Polars en vrac (11)

A l’approche des Quais du Polar lyonnais, une petite cure de romans noirs et polars s’impose. Voici donc mes lectures « de genre » de février et mars, avec des succès divers. J’en ai lu deux en version originale, mais ne passez pas votre chemin, car ils sont déjà traduits en français !

Commençons par un auteur dont j’affectionne l’écriture depuis la lecture de La constellation du chien. Ce fut, comme toujours, un plaisir de le retrouver dans une histoire policière assez mouvementée. Jack, déjà rencontré dans La rivière, a trouvé un job de guide de pêche pour quelques célébrités qui viennent se ressourcer dans un coin perdu du Colorado. Mais Jack se rend vite compte de détails bizarres, que ce soit dans le comportement du personnel ou dans l’aménagement des lieux. Même s’il déprime quelque peu, sa curiosité n’est pas totalement éteinte ! Beaucoup de thèmes se mêlent dans ce roman qui joue bien son rôle (de page-turner) sans être le meilleur cru de l’auteur.

Par une écriture immédiatement envoûtante, R. J. Ellory emmène les lecteurs dans le Nord du Canada, où des jeunes filles, sur plusieurs décennies, sont retrouvées mortes. Tout à leur peine, les familles acceptent la thèse d’une bête sauvage qui fait des ravages près des habitations. Seul Jack Devereaux, un enquêteur dans les assurances, revenu au pays, se pose des questions, d’autant plus que son propre frère se trouve parmi les suspects. Malgré ses qualités, notamment une superbe atmosphère, et des personnages complexes, ce roman comporte quelques longueurs et, à mon avis, ne révolutionne pas le genre.

Encore une ambiance hivernale pour ce quatrième roman de la série « Six versions » où Scott King, réalisateur de podcast, revient sur de vieilles enquêtes au travers du portrait de six personnages touchant de prèe ou de loin à l’affaire. Ici, il s’agit d’une jeune fille, trouvée morte de froid dans une tour, à l’orée du village où elle vivait, et était (très) connue comme créatrice de contenu sur Youtube. J’ai été prise par cette plongée très bien orchestrée dans les méandres d’un cold case, qui s’attaque aux thèmes de l’image, de la notoriété, de la jalousie, dans le domaine des réseaux sociaux.

Stanislas Kosinski vit dans une maison isolée, entourée de forêts et de garrigue, où il fréquente le moins d’humains possible et s’absorbe dans des travaux physiques pour éviter de ressasser son expérience traumatisante de militaire au Mali. Deux événements vont venir troubler sa tranquillité, l’installation d’une bergère sur un terrain limitrophe, et l’incursion de chasseurs qui tracent un chemin pour couper à travers ses terres. Dès lors, tout va déraper.
Si j’ai bien accroché au début du roman, le tournant pris ensuite, avec des incompréhensions totales entre les habitants du cru, même le maire, et Stan, m’a laissée plutôt indifférente et pressée d’en finir. L’écriture parvient presque à redresser la barre, et à faire croire à cette histoire, presque seulement.

Le quatrième volume des enquêtes de Sam Wyndham et son adjoint Banerjee se démarque des précédents par sa forme, qui alterne deux périodes et deux lieux, 1905 à Londres, avec le meurtre d’une jeune femme que Sam connaissait bien, et 1922, où il soigne sa dépendance à l’opium dans un ashram dans la région verdoyante de l’Assam. Des thèmes comme la montée du nationalisme indien, et le racisme, donnent beaucoup d’intérêt au roman, et le style de l’auteur entre toujours pour une bonne part dans le plaisir de lecture, ses comparaisons et formules humoristiques ne manquant pas d’alléger l’atmosphère.
Bien qu’un peu moins convaincant, au départ, que les trois premiers, peut-être à cause de l’alternance passé/présent, ou des personnages, le roman rebondit aux trois-quarts du texte. Un événement inattendu lui donne alors un nouvel élan. D’ailleurs, je conseille de ne pas lire des critiques trop détaillées qui en font part… Un bon roman, finalement !

Avez-vous lu ou pensez-vous lire certains de ces romans ?

Virginia Woolf, La fascination de l’étang

Première lecture pour moi de Virginia Woolf, autrice qui m’a jusqu’alors suffisamment intimidée pour que je ne me risque pas à lire un de ses romans. Serait-ce une bonne idée de commencer par des nouvelles ?
Celles-ci ont été écrites de 1906 à 1941, certaines sont donc ses tout premiers écrits alors que les dernières datent de l’année de sa disparition. Comme elles sont fort différentes les unes des autres, tant par la longueur que par le genre, le plus simple va être de décrire si ce n’est toutes les nouvelles, du moins certaines d’entre elles, avec mes impressions à la lecture…

« Phyllis et Rosamond » : l’autrice y décrit une journée de deux sœurs, jeunes filles dont toutes les activités sont tournées vers la recherche d’un prétendant. Elles croisent lors d’une soirée une jeune femme plus libre, intellectuelle qui a d’autres aspirations dans la vie… le dialogue n’est pas facile… Woolf avait vingt-quatre ans, c’est l’un de ses premiers écrits et c’est vif, d’une écriture acérée et qui sonne juste. (20 pages)
« Le journal de maîtresse Joan Martyn » plonge dans le Moyen-Âge, après une mise en situation classique, et aborde le thème de l’écriture et de la place des femmes dans la société et dans l’histoire. C’est original et l’écriture est remarquable. (48 pages)
Dans « Mémoire de romancière », je n’ai pas trop vu où Woolf voulait en venir, peut-être est-ce une nouvelle qui renvoie à une personne connue d’elle, peut-être une romancière du groupe de Bloomsbury ? On peut aussi y voir une sorte de revendication féministe : les femmes aussi peuvent avoir une vie intéressante, qui puisse inspirer une biographie. Mais on sent aussi beaucoup d’ironie.
De « La soirée » je n’ai pas tout compris, il y est question de lecture, des anciens et des modernes, les dialogues sonnent comme de la poésie, et si c’est beau, j’ai été ravie que la nouvelle soit courte.
« Sympathie », une courte nouvelle de 1919 à propos de la mort, une très belle réflexion sur ce qui reste et ce qui passe, assortie d’une chute inattendue ! (7 pages)
« Une société » est une nouvelle féministe où des jeunes femmes décident d’observer et de questionner les hommes pour décider si leur comportement et ce qu’ils produisent en terme d’art, mérite que les femmes portent leur progéniture. Questionnement hautement déplacé pour l’époque ! Nouvelle agréable à lire quoique le coq à l’âne y soit parfois perturbant. (21 pages)
« Le rideau de Miss Lugton, l’infirmière » (3 pages) courte nouvelle au fantastique léger et humoristique.
« La veuve et le perroquet, historie vraie » (12 pages) Une fable ironique qui ne semble absolument pas véridique, contrairement au titre, mais qui met le sourire aux lèvres… et sans rien de biscornu dans l’écriture, pour une fois.
« Mrs Dalloway dans Bond street » On lit le flux de pensée d’une dame d’une cinquantaine d’années, de la bonne société, qui sort de chez elle, passe aux abords de plusieurs monuments emblématiques de Londres et fait quelques emplettes, un livre, une paire de gants… S’agit-il de montrer le vide de sa vie ou au contraire, malgré cette disponibilité, le foisonnement de son esprit ? Écrit avant le roman, mais le personnage de Mrs Dalloway était déjà apparu dans une autre nouvelle… (13 pages)
« Le bonheur » est un texte génial dans sa brièveté : là encore le flux de pensées, entrecoupé de dialogues, d’un quinquagénaire ressentant un inexplicable sentiment de bonheur, qu’il cherche à analyser. (6 pages)
« Ancêtres », en 5 pages, considère avec une certaine ironie la nostalgie d’une Mrs Vallance : elle se remémore une image de son enfance et regrette que ce jour n’ait pas pu durer toute sa vie.
Dans « Présentations », une jeune fille fait sa première sortie dans le « monde », tout en repensant à son mémoire sur Jonathan Swift très bien noté par son professeur… On lui présente un jeune homme. Une nouvelle courte, mais bien caustique.
« Mélodie simple » Je n’ai pas compris grand chose à cette nouvelle, il faut dire que plusieurs notes, renvoyant à d’autres nouvelles que je n’ai pas lues, et à d’autres personnages, m’ont plutôt égarée. A l’image de ce Mr Carslake qui, lors d’une soirée (serait-ce toujours la même soirée chez Mrs Dalloway ?) laisse son esprit vagabonder en regardant un tableau représentant un paysage de campagne.
Me voici rassérénée avec les trois pages si accessibles et belles de « La fascination de l’étang ».

Ce recueil contient encore trois ou quatre nouvelles, je vais cependant m’arrêter là. Je suis contente d’avoir surmonté mes réticences et d’avoir lu enfin Virginia Woolf, mais c’est tout de même une lecture ardue, dans l’ensemble, et je continuerai peut-être la découverte avec un court roman. Si vous avez des conseils, je suis preneuse.

La fascination de l’étang de Virginia Woolf, (The complete shorter fiction of Virginia Woolf), éditions Points, janvier 2013, préface d’Arnaud Cathrine, traduction de Josée Kamoun, 292 pages.

Lecture commune avec Keisha qui lit en VO et a déjà commenté d’autres nouvelles ici. Voici son billet du jour, certaines nouvelles sont les mêmes.

Bonnes nouvelles, c’est en janvier chez Je lis, je blogue :

Ian McEwan, Leçons

Il s’agit dans cet extrait d’un épisode de l’enfance de Roland Baines, dans les années 50 en Libye, là où son père était en garnison. Quoique le roman commence lorsque Roland est le jeune père d’un petit garçon de quelques mois, quitté brusquement par sa femme, il revient sur de nombreux faits marquants de son enfance et de sa jeunesse. Sa vie de presque enfant unique en Libye, puis l’internat en Angleterre, où il prendra à la demande de son père des leçons de piano. C’est une jeune professeur, à la fois autoritaire et perverse, qui le fait répéter, et qui va l’éveiller à la sexualité un peu plus tard, mais alors, il est encore trop jeune, toutefois.
Parvenu à la maturité, Roland se demande souvent quelle a été l’influence de ces leçons sur le cours de sa vie. Il s’interroge aussi sur ce qui se serait passé si tel ou tel événement n’avait pas eu lieu. Il a l’impression de passer un peu à côté de sa vie, ayant du mal à s’engager dans une relation comme à trouver autre chose que des petits boulots alimentaires.

Je ne peux pas finir l’année sans vous parler de cette lecture qui a répondu à toutes mes attentes. J’aime beaucoup les écrits de Ian McEwan, mais n’avait jamais été autant éblouie que par Expiation, mais cette fois, je ne peux que placer les deux romans sur un pied d’égalité. J’ai adoré l’ampleur du texte, couvrant plusieurs décennies des années cinquante à 2021, passant de l’Angleterre à l’Allemagne, pays d’origine d’Alissa, l’épouse de Roland. J’ai admiré la virtuosité de Ian McEwan à traiter de tous les sujets : l’adolescence, les rapports parents-enfants, la vie de couple, le travail d’écriture, autant que de la situation politique ou sociale, de passer de l’introspection à un débat de politique internationale… le tout avec une chronologie qui, sans être bouleversée, n’est ni linéaire, ni sagement alternée. Pas une fois au long des 650 pages, je ne me suis sentie égarée. Ni n’ai ressenti de longueurs. J’ai aimé aussi la façon dont il décrit avec bienveillance ses personnages, fussent-ils peu pourvus de qualités, pourtant.
C’est vraiment une réussite, un roman bien dans son époque, qui ne cultive pas une nostalgie stérile, ni ne se voile la face sur les défis qui attendent l’humanité dans l’avenir.

Leçons de Ian McEwan (Lessons, 2022) Gallimard, octobre 2023, traduction de France Camus-Pichon, 650 pages.

Les avis de Nicole et Pamolico.

Lectures du mois (31) août 2023

Pour ce mois encore, je regroupe quelques lectures, pour (essayer de) ne pas prendre trop de retard dans la rédaction de billets !

Publié en 1970 aux Etats-Unis, ce livre devenu un classique de la littérature américaine vient seulement d’être traduit. Il relate une année de l’enfance de Francie, douze ans, entre appartement insalubre et trottoirs de Harlem. La petite fille raconte avec sincérité, autant les petites chamailleries entre copines que les problèmes récurrents d’argent rencontrés par ses parents et voisins depuis la crise de 29, ou que le trouble provoqué par certains comportements déplacés, malheureusement trop fréquents. Le père de Francie joue du piano dans des bars et récolte des paris clandestins, et sa mère cumule les ménages. Quant à ses frères, l’un tente de continuer à étudier, et l’autre fréquente un gang de rue.
Une tranche de vie saisissante, dans un style particulièrement vif !

Le narrateur vit seul dans sa petite maison, avec des archives venant du journal qui l’employait, et qu’il continue de trier. Il vit aussi avec le souvenir de Fransiska, son premier amour, une chanteuse dont il suit de loin la carrière. Jusqu’au jour où il se décide à envoyer un mail à son ancienne amie…
J’ai retrouvé Peter Stamm découvert avec Sept ans, qui m’avait bien plu, mais cette fois, j’ai été un peu lassée par l’atmosphère feutrée et mélancolique du roman. Tout y est trop ténu et éthéré, et l’irruption de rêves dans la réalité ne m’a pas convaincue davantage. Un bon roman, sans doute, mais qui ne me laissera pas beaucoup de traces.

Je continue de découvrir Peter Heller (La constellation du chien, Céline, La rivière) avec ce roman dans la tradition du roman noir américain. Pour l’histoire du moins, celle d’un homme poursuivi par un geste violent et irréfléchi qui entraîne une vengeance. Doit-il fuir ou l’affronter ? Cet homme est un artiste-peintre, amoureux de la nature, pêcheur à ses heures, et vivant en solitaire dans le Colorado depuis un drame familial… tous les ingrédients du roman noir, vous dis-je, mais avec le style de Peter Heller, donc toujours un grand plaisir de lecture.

Graeme Mcrae Burnet, L’accident de l’A35, éditions 10/18, 2020, traduction de Julie Sibony, 336 pages.
« Personne ne regardait jamais un flic de travers à un enterrement. Dans un mariage, la présence d’un policier jetait un froid ; à des funérailles, ça semblait tout à fait pertinent. »

Je ne connaissais cet auteur écossais que de nom, ma première surprise a donc été de découvrir que l’intrigue se déroule à Saint-Louis, en Alsace. Un homme est découvert mort dans sa voiture au bord de l’autoroute. Si l’origine accidentelle ne semble faire aucun doute, l’inspecteur Gorski décide tout de même d’enquêter. Quant au fils de la victime, il se pose aussi des questions et se lance dans des recherches de son côté.
Certains comparent à Simenon (la filiation est assumée, à un moment, il y a une rue Saint-Fiacre) ou à Chabrol, tout cela me convient bien, et j’ai lu ce roman d’atmosphère très rapidement, tant la psychologie des personnages intrigue et donne envie d’en savoir plus.

Ce livre était partout à la rentrée dernière, ce qui était tout à fait mérité. Il s’agit de l’apparition du sida dans les années 80. Deux points de vue alternent : dans certains chapitres, celui de l’auteur lui-même, dont l’oncle, héroïnomane, a contracté le sida en même temps que sa compagne. Les autres chapitres détaillent la découverte du virus, l’avancée des recherches dans les années qui suivent, en ce qui concerne le dépistage puis le traitement.
C’est un texte sensible, souvent émouvant, et très certainement indispensable. Pourtant pas un coup de cœur pour moi qui avais adoré sur le même sujet N’essuie jamais de larmes sans gants.

Et vous, avez-vous lu certains de ces romans ?

Kazuo Ishiguro, Klara et le soleil

La narratrice, Klara, une AA, amie artificielle, comme on l’apprend dès les premières pages du roman, attend dans une boutique d’être choisie par un adolescent et de découvrir enfin le monde. Elle essaye de tirer des enseignements de ce qu’elle voit dans la rue, et s’intéresse plus que tout aux sentiments des humains, ce qui la distingue des autres robots présents dans le magasin. Lorsqu’elle échange un regard et quelques mots avec Josie, une adolescente de treize, elle n’imagine plus accompagner un autre enfant. Lorsque finalement, elle rejoint son nouveau domicile, elle observe beaucoup, comprend que Josie souffre d’une maladie, apprend à connaître la famille et l’entourage de la jeune fille. Elle imagine réussir à guérir Josie, par un expédient auquel personne n’a songé.

L’idée intéressante est d’avoir confié la narration à Klara, sa sensibilité, sa naïveté et sa manière de voir, au sens propre comme au figuré, conférant un ton particulier au roman. Le revers de la médaille, c’est que certains aspects de la société où elle évolue ne sont pas expliqués. Par exemple, pourquoi est-ce que ce sont les adolescents qui ont besoin d’amis artificiels, pourquoi certains enfants sont-ils « relevés » et d’autres non, qu’en est-il des opposants à ce système ? Les questions ne sont pas posées car Klara ne se les pose pas, mais certains points s’éclaircissent pour le lecteur grâce à des remarques entendues ici ou là par le robot.
Au final, un roman intelligent et touchant, par le biais de Klara, qui apparaît douée de sentiments pour lesquels elle n’avait pas été programmée.

Klara et le soleil, (Klara and the Sun, 2021), éditions Gallimard, août 2021, traduction de Anne Rabinovich, 384 pages.

Kazuo Ishiguro sur le blog : Lumière pâle sur les collines Les vestiges du jour Le géant enfoui

Les billets du Bouquineur, de Sibylline, d’Une Comète.

Polars en vrac (10)

Rien de tel pour la canicule et le cerveau en mode survie que des polars, si possible issus d’une série passionnante et déjà éprouvée…

Avec ce roman, je poursuis une série dont les deux premiers volumes m’ont enchantée. On s’y trouve à Calcutta, en 1921, alors que Gandhi incite à la révolte sans violence contre le colonisateur anglais. Le capitaine Sam Windham et le sergent Sat Banerjee sont confrontés à des meurtres qui semblent liés entre eux, juste au moment où le Prince de Galles (pas Charles, n’est-ce pas, mais Edward) arrive pour une visite officielle. Il leur faut donc les élucider au plus vite, tout en évitant des manifestations et en combattant, pour Windham, son addiction à l’opium. Le roman commence sur les chapeaux de roue, par une scène qui va à cent à l’heure, et rien que pour ça, je le conseillerais, mais la suite est tout aussi prenante.
Bravo, Mister Mukherjee !
Lu aussi par Keisha.

Vous ne pourrez pas dire que la chaleur vous accable à la lecture de ce polar qui se déroule dans une morgue de Camden. Cassie Raven y est technicienne, et passionnée par son travail, elle en arrive à communiquer d’une certaine manière avec les morts qu’elle prépare. Lorsque le corps d’une de ses anciennes professeures arrive, soit-disant noyée accidentellement dans son bain, Cassie n’y croit pas, et se lance dans une quête pour établir la vérité.
Nouvelle série, nouveau personnage récurrent sous la plume alerte de A. K. Turner, scénariste et productrice de documentaires. Je n’ai eu aucun mal à découvrir ce nouvel univers original, ces nouveaux personnages, et j’ai dévoré le premier tome. Le ton enjoué n’empêche pas l’enquête d’être bien construite et de ne pas se cantonner au registre de l’humour. Un excellent dosage !
Vu aussi chez Eva.

A Naples dans les années 30, j’ai toujours grand plaisir à suivre le commissaire Ricciardi, l’homme que ceux qui sont morts de manière violente choisissent pour lui adresser leurs derniers mots. Idéal donc, cet indice qui tombe dans l’oreille du policier ? Pas toujours, comme cette fois où les paroles d’une prostituée de luxe assassinée semblent bien mystérieuses. Le Commissaire Ricciardi doit donc démêler, avec l’aide de son fidèle adjoint Maione, et du légiste Modo, qui des clients réguliers de la Vipera pourrait avoir perdu les pédales au point de la tuer.
Tout cela dans l’ambiance délétère de l’année 1932, où il ne fait pas bon trahir le fond de sa pensée devant les mauvaises personnes. Que dire, si ce n’est que ce roman est l’un de mes préférés de la série, que je ne manquerai pas de continuer.
Lu aussi par Actu du noir.

Avec Body language, voici le plus rafraîchissant, puisque l’action se déroule à Aoste, dans les Alpes italiennes, au tout début du printemps. Rocco Schiavone, toujours aussi emberlificoté dans ses aventures avec la gent féminine, se met en quête de l’assassin de son amie Adele, assassin qui le visait, lui. Je préviens tout de suite que ce roman est dans la parfaite continuité du tome 3 des enquêtes du policier originaire de Rome, et muté dans le Piémont. C’est donc à l’usage des lecteurs des trois premiers opus que je confirme l’excellente tenue de ce roman, tant du point de vue des personnages, que du déroulement de l’action. Avec, ce qui ne gâche rien, une écriture qui ne cède pas à la facilité.
Vous ne connaissez pas encore ? Il vous faudra donc commencer par Piste noire !
Lu également par Actu du noir.

Donal Ryan, Soleil oblique et autres histoires irlandaises

Cela faisait un moment que je tournais autour de cet auteur irlandais, et voilà qu’un recueil de ses nouvelles est publié (et disponible à la médiathèque !). C’est une occasion à ne pas manquer, non ?
Vingt nouvelles, vingt instantanés de vie irlandaise, plutôt rurale, parfois d’une époque ou d’une région un peu plus lointaine, jusqu’en Syrie même. Une fillette issue de la communauté gitane découvre une forme de racisme cachée derrière les bonnes intentions, un jeune homme hésite à partir pour l’Australie, un drôle de paroissien attend patiemment sur la place du village qu’on vienne l’arrêter, un amour commence, une amitié se termine… Résumer ces nouvelles, outre que ce n’est pas toujours facile, ne servira pas à vous montrer à quel point leur écriture éblouit et laisse sans voix.

Ce sont des claques successives que ces textes aux phrases qui percutent, aux images qui marquent, à la formidable justesse. L’empathie de l’auteur pour ses personnages, et de légères notes d’humour jamais cynique, rendent les textes lumineux malgré des sujets parfois déchirants. Je mets à part une ou deux nouvelles que je n’ai pas complètement comprises, même si j’ai trouvé de l’intérêt à les lire : deux sur vingt, ce n’est rien !
Si vous aimez les nouvelles, si vous êtes attirés par la littérature irlandaise, ne ratez pas ce livre.

Soleil oblique et et autres histoires irlandaises de Donal Ryan, (A slanting of the sun, 2015), éditions Albin Michel, avril 2023, traduction de Marie Hermet, 244 pages.

Maeve
vous convaincra aussi.


Elizabeth George, Une chose à cacher

Je prends le rythme de croisière estival d’un billet par semaine, ce qui est mieux que rien, même si je lis plutôt deux ou trois livres dans le même temps… Voici pour aujourd’hui un retour vers une série que j’affectionnais il y a une quinzaine d’années, pour ses personnages récurrents et ses intrigues bien ficelées. Connaissez-vous l’inspecteur Lynley, ses adjoins Wilson Nkata et Barbara Havers ? Ce sont les personnages de l’américaine vivant à Londres, Elizabeth George, qui publie cette série depuis la fin des années 80.
Dans ce volume, on croise surtout Barbara, toujours aussi peu encline à manger sainement, ni à faire du sport :

« Barbara remarqua avec une pointe d’envie qu’elle avait des bras bronzés et incroyablement musclés, de même que ses épaules. A l’évidence , elle pratiquait une activité physique régulière et intense. Sans doute surveillait-elle aussi son régime alimentaire. Barbara en regretta presque d’avoir mangé des chips et des biscuits fourrés. Mais ce « presque » l’incita à penser que ces remords ne s’attarderaient pas plus que d’habitude. »

Elle enquête sur le meurtre d’une jeune policière d’origine nigériane, qui enquêtait sur les cliniques clandestines où sont pratiquées, en plein cœur de Londres, des excisions sur des fillettes dont les parents, certains d’entre eux, du moins, tiennent à garder ces coutumes cruelles d’Afrique de l’Ouest.

« Ce qu’on inflige à ces filles, c’est ancré dans leur culture, et c’est comme ça qu’ils le justifient. Les associations, la loi, les tribunaux… Rien ne les arrête. Vous savez ce qui se passe dans ce pays à l’heure actuelle ? La majorité des gamines sont excisées avant 5 ans. Une enfant aussi jeune n’a pas les mots pour raconter ce qu’on lui a fait ou ce qu’elle risque. Elle ne peut pas chercher de l’aide auprès d’un enseignant ou de la police. Son cerveau ne forme pas encore de souvenirs précis. »

Le thème qui tient à cœur à Elizabeth George dans ce roman, tout comme il obsédait Teo Bontempi, la policière assassinée, est celui des mutilations génitales faites aux petites filles. Le sujet est grave, dur, et l’autrice s’est donné les moyens de le traiter correctement et avec amplitude, par le biais de différents personnages, dont les plus touchants sont la famille Bankolé, la mère Monifa, le grand frère Tani, amoureux d’une jeune fille anglaise, et la mignonne petite Simi de huit ans, pour laquelle son père forme déjà des projets.
C’est un roman fort bien mené, riche de détails et d’exemples, passionnant dans le déroulement de l’enquête et toujours habilement nuancé de petites réflexions pleines d’humour, notamment par le biais des personnages récurrents. Certes, le grand nombre de personnages et les fils qui se croisent et s’entrecroisent sans cesse poussent à soupirer et à imaginer plus de concision dans l’écriture, mais l’ensemble se tient bien, fait plaisir à lire lorsqu’on connaît la série et éclaire sur des problèmes contemporains qui, une fois encore, montrent que le patriarcat n’en a pas fini d’imposer ses vues. Une lueur d’espoir apparaîtra toutefois…

Une chose à cacher d’Elizabeth George, (Something to hide, 2022) éditions Presses de la Cité, octobre 2022, traduction de Nathalie Serval, 688 pages.

Et un duo « pavé de l’été » et « épais de l’été » de plus !

Jan Carson, Les lanceurs de feu

« La couleur de l’Est c’est le gris, quarante nuances, chacune plus prononcée que la précédente. Il fait un complément parfait à la pluie, et ne pose problème que quand le soleil se montre. »

L’Est dont il est question dans la citation est celui de Belfast, en plein mois de juillet 2014. Les Troubles nord-irlandais appartiennent au passé, mais l’inquiétude va renaître lorsqu’une mystérieuse vidéo virale enjoint les jeunes à allumer des incendies. Tout le monde s’interroge sur les motivations du Lanceur de feu, de plus en plus suivi, et qui va bien plus loin que les traditionnels brasiers du 12 juillet, tels que la ville en connaît toujours, et qui eux sont plutôt festifs.
Parmi les plus inquiets, deux pères de famille qui ne se connaissent pas. L’un, Jonathan, est un médecin qui élève seul une toute petite fille, un bébé abandonné par une mère fantasque. Jonathan craint par-dessus tout que la petite Sophie ait hérité des dons très particuliers de sa mère.
Quant à Sammy, d’un milieu plus populaire, père de trois grands enfants, il se fait du souci pour l’aîné, Mark, en qui il a toujours senti une violence, peut-être héréditaire. Mark serait-il le Lanceur de feu ?

« J’aime bien regarder tes yeux et voir mon propre reflet, comme un miroir dans le noir. Te voilà, ma Toute Petite. Autant à moi qu’à elle.
Ta mère a les yeux bleus océan. Toute autre couleur aurait été une insulte. Mais les tiens sont bruns, comme la terre ferme, comme la glaise, comme les troncs d’arbre et les feuilles d’automne qui font les paillis d’hiver. »

Les deux pères ont en commun de penser que leurs enfants sont des dangers pour la société, et de ne pas vouloir baisser les bras face à ce pressentiment. Leurs deux récits se succèdent, avec des intermèdes en forme de fables sur le thème de la parentalité et des enfants à dons particuliers.
L’ensemble forme un puzzle insolite, parfait si vous cherchez un roman qui ne vous donne pas une impression de « déjà lu ». Ce roman nécessite de se laisser faire et d’accepter que le réalisme le plus strict se mêle à des considérations qui peuvent sembler folles.
Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de roman irlandais, et celui-ci m’a tenté par son sujet très original et le cadre inhabituel de la ville de Belfast. Malgré les thèmes qui trouvent bien évidemment des résonances actuelles, été brûlant et violences urbaines, et bien qu’un peu déroutée par le côté presque fantastique, je n’ai pas été déçue. Je ne connais pas d’autre exemple de réalisme magique à l’irlandaise, il est peut-être le fait de cette seule autrice, mais ce n’est pas une raison pour le rater !

Les lanceurs de feu de Jan Carson, (The fire starters, 2019) éditions Sabine Wespieser, septembre 2021, traduction de Dominique Goy-Blanquet, 384 pages. Sorti en poche.

Repéré chez Alex, Cécile et Lectrice en campagne.

Agatha Christie, La souricière

« – D’après la publicité, on n’imagine pas du tout l’endroit comme ça. La bibliothèque a l’air plus confortable, le salon a l’air plus grand, avec une table de bridge et tout ce qu’il faut pour passer le temps. »

Le manoir de Monkswell accueille en ce soir d’hiver ses premiers hôtes payants. Mollie et Giles Ralston sont novices dans ce domaine, mais plein de bonne volonté. Ils font entrer et installent dans leurs chambres respectives Christopher Wren, un jeune homme excentrique, puis Mme Boyle, sexagénaire grincheuse, le major Metcalf, un retraité de l’armée et Mlle Casewell, une jeune femme étrange. Un autre personnage non prévu arrive, un étranger du nom de Paravicini. Mais un meurtre a été commis à Londres qui semble relié à ce manoir, comme vient le signaler un policier. Chargé de la protection des propriétaires et des hôtes, il va rester aussi au manoir, sous la neige qui tombe de plus en plus.

« La police recherche un suspect aperçu dans les parages, portant un manteau sombre, une écharpe claire et un chapeau. »

Un lieu retranché du monde, ici par la neige, une poignée de personnages tous potentiellement coupables ou victimes, c’est typique des romans de la grande autrice britannique et sous forme de pièce de théâtre, ça marche encore une fois très bien avec, en vrac, des entrées et des sorties bien calculées, des attitudes suspectes, des objets perdus, une mort inattendue, des secrets qui se dévoilent…
Agatha Christie a écrit une première version radiophonique de cette pièce en 1947, puis une version pour le théâtre en trois actes en 1952. Elle n’a jamais quitté l’affiche à Londres depuis. Les spectateurs étaient priés de ne pas dévoiler le coupable, et il semblerait qu’ils ne l’aient pas fait, au vu de son succès.
Dans l’adaptation et la mise en scène présente, quelques petits clins d’œil ne viennent manifestement pas des années cinquante, et c’est très drôle. Sinon, les personnages créés au départ ne manquent pas de sel, et les situations s’enchaînent à merveille jusqu’au dénouement final. Je suis fan de ces petits livres de l’Avant-scène théâtre, avec leurs photos et leurs nombreux ajouts qui permettent de tout savoir sur la pièce et de bien se représenter la mise en scène. On a presque l’impression de sortir de la salle à la fin du livre, il ne manque que les applaudissements !

La souricière d’Agatha Christie (The mousetrap, 1952) adaptation de Pierre-Alain Leleu, mise en scène de Ladislas Chollat, L’Avant-scène théâtre, 2019, 104 pages.