Lectures du mois (29) mai 2023

Sous-titre : « bonnes pioches », car ce sont des livres dont je ne connaissais pas encore les auteurs, et que je peux vous recommander sans hésiter.

Jennifer Haigh, Mercy street, éditions Gallmeister, janvier 2023, traduction de Janique Jouin de Laurens, 432 pages
« Des années auparavant, lorsque Claudia avait commencé à travailler au centre d’écoute, les questions la surprenaient. Pour un nombre ahurissant de personnes, les fondamentaux de la reproduction humaine étaient entourés de mystère. »

Le texte de ce très bon roman sur le thème du droit des femmes, et notamment du droit à l’avortement, alterne entre différents points de vue, et même si on devine de quel côté penche le cœur de l’autrice, les différentes opinions peuvent largement s’exprimer. Cela sert le roman, uniquement, et ne tourne jamais à la démonstration qui alourdit et ennuie. Claudia qui travaille dans une clinique pour femmes fréquente l’appartement de Timmy, son dealer d’herbe, où Anthony, militant anti-IVG passe parfois aussi…
Ma description du roman ne vaut rien, mais le livre si, il est à la fois très intéressant pour la variété des opinions sur le sujet, et pour les personnages nuancés qu’il montre.
Lu aussi par Hélène.

Élise Costa, Les nuits que l’on choisit, éditions Marchialy, février 2023, 350 pages.
« Le temps de l’instruction ne m’intéresse pas.
Je ne cours jamais après des bribes d’informations. Je veux des affaires où rien n’est ce qu’il paraît, je veux comprendre comment des gens comme lui et moi peuvent basculer. Je veux savoir de quel bois nous sommes faits.
 »

Cette phrase résume le très intéressant point de vue de l’autrice, chroniqueuse judiciaire qui choisit d’aborder des affaires bien différentes les unes des autres par le prisme de l’accusé, qu’il soit coupable de manière certaine, ou qu’un doute subsiste quant à sa culpabilité. Ce sont évidemment ces derniers procès qui laissent le plus de traces, ceux où l’ombre de l’erreur judiciaire plane. De journaliste, Élise Costa est devenue chroniqueuse judiciaire, et cela la passionne d’approcher au plus près le fonctionnement de la justice, de chercher la vérité cachée et d’ausculter les faits et gestes, en particulier ceux des accusés, tellement révélateurs. Je n’ai qu’un reproche à adresser à ce témoignage passionnant, qui va de cour d’assises en cour d’assise, c’est qu’il est un peu bref !
La lecture d’Eva.

Benoît Séverac, Le tableau du peintre juif, La manufacture de Livres, septembre 2022, 320 pages.
« Ces Israéliens ressemblent à tous les jeunes de leur âge sur cette planète : ils sont bruyants, ils se bousculent, ils rient en se montrant des vidéos sur leurs téléphones portables… Rien de plus normal, sauf que nous sommes au mémorial de la Shoah et qu’ils viennent de participer à des ateliers sur un génocide perpétré contre leurs aïeux. Même ici, finalement, la mémoire s’efface et devient l’Histoire. »

Lorsque la grand-tante de Stéphane, quadragénaire au chômage, lui propose de venir prendre quelques souvenirs dans l’appartement qu’elle vide, il est le premier étonné d’apprendre que sa famille possède un tableau d’un peintre juif peu connu. Ses grands-parents auraient reçu ce tableau en remerciement pour avoir hébergé le peintre et son épouse qui voulaient passer en Espagne. Mais lorsque Stéphane veut faire reconnaître ses grands-parents comme Justes, tout se complique. De Jérusalem à Madrid, il va suivre la trace du peintre pour prouver qu’il a bien survécu à la Shoah. Cela se lit comme un roman à suspense, c’est totalement une fiction, à part le tableau qui existe vraiment, mais avec des accents de vérité qui font croire à un récit autobiographique.
L’avis de Luocine.

Isabelle Sorente, La femme et l’oiseau, éditions J.-C. Lattès, septembre 2021, 370 pages.
« Il lui avait demandé s’il parlait de Tambov de temps en temps. Thomas lui avait dit qu’il ne s’était confié à personne (…), enfin à personne d’humain. Mais il en parlait au arbres et aux oiseaux, et même si c’était difficile à expliquer, ça lui faisait du bien. »

Lorsque sa fille Vina est renvoyée du lycée pour comportement violent, Élisabeth décide de prendre un peu de temps pour elle et sa fille, et de rejoindre pour quelques jours son grand-oncle Thomas qui vit près de la forêt vosgienne. Plus à l’aise seul dans la nature qu’avec son entourage, Thomas les accueille cependant gentiment et va nouer des liens avec Vina. Chacun des trois personnages se révèle petit à petit, dévoilant ce qui l’obsède. Pour Thomas, cela remonte à la guerre, où, enrôlé parmi les Malgré-nous, il fut, dans des conditions terribles, prisonnier des Russes avec son frère Alex, le grand-père d’Élisabeth. Son histoire dramatique n’éclipse pourtant pas les difficultés de Vina et de sa mère sur un autre thème que vous découvrirez… en lisant ce roman !
Il sort en poche, et a été lu aussi par T livres T arts.

Nicolas Delisle-L’Heureux, Un grand bruit de catastrophe

« Louise avait toujours pressenti que ses parents ne s’étaient pas appesantis de trois enfants par pur bonté d’âme, et l’irrévérence de Val Grégoire eut tôt fait de lui donner raison : les offices dévotieux des Fowley n’étaient jamais aussi fructueux que lorsque Lydia, Elisabeth et Louise servaient d’appâts inoffensifs. »

Louise, enfant adoptée par une famille de religieux rigides, pratiquant le prosélytisme, arrive enfant dans la petite ville de Val Grégoire, aux confins du Canada, près du Labrador. Elle ne se sent pas à sa place, ni en classe, ni dans sa famille, mais se lie vite d’amitié avec Laurence et Marco, deux garçons aussi dissemblables que possible. Laurence vit auprès d’une mère fantasque avec un grand frère violent et une petite sœur handicapée, Marco est issu d’une lignée de potentats locaux. Et pourtant, leur trio fonctionne, se fait remarquer et surtout bâtit des rêves d’avenir, loin de Val Grégoire. Car une sorte de malédiction semble peser sur les habitants de la ville, qui, tels des ouananiches, ces saumons qui vivent seulement en eau douce, même si l’accès à la mer ne leur est pas bloqué, ne réussissent jamais à quitter leur région.

« Plus de cinquante ans après l’inauguration de Val Grégoire, nos mères n’ont pas bougé et semblent désormais n’avoir pour seule fonction que de s’inquiéter pour nous, devenus adultes, et pour notre progéniture, sur le point de l’être. Les rues, le centre communautaire et les halls des écoles portent les noms de leurs maris, mais ce sont elles qui ont affronté les hivers du Nord et nos récidives canailles. »

Le roman est fort bien construit puisque partant d’un événement intrigant, quand Louise revient adulte, à Val Grégoire, il revient sur son enfance, puis, vers le milieu du roman, amorce une explication à ce qui s’est passé au début, avant, finalement, de dénouer le tout.
Les personnages sont forts, fascinants, et les lieux le sont tout autant. Mais ce qui est le plus remarquable, c’est la langue utilisée par l’auteur, pleine d’imagination, de couleurs et de fureur. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il nous régalera de nouveau de ses mots.

Un grand bruit de catastrophe de Nicolas Delisle-L’Heureux, éditions Les Avrils, janvier 2023, 320 pages.

L’avis de Nicole.

Polars en vrac (9)

Le début du printemps, c’est la saison des Quais du Polar, et donc le moment de lire quelques romans noirs ou policiers, genre vers lequel je reviens toujours volontiers, car le polar n’est pas tout à fait mort : clin d’œil au Bouquineur et son débat tout récent…
Commençons par des valeurs sûres. Le premier n’est pas du tout une nouveauté :

John Harvey, Les années perdues, éditions Rivages poche, 1998, traduction de Jean-Paul Gratias, 460 pages.
« Darren connaissait la prison. Ou les IJD, du moins. Les institutions pour jeunes délinquants. Des centres comme Glen Parva où, si on ne trouvait pas un moyen de se foutre en l’air pendant les premiers mois, on avait de bonnes chances d’apprendre toutes les ficelles pour accéder au grand banditisme. »

Dans ce tome de la série consacrée à Charlie Resnick, un duo de jeunes délinquants, un peu bras cassés, montent des braquages de plus en plus violents, alors que d’autres braqueurs plus organisés mettent en échec la police depuis plusieurs mois. Mais ce qui inquiète le policier, c’est la probable sortie de prison de Prior, qu’il a arrêté, plus de dix ans auparavant, et qui pourrait nourrir des idées de vengeance, notamment envers Ruth, la femme dont il pense qu’elle l’a dénoncé.
Ambiance très jazz pour ce polar situé à Nottingham, en deux époques, années 1992 et 1981… comme d’habitude, c’est à la fois bien écrit, avec un art parfait des dialogues et des portraits incisifs, et très prenant. Je ne m’en lasse pas !

Michael Connelly, Les ténèbres et la nuit, éditions Calmann-Lévy, 2022, traduction de Robert Pépin, 450 pages.
« On dit souvent que quiconque veut connaître Los Angeles doit parcourir Sunset Boulevard du centre-ville à la plage. C’est par cet itinéraire que le voyageur peut découvrir tout ce qui fait la ville : sa culture et ses gloires aussi bien que ses nombreux échecs et fissures. »

Le dernier en date des romans de Michael Connelly avec un Harry Bosch retraité mais toujours efficace pour seconder sa collègue Renée Ballard. Celle-ci occupe un poste de nuit et mène de front deux affaires : un mort par balle lors des tirs du Nouvel An, il avait la particularité, si l’on peut dire, d’avoir payé pour quitter ue organisation mafieuse. L’autre affaire est celle des « Hommes de minuit », violeurs en duo récidivistes. Leur dernière victime va peut-être pouvoir permettre de voir ce qui relie ces femmes, ou pas.
Ces deux affaires permettent aux deux policiers d’exercer leur sagacité, sur fond de crise du Covid, mais obligent Renée à aller contre les ordres de son supérieur direct.
Un bon polar, qui se dévore, mais j’avais pressenti l’une des résolutions avec un peu trop d’avance…

Carlo Lucarelli, Péché mortel, éditions Métailié, mars 2023, traduction de Serge Quadruppani, 256 pages.
« – Allez, dit-il, au point où on en est, jetons un coup d’œil. Cherchons une hache et une veste. Et une tête.
Ils ne trouvèrent rien, ni hache, ni veste, ni tête. »

Bologne, juillet 1943. Les unes du quotidien Il Resto del Carlino débutent chaque chapitre et situent bien ainsi les temps troublés et les événements qui se succèdent : débarquement en Sicile, chute de Mussolini, bombardements sur Bologne… Pourtant, le commissaire De Luca, contrairement à sa fiancée, reste assez imperméable à la politique et se concentre sur l’affaire d’un corps sans tête retrouvé dans une maison lors d’une perquisition. Sa ténacité lui permet d’avancer dans ses investigations, même contre l’avis de son supérieur, mais toujours pas de tête ! Et lorsqu’enfin, il en trouve une, elle ne correspond pas au corps.
J’avais déjà lu un roman de Carlo Lucarelli, de la série qui se passait au XIXème siècle en Erythrée, je découvre ce nouvel enquêteur avec le deuxième roman de la série, mais qui revient sur ses débuts. Le contexte historique et les personnages sont passionnants, je me suis peut-être un peu désintéressée de l’enquête à un certain moment, puisque deux semaines après avoir terminé, je ne me souviens plus de la résolution. Mais bon, c’est un polar solide et bien écrit, rien à redire.

Matt Wesolowski, Six versions Les orphelins du Mont Scarclaw, éditions Les Arènes, janvier 2023, traduction de Antoine Chainas, 315 pages.
« Bienvenue dans Six versions, je suis Scott King.
Durant six semaines, nous reviendrons sur la tragédie du Mont Scarclaw. Six manières de voir les choses, six versions différentes. »

Une toute nouvelle série venant d’Angleterre a attiré mon attention, avec les mots « nature sauvage », « cold case » et « podcast ». Vingt ans après la disparition d’un jeune de quinze ans lors d’un camp de vacances sur le Mont Scarclaw, en Ecosse, et la découverte d’un corps dans un marais un an plus tard, Scott King, réalisateur très connu du podcast « Six versions », donne la parole à six personnes qui ont connu ce drame de très près : organisateur du camp, habitants du village ou camarades de Tom Jeffries, ils racontent leurs souvenirs, se contredisent parfois, poussent l’imagination de l’auditeur vers telle ou telle piste. Les personnages ont de l’épaisseur et une légère dose de légende ajoute à la couleur locale. J’ai beaucoup aimé ce roman très original, intelligemment tourné et prenant, et je pense déjà à mettre le deuxième podcast, déjà paru, dans ma pile à lire !

Voilà pour aujourd’hui. Et vous, avez-vous fait des découvertes au rayon policier de votre librairie ?

E. Lily Yu, L’Odyssée de Firuzeh

« L’ennui, déclara Nasima, c’est pire que les requins. Ils avaient vu les ailerons au loin la veille, mais à présent la mer n’avait plus à leur montrer que des bouteilles en plastique, des paquets de chips et des entrelacs d’algues.
Firuzeh rétorqua qu’elle préférait l’ennui. »

Firuzeh, fillette afghane, ses parents et son petit frère, le turbulent Nour, doivent quitter précipitamment Kaboul, où leur sécurité n’est plus assurée. Leur seul choix est l’exil. C’est par le regard de Firuzeh que le périple de la famille est abordé par E. Lily Yu, jeune autrice américaine.
Passé la première surprise de voir ces Afghans, en compagnie de migrants d’autres nationalités, tenter une longue errance vers l’Australie, rien n’est très différent des périples de demandeurs d’asile entre l’Afrique et l’Europe, ou l’Asie et l’Europe. Le passage des frontières, l’attente des passeurs, la montée à bord d’embarcations surpeuplées, la traversée de tous les dangers jusqu’à ce que des gardes-côtes australiens les récupèrent et les parquent dans un camp sur l’île de Nauru (j’allais écrire Lampedusa, mais non). Là, dans des conditions intenables, ils doivent attendre, pendant un temps que les enfants n’évaluent pas, que leur demande d’asile aboutisse ou non. La deuxième partie du roman se situera après cet internement à Nauru.

« Un rêve fracturé. Des bruits de pas creux sur un long quai, l’eau clapotant en contrebas. Les vibrations et les grondements familiers d’un moteur d’autocar. Des clôtures argentées s’ouvrant à leur passage pour les avaler. Firuzeh battit des paupières pour ouvrir les yeux, elle vit, et elle oublia. »

Le style original, plutôt poétique, qui place cette narration du point de vue d’une petite fille est touchant. L’amitié de Firuzeh avec Nasima, une fillette de son âge, amitié qui va perdurer au-delà des difficultés, constitue le cœur du roman. Si le mélange de réalité brutale, d’histoires et d’imagination enfantine déconcerte un peu, il est parfait pour montrer à quel point les enfants sont obligés dans ces conditions extrêmes de grandir trop brutalement. Le titre ne mentionne que Firuzeh, mais le petit Nour s’avère de plus en plus attachant aussi, au fil des pages. Leurs parents aimeraient les garder dans l’enfance, et leur racontent souvent des histoires issues de leurs traditions, du moins tant qu’eux-mêmes ont encore suffisamment d’espoir pour pouvoir en insuffler dans leurs contes. Il faut dire que les désillusions s’accumulent.
Quelques chapitres, dans un style différent, montrent des personnages secondaires, et l’une d’entre eux, arrivant à la fin du roman, semble correspondre au parcours de l’autrice. Cela renforce la réalité de l’histoire. La fin est tout juste formidable, et rattrape le rythme un peu lent du milieu de ce premier roman.

L’Odyssée de Firuzeh de E. Lily Yu, (On fragile waves, 2021), éditions de l’Observatoire, janvier 2023, traduction de Diniz Galhos, 296 pages.

Policiers et romans noirs en vrac (8)

Robert Galbraith, Le ver à soie, éditions Grasset, 2014, traduction de Florianne Vidal, 572 pages.
« Mais les écrivains sont une drôle d’engeance, Mr Strike. Si vous cherchez des amitiés sincères, généreuses et pérennes, engagez-vous dans l’armée et apprenez à tuer. Si vous préférez les liens éphémères avec des gens qui exercent le même métier que vous et se réjouiront de tous vos échecs, écrivez des romans. »

Dans ce deuxième tome de la série après L’appel du coucou (non chroniqué), Cormoran Strike, toujours avec l’aide de son assistante Robin, est mandaté par une femme pour retrouver son mari. Celui-ci, auteur à succès, a disparu depuis plusieurs jours, et l’affaire va se résoudre en deux temps. Tout d’abord, trouver où il a pu se cacher, ou être caché, et ensuite trouver qui est responsable de sa disparition. Le milieu de l’édition est l’occasion pour l’autrice de dresser des portraits féroces et par là même, une brochette de coupables potentiels. Mais le plus intéressant reste l’évolution des deux personnages récurrents, le détective et son adjointe.

Louise Mey, La deuxième femme, éditions du Masque, 2020, 340 pages.
« Elle n’a même plus besoin de consulter les conseils des experts en morphologie qui disent qu’en forme de huit il faut souligner la taille, qu’en forme de larme il faut accentuer le décolleté. Son corps à elle n’est jamais dans les magazines, il est en forme de débâcle et elle a appris lentement et douloureusement à sélectionner ce qui gommera au mieux ses défauts. »

Sandrine, jeune femme mal dans sa peau et solitaire, rencontre enfin un homme avec qui partager sa vie. Ce veuf éploré dont la femme a disparu l’émeut, et s’intéresse à elle. Ils en viennent à habiter ensemble, et, avec le petit Mathias, presque à former une famille. Mais lorsqu’une femme amnésique réapparaît, et que son compagnon reconnaît la mère de son enfant, la situation se dégrade rapidement pour Sandrine, qui devient « la deuxième femme ».
Je ne vous en dis pas trop sur le thème central, il ne manque pas de profondeur, et est fort bien traité. Il explique aussi certains choix stylistiques puisque c’est le point de vue de Sandrine qui est adopté. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, un thriller domestique, mais plutôt un roman noir sur un sujet de société malheureusement toujours d’actualité.

M.T. Edvardsson, Ceux d’à côté, éditions Sonatine, 2022, traduction de Rémi Cassaigne, 416 pages.
« Les gens sont comme des devinettes, et je n’ai jamais aimé les devinettes. Les réponses sont toujours tirées par les cheveux et ridicules. »

Ce roman, par contre, est clairement du genre à faire peur avec des situations quotidiennes et communes à tous, à savoir le voisinage. Je retrouvais là M. T. Edvardsson, après Une famille presque normale, qui ne m’avait pas déplu. Dans ce nouveau roman, un jeune couple, Mikael et Bianca, emménage dans une maison d’un quartier résidentiel. Ils ne connaissent encore personne dans la petite ville, et font rapidement la connaissance de leurs voisins, un couple de retraités, un homme qui vit seul et une femme qui élève seul son fils adolescent. Un accident survient très vite, et la narration alterne entre des chapitres « avant l’accident » et « après l’accident ».
J’ai écouté ce roman en livre audio, enfin, la moitié seulement, car c’était long, si long, que je m’endormais à tous les coups. J’ai trouvé le nombre de personnages trop restreints pour apporter un suspense vraiment intéressant, et de plus, tous sont proches du cliché, l’ex-mannequin trop aguichante, les retraités rigides, l’ado asocial… Bref, à oublier !

Noëlle Renaude, Les abattus, éditions Rivages noir, 2020, 410 pages.
« … elle se contente de savoir que la crédulité vous fait prendre des escrocs pour des humanistes, des charlatans pour des savants, des petits malins pour des génies, du blanc pour du noir, des œufs de lump pour du caviar, la force de conviction, les mots, le besoin de croire étant les armes les plus redoutables et les plus folles que l’homme ait imaginées. »

Un petit garçon aux parents absents, sans cesse chahuté par ses frères aînés, devient un ado admiratif du camarade plus favorisé, puis un adulte assez solitaire. Mais autour de lui, sans rapport les uns avec les autres, se déroulent des événements dramatiques : un couple est assassiné, une jeune femme disparaît. Est-ce en lien avec son frère qui trafique dans des affaires louches ?
Avec les éditions Rivages noir, il n’est pas difficile de faire de bonnes, voire de très bonnes découvertes. Ce roman de Noëlle Renaude, pour moi inconnue jusqu’alors, ne déroge pas à cette règle. Le style original donne un rythme très personnel au roman et de nombreux personnages secondaires ajoutent de l’efficacité à l’intrigue, ainsi qu’un changement de point de vue inattendu. Ce roman rappelle les bons romans noirs américains. Les petites villes françaises sont aussi des cadres de choix pour des histoires bien sombres !

David Joy, Nos vies en flammes, éditions 10/18, 2023, traduction de Fabrice Pointeau, 336 pages.
« Il fallait le faire. Parce que c’était comme ça que cet endroit était parti en sucette, quand les gens bien qui avaient vu le bateau prendre l’eau avaient refusé de boucher les trous avec leurs doigts. Ils avaient été trop nombreux à se taire et à ne rien faire, à se tenir en retrait et à regarder le monde se casser la gueule. Raymond Mathis en avait marre de le regarder sombrer. »

L’histoire de Ray Mathis, retraité veuf et père d’un junkie depuis de longues années, tourne mal lorsque son fils, une fois de plus, vient lui quémander de l’argent. Il s’agit cette fois d’une très grosse somme que Ricky ne peut seul rembourser. Excédé, son père décide de prendre en main les choses, d’autant qu’il se rend compte qu’il ne peut pas compter sur la police locale.
Une fois encore, ce sont les Appalaches qui servent de cadre à David Joy, après le formidable Ce lien entre nous. Et lui aussi, comme son personnage, s’attaque à la drogue qui détruit nombre de jeunes, laissant leurs familles désemparées. Comme dans le roman de Noëlle Renaude, ce sont les invisibles, les abonnés aux galères, aux boulots précaires et aux « remontants » en tous genres, qui sont au centre du texte. Un roman parfaitement documenté, ce qui ne l’empêche de toucher au cœur !

Peut-être avez-vous lu un ou plusieurs de ces romans ? Sinon, j’espère vous avoir donné des idées.

Lance Weller, Le cercueil de Job

« – Est ce que ça rend les choses plus grandes ou plus petites ? demanda-t-il encore. Savoir lire ?
– Les deux, dit Bell en regardant à nouveau autour d’elle à la recherche de mots. Avant ? Le monde était fermé. Mais il s’est ouvert et il continue à s’ouvrir à mesure que j’avance. »

Deux personnages se succèdent au fil des pages de ce roman, en plein Tennessee, entre 1862 et 1864. Bell Hood est une jeune esclave en fuite, obligée de se terrer toute la journée pour échapper aux chasseurs d’esclaves, et de marcher la nuit, en se repérant grâce aux étoiles. Le cercueil de Job est une constellation qui lui indique la direction à suivre. Quant à Jeremiah Hoke, il combat aux côtés du Sud sécessionniste, tout en réprouvant plus ou moins leurs convictions. Il se trouve pris dans l’épouvantable bataille de Shiloh, d’où il ressort estropié et en errance, plus perdu dans son esprit que jamais.

« Ce jour-là, les flammes s’élevaient directement de la terre, ondulaient dans l’herbe, elles avançaient en vagues d’un jaune orangé, montant et descendant, sifflant et crépitant. Des choses terribles passèrent inaperçues sur le moment – visions d’horreur, bruits, odeurs obscènes qui ne se manifesteraient que longtemps après, dans des rêves ou des éclairs de réminiscence qui prendraient des allures de rêve et couperaient le souffle des vieux soldats. Des choses amalgamées, fantasmagoriques, sanglantes et si épouvantables que personne ne pourrait croire qu’elles s’étaient véritablement produites, et encore moins qu’on avait pu y survivre. »

Ce qui frappe dans ce roman, c’est tout d’abord la guerre, celle du dix-neuvième siècle, comme on ne l’a jamais lue ailleurs, avec des bruits, des odeurs, un sol visqueux, des couleurs et des cris. Cela rappelle ces musées de batailles qui restituent les sons de l’artillerie et l’odeur de la poudre, en bien plus complexe et réaliste. Mais bien sûr, le point fort de Lance Weller, ce sont ses personnages, les principaux tellement humains, au coté desquels on a forcément envie de cheminer, même si leur chemin est loin d’être semé de roses. Sans oublier des personnages secondaires incarnés et vrais, pas seulement des faire-valoir. J’ai déjà lu quelques romans qui ont pour cadre la guerre de Sécession, souvent forts et prenants, mais rien de tout à fait comparable à celui-ci. Lance Weller est vraiment un maître, car après Wilderness et Les Marches de l’Amérique, il fait encore une fois très fort !

Le cercueil de Job de Lance Weller, (Job’s coffin) éditions Gallmeister, septembre 2021, traduction de François Happe, 480 pages.

Des avis sur ce roman chez Electra et Keisha

Russell Banks, Continents à la dérive

Ce livre attendait dans une de mes étagères le bon moment pour sa lecture, et malheureusement, c’est le décès récent de Russell Banks qui m’a fait l’en sortir. J’ai découvert cet auteur il y a bien longtemps maintenant avec De beaux lendemains (paru en 1993, mais je l’ai lu après avoir vu son adaptation par Atom Egoyan en 1997), roman et film qui m’ont marquée, et ensuite, j’ai surtout aimé les recueils de nouvelles Un membre permanent de la famille, L’ange sur le toit et Trailerpark, et le roman American darling. Je pourrais lire deux ou trois romans qui ne me sont pas encore passés entre les mains, mais tout d’abord, qu’en est-il de ma lecture de Continents à la dérive ? Va-t-elle me donner envie de poursuivre ?

« Ce n’est pas une histoire de malchance, Bob le sait, la vie n’est pas une combinaison de forces aussi irrationnelle que ça. Et même s’il n’est pas un génie, ce n’est pas une histoire de stupidité non plus, car il y a trop d’imbéciles qui se débrouillent bien dans le monde. C’est à cause des rêves. Surtout du rêve d’une nouvelle vie, de redémarrer de zéro. »

Continents à la dérive est un des premiers romans de l’auteur, écrit en 1987, et il a l’ambition de montrer les flux migratoires comme une sorte de tectonique des plaques, et de comparer deux cas particuliers, celui de Bob Dubois (prononcer Dou-boyz) quittant avec sa famille le New Hampshire froid et triste pour la Floride, et celui d’une jeune femme, Vanise, avec son bébé et son neveu, tous trois fuyant Haïti, la violence, la pauvreté et l’absence d’avenir.
Bob, qui a un bon boulot de réparateur de chaudières, possède une petite maison, une voiture et même un bateau, se morfond et déprime, trouvant son quotidien trop éloigné de ses rêves de jeunesse. Sa femme Elaine, bien que ne partageant pas cette vision des choses, lui propose de tout laisser pour une nouvelle vie en Floride. Là-bas, le frère de Bob, Eddie, a bien réussi, et va employer Bob, et au soleil, tout ira mieux.

« – Tu vas y arriver en Amérique, ça y a pas de doutes, gamin, et peut-être que comme moi tu y trouveras ce que tu cherchais. Je sais pas quoi. Mais il faudra que tu donnes quelque chose en échange, si ce n’est pas déjà fait. Et quand tu l’auras eu, ce que tu cherches, il se trouvera que c’est pas ce que tu voulais, tout compte fait, parce que ça vaudra toujours moins que ce que tu as donné pour l’avoir. Au pays des hommes libres, il y a rien de gratuit. »

Quant à Vanise et son neveu, ils doivent faire confiance à des passeurs pour espérer atteindre le mirage américain, la Floride où, c’est certain, tout ira mieux pour eux.
On s’en doute, le rêve américain est sérieusement mis à mal par la vision de Russell Banks, qui, essentiellement au travers du personnage de Bob, propose aussi des réflexions sur les choix de vie. Je ne nierai pas avoir ressenti quelques longueurs et un aspect un peu bancal par moment, entre les introspections de Bob et les scènes de vaudou haïtien, mais je pense qu’il faut les attribuer au fait qu’il s’agit d’un des premiers romans de l’auteur.
Toutefois, bien que ce soit un roman plutôt dense et loin d’être concis, j’en ai trouvé la lecture prenante. Aucun des personnages, qui se débattent comme ils peuvent pour atteindre leurs chimères, n’y est vraiment aimable, et pourtant, il est impossible de se désintéresser de leur sort, d’autant qu’une rencontre semble inévitable, mais quelle forme va-t-elle prendre, et avec quelles conséquences pour chacun ?
Ce n’est qu’une des interrogations de ce roman qui entremêle des thèmes captivants.

Continents à la dérive (Continental drift, 1987) éditions Actes Sud, Babel, nouvelle traduction de Pierre Furlan, 2016, 544 pages.

N’hésitez pas à lire l’avis d’Ingannmic !

Lecture du mois (28) décembre 2022

Pour finir l’année, je vous propose quelques retours sur des romans, dont certains plus exposés que d’autres, mais qui ont tous un petit quelque chose d’original… mais lisez plutôt.

Nous étions le sel de la mer de Roxanne Bouchard, éditions de l’Aube, août 2022, 336 pages.
« Cyrille, il disait que, si on choisissait la mer, elle nous fiançait, pour le meilleur et pour le pire. Il disait qu’elle glissait à notre doigt l’anneau argenté du soleil, qu’elle promettait l’horizon et qu’elle tenait promesse. »

L’arrivée de Catherine Day en Gaspésie, où elle vient à la recherche de ses origines, coïncide avec la découverte d’un cadavre dans les filets d’un pêcheur. Nouveau aussi dans la région, le policier Joaquin Morales bute sur des personnages taiseux et ses recherches ne progressent guère. Roman d’ambiance plus que véritablement policier, j’attendais beaucoup de ce livre qui m’a laissé un goût d’inachevé. Pourtant, le style fait la part belle aux images inédites, les dialogues ont du mordant et les personnages ne manquent pas d’intérêt, mais l’enquête se traîne et les affres du policier finissent par lasser. C’est du moins l’effet que cela m’a fait.
A recommander plutôt pour ceux qui cherchent un roman à l’atmosphère dépaysante, sans forcément de trame policière, ou disons avec une trame policière peinarde.

Le pays des phrases courtes de Stine Pilgaard, éditions le Bruit du Monde, mai 2022, traduction de Catherine Renaud, 288 pages.
« La chorale répète une chanson du soir, pendant qu’il commence lentement à pleuvoir, et dans le potager le vent souffle entre les choux frisés, qui tremblent comme des amants qui viennent de se séparer. »

La narratrice du roman, toute jeune mère, s’installe dans une région rurale de l’Ouest du Danemark et tente de s’adapter à l’atmosphère locale, à commencer par la manière de s’exprimer par phrases parfaitement anodines. Son mari est enseignant dans une højskole, type de lycée assez particulier au Danemark, qu’il faut découvrir. La jeune femme tente de passer son permis de conduire, trouve un petit emploi à la rubrique courrier du quotidien local, s’occupe de son bébé… Avec un style frais et plein d’humour, le roman ne manque pas d’atout, mais cette sorte de chronique rurale a du mal à enchanter sur la longueur et ne m’a pas complètement séduite.

L’autre moitié du monde de Laurine Roux, éditions du Sonneur, janvier 2022, 256 pages, Prix Orange du Livre 2022.
« Les paysans sont coriaces, ils serrent les dents. De temps en temps, la Marquise enregistre un décès. Quand il s’agit d’un homme, elle propose à un fils de prendre la relève. S’il n’y a pas de garçon, Madame prie la famille de quitter les lieux. Elle possède la quasi-totalité du delta, l’exploite en fermage. Madame a tous les droits. »

Dans le delta de l’Èbre, dans les années trente, la vie est rude pour les paysans, et plus encore pour leurs femmes. La petite Toya, enfant unique de Juan et Pilar, observe et tente de comprendre ce qui se trame, de quoi discutent les hommes, le soir, à la veillée. Alors que Pilar doit faire face à une situation terrible, sa fille grandit et s’éveille grâce à la proximité d’Horacio, le jeune enseignant de l’école communale.
Une deuxième partie plus contemporaine va apporter un autre éclairage sur cette très belle histoire, portée par une écriture qui donne des frissons, et de très beaux personnages.

Argonne de Stéphane Émond, éditions de la Table Ronde, août 2022, 128 pages.
« Le ciel est d’un bleu intrépide, bravache, il tend son orgueil, drapé dans ses plus beaux atours. La rosée fait scintiller une myriade de perles d’eau dans les hautes herbes. En y glissant la main on pourrait laver le visage des enfants. »

En juin 1940, toute une famille entasse possessions et enfants sur une charrette tirée par un cheval, pour fuir l’avancée allemande. Quelques jours seulement pour atteindre un village de l’Aube où des avions allemands font malheureusement une victime parmi les membres de la famille. Stéphane Émond refait le chemin emprunté par ses arrière-grands-parents, quatre-vingt ans après, interroge des maires et des personnes âgées. Et de retour dans son village, il questionne aussi sa famille, recherche de vieux documents.
L’auteur m’était inconnu, mais le titre et le sujet me parlaient. Dès les premières pages, l’écriture m’a séduite, et rien n’est venu gâcher mon plaisir de retrouver cette région de collines et de forêts, de croiser des noms pas vraiment inconnus, de toucher grâce à l’auteur des traces du passé récent d’une région souvent chamboulée par l’Histoire.
Dans le genre témoignage familial, voire filial, le texte est délicat, sans pathos, et les précisions toujours bienvenues et pleines de justesse.

Elizabeth Brundage, Point de fuite

Rentrée littéraire 2022 (6)
« Il ne fut bientôt plus possible d’échapper au succès de Rye. Pas un magazine prestigieux du pays qui ne publiât une ou deux de ses photos, et dans les soirées on parlait de lui comme de l’oeil de sa génération.
Adler ne gagnait pas seulement sa vie. Il avait réussi. »

Un soir, en rentrant de son travail, Julian Ladd apprend la disparition de son ancien ami et colocataire Rye Adler. Vingt ans plus tôt, tous deux avaient étudié la photographie à l’atelier Brodsky, mais seul Rye avait percé dans ce domaine, pendant que Julian trouvait un travail alimentaire loin de ce domaine artistique. Les informations sont étranges sur la mort présumée de Rye, qui se serait jeté d’un pont sur l’Hudson, près duquel seule sa voiture a été retrouvée.
Tout ceci remue les souvenirs de Julian, qui décide de se rendre à une cérémonie organisée à la mémoire du célèbre photographe.

« Vingt ans qu’il ne lui a plus parlé. Ils se sont fréquentés pendant une brève période, juste assez pour qu’il reconnaisse en elle le genre de femme capable de faire ressortir la part d’ombre qu’on a en soi. »

Après le très bon Dans les angles morts, j’attendais avec intérêt ce deuxième roman traduit en français. Il est fort bien fait, à plusieurs points de vue. Tout d’abord, il tient tout du long sur les interrogations suscitées par la disparition du photographe, jusqu’à des éclaircissements finaux qui tiennent parfaitement la route… Et même plus.
Ensuite, l’intérêt repose sur la psychologie des personnages, toute en finesse, puisque des chapitres sont consacrés à chacun d’entre eux, Julian, Rye, Magda, leur ancienne collègue de l’atelier, Simone, l’épouse de Rye, Theo, un jeune homme… Adoptant à chaque fois leur point de vue, ils font habilement progresser l’intrigue, en mêlant passé et présent. Je craignais au départ que tout soit trop centré sur le passé étudiant de Rye et Julian, ce n’est pas le cas, le monde actuel tient une grande place dans le roman, avec ses inquiétudes et ses excès.
L’autrice s’intéresse aussi réellement au monde de la photographie, et en parle très bien, on sent qu’elle n’a pas choisi d’attribuer ce métier à un personnage au hasard.
Entre thriller et roman psychologique, une lecture très prenante que je vous recommande.

Point de fuite d’Elizabeth Brundage, (The vanishing point, 2021), éditions de la Table Ronde, août 2022, traduction de Cécile Arnaud, 375 pages.

Michel Jean, Kukum

« C’est difficile d’expliquer le territoire d’avant. Le bois d’avant les coupes à blanc. La Péribonka d’avant les barrages. Il faut imaginer une forêt sautant d’une montagne à l’autre jusqu’au-delà de l’horizon, visualiser cet océan végétal balayé par le vent, réchauffé par le soleil. Un monde où la vie et la mort se disputent la préséance et au milieu duquel coule, entre des berges sablonneuses ou des falaises austères, une rivière qui ressemble à un fleuve. »

C’est la voix d’Almanda Siméon, arrière-grand-mère de l’auteur, qui nous arrive par-delà les années, pour raconter sa région et ce qu’elle est devenue. Kukum signifiant grand-mère en langue innu.
Orpheline d’origine irlandaise recueillie par un couple de fermiers québecois, elle a quinze ans lorsqu’elle rencontre Thomas, un jeune indien innu, et tombe amoureuse. Ils se marient très vite, et elle part avec lui, adoptant les us et coutumes du peuple de Thomas, notamment les pratiques nomades, l’hiver passé dans la forêt, où les hommes chassent pour recueillir des peaux qu’ils vendent au printemps, de retour au bord de Pekuakami, autrement dit le lac Saint-Jean. Almanda s’adapte bien, apprend la langue et toutes sortes de techniques, de chasse, de cuisine ou d’artisanat, qui lui étaient inconnues, elle entretient toujours une très belle relation avec Thomas, et aussi avec sa famille, puis des enfants naissent…

« Le bois arrivait de la rivière. Notre rivière, sur laquelle dansait des hommes armés de longues piques munies de crochets de métal à leur extrémité avec lesquelles ils dégageaient les troncs coincés par le courant entre les rochers. Dans nos canots, nous étions paralysés par l’effroi. Devant nous, la Péribonka, étouffant sous le poids des troncs, vomissait la forêt dans le lac. »

Jusqu’au jour où commence une déforestation massive, qui coupe à ces nomades tout accès à la rivière qu’ils remontaient chaque année, les obligeant à s’installer de manière pérenne au bord du lac, puis la scolarisation forcée des enfants, ainsi que l’arrivée du chemin de fer…
Malgré la très belle voix de Michel Jean, et sa manière toute pudique de raconter la vie d’Almanda, je suis restée un peu en marge de l’histoire, et j’en suis bien marrie ! Peut-être est-ce que retrouvant le même décor que La rivière de Peter Heller, dans un genre pourtant très différent, je n’aurais pas dû lire les deux successivement.
Je m’attendais aussi certainement à ce que la jeune mariée rencontre plus de difficultés au début pour s’intégrer à sa nouvelle famille, alors que tout se passe plutôt bien. Almanda est le prototype de la femme forte qui s’adapte avec facilité. La suite est moins rose, mais toujours sobrement racontée. Je reconnais volontiers que c’est un beau roman, aisé à recommander à toutes sortes de lecteurs.

Kukum de Michel Jean, éditions Points, 2022, 240 pages. (paru avant chez Dépaysages, 2020)

Michel Jean, journaliste et écrivain, est issu de la communauté Mashteuiatsh qui est la seule communauté autochtone du Nitassinan (« notre-terre » en langue innu) sur la rive ouest du lac Saint-Jean. Avant d’être une réserve, cette endroit, nommé aussi Pointe-Bleue, était un lieu de rassemblement commercial, mais aussi culturel, pour un peuple nomade, se déplaçant sur les rivières, ce que l’on retrouve dans le roman.
Cette communauté compte actuellement environ 6000 membres, dont un tiers réside sur place.
Un lien pour ceux qui veulent aller plus loin.

Lecture dans le cadre d’une activité autour des minorités/groupes ethniques lancée par Ingannmic (ce qui m’a incitée à mettre en mots mon avis sur Kukum, lu il y a plusieurs semaines !)