« L’espoir, c’est l’ordinaire tel qu’il devrait toujours être : tourné vers un ailleurs. Pas un but ni un objectif, non, un ailleurs. Un lieu secret dans lequel, enfin, chacun trouverait sa place. Un lieu juste.
Le mien existe.
Une île perdue au large de l’océan Indien, une langue de sable exagérément plate, et vide, et calme ; une certaine transparence des flots. La mer comme un pays. Cette île que personne ne connaît, c’est chez moi, c’est ma terre. »
En 1967, quand le tout jeune mauricien Gabriel Neymorin débarque aux Chagos, archipel dépendant de l’île Maurice, pour seconder l’administrateur, il ne se doute pas qu’il va tomber amoureux de cet endroit, et de l’une des habitantes, Marie Ladouceur, jeune femme mère d’une petite fille. Peu de temps après, l’île Maurice devient indépendante. Quel va être le statut des îles Chagos, archipel où trois îles seulement sont habitées, et ce depuis quelques siècles, lorsque les Français puis les Britanniques, y firent venir des esclaves pour récolter la canne à sucre ? Gabriel se trouve être au courant avant les habitants, avant Marie, mais une clause de confidentialité qu’il a signée l’empêche de les prévenir, créant un affreux dilemme pour le jeune homme. Tout d’abord, les bateaux de ravitaillement ne passent plus. Puis les Chagossiens qui partent voir leur famille ou se faire soigner à l’île Maurice sont empêchés de revenir, et enfin tous les autres habitants sont prévenus brutalement qu’ils doivent prendre quelques bagages et embarquer.
« Sur la plage, le spectacle était une désolation. Toutes les familles s’entrechoquaient, avec des paniers, des draps bourrés d’affaires à l’image de ce qu’elle avait fait elle-même, les regards perdus, hagards, les lamentations, l’incompréhension. Pourquoi les arrachait-on à leur île ? Qui avait décidé ça ? Quand reviendraient-ils ? Le désarroi était total. »
Cette triste histoire est vue par Joséphin, enfant transplanté depuis son île alors qu’il était tout petit. Devenu adulte, il va chercher, avec d’autres, des recours internationaux et plaider pour un retour des exilés dans leur île. Le récit alterne donc entre son enfance, avec l’histoire de sa mère, et son combat juridique actuel.
Si je n’ai pas été entièrement convaincue par l’aspect romance dans les premiers chapitres, j’ai aimé de plus en plus ce texte au fur et à mesure de la lecture, en particulier tout ce qui raconte le combat du peuple déraciné de manière inhumaine et plongé dans la misère la plus noire, pour retrouver l’île d’où ils ont été chassés.
Cette fiction a tout d’un récit de vie tant les personnages sont bien incarnés, avec une écriture qui emporte et fait compatir, mais surtout elle fait découvrir un pan d’histoire méconnu qui provoque l’indignation.
Si comme moi avant lecture, vous ne situez pas vraiment ces îles, voici une carte de l’océan Indien (l’île Maurice est représentée, mais pas nommée, à l’est de Madagascar et de la Réunion).

Rivage de la colère de Caroline Laurent, éditions Les Escales, 2020 puis Pocket, 2021, 432 pages.
Ce livre entre dans le cadre des lectures sur les minorités ethniques, sur une idée d’Ingannmic, qui l’a lu aussi, retrouvez son avis.
