Nina Wähä, Au nom des miens

« Tous les frères et sœurs s’attroupèrent comme d’habitude autour d’Annie, curieux non seulement des cadeaux de Noël exotiques et luxueux dissimulés dans son sac, mais aussi de son ventre rond. Très vite elle sentit ses épaules se détendre, put reconnaître qu’elle avait été inquiète, maintenant qu’elle ne l’était plus. »

La saga familiale de Nina Wähä nous entraîne tout au nord de la Finlande, en Tornédalie, dans les années 80. Annie Toimi, vingt-sept ans, l’aînée d’une famille de douze enfants encore en vie, revient de Stockholm pour les congés de Noël, et aussi pour annoncer à tous qu’elle attend un enfant. Ce qui n’est pas simple, car elle ne vit pas avec Alex, le père de l’enfant à naître, et n’est pas amoureuse, contrairement à lui. Une autre raison va apparaître progressivement, plus dramatique, mais tout est construit pour ne pas en dévoiler trop, ou trop tôt, aussi ne vais-je pas révéler ce que l’autrice prend soin de camoufler. Étonnamment, et c’est une chose que vous verrez rarement dans un roman, tous les personnages sont de la même famille, parents, frères et sœurs et conjoints… et c’est tout ! S’il passe d’autres personnages, ce sont vraiment des figures presque indéterminées, et très fugaces. Avec la famille Toimi, on a déjà un bel échantillonnage d’humains, plus ou moins aimables, avec chacun leurs particularités.

« Ta fille te ressemble, déclara Mika un soir en se rhabillant.
[…]
– Oui, ou plutôt, j’imagine que tu étais comme ça plus jeune.
– Comme ça ?
Il s’arrêta et lui sourit.
– Oui, sauvage, libre et intelligente comme elle.
Siri secoua la tête. C’était trop à digérer pour elle, qu’on puisse utiliser tous ces adjectifs pour qualifier sa fille, que ce soit en plus des attributs positifs, et enfin qu’il veuille aussi lui prêter ces qualités. »

Ce roman fait appel à beaucoup d’anticipation de la part du lecteur, car Nina Wähä parsème des indices de ce qu’elle va dévoiler plus loin, mais surtout s’attarde avec malice sur chaque membre de la famille, en faisant ressortir son caractère, en se posant des questions sur l’aspect génétique dans ce tempérament. La manière dont les enfants ont été élevés par leurs parents, Siri, la mère, douce mais débordée par les tâches ménagères et Pentti, le père sombre et secret, a-t-elle eu une influence, et laquelle ?
Malgré un rythme un peu inégal dans la narration, et quelques précisions crues, que j’attribue plus volontiers à un sens différent de la pudeur des Scandinaves qu’à une volonté de choquer, j’ai aimé le style de l’autrice, libre et original, et sa manière inimitable de présenter les personnages. Avec eux, on a un peu l’impression de passer en une génération du début du vingtième siècle à la fin du même siècle en quelques années. A la fois dépaysant et rafraîchissant, c’est un roman que je recommande à ceux qui aiment la Scandinavie ou les histoires de famille compliquées, un peu à la manière de la saga des Neshov de Anne B. Ragde.

Au nom des miens de Nina Wähä, (Testamente, 2019), éditions 10/18, 2022, traduit du suédois par Anna Postel, 576 pages.


Ce roman participe au challenge « Auteurs des pays scandinaves » lancé par Céline.



Lecture du mois (28) décembre 2022

Pour finir l’année, je vous propose quelques retours sur des romans, dont certains plus exposés que d’autres, mais qui ont tous un petit quelque chose d’original… mais lisez plutôt.

Nous étions le sel de la mer de Roxanne Bouchard, éditions de l’Aube, août 2022, 336 pages.
« Cyrille, il disait que, si on choisissait la mer, elle nous fiançait, pour le meilleur et pour le pire. Il disait qu’elle glissait à notre doigt l’anneau argenté du soleil, qu’elle promettait l’horizon et qu’elle tenait promesse. »

L’arrivée de Catherine Day en Gaspésie, où elle vient à la recherche de ses origines, coïncide avec la découverte d’un cadavre dans les filets d’un pêcheur. Nouveau aussi dans la région, le policier Joaquin Morales bute sur des personnages taiseux et ses recherches ne progressent guère. Roman d’ambiance plus que véritablement policier, j’attendais beaucoup de ce livre qui m’a laissé un goût d’inachevé. Pourtant, le style fait la part belle aux images inédites, les dialogues ont du mordant et les personnages ne manquent pas d’intérêt, mais l’enquête se traîne et les affres du policier finissent par lasser. C’est du moins l’effet que cela m’a fait.
A recommander plutôt pour ceux qui cherchent un roman à l’atmosphère dépaysante, sans forcément de trame policière, ou disons avec une trame policière peinarde.

Le pays des phrases courtes de Stine Pilgaard, éditions le Bruit du Monde, mai 2022, traduction de Catherine Renaud, 288 pages.
« La chorale répète une chanson du soir, pendant qu’il commence lentement à pleuvoir, et dans le potager le vent souffle entre les choux frisés, qui tremblent comme des amants qui viennent de se séparer. »

La narratrice du roman, toute jeune mère, s’installe dans une région rurale de l’Ouest du Danemark et tente de s’adapter à l’atmosphère locale, à commencer par la manière de s’exprimer par phrases parfaitement anodines. Son mari est enseignant dans une højskole, type de lycée assez particulier au Danemark, qu’il faut découvrir. La jeune femme tente de passer son permis de conduire, trouve un petit emploi à la rubrique courrier du quotidien local, s’occupe de son bébé… Avec un style frais et plein d’humour, le roman ne manque pas d’atout, mais cette sorte de chronique rurale a du mal à enchanter sur la longueur et ne m’a pas complètement séduite.

L’autre moitié du monde de Laurine Roux, éditions du Sonneur, janvier 2022, 256 pages, Prix Orange du Livre 2022.
« Les paysans sont coriaces, ils serrent les dents. De temps en temps, la Marquise enregistre un décès. Quand il s’agit d’un homme, elle propose à un fils de prendre la relève. S’il n’y a pas de garçon, Madame prie la famille de quitter les lieux. Elle possède la quasi-totalité du delta, l’exploite en fermage. Madame a tous les droits. »

Dans le delta de l’Èbre, dans les années trente, la vie est rude pour les paysans, et plus encore pour leurs femmes. La petite Toya, enfant unique de Juan et Pilar, observe et tente de comprendre ce qui se trame, de quoi discutent les hommes, le soir, à la veillée. Alors que Pilar doit faire face à une situation terrible, sa fille grandit et s’éveille grâce à la proximité d’Horacio, le jeune enseignant de l’école communale.
Une deuxième partie plus contemporaine va apporter un autre éclairage sur cette très belle histoire, portée par une écriture qui donne des frissons, et de très beaux personnages.

Argonne de Stéphane Émond, éditions de la Table Ronde, août 2022, 128 pages.
« Le ciel est d’un bleu intrépide, bravache, il tend son orgueil, drapé dans ses plus beaux atours. La rosée fait scintiller une myriade de perles d’eau dans les hautes herbes. En y glissant la main on pourrait laver le visage des enfants. »

En juin 1940, toute une famille entasse possessions et enfants sur une charrette tirée par un cheval, pour fuir l’avancée allemande. Quelques jours seulement pour atteindre un village de l’Aube où des avions allemands font malheureusement une victime parmi les membres de la famille. Stéphane Émond refait le chemin emprunté par ses arrière-grands-parents, quatre-vingt ans après, interroge des maires et des personnes âgées. Et de retour dans son village, il questionne aussi sa famille, recherche de vieux documents.
L’auteur m’était inconnu, mais le titre et le sujet me parlaient. Dès les premières pages, l’écriture m’a séduite, et rien n’est venu gâcher mon plaisir de retrouver cette région de collines et de forêts, de croiser des noms pas vraiment inconnus, de toucher grâce à l’auteur des traces du passé récent d’une région souvent chamboulée par l’Histoire.
Dans le genre témoignage familial, voire filial, le texte est délicat, sans pathos, et les précisions toujours bienvenues et pleines de justesse.

Arnaldur Indriðason, Les roses de la nuit

« Nous sommes comme le cabillaud. En dessous d’un certain nombre d’individus, les bancs se dispersent puis disparaissent. Je crains que cela ne s’applique également à l’espèce humaine. Quand les gens quittent les villages comme le nôtre, la vie ralentit. D’ici peu, elle sera complètement éteinte. »

Un couple a eu l’idée saugrenue de trouver le calme dans un cimetière pour s’embrasser, lorsque la jeune femme aperçoit quelqu’un qui fuit et voit un corps sur la tombe d’un homme politique illustre, au milieu des fleurs. Personne ne reconnaît ou ne signale la disparition de la jeune fille de seize ans, visiblement droguée, dont le corps a été retrouvé. Erlendur et son adjoint Sigurdur Oli ont chacun des idées bien arrêtées sur comment mener l’enquête, qui va les mener dans les fjords de l’Ouest, mais aussi dans le monde de la drogue. La fille d’Erlendur va accepter à contrecoeur de fournir quelques renseignements à son père. Pendant ce temps Sigurdur Oli tombe amoureux du principal témoin de l’affaire, ce qui pose un problème certain.

« Sigurdur Oli ronflait doucement , assis sur son fauteuil.
– C’est la télévision nationale, répondit Erlendur. Elle aurait le pouvoir d’assommer un troll. »

Solide sans être plus original ou enthousiasmant que d’autres romans de l’auteur, cet ouvrage vaut surtout pour son antériorité par rapport aux autres livres où apparaissent Erlendur et son collègue Sigurdur Oli. En effet, il est sorti avant La cité des jarres en Islande, et les personnages y sont encore relativement nouveaux pour les lecteurs puisqu’il s’agit du deuxième de la série, après Les fils de la poussière.
Voir ces personnages en devenir se confronter, réfléchir et évoluer se conjugue à une intrigue brassant beaucoup de sujets intéressants pour comprendre l’histoire récente de l’Islande. Sinon, les pistes suivies, entre trafic de drogue, désertification rurale et symbolique du héros national, permettent de maintenir le cap d’une enquête bien construite, aux dialogues non dépourvus d’ironie et aux nombreuses facettes.

Les roses de la nuit, d’Arnaldur Indriðason, (Dauðarósir, 1998), éditions Points, 2020, traduction d’Eric Boury, 288 pages.

Aifelle et Electra, tout comme Eva, ont été accrochées par cette histoire !

Juhani Karila, La pêche au petit brochet

« Un malheureux concours de circonstances avait eu pour conséquence qu’Elina devait sortir le brochet de l’étang chaque année avant le 18 juin. 
Sa vie en dépendait. »

Elina, jeune chercheuse en biologie, revient chaque année dans sa Laponie natale, au-delà du cercle polaire, pour accomplir un rituel. Une pêche au brochet dans un petit étang marécageux, infesté de moustiques, taons et autres insectes suceurs, et défendu par un ondin ergoteur. La raison de cette inlassable pêche au brochet, il va falloir bien des pages et des péripéties pour la connaître. Parallèlement, Janatuinen, une jeune policière, arrivée du sud elle aussi, est à la poursuite d’Elina, et va se trouver confrontée à des phénomènes pour elle totalement inexplicables et irrationnels. D’autres personnages haut en couleurs vont venir se mêler à leurs deux quêtes, avec plus ou moins de bonheur.

« L’être tenait un grand faitout à deux mains et buvait. Janatuinen recula jusqu’au mur du fond, sans jamais cesser de viser le monstre. Celui-ci avait une fourrure rêche comme si la nuit même s’était matérialisée sous forme de crins flexibles et frisés. »

Attention, lecture atypique ! Je connaissais un peu la littérature finlandaise, avec Arto Paasilinna ou Johanna Sinisalo, et j’avais déjà rencontré dans leurs romans, dans un contexte par ailleurs tout ce qu’il y a de plus contemporain, des créatures issues de la mythologie nordique. Je n’ai donc pas été étonnée de voir apparaître un ondin dans les eaux d’un paisible étang, mais un peu plus ensuite lorsque un grabuge a été évoqué, puis lors de l’apparition d’un teignon.
Et ce n’est pas tout ! C’est tout un bestiaire fantastique, suscité peut-être par les longues nuits d’hiver ou par des imaginations très fertiles, qui se plaît à mettre des bâtons dans les roues des deux héroïnes. Je laisse aux futurs lecteurs la surprise de les découvrir…
C’est pour le moins décoiffant, et un peu déstabilisant. Attirée vers ce livre dès sa sortie, puis de nouveau intriguée par l’argumentaire du responsable du stand de La Peuplade du festival Étonnants voyageurs, je me suis laissé tenter, mais ai mis un peu de temps à être convaincue. Légèrement débordée par le nombre de créatures étranges, j’ai trouvé que l’histoire aurait gagné à être un soupçon moins loufoque.
Toutefois j’ai fini par me laisser faire, et en retire au final une impression de lecture plaisante, souvent très drôle, avec des personnages entraînants, et qui s’avère recommandable tant comme lecture d’été que pour découvrir la jeune littérature finnoise.

La pêche au petit brochet de Juhani Karila, (Pienen hauen pyydystys, 2019), éditions La Peuplade, 2021, traduit du finnois par Claire Saint-Germain, 434 pages.

Ragnar Jonasson, Dix âmes, pas plus

« Elle se rendit compte du silence qui régnait, comparé à Reyjavik. En dehors du léger murmure des vagues, on aurait entendu une mouche voler. »

Une petite annonce attire l’attention d’Una, jeune enseignante qui a du mal à joindre les deux bouts et à trouver un sens à sa vie. « Recherche professeur au bout du monde. » Il s’agit seulement d’un village isolé d’Islande, Skalar, comptant dix habitants, et où deux élèves ont besoin d’une institutrice. Una se lance et pose sa candidature, aussitôt acceptée. Elle arrive au village, elle y sera hébergée par la mère célibataire de Edda, une des deux petites filles. Elle rencontre les deux fillettes dès le lendemain, et très rapidement, tous les habitants. Leur accueil variable la met un peu mal à l’aise. Emportée par les préparatifs de Noël, elle ne se fait pas trop de souci, malgré des insinuations concernant un fantôme qui hanterait la maison où elle vit. Surviennent ensuite des phénomènes nocturnes inquiétants, une disparition, puis un drame inexplicable.

« Les choses les plus innocentes peuvent revêtir une apparence surnaturelle dans la solitude et l’obscurité. »

Ce que j’ai aimé dans ce roman, isolé dans la bibliographie de Ragnar Jonasson, c’est tout d’abord le décor : un village en bord de mer, dans un endroit reculé de l’est de l’Islande. Ensuite, les phénomènes étranges fournissent une atmosphère à la « Rebecca » tout en gardant une trame réaliste. Una est à la fois naïve par rapport aux comportements des autres habitants du village, et pas toujours précautionneuse dans sa manière de les aborder. Elle se trouve embarquée dans une ambiance poisseuse et angoissante, là où elle venait chercher un endroit calme pour se ressourcer. Les événements se précipitent et s’enchaînent, les personnages ne manquent pas d’intérêt. Ce virage de Ragnar vers un léger fantastique mêlé à l’enquête menée par Una, est plutôt réussi, et le roman, difficile à lâcher.

Dix âmes, pas plus de Ragnar Jonasson, (Þorpið, 2018), éditions La Martinière, janvier 2022, traduction de Jean-Christophe Salaün, 348 pages.

Je n’ai parlé que de Snjor, mais j’ai lu pas mal de romans de Ragnar Jonasson, auteur que je recommande si vous aimez les ambiances policières du froid.

NIviaq Korneliussen, Homo sapienne

« Si Dieu est une femme, elle est plus belle que Dieu. Sara. Je pique une gorgée de la vodka d’Arnaq. Pourquoi ne la vois-je que maintenant ? Qui est-elle ? J’ai envie de parler avec elle, de lui demander toutes sortes de choses. J’ai envie de lui demander d’où elle surgit soudain. Mais je ne le lui demanderai pas, puisque je viens seulement de la rencontrer ! »

Fai rencontre Sara lors d’une soirée, et en est toute éblouie. Pour elle qui avait un copain et ne se sentait pas attirée par les filles, c’est le début de quelque chose de nouveau. Va-t-elle la revoir ?
Certains sont en couple, d’autres cherchent et se questionnent, d’autres encore rompent, parfois une nouvelle identité émerge… Les journées sont mornes et les nuits groenlandaises sont longues, l’alcool coule et la musique rythme les va et vient de chacun.

« Du Groenland à l’infini et retour … What a day to be alive. Elle lit ma petite lettre. La nuit de printemps me donne vie et Sara m’embrasse. What a day to realize I’m not dead. L’amour m’a sauvée. And I realize. This is my coming-out story. »

Un roman choral d’un nouveau genre est né, il conte le quotidien de jeunes urbains, pas spécialement paumés, ni fauchés, mais qui cherchent leur identité, dans la capitale groenlandaise, Nuuk. Leur vie, essentiellement nocturne, est racontée par monologues, émaillés d’expressions, voire de phrases ou de paragraphes en anglais, de successions de textos, d’échanges épistolaires… La première partie tient du roman d’initiation où Fia découvre qui elle est, les autres parties reprennent certains événements du point de vue d’autres personnages : Inuk, Arnaq, Ivik ou Sara, cinq jeunes qui s’interrogent sur leur vie, amitiés, amour, sexualité. Une belle part est faite aux gays et transgenres.
Tous parlent aussi de leur pays, qu’ils aiment et détestent à la fois. L’ensemble, moderne, original et réaliste, peut plaire comme déconcerter. Pour moi, c’est plutôt la deuxième option qui domine. Je trouve l’ensemble prometteur mais un peu inabouti.

Homo sapienne de Niviaq Korneliussen, (2014) éditions La Peuplade (2017) et 10/18 (2020), traduit du danois par Inès Jorgensen, validation linguistique à partir du groenlandais par Jean-Michel Huctin, 190 pages.

Tarjei Vesaas, Palais de glace

« Des éclaboussures de l’eau avaient à la longue formé des sortes de troncs d’arbres et de branchages de glace. Parmi les plus grands, des arbustes jaillissaient du sol. Voilà encore un monde indéfinissable, impossible à décrire, mais qui semblait naturel dans un tel endroit, et qu’il fallait accepter tel quel. De ses yeux écarquillés, elle fixait cette étrange apparition. »

C’est le début de l’hiver, dans un petit village de Scandinavie. Une nouvelle élève vient d’arriver à l’école, et semble peu pressée de lier connaissance, sauf peut-être avec Siss, l’élève populaire et intelligente, qu’elle observe tranquillement. Unn, c’est le nom de la nouvelle venue, vit seule chez sa tante qui l’a recueillie. Tout est nouveau pour elle, y compris la nature environnante, en particulier une cascade de glace que les premiers froids viennent de former sur la rivière, dans la forêt.
Enfin, Siss et Unn se rencontrent en dehors de l’école, une rencontre pleine de non-dits, mais déjà le prélude à une amitié indéfectible. Mais une disparition soudaine renvoie l’une des deux à la solitude, au chagrin et à la culpabilité.

« Dehors, la neige continuait à tomber, comme pour effacer Unn et tout ce qui se rapportait à elle. »

Lecture parfaite pour un mois de décembre à tendance nordique, ce roman classique norvégien est magnifique sur le thème de la préadolescence, de l’amitié et du deuil, le tout lié à la puissance invincible de la nature. L’histoire se déroule sur trois saisons, de l’automne au printemps, du gel qui fige tout à la neige qui recouvre puis au dégel.
Plusieurs aspects sont remarquables dans Le palais de glace, tout d’abord le réalisme qui reste constant dans le texte, même si on s’attend à dériver vers du fantastique léger. Ensuite, j’ai aimé l’attitude parfaite des adultes, inquiets mais bienveillants, à laquelle répond le comportement calme et assez réfléchi des enfants. Enfin, ce qui m’a beaucoup plu et me fait garder un souvenir précis de ce roman, ce sont les questions, peu nombreuses, mais centrales, qui restent sans réponse, et continuent d’intriguer bien longtemps après lecture.
Je regrette de ne pas avoir trouvé la version Babel plus récente, dont je préférais la couverture. Pour ce qui est de la traduction, je ne me prononce pas, n’ayant lu qu’une version, qui m’a tout à fait convenu.

Palais de glace de Tarjei Vesaas (Is-slottet,1963) éditions Garnier-Flammarion, traduction de Elisabeth Eydoux, 182 pages.

Repéré grâce à Anne et Daphné.

M.T. Edvardsson, Une famille presque normale

« Mon père ne voulait pas m’élever. Il voulait me créer, comme s’il était Dieu le Père en personne. Il aurait voulu que je sois exactement comme lui. Ou non, il aurait voulu que je sois comme il avait imaginé que sa fille devait être. »

Les lectures à chroniquer s’empilent, non que j’ai eu beaucoup de déceptions, bien au contraire, mais la lecture me satisfait plus que l’écriture en ce moment…
Bon, je me lance tout de même avec ce roman noir suédois, une histoire de famille comme son titre l’indique. Ils vivent à Lund, une petite ville de Suède. Le père est pasteur, la mère avocate, et leur fille de dix-neuf ans leur cause quelques soucis, comme toute adolescente, jusqu’au jour où la police accuse la jeune fille d’avoir tué un homme, un jeune chef d’entreprise avec lequel elle avait une relation. Ses parents ne peuvent y croire, mais la police persiste, trouve un faisceau de preuves, et la jeune Stella va être jugée. Sa famille, ses amis, son avocat, vont-ils pouvoir la faire libérer ?

« Un philosophe a dit que le savoir, c’était le pouvoir. C’est décidément vrai. L’ignorance chez autrui est une puissante source de pouvoir. »

Vu dans une première partie par Adam, le père, le roman se poursuit par une deuxième partie du point de vue de Stella, suivie d’une partie offrant les réflexions de Ulrika, la mère. À chaque fois, la perspective change, de nouveaux faits apparaissent, de nouvelles questions se posent, certaines personnes deviennent suspectes ou au contraire sont innocentées, des conclusions viennent à l’esprit, jusqu’à la séquence finale qui permet enfin, de manière magistrale, d’y voir plus clair.
L’ensemble est construit à la perfection, avec des révélations ou des questionnements savamment dosés, et le roman se lit aisément, je l’ai dévoré en trois petites journées. Parfait pour les amateurs de suspenses psychologiques sur fond de drames familiaux !

Une famille presque normale (En helt vanlig familj, 2018) de M.T. Edvardsson, éditions Pocket (2019), traduit du suédois par Rémi Cassaigne, 621 pages.

Gyrðir Elíasson, Au bord de la Sandá

« La quiétude est une notion composite : elle peut être triste, redoutable, agréable, sublime, solitaire. »
Un homme passe l’été dans un camp de caravanes au bord d’une rivière glaciaire, dans un coin sauvage d’Islande. Artiste, il cherche ainsi à être au calme pour retrouver sa manière de peindre, en changer peut-être, commencer à peindre des arbres plutôt que des formes abstraites… Les autres habitations de vacances sont occupées, mais il reste dans son coin, laissant les autres à leurs occupations. Il peint, lit beaucoup, des biographies de peintres et explore la nature et les forêts environnantes. Il décide de rester pour passer l’automne sur place.

« Il fut un temps où j’avais beaucoup de rêves, comme les autres. Ils ont disparu. Peut-être les ai-je effacés avec ma peinture, enfoncés dans la toile sur le chevalet – si profondément que je ne pourrai jamais les retrouver. »
Voilà un petit roman qui à la fois sait dépayser et contenir des réflexions à portée universelle. Pour le dépaysement, j’avoue que je devais me rappeler fréquemment qu’il s’agissait de l’Islande et non du Canada, tant les arbres et les forêts ne semblent pas faire partie intégrante du paysage islandais. Ce genre d’endroit doit être rare et recherché. Le narrateur, peintre vieillissant en panne d’inspiration, fait le choix de ce lieu pour renouveler sa recherche artistique, et même s’il ne se le dit pas franchement, pour méditer sur sa vie. Ceci sans tristesse ni amertume, juste sur le mode de la constatation.
Dans un texte comme celui-ci, ce n’est pas l’histoire qui compte, même s’il se passe tout de même quelques petites choses, des rencontres, des échappées, des aléas de la vie en plein air. Pour une narration assez minimaliste, c’est l’écriture qui compte, et là, c’est tout à fait réussi, poétique et familier à la fois, avec une très belle traduction qui rend bien l’atmosphère et les méditations du narrateur.
Cette réflexion autour de la solitude est encore une jolie découverte parmi le catalogue des éditions La Peuplade, qui a publié ensuite La fenêtre au sud, du même auteur.

Au bord de la Sandá de Gyrðir Elíasson, (Sandárbokin, 2007) éditions La Peuplade, 2019, traduit de l’islandais par Catherine Eyjólfsson, 146 pages.

Repéré chez Aifelle.

Polars en vrac (6)

Voici mon retour après un dernier mois bien occupé par le remplissage de cartons, puis l’installation, notamment une bonne quantité de livres à placer sur les étagères. Au rayon policier, j’ai fait de belles découvertes parmi mes dernières lectures, meilleures que celles de littérature « blanche ». Des livres issus d’une série, des ouvrages isolés, du roman noir, de l’enquête classique et du thriller, chacun peut y trouver une de ses lectures d’été (quatre sur cinq sont en poche).


octobreSøren Sveistrup, Octobre (Kastanjemanden, 2018), traduction de Caroline Berg,
éditions Livre de poche, 732 pages
« L
es feuilles mortes tombent doucement dans la lumière du soleil, sur la route humide qui coule au milieu de la foret comme un fleuve à la surface noire et lisse. »
Une jeune mère de famille est retrouvée morte dans la banlieue de Copenhague, amputée d’une main. Le duo d’inspecteurs en charge de l’enquête est (bien sûr) assez atypique et les meurtres inexpliqués retiennent l’attention. Mais c’est surtout la construction qui est impressionnante de précision, on y voit tout de suite la science du scénariste de série policière. Ce roman sait déjouer les pièges des pistes trop bien tracées, autant que des dénouements qu’on devine de loin. Pour moi, il joue un peu trop sur les peurs en passant par le truchement d’un esprit pervers particulièrement imaginatif, ce qui me dérange un peu, et paraît une facilité, ou un « truc » destiné à retenir le lecteur.
Un très bon thriller, toutefois, pour qui aime ce genre.

defenseettrahisonAnne Perry, Défense et trahison (Defend and betray, 1992), traduction de Roxane Azimi, éditions 10/18, 416 pages
« Bien des femmes, ayant surpris leur mari avec une servante, étaient obligées de continuer à faire bonne figure. Car c’était à elles qu’on eût reproché de s’être mises dans cette situation délicate, facilement évitable… avec un peu de discrétion. »
Pour ma troisième lecture d’Anne Perry, je retrouve les personnages de William Monk, le policier amnésique et Hester Latterly, l’infirmière, comme dans Un deuil dangereux. C’est vraiment un plaisir, je trouve cette série de plus en plus attachante, et le portrait qui se dessine du Londres victorien ne manque pas de détails et de véracité. Mais qu’en est-il de l’enquête ? Cette fois encore, une maison bourgeoise est le cadre d’un accident qui s’avère un meurtre, commis de plus forcément par un membre de la maisonnée, voire de la famille, celle du général Thaddeus Carlyon, la victime. Même si les tenants et aboutissants se devinent assez facilement, la partie qui se règle au tribunal fait monter la tension et termine le roman de manière redoutable. Efficace !

selfiesJussi Adler Olsen, Selfies (2017), traduction de Caroline Berg, éditions Livre de Poche, 768 pages
« La dernière chose qu’elle vit avant de mourir fut le visage d’une femme qu’elle connaissait bien et qui n’avait aucune raison d’être là. »
Retrouvailles avec le groupe du Département V, ce qui est toujours un plaisir. Cette fois, le focus est mis sur Rose, la jeune femme ayant de plus en plus de problèmes psychiques qui nuisent à son efficacité habituelle, l’empêchent même de venir travailler, mais des coïncidences (un peu grosses ?) vont la placer au cœur de l’enquête. Des jeunes femmes pauvres, mais soucieuses de leur apparence, meurent dans les rues de Copenhague, renversées par un mystérieux chauffard. La construction du roman fait vite comprendre ce qu’il en est, sans pour autant nuire à l’efficacité de la tension narrative, bien au contraire. Le tueur de ce roman se trouve totalement à l’opposé des images habituelles, et c’est un bon point, mais pour moi, ce n’est pas le meilleur roman de la série.

unedeuxtroisDror Mishani, Une deux et trois, (Shosh, 2019), traduction de Laurence Sendrowicz, Gallimard, 2020, 336 pages
« Ils firent connaissance sur un site de rencontre pour divorcés. Il y affichait un profil plutôt banal – quarante-deux ans, divorcé, deux enfants, habite à Guivataïm –, et c’est ce qui la poussa à lui envoyer un message. »
Encore un auteur que je suis depuis ses deux premiers romans. Ici, pas de policier récurrent comme dans le 1 et le 2, mais trois femmes, très différentes, plus ou moins à la recherche d’une rencontre masculine, qui se trouvent successivement face au même homme. Guil a tout du type banal et sans histoire, si ce n’est une légère propension au mensonge, et pourtant, elles s’engagent chacune sur une pente bien dangereuse.
L’auteur fait merveille pour examiner la psychologie des personnages et pour surprendre le lecteur. Les rues de Tel-Aviv constituent un décor inhabituel. Ce roman m’a tenu en haleine pendant les deux petites journées où je l’ai dévoré !

hiverducommissaireMaurizio de Giovanni, L’hiver du commissaire Ricciardi, (Il senso del dolore. L’inverno del commissario Ricciardi, 2007), traduction d’Odile Rousseau, éditions Rivages poche, 267 pages
« En aval, la ville riche de la noblesse et de la bourgeoisie, de la culture et du droit. En amont, les quartiers populaires dans lesquels un autre système de lois et de normes était en vigueur, également ou peut-être encore plus rigide. La ville rassasiée et la ville affamée, la ville des fêtes et celle du désespoir. »
Après une série avec un autre enquêteur, je découvre enfin le commissaire Ricciardi. Naples dans les années 30, voilà qui a tout pour me plaire. L’Italie en cette année 1931 est plongée depuis neuf années (déjà) dans la période fasciste, mais ce n’est pas ce dont il s’agit ici, tout en faisant peser une ambiance sombre sur l’hiver napolitain. Soirée de première au théâtre San Carlo, pendant laquelle le célèbre ténor Arnaldo Vezzi est retrouvé mort dans sa loge. Le commissaire Ricciardi ne connaît pas l’opéra, il devra se faire aider par un fan de grands airs pour se faire une idée de ce qui s’est passé dans les murs du théâtre.
Les deux gros atouts de ce roman sont la personnalité du policier, et l’atmosphère napolitaine, les deux sont une parfaite réussite, et leur combinaison crée une addiction immédiate à la série. Sans oublier une superbe écriture. J’ai hâte de retrouver le Commissaire Ricciardi au printemps !

Deux pavés pour un billet, ce n’est pas mal, non ?
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