Nathaniel Ian Miller, L’Odyssée de Sven

L’Odyssée de Sven porte bien son titre. En 1916, le jeune Sven mène à Stockholm une vie trop étriquée qui ne lui convient plus. Il a envie de plus que de rêver par livres interposés. Bien qu’attaché à sa sœur et à ses neveux, il répond à une offre de recrutement et se retrouve mineur dans le Spitzberg. Lui qui a toujours rêvé des grands espaces du Nord travaille sous terre, à enchaîner d’épuisantes et dangereuses journées. A la suite d’un accident, et d’une longue convalescence, il va s’éloigner plus encore vers le nord, y apprendre le métier de trappeur, et s’installer dans un fjord reculé.
En avançant dans le roman, on avance en solitude au fur et à mesure des aléas et et des choix de vie de Sven. C’est Sven lui-même qui mène le récit, et, en tant que narrateur, il n’est pas du genre à se glorifier de hauts faits ou à se mettre en avant. Sa modestie et son autodérision le rendent sympathique, ainsi que son intérêt pour les personnes qu’il rencontre. Il noue de belles amitiés avec McIntyre, un géologue écossais, avec Tapio, le trappeur finlandais socialiste, avec son compagnon canin, Eberhard, et n’oublie pas sa correspondance avec sa sœur et sa nièce préférée, Helga.

Ce qui apparaît assez rapidement à la lecture, c’est qu’il s’agit plus d’un roman d’apprentissage, et aussi sur la survie en milieu difficile (rappelant en cela Ermites dans la taïga) plutôt qu’un roman d’aventures. L’aventure est surtout intérieure, le questionnement stimulant proposé par l’auteur pourrait se résumer ainsi « Pourquoi et comment vivre seul dans une région aussi reculée ? ».
La solitude de Sven n’étant pas totale, les rencontres et les amitiés, les relations en tout genres, y tiennent une grande place. Je ne veux pas trop en dire, non plus !
Au final, une lecture aussi intéressante qu’enrichissante, à laquelle on peut faire une place si on aime la nature dans les régions froides, et l’humanité.

L’odyssée de Sven de Nathaniel Ian Miller, (The memoirs of Stockholm Sven, 2021), Buchet-Chastel, août 2022, traduit de l’anglais par Mona de Pracontal, 480 pages. Sorti en format de poche.

Nathaniel Ian Miller, éleveur dans le Vermont, est également diplômé en littérature et en biologie, et écrit pour plusieurs revues. En 2012, il a participé à la résidence Arctic Circle dans le Svalbard, nom actuel du Spizberg, et a découvert la cabane de Sven. Il s’est librement inspiré de l’histoire vraie d’un trappeur pour écrire ce premier roman.

Repéré grâce à Ariane.

Lectures du mois (30) juillet 2023

Trois candidats à l’embauche arrivent successivement à l’Usine, énorme complexe industriel comprenant aussi des commerces, des restaurants, des logements. L’un, chercheur en biologie, est chargé de la végétalisation des toits, mais avec des consignes vagues et un projet sans consistance. L’autre se retrouve à charger de documents une déchiqueteuse, à longueur de journées. Le troisième corrige des documents divers et sans rapport avec la production de l’Usine. Que produit-elle, d’ailleurs ?
L’adjectif « kafkaïen » est employé dans la quatrième de couverture, j’ai pensé plutôt à Ismaïl Kadaré ou alors à Yoko Ogawa… en tout cas, on se trouve dans une critique du monde du travail teintée d’une touche de fantastique. Quelques détails intriguent d’abord, et puis quels sont ces oiseaux qui ne se trouvent qu’aux abords de l’Usine et dont le comportement surprend ? Une lecture aussi rapide que prenante qui donne envie de lire le deuxième roman paru en français de cette jeune autrice, intitulé « Le trou »…

L’avis de Lou.

Une jeune femme enquête sur le suicide de sa grand-mère et la disparition d’un manuscrit qui, revenant sur l’histoire d’un naufrage pendant la seconde Guerre mondiale, aurait pu chambouler l’histoire de la Norvège. Ceci arrive dans une histoire de famille déjà pleine de secrets… Je précise que si le naufrage a vraiment eu lieu, le reste n’est que fiction.
Ce roman, je ne l’ai pas terminé, j’ai abandonné un peu avant la moitié, pour différentes raisons. Les personnages manquent d’épaisseur, je ne m’y suis pas attachée, ou peut-être est-ce que j’ai du mal avec ces figures de riches assez odieux… la description, par exemple, du hors-bord de Sasha, avec ses « différentes variétés de bois poli et la perfection de sa coque à la ligne gracieuse » ça m’a laissée totalement de marbre, autant que tous les autres privilèges aristocratiques dont la famille dispose.
Dommage pour l’histoire de la Norvège, c’est ce qui m’avait amenée à lire ce roman, mais c’était trop long à venir, et avec un suspense qui me semblait trop fabriqué.
Quant à l’écriture, elle ne m’a en rien marquée, sauf par des lourdeurs imputables à l’auteur ou à la traduction qui finissaient par me sauter aux yeux, au lieu de m’intéresser à l’histoire.
Bref, un raté pour moi, Delphine-Olympe a beaucoup aimé, Aifelle un peu moins.

Encore une enquête, mais sur un personnage réel, cette fois. Repérée aux Quais du Polar, j’étais intriguée par cette recherche de la journaliste belge qui est partie d’une stèle vue dans un cimetière bruxellois, celle de Marina Chaffrof, décapitée en 1942. La documentation n’est pas très abondante, mais l’autrice s’obstine, se sent appelée par cette jeune femme d’origine russe, mariée très jeune, mère de famille, qui se lance dans des actes de résistance des plus courageux.
Si j’ai lu le roman avec intérêt, il faut reconnaître que le matériau constituant l’enquête de l’autrice est bien léger. Les personnages, Marina la première, sont passionnants, mais le tout est en grande partie issu de son imagination… J’ai beaucoup aimé la manière dont Marina s’éveille progressivement à la politique et à la notion de résistance. Je recommanderais plutôt d’emprunter ce livre en bibliothèque ou d’attendre la sortie en poche.
D’autres avis sur Bibliosurf.

Herbjørg Wassmo, Ces instants-là

cesinstantslaRentrée littéraire 2014
L’auteure :
Herbjørg Wassmo est née en 1942, dans l’extrême Nord de la Norvège. Elle fut d’abord institutrice, puis fit paraître de la poésie, puis des romans et des nouvelles. Les lecteurs français la découvrent surtout avec Le Livre de Dina, une fresque qui se déroule dans la région natale de l’auteur, au milieu du XIXe siècle. Traduite en 24 langues, l’œuvre de Herbjørg Wassmo a reçu de nombreux prix littéraires.
399 pages
Editeur : Gaïa (août 2014)
Traduction : Céline Romand-Monnnier
Titre original : Disse øyeblikk

Ces instants-là sont tous les moments qui reviennent en mémoire à l’auteure lorsqu’elle se retourne sur sa vie, en commençant par l’entrée au collège. Elle fait des études, devient institutrice, se marie, commence à écrire, cherche à diriger sa vie. Cela pourrait être monotone, cette suite de courts chapitres de la vie d’une femme, c’est tout simplement passionnant, en partie parce qu’elle est norvégienne, et que le léger décalage de quotidienneté avec des épisodes de vie d’une femme française apporte quelque chose à la lectrice, mais aussi parce qu’elle raconte particulièrement bien, formidablement bien, sans entrer dans les détails, en éludant avec élégance certains moments, qu’ils soient trop douloureux ou trop communs… Elle exprime avec intensité, mais pudeur, comment elle était littéralement poussée par son enfance difficile, à avancer dans la vie, à devenir écrivain, comment ce drame de l’enfance lui a laissé à jamais une méfiance immense envers les hommes. Admiratrice de Simone de Beauvoir, et du deuxième sexe, elle est pourtant mal à l’aise lorsqu’elle se retrouve seule à Paris, pour quelques jours, c’est toujours ce sentiment d’inquiétude qui la poursuit.
La langue utilisée par Herbjørg Wassmo n’est pas commune, on ne rencontre pas un tel style tous les jours, avec ses phrases courtes et percutantes, et la traduction en rend très bien la musicalité, me semble-t-il… Je ne dis pas que ce récit plaira à tout le monde, mais si vous aimez les romans de cette auteure, par lesquels il est sans doute plus facile de l’aborder, vous pouvez pousser sans crainte la porte de ses souvenirs.

Extraits : Elle a la honte au ventre. Si elle n’arrive pas à trouver de solution, il ne lui restera qu’à mourir. Tout est urgent, mais elle ne voit pas ce qu’elle pourrait faire. La vie est désormais divisée en mois. Plus que sept et demi. Elle rit haut et fort avec tout le monde et n’importe qui et se prépare. Parfois elle se promène jusqu’au haut pont, au-dessus du torrent. Dans les profondeurs, il y a des pierres et de l’eau sombre. C’est l’affaire de quelque secondes. Elle le sait bien.

Un samedi, elle ne parvient pas à traverser le fjord. Il y a une tempête et le bateau ne navigue pas. Elle reste dans sa chambre à écrire quelque chose qui ne trouve pas de place dans un carnet de notes. Une histoire de quelqu’un de plus âgé qui n’a jamais été elle. Elle écrit dans son cahier de brouillon de rédaction.
Tout le samedi soir, elle reste avec l’histoire de cette femme adulte. Elle ne sait pas d’où elle la tire. L’histoire est dans la pièce sans qu’elle l’ait envoyé chercher. Pluie et pluie mêlée de neige ferment toutes les fenêtres à l’environnement.

L’avis de Cuné.


D’autres livres de l’auteur : Le livre de Dina, Cent ans

Anne B. Ragde, Zona frigida

L’auteur : zonafrigidaAnne Birkefeldt Ragde est née en Norvège en 1957. Auréolée dans son pays d’origine des très prestigieux prix Riksmål, prix des Libraires et prix des Lecteurs pour sa « Trilogie des Neshov » (La Terre des mensonges, La Ferme des Neshov et L’Héritage impossible, trilogie vendue à plus de 80 000 exemplaires en France), Anne B. Ragde est une romancière déjà traduite en 20 langues. Après Un jour glacé en enfer et Zona frigida son dernier roman, La tour d’arsenic a paru aux éditions Balland.
357 pages
Edition : 10/18 (mai 2012)
Traduction : Hélène Hervieu et Eva Sauvegrain

Quand les lectures se font un peu moins emballantes, qu’un ou deux livres empruntés à la bibli restent sur le bord du chemin, l’idéal est de retrouver un auteur déjà éprouvé pour continuer à explorer son univers. Anne B. Ragde fait partie de mes valeurs sûres depuis la trilogie des Neshov, dont je vous ai parlé avec Terre des mensonges, mais pas les deux suivants, pourtant très bien aussi. J’y avais aimé sa façon de décrire le quotidien, en dévoilant les caractères des personnages, avec humour parfois, avec finesse toujours.
Zona Frigida emmène le lecteur en croisière au Spitzberg, où s’embarque Bea, une trentenaire un peu paumée qui exerce l’art du dessin et de la caricature. Les autres passagers viennent de tous horizons, mais Bea ne ressemble pas à la touriste moyenne, et tout en parlant à chacun, sympathise surtout avec l’un des membres de l’équipage. Ce qu’elle est venue chercher dans cette croisière n’apparaît pas immédiatement, mais au fur et à mesure que le bateau s’approche des zones glacées et de l’observation de la faune arctique, on commence à entrevoir ses motivations, une vengeance peut-être… Certains des autres passagers ne sont pas animés non plus du désir de contempler seulement des beaux paysages. Autant dire qu’il est difficile de faire autre chose que de dévorer le livre pour en savoir plus !
Comme, de plus, l’écriture est fluide, que les dialogues sonnent juste, et que les thèmes abordés sont intéressants, cela en fait un roman solide, bien équilibré entre drame, aventures et étude de mœurs. Si les tragédies des glaces vous tentent, n’hésitez pas embarquer !

Extrait : Je suis en voyage, me suis-je dit. Je n’ai plus d’identité. Celle-ci disparait quand on est loin de chez soi. On n’a pas de travail, pas de domicile, pas de livres sur des étagères qui permettraient aux gens de savoir ce que vous lisez et qui vous êtes. Personne ne connaît vos amis, ni les gens que vous côtoyez. Personne ne sait ce que vous gagnez, qui vous donne des cadeaux de Noël, si vous vous êtes fait opérer de l’appendicite. On ne voit que votre tenue de voyage, votre bagage à main. Très peu de gens sont capables de tirer des conclusions valables à partir de données aussi floues.
Mais moi, si. Je regarde les chaussures des voyageurs, leurs mains, leurs bijoux, leurs rides au coin des yeux. Je devine s’ils ont l’habitude de se déplacer, de faire la queue au restaurant. Tout le monde n’aime pas voyager, quitter son petit cocon. Leur attitude dévoile le but de leur voyage, s’ils doivent rencontrer quelqu’un ou s’ils partent pour le travail. Pour certains, c’est les deux. Eux, ils boivent du café et fument cigarette sur cigarette.

Per Petterson, Pas facile de voler des chevaux

pasfaciledevolerL’auteur : Avant de commencer à écrire, Per Petterson travaille durant plusieurs années comme ouvrier agricole, puis comme libraire et traducteur. En 1987, il publie un premier recueil de petites histoires non traduites en français. Les lecteurs français le découvrent lorsque les éditions Circé publient Jusqu’en Sibérie en 2002, puis Dans le sillage en 2005. En 2003, Pas facile de voler des chevaux obtient un très grand succès en Norvège, Allemagne et Grande-Bretagne et reçoit deux prix littéraires importants en Scandinavie. Il est traduit et édité par Gallimard en 2006, suivi de Maudit soit le fleuve du temps en 2010. Per Petterson vit dans un petit village norvégien isolé.
256 pages
Editeur :
Gallimard (2006) Existe en poche.
Traduction : Terje Sinding
Titre original :
Ut og stjaele hester

Pour un livre tiré de mes étagères (je n’ai pas dit de ma pile à lire, puisque ce n’est pas pour moi qu’il avait été acheté !), c’est une très bonne pioche, et je suis étonnée de ne pas l’avoir lu avant. Cet auteur apparaît d’abord un peu comme l’équivalent masculin d’Herbjorg Wassmo, entre grands paysages et sombres histoires de famille. Mais le paysage est différent, une région forestière du sud de la Norvège, proche de la frontière suédoise, et si l’histoire est imprégnée du sens de la famille, il ne faut pas y chercher d’aussi lourds secrets qu’avec son homologue des îles Lofoten. Quoique…
Le narrateur, un homme dans la soixantaine, vient de s’installer dans une maison isolée au milieu des bois pour y passer l’hiver. Cet endroit lui rappelle celui où il passait son enfance, notamment l’été de ses quinze ans, en 1948, où tout devait changer, entre amitiés adolescentes, premiers émois et surtout, au centre du roman, les relations entre père et fils. En effet, pour ces quelques semaines, sa mère et sa sœur étaient restées en ville et le jeune homme se sentait plus proche de son père, s’intéressait de plus près aux événements survenus quelques années plus tôt, pendant la guerre. Par courts tableaux, il évoque cet été, dont le souvenir est ravivé lorsqu’il fait connaissance de son voisin le plus proche, un homme un peu plus jeune que lui, qu’il reconnaît pour l’avoir côtoyé lors de ce fameux été.
Plein de sensibilité, le roman décrit d’une aussi belle manière la dérive des sentiments que des scènes forestières comme le flottage du bois sur la rivière. J’ai été touchée et emportée tout du long, alors que je craignais les sempiternels souvenirs d’enfance un peu mièvres. L’écriture comme la construction sont sobres, elliptiques. De très beaux passages m’ont enchantée, et une des rares fois où je commençais à trouver que les effets étaient un peu soulignés, tels une musique de film qui en rajoute sur l’image, l’auteur fait justement allusion à un film dont la grande scène change le destin du personnage, et il est le premier à s’en agacer. Comme dans la vie, le narrateur n’aura pas forcément une réponse précise à toutes les questions qui le taraudent, mais il sortira sans doute un peu différent de cette plongée dans ses souvenirs.

Extrait : Début novembre. Il est neuf heures. Les mésanges viennent se cogner à la fenêtre. Un peu assommées, il leur arrive de reprendre leur vol, mais parfois elles tombent et se débattent un moment dans la neige fraîche avant de retrouver l’usage de leurs ailes. Je me demande ce qu’elles peuvent bien venir chercher chez moi. Je jette un regard par la fenêtre donnant sur la forêt. Près du lac il y a une lueur rouge au-dessus des arbres. Le vent se lève. Je vois la forme du vent sur l’eau.

Les gens aiment bien qu’on leur raconte des choses avec modestie et sur le ton de la confidence, mais sans trop se livrer. Ainsi ils pensent vous connaître, mais ce n’est pas vrai. Ils connaissent des choses sur vous, ils ont appris certains détails, mais ils ne savent rien de vos sentiments ni de vos pensées, ils ignorent comment les événements de votre vie et les décisions que vous avez été amené à prendre ont fait de vous celui que vous êtes. Ils se contentent de vous attribuer leurs propres sentiments et leurs propres pensées ; avec leurs suppositions, ils reconstruisent une vie qui n’a pas grand-chose à voir avec la vôtre. Et vous êtes en sécurité. Si vous voulez rester à l’écart, personne ne peut vous atteindre. Il suffit de sourire poliment et de ne pas céder à la paranoïa ; malgré vos contorsions ils parleront de vous dans votre dos, vous ne pourrez pas l’éviter. Et vous feriez sans doute pareil.

Sortie poche (2) : Cent ans

Je les ai aimés, ils sortent en poche !
L’auteur : Herbjørg Wassmo est née en 1942, dans l’extrême Nord de la Norvège. Ses romans et nouvelles sont empreints de l’atmosphère de ces régions septentrionales. Les lecteurs français la découvrent surtout avec Le Livre de Dina, une fresque flamboyante, qui se déroule dans la région natale de l’auteur, au milieu du XIXe siècle. Traduite en 24 langues, l’œuvre de Herbjørg Wassmo a été récompensée à maintes reprises.
600 pages
Editeur : 10/18 (octobre 2012)
Traduction : Luce Hinsch
Titre original : Hundre år

Coup de cœur ! Que sait-on de ses propres arrière-grands-mères ? Dans le cas d’Herbjørg Wassmo, la curiosité de l’écrivain s’éveille lorsque sa fille trouve une publication parlant d’un retable dans la cathédrale des îles Lofoten. Le peintre, très doué, était un pasteur, et le modèle une certaine Sara Susanne Krog, qui n’est autre que l’arrière-grand-mère maternelle de Herbjørg Wassmo. Elle se lance dans des recherches sur sa famille, s’inspire librement de ce qu’elle peut en retrouver, poussée par le fait que cent ans exactement la séparent de Sara Susanne, et aussi peut-être parce qu’il est temps pour elle d’évoquer des souvenirs douloureux de sa propre enfance.
Elle retrace donc un siècle, de 1860 à 1960 environ, entremêlant différents épisodes de l’histoire familiale, commençant dans le Nord avec Sara Susanne, son arrière-grand-mère, qui épouse Joannes Krog parce que sa famille peine à nourrir de trop nombreuses bouches. Elle-même aura de nombreux enfants, dont Elida, qui quittera les Lofoten pour Kristiania, avant qu’elle ne devienne Oslo, pour faire soigner son mari gravement malade. L’une de ses filles, Hjørdis, reviendra dans le nord et sera la mère de la petite Herbjørg. 
Rassurez-vous, on ne se perd pas du tout dans la généalogie, et cette saga familiale vue du côté des femmes, mais également de leurs relations avec les hommes est tellement passionnante que je n’ai pas vu filer les 560 pages ! (en version brochée)
C’est aussi l’histoire des régions les plus septentrionales de la Norvège qui est retracée, avec l’arrivée des premières technologies, voitures, téléphone, mais aussi les guerres et la façon dont les lapons et les gens du nord étaient peu considérés par les norvégiens du sud. Des évènements familiaux qui pourraient sembler communs prennent un tel relief que le lecteur les anticipe avec impatience : une nuit de noces, une naissance difficile, un déménagement, une maladie, peuvent avoir des conséquences funestes ou heureuses sur les générations suivantes. On imagine bien à la lecture comment l’auteur a fait parler photos, documents et objets de famille, ainsi que des souvenirs glanés ici et là, et elle le fait d’une manière qui force l’admiration. Il faut découvrir aussi comment le goût de la littérature s’est transmis dans la famille en commençant par les lectures à voix haute de Sara Susanne qui faisaient le bonheur de la maisonnée…

J’ai lu vraiment avec enthousiasme ce roman qui comporte des moments particulièrement forts que je ne dévoilerai pas, en vous donnant un seul conseil : lisez-le…

 

Extrait : Il y avait un type à Kristiania dénommé Schreiner à qui le Parlement avait donné de l’argent pour décrire l’anatomie des Lapons de Tysfjord. Une drôle d’occupation pour un homme dans la force de l’âge. Peder avait raconté à Fredrik que sa famille avait même dû se déshabiller. Ils avaient attrapé sa mère un jour qu’elle revenait de la montagne. Sans même lui donner le temps de s’arranger ni de se reposer, ils l’avaient forcée. D’abord, ils avaient essayé de l’amadouer, puis ils lui avaient donné quelques perles de verre dans un cornet en papier. Quand elle avait refusé la verroterie et s’était mise à les repousser et à pleurer, ils l’avaient fait entrer de force dans le chalet et l’avaient pesée et mesurée quand même. Il avait tout vu des hauteurs où il s’était caché jusqu’à leur départ. Quand sa mère lui avait dit qu’ils allaient revenir pour mesurer le reste de la famille, il s’était enfui pour échapper à cette humiliation.