L’envie de découvrir une maison d’édition, Au vent des îles, l’attrait de cette couverture très réussie et la présence de l’autrice au festival America, voici autant de raisons qui m’ont donné envie de lire ce recueil de nouvelles.
(C’est tout à fait le genre de livres qui me motivent pour écrire des billets, tellement plus que ceux qu’on voit partout, mais que pourtant j’oublierai très vite)
« Nous devenons des piliers de la communauté insulaire. Nous nous transformons en ce que nous avons toujours rêvé d’être. Mais parfois, tard le soir, seules sous la courtepointe hawaïenne brodée main que nous avons enfin les moyens de nous offrir, nous regrettons de ne pas avoir suivi nos petits amis de l’université à Washington DC ou à Chicago. Nous aurions pu nous passer du rôle de pilier. Nous aurions pu vivre en femmes ordinaires. »
La première nouvelle, dont l’extrait ci-dessus donne une idée, possède une construction ambitieuse mais parfaite, qui donne la parole uniquement à des femmes. S’expriment ainsi successivement au nom de leur groupe, des surfeuses, des jeunes cadres très investies localement, ou enfin des femmes de chambre. Elles observent une jeune touriste, une de plus, mais celle-ci ne va pas passer le séjour de rêve tant attendu. Avec un style qui mêle humour, précision et énergie, ce premier texte ne manque pas de laisser déjà une forte impression.
« Elle parlait toujours de l’histoire au présent, ce qui ne manquait jamais de l’embrouiller. Pour lui, l’histoire ne se prêtait pas à être réinterprétée ou revécue, elle était seulement accessible par le biais de longues et consciencieuses études. »
La deuxième nouvelle explore le milieu des combats de coqs, mais aussi les thèmes de la fidélité et de la vengeance, qui ne font pas bon ménage.
Dans la troisième, une demande en mariage amène le thème de l’appartenance à un lieu.
La quatrième donne son titre au recueil, titre qui reflète exactement son contenu, numéroté de 1 à 39 : les obsèques à la mode hawaïenne montrent une façon de penser la mort bien éloignée de celle des Américains du continent.
La cinquième évoque le thème de la culpabilité et la sixième et dernière des relations père-fils gangrenées par un silence de plusieurs années.
Toutes montrent une connaissance évidente de l’archipel hawaïen, et des rapports compliqués entre locaux et continentaux, sur fond de traditions et de rêves de modernité. Les personnages, souvent des jeunes qui peinent à trouver leur juste place, sont particulièrement réussis, pas du tout stéréotypés, mais au contraire pleins de facettes dévoilées avec habileté.
Je me suis régalée de bout en bout, et ai beaucoup apprécié la traduction de Mireille Vignol qui a su trouver une façon intéressante de traduire le pidgin local : c’est plus qu’une langue, c’est une façon de penser, qui par exemple n’utilise pas de temps passé.
Je vais garder un œil à la fois sur la maison d’édition et sur la jeune autrice.
39 bonnes raisons de transformer des obsèques hawaiiennes en beuverie de Kristiana Kahakauwila (This is paradise, 2013) éditions Au vent des îles, avril 2022, traduction de Mireille Vignol, 221 pages.
Projet 50 états, 50 romans : Hawaï