Janet Malcolm, Le journaliste et l’assassin

Dans cet essai, Janet Malcolm revient sur l’affaire Jeffrey McDonald, un homme accusé en 1970 d’avoir tué sa femme et ses deux petites filles. Tout d’abord blanchi par un tribunal militaire, il passe de nouveau devant un jury et risque cette fois une lourde condamnation. Pendant la préparation du procès, un journaliste et écrivain sans succès nommé Joe McGinnis se présente à lui, lui affirme qu’il le croit innocent et lui propose d’écrire un livre sur l’affaire, ce qui pourrait aider à sa défense. Il a accès à tous les documents des avocats, se rapproche de l’accusé au point que les deux hommes deviennent amis, et se confient l’un à l’autre. Lorsque McDonald est condamné par le jury, le journaliste continue à correspondre avec lui, à lui promettre la parution prochaine du livre. Et là, on se dit que le livre ne paraîtra jamais, mais si ! Seulement, il présente McDonald comme un psychopathe égocentrique, tout à fait capable de tuer sa famille…

J’ai cru pendant un moment, avant d’avoir ouvert le livre, que son titre était La journaliste et l’assassin, la journaliste étant Janet Malcolm… Elle est bien journaliste aussi et le sujet qu’elle traite est passionnant. Il s’agit d’un essai brillant qui étudie, à fond et avec autant d’impartialité que possible le thème des relations entre un journaliste ou un auteur, et la personne dont il dresse le portrait, en partant de ce cas, mais en en évoquant d’autres aussi.
Est-il honnête de faire croire qu’on partage les idées de quelqu’un, de devenir son ami, pour ensuite en dresser un portrait à charge ? Y a-t-il des limites à ne pas franchir, des règles déontologiques à respecter ? Janet Malcolm le pense, et l’écrit.
En tout cas, après lecture de Fatal vision (quel titre!) sur « son » affaire, McDonald a porté plainte contre le journaliste qui avait abusé de son amitié, et, grâce à un excellent avocat, le jury est allé dans son sens.
C’est intelligent, pas rébarbatif pour deux sous, et illustré par cette affaire hors norme, cela rend le livre encore plus passionnant. Il ne faut simplement pas y chercher de nouvelles pistes pour la première affaire, l’affaire criminelle, qui continuera de partager les commentateurs. Si le sujet vous parle, voici une réédition dans une nouvelle collection de poche qui mérite votre intérêt !

Le journaliste et l’assassin, (The journalist and the murderer, 1990) de Janet Malcolm, éditions du Sous-Sol, janvier 2024, traduction de Lazare Bitoun, préface d’Emmanuel Carrère, 240 pages.

Lu en 2013 par Keisha et Sandrine dans une autre édition.

Hélène Gestern, 555

Tout commence par une partition ancienne cachée au fond de la doublure d’un violoncelle. Grégoire, ébéniste spécialisé en réfection d’étuis d’instruments anciens, le montre à son ami Giancarlo, luthier, qui va lui-même suggérer de la porter à Manig Terzian, une claveciniste réputée. Signée d’un D et d’un S, cette partition serait-elle la cinq cent cinquante-sixième de Domenico Scarlatti ? Mais voilà qu’à peine déchiffrée par la claveciniste, et avant même que les deux restaurateurs décident qu’en faire, la partition leur est volée avec deux violons de valeur. Un riche collectionneur, Joris de Jonghe, a eu le temps d’en entendre parler et met tous ses moyens, et ils sont nombreux, à la recherche de la partition.

Ce roman sur la passion de la musique se lit comme un polar, les questions qu’il pose sont nombreuses et les personnages à la poursuite de la partition, ayant chacun leurs tourments existentiels, l’imaginent un peu comme un moyen de s’en sortir.
Grégoire avec sa peine de cœur, Giancarlo son addiction au jeu et les ennuis financiers qui en découlent, Manig Terzian qui voit la fin de sa carrière s’annoncer, et pour Joris de Jonghe, un dérivatif pour sortir du deuil où il est confiné. J’oubliais Rodolphe Luzin-Fargues, un musicologue qui imagine sa carrière universitaire relancée par la découverte d’une partition inconnue.
C’est une quête pleine de vivacité et de rebondissements, de mensonges et d’émotions, avec des personnages plaisants à retrouver dans les chapitres qui leur sont consacrés.
Il y aussi le mystère qui plane autour d’un narrateur dont les chapitres intermédiaires en italique laissent à penser qu’il orchestre tout cela.
Et bien sûr, la musique a une part importante, par les quelques pages consacrées au compositeur italien, par de belles séquences d’audition ou de concert, par le soin infini apporté aux instruments par le luthier, ou par la spontanéité de jeu de la jeune Alice, la petite-nièce de la claveciniste.
Longtemps après la lecture de Eux sur la photo, je retrouve avec plaisir Hélène Gestern et son ingéniosité à faire parler les vieux documents, et à leur imaginer une histoire.

555 d’Hélène Gestern, éditions Arléa, janvier 2022, 448 pages. Sorti en poche (Folio).
Repéré chez Dominique et Keisha.

Nathaniel Ian Miller, L’Odyssée de Sven

L’Odyssée de Sven porte bien son titre. En 1916, le jeune Sven mène à Stockholm une vie trop étriquée qui ne lui convient plus. Il a envie de plus que de rêver par livres interposés. Bien qu’attaché à sa sœur et à ses neveux, il répond à une offre de recrutement et se retrouve mineur dans le Spitzberg. Lui qui a toujours rêvé des grands espaces du Nord travaille sous terre, à enchaîner d’épuisantes et dangereuses journées. A la suite d’un accident, et d’une longue convalescence, il va s’éloigner plus encore vers le nord, y apprendre le métier de trappeur, et s’installer dans un fjord reculé.
En avançant dans le roman, on avance en solitude au fur et à mesure des aléas et et des choix de vie de Sven. C’est Sven lui-même qui mène le récit, et, en tant que narrateur, il n’est pas du genre à se glorifier de hauts faits ou à se mettre en avant. Sa modestie et son autodérision le rendent sympathique, ainsi que son intérêt pour les personnes qu’il rencontre. Il noue de belles amitiés avec McIntyre, un géologue écossais, avec Tapio, le trappeur finlandais socialiste, avec son compagnon canin, Eberhard, et n’oublie pas sa correspondance avec sa sœur et sa nièce préférée, Helga.

Ce qui apparaît assez rapidement à la lecture, c’est qu’il s’agit plus d’un roman d’apprentissage, et aussi sur la survie en milieu difficile (rappelant en cela Ermites dans la taïga) plutôt qu’un roman d’aventures. L’aventure est surtout intérieure, le questionnement stimulant proposé par l’auteur pourrait se résumer ainsi « Pourquoi et comment vivre seul dans une région aussi reculée ? ».
La solitude de Sven n’étant pas totale, les rencontres et les amitiés, les relations en tout genres, y tiennent une grande place. Je ne veux pas trop en dire, non plus !
Au final, une lecture aussi intéressante qu’enrichissante, à laquelle on peut faire une place si on aime la nature dans les régions froides, et l’humanité.

L’odyssée de Sven de Nathaniel Ian Miller, (The memoirs of Stockholm Sven, 2021), Buchet-Chastel, août 2022, traduit de l’anglais par Mona de Pracontal, 480 pages. Sorti en format de poche.

Nathaniel Ian Miller, éleveur dans le Vermont, est également diplômé en littérature et en biologie, et écrit pour plusieurs revues. En 2012, il a participé à la résidence Arctic Circle dans le Svalbard, nom actuel du Spizberg, et a découvert la cabane de Sven. Il s’est librement inspiré de l’histoire vraie d’un trappeur pour écrire ce premier roman.

Repéré grâce à Ariane.

Virginia Woolf, La fascination de l’étang

Première lecture pour moi de Virginia Woolf, autrice qui m’a jusqu’alors suffisamment intimidée pour que je ne me risque pas à lire un de ses romans. Serait-ce une bonne idée de commencer par des nouvelles ?
Celles-ci ont été écrites de 1906 à 1941, certaines sont donc ses tout premiers écrits alors que les dernières datent de l’année de sa disparition. Comme elles sont fort différentes les unes des autres, tant par la longueur que par le genre, le plus simple va être de décrire si ce n’est toutes les nouvelles, du moins certaines d’entre elles, avec mes impressions à la lecture…

« Phyllis et Rosamond » : l’autrice y décrit une journée de deux sœurs, jeunes filles dont toutes les activités sont tournées vers la recherche d’un prétendant. Elles croisent lors d’une soirée une jeune femme plus libre, intellectuelle qui a d’autres aspirations dans la vie… le dialogue n’est pas facile… Woolf avait vingt-quatre ans, c’est l’un de ses premiers écrits et c’est vif, d’une écriture acérée et qui sonne juste. (20 pages)
« Le journal de maîtresse Joan Martyn » plonge dans le Moyen-Âge, après une mise en situation classique, et aborde le thème de l’écriture et de la place des femmes dans la société et dans l’histoire. C’est original et l’écriture est remarquable. (48 pages)
Dans « Mémoire de romancière », je n’ai pas trop vu où Woolf voulait en venir, peut-être est-ce une nouvelle qui renvoie à une personne connue d’elle, peut-être une romancière du groupe de Bloomsbury ? On peut aussi y voir une sorte de revendication féministe : les femmes aussi peuvent avoir une vie intéressante, qui puisse inspirer une biographie. Mais on sent aussi beaucoup d’ironie.
De « La soirée » je n’ai pas tout compris, il y est question de lecture, des anciens et des modernes, les dialogues sonnent comme de la poésie, et si c’est beau, j’ai été ravie que la nouvelle soit courte.
« Sympathie », une courte nouvelle de 1919 à propos de la mort, une très belle réflexion sur ce qui reste et ce qui passe, assortie d’une chute inattendue ! (7 pages)
« Une société » est une nouvelle féministe où des jeunes femmes décident d’observer et de questionner les hommes pour décider si leur comportement et ce qu’ils produisent en terme d’art, mérite que les femmes portent leur progéniture. Questionnement hautement déplacé pour l’époque ! Nouvelle agréable à lire quoique le coq à l’âne y soit parfois perturbant. (21 pages)
« Le rideau de Miss Lugton, l’infirmière » (3 pages) courte nouvelle au fantastique léger et humoristique.
« La veuve et le perroquet, historie vraie » (12 pages) Une fable ironique qui ne semble absolument pas véridique, contrairement au titre, mais qui met le sourire aux lèvres… et sans rien de biscornu dans l’écriture, pour une fois.
« Mrs Dalloway dans Bond street » On lit le flux de pensée d’une dame d’une cinquantaine d’années, de la bonne société, qui sort de chez elle, passe aux abords de plusieurs monuments emblématiques de Londres et fait quelques emplettes, un livre, une paire de gants… S’agit-il de montrer le vide de sa vie ou au contraire, malgré cette disponibilité, le foisonnement de son esprit ? Écrit avant le roman, mais le personnage de Mrs Dalloway était déjà apparu dans une autre nouvelle… (13 pages)
« Le bonheur » est un texte génial dans sa brièveté : là encore le flux de pensées, entrecoupé de dialogues, d’un quinquagénaire ressentant un inexplicable sentiment de bonheur, qu’il cherche à analyser. (6 pages)
« Ancêtres », en 5 pages, considère avec une certaine ironie la nostalgie d’une Mrs Vallance : elle se remémore une image de son enfance et regrette que ce jour n’ait pas pu durer toute sa vie.
Dans « Présentations », une jeune fille fait sa première sortie dans le « monde », tout en repensant à son mémoire sur Jonathan Swift très bien noté par son professeur… On lui présente un jeune homme. Une nouvelle courte, mais bien caustique.
« Mélodie simple » Je n’ai pas compris grand chose à cette nouvelle, il faut dire que plusieurs notes, renvoyant à d’autres nouvelles que je n’ai pas lues, et à d’autres personnages, m’ont plutôt égarée. A l’image de ce Mr Carslake qui, lors d’une soirée (serait-ce toujours la même soirée chez Mrs Dalloway ?) laisse son esprit vagabonder en regardant un tableau représentant un paysage de campagne.
Me voici rassérénée avec les trois pages si accessibles et belles de « La fascination de l’étang ».

Ce recueil contient encore trois ou quatre nouvelles, je vais cependant m’arrêter là. Je suis contente d’avoir surmonté mes réticences et d’avoir lu enfin Virginia Woolf, mais c’est tout de même une lecture ardue, dans l’ensemble, et je continuerai peut-être la découverte avec un court roman. Si vous avez des conseils, je suis preneuse.

La fascination de l’étang de Virginia Woolf, (The complete shorter fiction of Virginia Woolf), éditions Points, janvier 2013, préface d’Arnaud Cathrine, traduction de Josée Kamoun, 292 pages.

Lecture commune avec Keisha qui lit en VO et a déjà commenté d’autres nouvelles ici. Voici son billet du jour, certaines nouvelles sont les mêmes.

Bonnes nouvelles, c’est en janvier chez Je lis, je blogue :

Petros Markaris, Trois jours

J’ai découvert en préparant, bien en amont, le mois des nouvelles, que l’auteur de romans policiers grec Petros Markaris avait aussi publié des nouvelles. J’ai beaucoup aimé le ton et l’ambiance des quelques romans que j’ai lus, c’est donc parti pour une autre facette de son œuvre.

Avec « L’assassinat d’un Immortel », on entre immédiatement dans le vif du sujet, avec l’humour habituel aux romans de l’auteur grec, et son personnage de policier fétiche. Il s’agit donc d’une nouvelle policière au sens premier du terme, avec enquête et résolution finale. C’est bien ficelé, et décrit avec malice le monde littéraire grec.

Changement de décor avec « En terrain connu » où nous suivons en Allemagne un policier turc, puis direction Istanbul pour « Trois jours » qui permet d’avoir un aperçu de l’histoire grecque, en particulier de ses relations conflictuelles avec la Turquie, au travers de trois journées de 1955. C’est là que j’ai appris que Petros Markaris était né à Istanbul, au sein d’une importante communauté grecque : il évoque fort bien les habitants de ce quartier et ces journées particulières, c’est la nouvelle la plus longue et ma préférée.
« Le cadavre et le puits » est une nouvelle courte et pleine de malice.
« Ulysse vieillit seul » reprend un personnage de Grec né dans la Ville, c’est-à-dire Istanbul, jamais nommée, et qui retourne y finir sa vie.
« L’arc de Pompéi » évoque les immigrés et le père Ioannis qui leur vient en aide.
« Tentative tardive » raconte la journée d’un couple d’Allemands en juillet 1944 et enfin, « Crimes et poèmes » revient à Athènes pour un meurtre dans le monde du cinéma, bouclant le périple commencé dans des décors un peu semblables.
J’ai bien aimé ces huit textes, variés et agréables à lire, toujours avec une connotation policière, et j’imagine qu’ils plairont davantage à celles et ceux qui comme moi, connaissent déjà l’auteur, ou alors à ceux que l’histoire des Grecs d’Istanbul intéresse, puisque c’est un aspect qui revient dans plusieurs nouvelles, et qui est tout à fait passionnant.

Trois jours de Petros Markaris, éditions du Seuil, 2019, traduction de Loïc Marcou, Michel Volkovitch et Hélène Zervas, 192 pages, sorti en collection de poche (Points).

C’est le mois de la nouvelle sur le site « Je lis, je blogue »

Idées de fin d’année (2)

C’est toujours plus délicat de recommander de la fiction à offrir, tant les goûts et les critères de choix varient d’un lecteur à l’autre. Voici en tout cas des livres qui m’ont marquée par leur qualité d’écriture et leur originalité.
Les liens renvoient au billet avec un avis plus détaillé, quand il y en a un, et certains sont déjà en format de poche… ils sont notés (*)

Celui qui veille de Louise Erdrich (*) une histoire très vivante et pleine d’humanité, dans le Dakota des années 50.
Leçons de Ian McEwan, un grand roman, foisonnant, sur l’Europe des soixante dernières années.
Un grand bruit de catastrophe de Nicolas Delisle-L’heureux, un roman d’apprentissage et d’amitié dans le Grand Nord canadien.

Soleil oblique et autres histoires irlandaises de Donal Ryan, à l’écriture éblouissante.
La femme paradis de Pierre Chavagné, un court roman « post-apocalyptique » remarquable par son atmosphère.
Rivage de la colère de Caroline Laurent (*) un beau roman sur le destin des îles Chagos, dans l’Océan Indien.

Les abattus de Noëlle Renaude, un beau roman noir, original et prenant.
Boccanera de Michèle Pedinielli (*) le début d’une série avec une enquêtrice qui sort des sentiers battus.
L’archipel des larmes de Camilla Grebe (*) encore une série (qui peut se lire en désordre) avec des romans remarquablement bien agencés.

On dirait des hommes de Fabrice Tassel, une histoire qui n’est peut-être pas tout à fait ce qu’elle semble être…
Body language de A. K. Turner, une nouvelle série qui a pour cadre une morgue londonienne, et c’est passionnant, si, si !
Maudit printemps de Antonio Manzini (*) un auteur italien de polars à découvrir sans faute !

Et voilà pour ces quelques idées, mais je suis certaine que vous aussi en avez à revendre !

Olivier Dorchamps, Fuir l’Éden

In extremis, un court avis sur ce roman paru l’année dernière, qui entre bien dans le thème du mois « Sous les pavés, les pages » organisé par Athalie et Ingannmic.
Adam a dix-sept ans et vit dans une tour baptisée l’Éden avec sa petite sœur de quatorze ans, et « l’autre », toujours ainsi nommé, et que manifestement Adam n’aime pas. Sa mère a quitté le domicile familial lorsque le garçon avait neuf ans, et il a peu à peu cessé de l’attendre.
Un matin, à la gare, Adam croise une jeune fille de son âge qui le laisse pantois et brusquement amoureux. Il n’a dès lors de cesse de la retrouver. Ses deux amis, Ben, venu de Somalie et grapheur talentueux, et Pav, d’origine polonaise, ne demandent pas mieux que de l’aider, à leur manière, dans sa quête. Mais lorsqu’on est habitant de l’Éden, leur immeuble, un bâtiment à l’architecture brutaliste caractéristique, tout en béton, avec sa tour d’ascenseur qui ressemble à une rampe de lancement, il n’est pas forcément facile d’aborder une fille habitant un pavillon bourgeois, de l’autre côté des voies de chemin de fer.
Dit comme ça, le pitch semble assez peu original, et je me demandais, malgré mon intérêt pour la vie dans ce quartier de Londres, et la qualité de l’écriture, d’où venaient les appréciations très élogieuses de ce roman.
Et puis, la deuxième partie du roman éclaire le tout d’un jour nouveau, et laisse le cœur serré et l’œil embué.
C’est une belle manière d’aborder le roman social sur la banlieue, londonienne ou autre, sur l’engrenage du chômage, de l’alcool et de la violence, mais aussi sur les mille et une façons de s’en sortir. Adam est un personnage attachant, aussi fragile qu’original, à un âge charnière où toutes les possibilités s’ouvrent devant lui.
Je vous conseille de ne pas passer à côté de ce joli roman d’apprentissage, apprécié aussi par Nicole et Sylire.

Fuir l’Éden, d’Olivier Dorchamps, éditions Finitude, mars 2022, 272 pages, sorti en poche.




Friedrich Dürrenmatt, La panne et La promesse

Pour finir le mois des Feuilles allemandes, voici un auteur suisse germanophone, dont j’avais déjà croisé le nom, sans avoir rien lu de lui. J’ai trouvé, et englouti coup sur coup, une pièce radiophonique dont il existe aussi une version pour le théâtre, La panne, et un roman policier, La promesse. Les deux explorent à leur manière le thème de la recherche de la vérité…

Un voyageur de commerce tombe en panne à proximité d’un bourg, et trouve à se loger dans une pension de famille. Plusieurs personnages se trouvent déjà là, ils semblent tous bien se connaître et se réunir régulièrement. Ils expliquent à Traps, le voyageur, qu’ils aiment à se retrouver pour rejouer des procès historiques ou, à l’occasion, le procès de l’invité du jour. Respectivement anciens juge, procureur, avocat et bourreau, ils vont, s’il l’accepte, jouer le procès de Traps.
Celui-ci, tranquille et persuadé de ne rien avoir à se reprocher, va se trouver très rapidement embarqué dans les filets de la culpabilité. C’est très bien fait et amusant, sauf pour l’accusé, et à la lecture, l’idée d’une pièce de théâtre se forme aisément, ou celle d’une « dramatique » à la radio. C’est une petite curiosité, pleine d’humour, qui se lit vite, à demander à votre bibliothécaire !

La panne de Friedrich Dürrenmatt, (Die Panne), éditions Zoé, 2010, traduction de H. Mauler et R. Zahnd, nouvelle traduction de la version radiophonique de 1955, 58 pages. Il existe une adaptation cinématographique d’Ettore Scola, « La plus belle soirée de ma vie » sortie en 1972.

Voici maintenant un texte plus consistant, un roman policier qui, s’il est bien représentatif de son époque, porte aussi les germes de genres plus actuels.
Un commissaire de police raconte à un écrivain spécialiste du roman policier ce qu’est devenu son talentueux adjoint.
L’inspecteur Matthieu, comme bien des policiers, s’est avéré obnubilé par une affaire non résolue, qui l’a amené à partir complètement en vrille. Il s’agit d’une fillette retrouvée morte en forêt, dans un début de roman qui rappelle le Petit Chaperon rouge. Un suspect idéal se trouvait à proximité et les villageois sont près de le lyncher, mais Matthieu le protège, certain qu’un autre coupable court encore. Sa réflexion le pousse à mettre en œuvre un stratagème pour coincer celui qui doit avoir plusieurs meurtres à son actif.
Si le versant psychologique du roman a légèrement vieilli, les prémisses du profilage étant assez rudimentaires, le portrait du policier est saisissant et le roman mené à son terme avec maestria ne déçoit pas du tout.
A découvrir si vous en avez l’occasion !

La promesse de Friedrich Dürrenmatt, (Das Versprechen), éditions Gallmeister, 2023, nouvelle traduction de l’allemand par Alexandre Pateau du roman paru en 1958, 192 pages. The Pledge, film américain réalisé par Sean Penn et sorti en 2001, est l’adaptation de ce roman policier de Friedrich Dürrenmatt.

Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

Les Feuilles allemandes sont sur Livr’escapades et Et si on bouquinait.

Daniela Krien, L’amour par temps de crise

Ce roman choral de l’autrice allemande Daniela Krien dresse cinq portraits de femmes vivant toutes dans la ville de Leipzig, en ex-RDA : qu’elles vivent seules ou non, qu’elles aient des enfants ou pas, elles sont toutes confrontées à des choix, à une vie qui ne ressemble pas forcément à celle qu’elles ont souhaitée, et dans laquelle elles se débattent. Ces cinq parties forment bien un roman, les personnages sont liés entre eux, se croisent ou font partie de la même famille ou du même groupe d’amis.
L’écriture de Daniela Krien est sobre, mais ses observations du monde actuel, et des positions des hommes et des femmes dans les couples, sont pleines de finesse. Son point de vue, résolument féministe, pose bon nombre de questions. Ces femmes étant issues de milieux assez privilégiés n’ignorent rien de leurs droits, mais se rendent compte que la société, ou leurs conjoints ou leurs familles, attendent d’elles toujours autant que de leurs mères ou de leurs grands-mères, et qu’il n’est pas si simple de cumuler vie de couple, travail, bonheur des enfants et vie culturelle.
Le constat formulé par l’autrice n’est pas rose, loin de là. Des drames touchent parfois ces femmes de près, et là encore, l’autrice fait le constat d’un fossé profond qui scinde le couple en cas de deuil ou de maladie. En arrière-plan, le choix d’une ville située autrefois en Allemagne de l’Est n’est pas anodin, et pointe certains aspects, positifs ou non, de la Réunification, comme dans le roman de Bernhard Schlink, lu précédemment.
En bref, c’est une lecture qui ne manque pas d’intérêt, mais j’avoue qu’un mois après, elle s’efface déjà : ce qui n’arriverait pas si je lisais moins, sans doute !

L’amour par temps de crise de Daniela Krien, (Die Liebe im Ernstfall, 2019) éditions Albin Michel, août 2021, traduction de Dominique Autrand, 336 pages.

Ailleurs : Alex n’est pas trop convaincue, Laure s’avère plus emballée et Sacha émet une légère réserve…

Pour prolonger la découverte de cette autrice, je lirais bien L’incendie, repéré chez Eva.

Les Feuilles allemandes sont sur Livr’escapades et Et si on bouquinait.

Joyce Carol Oates, Cardiff, près de la mer

Quatre longues nouvelles composent ce livre de Joyce Carol Oates, et dès les premières pages, j’ai été happée, comme d’habitude, par le style particulier de l’autrice, sa « voix » tout à fait reconnaissable, usant à sa façon de la ponctuation (italique, tirets, parenthèses, slash…).
Dans la première nouvelle qui donne son titre au recueil, une jeune femme adoptée dans l’enfance, Clare, hérite d’une propriété dans le Maine, dont l’histoire dramatique est liée à la sienne. Le temps de rgler la succession, elle est hébergée par deux grands-tantes et un oncle des plus bizarres. Cette histoire à tendance gothique évolue de manière très prenante sur presque 200 pages, ce n’est donc pas trop court, par contre je ne suis pas sûre de ce que j’ai compris à la fin, ce qui ne m’a pas empêchée d’apprécier le texte. Je devrais peut-être le relire ?

Dans la deuxième nouvelle, Miao Dao, j’ai retrouvé le style caractéristique et les thèmes de prédilection de JCO, avec un personnage d’adolescente mal dans sa peau, chahutée au collège et perturbée par l’arrivée d’un beau-père intrusif… Comment la jeune fille va-t-elle gérer cette période stressante ?
La troisième nouvelle, Comme un fantôme, 1972, est très forte et impossible à lâcher : une étudiante en première année a une liaison, sans y consentir vraiment, avec un jeune professeur manipulateur.
Le quatrième texte, L’enfant survivant, fascinant aussi, crée peut-être un peu moins la surprise, mais est tout aussi puissant, avec un personnage central à la « Rebecca », une jeune femme fiancée à un veuf qui découvre la vie avec lui, et ce qu’il cache. Si cette dernière nouvelle est un peu plus prévisible, cela ne m’a pas gênée, j’étais curieuse de savoir comme JC Oates allait amener la révélation attendue (réponse : parfaitement bien).
J’ai noté la violence, physique ou psychologique, toujours présente dans les textes de l’autrice, tout comme la notion de consentement, du droit à procréer ou non, des ravages du secret… Les héroïnes oscillent entre faiblesse apparente et ressources intérieures puissantes, laissant l’issue de chacune des situations dramatiques qu’elles affrontent ouverte jusqu’à la dernière ligne. J’aime décidément beaucoup cette autrice dans les textes courts !

Cardiff, près de la mer de Joyce Carol Oates (Cardiff by the sea, 2020) éditions Points, 2023, traduction de Christine Auché, 464 pages.

Lecture commune avec Une Comète.