduits. Je pourrai, si je veux retrouver l’auteur, m’attaquer à la série du Commissaire Ricciardi, qui reste à Naples, mais cette fois dans les années 30, et qui semble passionnante aussi, et sur laquelle Marilyne publie un billet aujourd’hui même.

Et l’obscurité fut de Maurizio de Giovanni, (Buoi per i Bastardi di Pizzofalcone, 2013) éditions 10/18, 2017, traduit par Jean-Luc Defromont, 354 pages.

Livre sorti de ma PAL, je poursuis donc l’Objectif PAL et vous pourrez retrouver les autres lectures des participants chez Antigone.
obj_PAL2018

Craig Johnson, Tout autre nom


toutautrenom.jpg« Elle me regarda fixement, prit le cigarillo, et d’un geste théâtral, le bras tendu, le lâcha sur le gravier ; puis elle l’éteignit avec un mouvement de rotation du pied, regrettant visiblement que le petit cigare ne soit pas ma tête. »
Dans ce onzième volume, Walter Longmire, à la demande de l’ancien shérif Lucian Connally, enquête sans mandat hors de sa juridiction, sur une mort classée un peu hâtivement en suicide. Un suicidé qui a tiré deux balles, voilà qui est étrange… Le mort est l’inspecteur Holman, qui s’intéressait à des disparitions de jeunes femmes dans les environs, et Walt en est bien sûr intrigué. Ses recherches vont le mener une fois encore à affronter des situations périlleuses, et des personnages pittoresques ou dangereux, ou les deux à la fois. Et ce, dans le cadre légèrement différent du comté voisin, ses mines de charbon, ses trains démesurés, mais aussi comme dans le comté d’Absaroka, des bars mal famés, des motels lugubres et des tempêtes de neige tout à fait épiques.

 

« Tu veux des friandises ou tu préfères que j’aille au rayon boucherie te prendre un jambon ?
Ses oreilles se dressèrent lorsqu’il entendit ce dernier mot. On dit que les chiens ont un vocabulaire d’environ vingt unités lexicales, et j’étais certain que sur les vingt que possédait le mien, dix-sept étaient jambon. »
C’est toujours plaisant de retrouver Walt, le shérif du Wyoming dont Craig Johnson raconte avec sa verve habituelle les enquêtes assez mouvementées. C’est difficile de mettre le doigt sur ce qui fonctionne aussi bien : les personnages récurrents sympathiques, les dialogues pétillants, les péripéties inattendues, la bonne dose de paysages grandioses et de conditions météorologiques extrêmes… tout cela à la fois. L’intrigue n’est pas ce qui a le plus d’importance, le fait de savoir si Walt va arriver à temps pour l’accouchement de sa fille en a tout autant. Le thème du trafic d’êtres humains qui se dessine au fil du livre ne manque pourtant pas de capter l’attention. On se laisse faire agréablement, l’écriture et l’humour sont des plus séduisants, c’est une excellente lecture de détente ! Pas plus, pas moins.

 

Tout autre nom de Craig Johnson (Any other name, 2014) éditions Gallmeister (2018) traduit par Sophie Aslanides, 349 pages.