S.A. Cosby, La colère

Ike Randolph et Buddy Lee Jenkins vivent tous deux en Virginie occidentale, mais pourtant dans des mondes séparés, l’un étant noir, ex-membre d’un gang, mais revenu dans le droit chemin pour sa famille, et l’autre, blanc, sorti de prison aussi, alcoolique vivotant d’expédients dans un mobil home délabré.
Ce qui aurait pu les rapprocher, ce sont leurs fils, Isiah et Derek, qui s’aiment, se marient, et ont même une petite fille. Mais aucun des deux pères n’accepte l’homosexualité de son fils, et c’est bien trop tard, lorsque les deux seront tués par balle dans une rue de Richmond, qu’ils regretteront de ne pas avoir su les écouter ou leur parler. Dès lors, l’idée de vengeance germe chez l’un, puis chez l’autre, d’autant plus que la police n’a aucune piste pour enquêter sur ce meurtre…

La colère qui les éperonne va occasionner des scènes de brutalité un peu trop nombreuses. Ce roman n’est pas un polar, la police en est presque absente et même peu souhaitée entre les pages, il s’agit plutôt d’un roman noir où l’enquête est menée par les deux ex-taulards, ce qui n’est pas invraisemblable… On y croit vraiment.
Les deux personnages donnent du piquant au roman, notamment Buddy Lee qui ne manque pas d’un humour pas toujours partagé par son « collègue ». Par contre, l’auteur, lui, a le goût de la métaphore bien sentie, et ne manque jamais de faire des portraits bien croquignolets des personnages croisés : « Le premier golgoth était doté d’une moustache noire si épaisse qu’on aurait dit qu’un chat avait élu domicile sur sa lèvre. Quant au second, il avait un strabisme qui devait lui permettre de vérifier les priorités à droite sans tourner la tête. »
L’évolution des deux pères, d’homophobes « de base » à plus de compréhension pour les différences, n’est pas mal vue, et donne de la profondeur à ce roman où l’action, pour ne pas dire la violence, n’est jamais loin. L’ensemble n’est peut-être pas follement original pour qui a déjà lu pas mal de romans noirs américains, mais si j’ai l’air de faire la fine bouche, comme ça, je ne me suis pas ennuyée un instant, et j’ai déjà en ligne de mire les deux autres romans de l’auteur !

La colère de S.A. Cosby (Razorblade tears, 2021) éditions Sonatine, 2023, traduction de Pierre Szczeciner, 368 pages, sorti en Pocket.

Athalie en ressort un peu lassée par les scènes d’action, Dasola le conseille absolument et c’est une réussite pour Nicole.
Aurais-je raté d’autres avis ?

Polars en vrac (11)

A l’approche des Quais du Polar lyonnais, une petite cure de romans noirs et polars s’impose. Voici donc mes lectures « de genre » de février et mars, avec des succès divers. J’en ai lu deux en version originale, mais ne passez pas votre chemin, car ils sont déjà traduits en français !

Commençons par un auteur dont j’affectionne l’écriture depuis la lecture de La constellation du chien. Ce fut, comme toujours, un plaisir de le retrouver dans une histoire policière assez mouvementée. Jack, déjà rencontré dans La rivière, a trouvé un job de guide de pêche pour quelques célébrités qui viennent se ressourcer dans un coin perdu du Colorado. Mais Jack se rend vite compte de détails bizarres, que ce soit dans le comportement du personnel ou dans l’aménagement des lieux. Même s’il déprime quelque peu, sa curiosité n’est pas totalement éteinte ! Beaucoup de thèmes se mêlent dans ce roman qui joue bien son rôle (de page-turner) sans être le meilleur cru de l’auteur.

Par une écriture immédiatement envoûtante, R. J. Ellory emmène les lecteurs dans le Nord du Canada, où des jeunes filles, sur plusieurs décennies, sont retrouvées mortes. Tout à leur peine, les familles acceptent la thèse d’une bête sauvage qui fait des ravages près des habitations. Seul Jack Devereaux, un enquêteur dans les assurances, revenu au pays, se pose des questions, d’autant plus que son propre frère se trouve parmi les suspects. Malgré ses qualités, notamment une superbe atmosphère, et des personnages complexes, ce roman comporte quelques longueurs et, à mon avis, ne révolutionne pas le genre.

Encore une ambiance hivernale pour ce quatrième roman de la série « Six versions » où Scott King, réalisateur de podcast, revient sur de vieilles enquêtes au travers du portrait de six personnages touchant de prèe ou de loin à l’affaire. Ici, il s’agit d’une jeune fille, trouvée morte de froid dans une tour, à l’orée du village où elle vivait, et était (très) connue comme créatrice de contenu sur Youtube. J’ai été prise par cette plongée très bien orchestrée dans les méandres d’un cold case, qui s’attaque aux thèmes de l’image, de la notoriété, de la jalousie, dans le domaine des réseaux sociaux.

Stanislas Kosinski vit dans une maison isolée, entourée de forêts et de garrigue, où il fréquente le moins d’humains possible et s’absorbe dans des travaux physiques pour éviter de ressasser son expérience traumatisante de militaire au Mali. Deux événements vont venir troubler sa tranquillité, l’installation d’une bergère sur un terrain limitrophe, et l’incursion de chasseurs qui tracent un chemin pour couper à travers ses terres. Dès lors, tout va déraper.
Si j’ai bien accroché au début du roman, le tournant pris ensuite, avec des incompréhensions totales entre les habitants du cru, même le maire, et Stan, m’a laissée plutôt indifférente et pressée d’en finir. L’écriture parvient presque à redresser la barre, et à faire croire à cette histoire, presque seulement.

Le quatrième volume des enquêtes de Sam Wyndham et son adjoint Banerjee se démarque des précédents par sa forme, qui alterne deux périodes et deux lieux, 1905 à Londres, avec le meurtre d’une jeune femme que Sam connaissait bien, et 1922, où il soigne sa dépendance à l’opium dans un ashram dans la région verdoyante de l’Assam. Des thèmes comme la montée du nationalisme indien, et le racisme, donnent beaucoup d’intérêt au roman, et le style de l’auteur entre toujours pour une bonne part dans le plaisir de lecture, ses comparaisons et formules humoristiques ne manquant pas d’alléger l’atmosphère.
Bien qu’un peu moins convaincant, au départ, que les trois premiers, peut-être à cause de l’alternance passé/présent, ou des personnages, le roman rebondit aux trois-quarts du texte. Un événement inattendu lui donne alors un nouvel élan. D’ailleurs, je conseille de ne pas lire des critiques trop détaillées qui en font part… Un bon roman, finalement !

Avez-vous lu ou pensez-vous lire certains de ces romans ?

Arttu Tuominen, La revanche

Le polar nordique est une source inépuisable de découvertes, et voici cette fois la Finlande, celle d’une petite ville sur la Baltique, celle aussi d’une boîte de nuit accueillant toutes sortes de communautés. Une nuit, un engin y explose, tuant cinq personnes et faisant de nombreux blessés.
Une équipe de la brigade criminelle est chargée de l’enquête, et parmi les policiers, Henrik Oksman. Lui qui avait toujours réussi à séparer sa vie privée et son métier se trouve plongé dans un dilemme infernal. Il était en effet présent dans la boîte de nuit, et l’a quittée peu de temps avant l’explosion en compagnie d’un homme qui s’avère être connu pour son homosexualité. Connu ne voulant pas dire accepté… Le lendemain de l’attentat, un individu revendique cette attaque sur les réseaux sociaux, prétendant mener une croisade contre l’homosexualité.

Ce roman fait partie d’une série, et vient en deuxième position, ce qui ne m’a pas gênée. Les personnages principaux en sont Henrik Oksman et son collègue Jari Paloviita, qui était, semble-t-il, plus central dans le premier volume. Je le saurai bientôt puisque je me suis déjà procuré Le serment. Voilà qui vous confirme que j’ai beaucoup aimé cette lecture, aux personnages bien campés et assez complexes pour qu’on s’intéresse autant à eux qu’à la découverte du coupable.
L’histoire, bien menée, voit son suspense aller en grandissant au fil des pages, et s’attache surtout à faire entrer dans l’esprit d’Oksman, à partager ses interrogations. Devra-t-il se dévoiler, dans un pays où la différence, sa différence à lui, n’est pas si bien acceptée que l’on pourrait l’imaginer ? Le jeune policier est très touchant dans son immense désarroi.
Ce roman a reçu plusieurs prix dans le monde du polar scandinave, et c’est bien mérité !

La revanche de Arttu Tuominen, éditions La Martinière, septembre 2023, traduction de Anne Colin du Terrail, 384 pages.

Lu aussi par Eve-Yeshé

Marc Villard, Ciel de réglisse

« En danseuse », la première nouvelle, est assez longue, avec une ambiance prenante et un style concis qui mène l’action plutôt rapidement, de Paris à Marseille. Sylvia, une jeune livreuse à vélo, ainsi qu’un jeune poète venu de Syrie et sa sœur en sont les personnages principaux. Dommage qu’il y ait des coquilles et des incongruités : une fillette de trois ans et demi joue au Monopoly, et plus loin, il est question de la mettre à la garderie ou à la crèche… Je peux comprendre que l’auteur ne s’y connaisse pas en jeunes enfants, mais à quoi sert l’éditeur ? Toute intéressée que je sois par les personnages, la manière qu’adopte l’auteur pour les faire vivre au travers de leurs actions et de leurs dialogues ne me séduit pas vraiment.

J’ai préféré la suite avec les courtes nouvelles à thème « jazz », globalement plus convaincantes, situées dans des milieux géographiques variés, courtes et bien tournées. L’extrait ci-dessus vous donnera une idée du style.
Dans le dernier texte, plus long et situé au Nouveau-Mexique, qui a donné son titre au livre, un chercheur français s’installe pour quelques mois aux États-Unis, avec sa femme, mais ce changement d’ambiance n’améliore pas leur relation.
Cette nouvelle me laisse dubitative. Ce n’est pas un problème de mise en place, ni de chute, je ne suis pas très attachée au genre de la nouvelle « à chute », et d’ailleurs, la fin n’est pas mal du tout. C’est plutôt le cœur même de l’action qui ne me convainc pas, le rythme donné par l’auteur ne fonctionne pas, de mon point de vue.
Je suis un peu étonnée de l’enthousiasme des amateurs de polars autour de Marc Villard, mais il est vrai que je n’accroche que rarement aux romans policiers français.

Ciel de réglisse de Marc Villard, Gallimard, octobre 2023, 192 pages.

En janvier, on lit des nouvelles sur une idée de Je lis, je blogue.

Idées de fin d’année (2)

C’est toujours plus délicat de recommander de la fiction à offrir, tant les goûts et les critères de choix varient d’un lecteur à l’autre. Voici en tout cas des livres qui m’ont marquée par leur qualité d’écriture et leur originalité.
Les liens renvoient au billet avec un avis plus détaillé, quand il y en a un, et certains sont déjà en format de poche… ils sont notés (*)

Celui qui veille de Louise Erdrich (*) une histoire très vivante et pleine d’humanité, dans le Dakota des années 50.
Leçons de Ian McEwan, un grand roman, foisonnant, sur l’Europe des soixante dernières années.
Un grand bruit de catastrophe de Nicolas Delisle-L’heureux, un roman d’apprentissage et d’amitié dans le Grand Nord canadien.

Soleil oblique et autres histoires irlandaises de Donal Ryan, à l’écriture éblouissante.
La femme paradis de Pierre Chavagné, un court roman « post-apocalyptique » remarquable par son atmosphère.
Rivage de la colère de Caroline Laurent (*) un beau roman sur le destin des îles Chagos, dans l’Océan Indien.

Les abattus de Noëlle Renaude, un beau roman noir, original et prenant.
Boccanera de Michèle Pedinielli (*) le début d’une série avec une enquêtrice qui sort des sentiers battus.
L’archipel des larmes de Camilla Grebe (*) encore une série (qui peut se lire en désordre) avec des romans remarquablement bien agencés.

On dirait des hommes de Fabrice Tassel, une histoire qui n’est peut-être pas tout à fait ce qu’elle semble être…
Body language de A. K. Turner, une nouvelle série qui a pour cadre une morgue londonienne, et c’est passionnant, si, si !
Maudit printemps de Antonio Manzini (*) un auteur italien de polars à découvrir sans faute !

Et voilà pour ces quelques idées, mais je suis certaine que vous aussi en avez à revendre !

Friedrich Dürrenmatt, La panne et La promesse

Pour finir le mois des Feuilles allemandes, voici un auteur suisse germanophone, dont j’avais déjà croisé le nom, sans avoir rien lu de lui. J’ai trouvé, et englouti coup sur coup, une pièce radiophonique dont il existe aussi une version pour le théâtre, La panne, et un roman policier, La promesse. Les deux explorent à leur manière le thème de la recherche de la vérité…

Un voyageur de commerce tombe en panne à proximité d’un bourg, et trouve à se loger dans une pension de famille. Plusieurs personnages se trouvent déjà là, ils semblent tous bien se connaître et se réunir régulièrement. Ils expliquent à Traps, le voyageur, qu’ils aiment à se retrouver pour rejouer des procès historiques ou, à l’occasion, le procès de l’invité du jour. Respectivement anciens juge, procureur, avocat et bourreau, ils vont, s’il l’accepte, jouer le procès de Traps.
Celui-ci, tranquille et persuadé de ne rien avoir à se reprocher, va se trouver très rapidement embarqué dans les filets de la culpabilité. C’est très bien fait et amusant, sauf pour l’accusé, et à la lecture, l’idée d’une pièce de théâtre se forme aisément, ou celle d’une « dramatique » à la radio. C’est une petite curiosité, pleine d’humour, qui se lit vite, à demander à votre bibliothécaire !

La panne de Friedrich Dürrenmatt, (Die Panne), éditions Zoé, 2010, traduction de H. Mauler et R. Zahnd, nouvelle traduction de la version radiophonique de 1955, 58 pages. Il existe une adaptation cinématographique d’Ettore Scola, « La plus belle soirée de ma vie » sortie en 1972.

Voici maintenant un texte plus consistant, un roman policier qui, s’il est bien représentatif de son époque, porte aussi les germes de genres plus actuels.
Un commissaire de police raconte à un écrivain spécialiste du roman policier ce qu’est devenu son talentueux adjoint.
L’inspecteur Matthieu, comme bien des policiers, s’est avéré obnubilé par une affaire non résolue, qui l’a amené à partir complètement en vrille. Il s’agit d’une fillette retrouvée morte en forêt, dans un début de roman qui rappelle le Petit Chaperon rouge. Un suspect idéal se trouvait à proximité et les villageois sont près de le lyncher, mais Matthieu le protège, certain qu’un autre coupable court encore. Sa réflexion le pousse à mettre en œuvre un stratagème pour coincer celui qui doit avoir plusieurs meurtres à son actif.
Si le versant psychologique du roman a légèrement vieilli, les prémisses du profilage étant assez rudimentaires, le portrait du policier est saisissant et le roman mené à son terme avec maestria ne déçoit pas du tout.
A découvrir si vous en avez l’occasion !

La promesse de Friedrich Dürrenmatt, (Das Versprechen), éditions Gallmeister, 2023, nouvelle traduction de l’allemand par Alexandre Pateau du roman paru en 1958, 192 pages. The Pledge, film américain réalisé par Sean Penn et sorti en 2001, est l’adaptation de ce roman policier de Friedrich Dürrenmatt.

Et vous, connaissez-vous cet auteur ?

Les Feuilles allemandes sont sur Livr’escapades et Et si on bouquinait.

Camilla Grebe, L’archipel des larmes

Tout commence en 1944, lorsqu’une femme est retrouvée morte chez elle, clouée au sol de son appartement. C’est Elsie, jeune auxiliaire de police, qui est appelée sur les lieux.
Ma première lecture de Camilla Grebe m’a intriguée dès le début, car je ne m’attendais pas à un polar historique. C’est alors que des années 40, et à la suite d’un événement qui prend au dépourvu, l’histoire continue dans les années 70, avant encore un autre saut temporel, puis un autre. Chaque époque est représentée par une femme policière, qui prend à chaque fois à cœur la recherche à propos de ces féminicides. La considération que leurs collègues masculins leur porte évolue au fil des décennies, même si beaucoup de progrès restent à accomplir. Cet aspect féministe m’a beaucoup intéressée, toutefois j’ai trouvé que pour les années quarante, le trait de la reconstitution historique était un peu grossi. Cela s’arrange par la suite, dès la première centaine de pages.
Alors, certes, il s’agit comme dans beaucoup de romans policiers, d’un tueur récidiviste, pour ne pas dire « en série », et ça peut sembler vu et revu. Mais non, pourtant, il faut admettre que ce roman ne manque pas d’originalité, et se dévore malgré son nombre de pages qui le fait entrer dans la catégorie « pavés ».
Elsie, puis Britt-Marie, Hanne et Malin, quatre policières bien différentes les unes des autres, dont le point commun est d’avoir croisé la route du « Tueur des Bas-Fonds ». Mais est-il possible qu’un même assassin ait sévi sur autant de décennies ? Voici l’énigme que Malin, l’enquêtrice du vingt-et-unième siècle, va devoir résoudre, quitte à se mettre, comme les policières qui l’ont précédée, en danger.
Pour amateurs et amatrices de polars venus du froid, voici une série qui promet des lectures addictives !

L’archipel des larmes, de Camilla Grebe (Skuggjägaren, 2019) Le Livre de Poche, 2021, traduit du suédois par Anna Postel, 576 pages.

L’avis de Eve-Yeshé. Et vous, connaissez-vous Camilla Grebe ?

Défis « Pavé de l’été » et « Auteurs des pays scandinaves« .

(vous pouvez cliquer sur les images)

Polars en vrac (10)

Rien de tel pour la canicule et le cerveau en mode survie que des polars, si possible issus d’une série passionnante et déjà éprouvée…

Avec ce roman, je poursuis une série dont les deux premiers volumes m’ont enchantée. On s’y trouve à Calcutta, en 1921, alors que Gandhi incite à la révolte sans violence contre le colonisateur anglais. Le capitaine Sam Windham et le sergent Sat Banerjee sont confrontés à des meurtres qui semblent liés entre eux, juste au moment où le Prince de Galles (pas Charles, n’est-ce pas, mais Edward) arrive pour une visite officielle. Il leur faut donc les élucider au plus vite, tout en évitant des manifestations et en combattant, pour Windham, son addiction à l’opium. Le roman commence sur les chapeaux de roue, par une scène qui va à cent à l’heure, et rien que pour ça, je le conseillerais, mais la suite est tout aussi prenante.
Bravo, Mister Mukherjee !
Lu aussi par Keisha.

Vous ne pourrez pas dire que la chaleur vous accable à la lecture de ce polar qui se déroule dans une morgue de Camden. Cassie Raven y est technicienne, et passionnée par son travail, elle en arrive à communiquer d’une certaine manière avec les morts qu’elle prépare. Lorsque le corps d’une de ses anciennes professeures arrive, soit-disant noyée accidentellement dans son bain, Cassie n’y croit pas, et se lance dans une quête pour établir la vérité.
Nouvelle série, nouveau personnage récurrent sous la plume alerte de A. K. Turner, scénariste et productrice de documentaires. Je n’ai eu aucun mal à découvrir ce nouvel univers original, ces nouveaux personnages, et j’ai dévoré le premier tome. Le ton enjoué n’empêche pas l’enquête d’être bien construite et de ne pas se cantonner au registre de l’humour. Un excellent dosage !
Vu aussi chez Eva.

A Naples dans les années 30, j’ai toujours grand plaisir à suivre le commissaire Ricciardi, l’homme que ceux qui sont morts de manière violente choisissent pour lui adresser leurs derniers mots. Idéal donc, cet indice qui tombe dans l’oreille du policier ? Pas toujours, comme cette fois où les paroles d’une prostituée de luxe assassinée semblent bien mystérieuses. Le Commissaire Ricciardi doit donc démêler, avec l’aide de son fidèle adjoint Maione, et du légiste Modo, qui des clients réguliers de la Vipera pourrait avoir perdu les pédales au point de la tuer.
Tout cela dans l’ambiance délétère de l’année 1932, où il ne fait pas bon trahir le fond de sa pensée devant les mauvaises personnes. Que dire, si ce n’est que ce roman est l’un de mes préférés de la série, que je ne manquerai pas de continuer.
Lu aussi par Actu du noir.

Avec Body language, voici le plus rafraîchissant, puisque l’action se déroule à Aoste, dans les Alpes italiennes, au tout début du printemps. Rocco Schiavone, toujours aussi emberlificoté dans ses aventures avec la gent féminine, se met en quête de l’assassin de son amie Adele, assassin qui le visait, lui. Je préviens tout de suite que ce roman est dans la parfaite continuité du tome 3 des enquêtes du policier originaire de Rome, et muté dans le Piémont. C’est donc à l’usage des lecteurs des trois premiers opus que je confirme l’excellente tenue de ce roman, tant du point de vue des personnages, que du déroulement de l’action. Avec, ce qui ne gâche rien, une écriture qui ne cède pas à la facilité.
Vous ne connaissez pas encore ? Il vous faudra donc commencer par Piste noire !
Lu également par Actu du noir.

Elizabeth George, Une chose à cacher

Je prends le rythme de croisière estival d’un billet par semaine, ce qui est mieux que rien, même si je lis plutôt deux ou trois livres dans le même temps… Voici pour aujourd’hui un retour vers une série que j’affectionnais il y a une quinzaine d’années, pour ses personnages récurrents et ses intrigues bien ficelées. Connaissez-vous l’inspecteur Lynley, ses adjoins Wilson Nkata et Barbara Havers ? Ce sont les personnages de l’américaine vivant à Londres, Elizabeth George, qui publie cette série depuis la fin des années 80.
Dans ce volume, on croise surtout Barbara, toujours aussi peu encline à manger sainement, ni à faire du sport :

« Barbara remarqua avec une pointe d’envie qu’elle avait des bras bronzés et incroyablement musclés, de même que ses épaules. A l’évidence , elle pratiquait une activité physique régulière et intense. Sans doute surveillait-elle aussi son régime alimentaire. Barbara en regretta presque d’avoir mangé des chips et des biscuits fourrés. Mais ce « presque » l’incita à penser que ces remords ne s’attarderaient pas plus que d’habitude. »

Elle enquête sur le meurtre d’une jeune policière d’origine nigériane, qui enquêtait sur les cliniques clandestines où sont pratiquées, en plein cœur de Londres, des excisions sur des fillettes dont les parents, certains d’entre eux, du moins, tiennent à garder ces coutumes cruelles d’Afrique de l’Ouest.

« Ce qu’on inflige à ces filles, c’est ancré dans leur culture, et c’est comme ça qu’ils le justifient. Les associations, la loi, les tribunaux… Rien ne les arrête. Vous savez ce qui se passe dans ce pays à l’heure actuelle ? La majorité des gamines sont excisées avant 5 ans. Une enfant aussi jeune n’a pas les mots pour raconter ce qu’on lui a fait ou ce qu’elle risque. Elle ne peut pas chercher de l’aide auprès d’un enseignant ou de la police. Son cerveau ne forme pas encore de souvenirs précis. »

Le thème qui tient à cœur à Elizabeth George dans ce roman, tout comme il obsédait Teo Bontempi, la policière assassinée, est celui des mutilations génitales faites aux petites filles. Le sujet est grave, dur, et l’autrice s’est donné les moyens de le traiter correctement et avec amplitude, par le biais de différents personnages, dont les plus touchants sont la famille Bankolé, la mère Monifa, le grand frère Tani, amoureux d’une jeune fille anglaise, et la mignonne petite Simi de huit ans, pour laquelle son père forme déjà des projets.
C’est un roman fort bien mené, riche de détails et d’exemples, passionnant dans le déroulement de l’enquête et toujours habilement nuancé de petites réflexions pleines d’humour, notamment par le biais des personnages récurrents. Certes, le grand nombre de personnages et les fils qui se croisent et s’entrecroisent sans cesse poussent à soupirer et à imaginer plus de concision dans l’écriture, mais l’ensemble se tient bien, fait plaisir à lire lorsqu’on connaît la série et éclaire sur des problèmes contemporains qui, une fois encore, montrent que le patriarcat n’en a pas fini d’imposer ses vues. Une lueur d’espoir apparaîtra toutefois…

Une chose à cacher d’Elizabeth George, (Something to hide, 2022) éditions Presses de la Cité, octobre 2022, traduction de Nathalie Serval, 688 pages.

Et un duo « pavé de l’été » et « épais de l’été » de plus !

Jake Hinkson, Rattrape-le !

« Et alors qu’on lui a enseigné que la Bible est censée éclairer ces choses, cela arrive rarement. Entre les mille femmes de Salomon et la virginité perpétuelle de Jésus, elle n’est jamais certaine de ce qu’elle est censée penser du sexe. »

Dans une petite ville de l’Arkansas, Lily, dix-huit ans, fille aînée du pasteur Stevens, est enceinte et sur le point de se marier avec Peter, lorsque celui-ci disparaît. Il a quitté son lieu de travail, mais aussi emporté une valise avec quelques effets, ce qui laisse croire à une fuite face à ses responsabilités imminentes. Mais Lily n’y croit pas, et en cherchant Peter, va faire apparaître bien d’autres possibilités que la fuite pure et simple. Elle trouve de l’aide en la personne d’Allan, quadragénaire homosexuel, qui se trouve aussi être de sa famille. Lily, toujours animée par une grande détermination, va aller de découverte en découverte, surprenantes voire même macabres…

« – Il n’a pas de portable. Sœur Cynthia ne croit pas aux portables.
– Ah bon ?
– Oui.
– Dans la Bible, il y a quelque chose contre les portables ?
– Non, la plupart des adultes de notre Église en ont un. Mais Sœur Cynthia a sa propre interprétation des Écritures. Elle pense que les portables sont des portes ouvertes sur le péché. »

C’est un plaisir, après Au nom du bien et Sans lendemain, de retrouver Jake Hinkson, toujours aussi remonté contre l’église et contre ceux qui réussissent à tirer profit de la religion pour assouvir leur soif de pouvoir ou d’argent. Les réactions de la famille et de la communauté religieuse à la grossesse de Lily sont variées, mais jamais caricaturales, et la jeune fille découvre au cours de ses recherches des milieux qu’elle ne soupçonnait pas, tant elle avait été préservée jusqu’alors. Sa prise de conscience et son évolution ne manquent pas d’intérêt et sont finement décrites.
Dans un registre jamais dépourvu d’humour, quoiqu’un peu plus poignant que dans ses précédents romans, avec des personnages toujours aussi bien portraiturés et une histoire enlevée qui ne laisse pas de place à la lassitude, Jake Hinkson réussit encore une fois fort bien son coup !

Rattrape-le ! de Jake Hinkson (Find him, 2022), éditions Gallmeister, mai 2022, traduction de Sophie Aslanides, 384 pages.
Lu aussi par Dasola et Yvon.