Rentrée littéraire 2020 (6)
« C’est une grue de ma taille, un mètre soixante-dix, par là. Ses jambes m’arrivent aux hanches, ses yeux ambre ronds semblent fixer les miens. L’ovale incliné de son corps, dans un long cocon de plumes grises, suggère d’immenses ailes repliées. Elle trépigne et recule, ses pattes tridactyles grattent le pavé. Je ne veux surtout pas qu’elle s’envole avant que je l’ai photographiée, alors je garde mon calme. À mes pieds, Dinah crache encore, mais le grand oiseau ne s’en offusque pas : il ne nous entend pas. »
L’apparition d’une impressionnante grue Antigone marque pour Isis, une jeune femme végan et active dans la défense des animaux, le début d’une étrange série de découvertes. Des animaux d’espèces peu communes arrivent brusquement dans la ville, s’approchent des habitations, voire s’invitent à l’intérieur des maisons. Lors d’une fête de famille, Isis prend conscience qu’il s’agit en fait de transformations d’humains en animaux d’espèces variées. Cette pandémie inédite touche essentiellement les hommes, mais quelques femmes et enfants disparaissent aussi, qui devenu araignée, qui transformé en marcassin.
« Le monde échappait aux humains, qui ne pouvaient plus que prendre soin des rescapés dont ils héritaient. Espérer que les circonstances s’adoucissent ou que le hasard se remette à jouer en leur faveur ne conduirait qu’à une déception plus douloureuse encore que le désespoir assumé et embrassé. »
Le point de vue d’Isis adopté par l’auteur, qui alterne toutefois première et troisième personne, est celui de quelqu’un de très sensible à la cause des animaux, plus attachée à son chat Dinah qu’aux membres de sa famille, et qui prend donc plutôt positivement cette situation. L’auteur profite de la voix d’Isis pour tenter de faire partager ses convictions et ses interrogations concernant la défense des droits des animaux, ou la fin du règne des humains sur Terre.
Troublant par certaines scènes de métamorphoses, et remarquable par sa langue recherchée, ce deuxième roman de Camille Brunel ne peut que frapper. Il est singulier, même pour qui a déjà lu un certain nombre de dystopies, et hormis quelques petits défauts mineurs, comme de présenter trop de personnages en même temps au début du roman, et quelques scènes un peu redondantes, il pousse à réfléchir aux multiples facettes de notre rapport aux animaux, qu’ils soient domestiques ou sauvages, qu’ils constituent ou non une part de notre alimentation.
Le roman mène sa logique jusqu’à un final aussi visuel qu’impressionnant. Une intéressante découverte !
Les métamorphoses de Camille Brunel, éditions Alma, août 2020, 204 pages.
Repéré chez Nicole.