
« Cet enfant là, dans le ventre d’Agnes, va tout changer pour lui, le délivrer de cette vie qu’il déteste, de ce père auprès duquel il ne peut plus vivre, de cette maison qu’il ne supporte plus. »
Imaginez-vous, sans qu’elle soit nommée, la petite ville de Stratford-upon-Avon à la fin du XVIème siècle. Un garçon de onze ans parcourt les rues, affolé, à la recherche de quelqu’un qui puisse venir en aide à sa sœur jumelle brusquement malade. Il sait que son père est à Londres, mais sa mère, ses grands-parents, sa tante, devraient être dans les environs. Sa mère est partie récolter des herbes qu’elle utilise pour soigner autour d’elle, mais cette fois, elle est prise au dépourvu par la maladie. Ce petit garçon qui court est Hamnet, autre forme du prénom Hamlet, qui deviendra connu des années plus tard.
Parallèlement à cette quête, d’autres chapitres reviennent sur la rencontre de sa mère, Agnes, avec son père, jeune précepteur plus doué pour la poésie que pour le métier de gantier que son propre père, personnage acariâtre et autoritaire, aimerait lui transmettre. Le mariage entre eux ne va pas de soi, le gantier possède un vieux contentieux avec la famille de la jeune fille, et cela semble indépassable.
« Elle aimerait pouvoir séparer les brins, revenir à la toison avant qu’elle ne soit laine, remonter le chemin jusqu’à cet instant, car alors elle se lèverait, tournerait son visage vers les étoiles, vers les cieux, vers la lune, et les supplierait de changer le cours de l’histoire, de faire qu’une autre issue lui soit proposée, par pitié, par pitié. »
Je ne sais pas si je dois m’en réjouir ou en être désolée, pour vous qui ne lisez que des avis enthousiastes, mais j’enchaîne ces derniers temps de très bonnes lectures. Pourtant, en ce qui concerne Maggie O’Farrell, je ne suis pas vraiment une inconditionnelle. Ses romans, sans me déplaire, m’ont laissée assez mollement disposée à son égard et j’ai même trouvé franchement ennuyeux Assez de bleu dans le ciel,.
Cette fois, tout m’a plu : j’ai beaucoup aimé découvrir, de manière romancée, mais le plus proche possible de la réalité, la jeunesse et la vie de famille de Shakespeare, jamais nommé dans le roman, sauf ainsi : le fils, le précepteur, le mari, le père. La difficulté à s’abstraire d’une famille pesante, la maladie, l’amour fraternel, la douleur du deuil, sont des thèmes rendus passionnants par l’auteure, tout en les replaçant bien dans leur époque. J’ai apprécié le XVIème siècle tel qu’il est décrit, de manière vivante, vraisemblable, presque picturale. Les effets de style basés sur la scansion s’adaptent parfaitement à l’histoire. La véracité des personnages et mon intérêt pour les sujets traités ont fait le reste.
Et surtout, j’ai aimé le très beau portrait de femme, un personnage pas vraiment conforme aux conventions de son temps, à côté duquel le mari, le père, l’écrivain, l’acteur de théâtre, semble finalement un peu pâle.
Hamnet de Maggie O’Farrell (2020), éditions Belfond, avril 2021, traduction de Sarah Tardy, 360 pages.
Les avis de Cathulu, de Hélène et Mumu. Seule Nicole est un peu mitigée.
D’autres parmi vous l’ont-ils lu ?