
« Autour de cinq heures du matin, alors que le jour commence à se lever et que le terre-plein est encore noir de monde, on déclare les résultats dans chaque catégorie. Le dernier nom à être annoncé est celui du champion. Un homme qui, à l’instant même où il reçoit sa couronne, est anéanti. »
Laborde, un village de l’ouest de l’Argentine, dans la province de Cordoba, est le théâtre chaque année d’un festival de musique, de chant et de danse traditionnels. La catégorie reine de ce festival est el malambo, danse traditionnelle des gauchos. Les jeunes danseurs se préparent tout au long de l’année pour être sélectionnés et une fois sur place, présentent une danse individuelle de quatre à cinq minutes, mais particulièrement intense pour le corps, la respiration, les articulations… Cela demande de nombreux sacrifices à ces jeunes issus de milieux modestes. Leila Guerriero, journaliste littéraire reconnue tant en Argentine qu’à l’étranger, a suivi plusieurs d’entre eux, et notamment Rodolfo Gonzalez Alcantara, celui-là même qui se trouve en photo sur la couverture du livre.
« Au début, le mouvement des jambes n’est pas lent mais il reste humain : une vitesse que l’on peut suivre. Ensuite, le rythme s’accélère, et il s’accélère encore, et il continue de s’accélérer jusqu’à ce que l’homme plante un pied sur le sol, qu’il reste là, extatique, regard vers l’horizon, après quoi il baisse la tête et se met à respirer comme un poisson qui lutte pour trouver de l’oxygène. »
La danse, l’Argentine, cela évoque le tango, mais cette danse en est en tout point différente. C’est une performance où l’endurance, la vitesse et la symétrie des gestes sont auscultés, analysés et notés par un jury des plus sévères. Ce n’était pas gagné pour moi d’aimer ce livre, tant le sujet était éloigné de mes centres d’intérêt. Pourtant dès le début, je me suis intéressée à ce festival atypique et notamment à cette chorégraphie masculine en forme de défi. Leila Guerriero revient constamment vers l’un des danseurs, jusqu’à lui rendre visite chez lui, à Buenos Aires et le suivre dans sa loge, très rustique, dans les moments qui précèdent la danse finale. L’autrice, tout en enquêtant de manière obstinée et passionnée, entretient un certain suspense, et au bout d’un moment, la narration obéit à un rythme qui finit par devenir hypnotique comme le malambo lui-même.
Un petit livre, mais très fort, dans le meilleur style du journalisme littéraire.
Une histoire simple de Leila Guerriero (Una historia sencilla, 2013), Christian Bourgois éditeur, 2017, traduction de Marta Martinez Valls, 140 pages.
A noter la parution récente (octobre 2021) chez Rivages, d’un autre texte d’importance de Leila Guerriero, Les suicidés du bout du monde.
Le mois latino-américain, c’est chez Ingannmic ici et là.
