Comme bien souvent quand je peine à écrire des billets d’une certaine longueur, je regroupe quelques courts avis sur des livres lus fin octobre et en novembre, ou disons, commencés avec plus ou moins de succès…

Valérie Manteau, Le sillon, éditions Le Tripode, 2018, 272 pages, existe en poche.
« Alors, quelles sont les nouvelles du pays des droits de l’homme ? Je me demande si c’est ironique, mais non. J’essaie de continuer à lire un peu la presse française, qui paraît outrageusement futile et autocentrée quand on ne vit pas dans Paris intra-muros, quand on est par exemple sur un balcon surplombant Istanbul. »
Il y a quelque chose d’immédiatement attachant dans ce roman, peut-être le genre hybride, mi-souvenirs, mi-roman, et un certain humour, et aussi la manière très chaleureuse de présenter les rues et les habitants d’Istanbul, loin des clichés. Pourtant, après une soixantaine de pages passionnantes sur le pays, sur la langue, et à propos de Hrant Dink, journaliste arménien turc assassiné en 2007, un chapitre sur la Turquie face à l’Europe s’avère plus indigeste. Ensuite, je n’aime pas quand il y a trop de citations et d’insertions provenant d’articles ou de livres divers. L’histoire personnelle de la narratrice avec son ami turc ne me parle pas trop non plus. J’ai donc laissé le roman de côté pour peut-être le reprendre plus tard.
Je suis d’accord avec Saphoo sur Babelio
Delphine de Vigan, Les loyautés, éditions JC Lattès, 2018, 208 pages, sorti en poche.
« Un jour, il aimerait perdre conscience, totalement.
S’enfoncer dans le tissu épais de l’ivresse, se laisser recouvrir, ensevelir, pour quelques heures ou pour toujours, il sait que cela arrive. »
J’ai retrouvé Delphine de Vigan dont je n’ai lu que Les heures souterraines et D’après une histoire vraie, avec ce roman qui est plutôt dans la veine du premier. Hélène, qui enseigne les sciences en collège, remarque le comportement étrange de Théo, l’un de ses élèves. Persuadée qu’il est maltraité, elle va remuer sa hiérarchie, rencontrer la famille, dans une sorte de loyauté avec elle-même qui apparaît au cours du récit. C’est un roman très abordable, qui expose sans fard le mal-être et l’alcoolisme adolescents, qui explore aussi d’autres facettes du monde contemporain, avec des personnages pas si secondaires que ça, la vie de couple et les proches qu’on ne connait pas vraiment, Internet, l’amitié… Les personnages manquent parfois de nuances et trop de thèmes sont abordés, pour un roman court, ce qui donne une légère frustration en tournant la dernière page.
L’avis d’Anne
Rana Ahmad, Ici les femmes ne rêvent pas, éditions Globe, 2018, traduit de l’allemand par Olivier Manonni, 304 pages.
« En Arabie saoudite, se détourner de l’islam est puni de mort. Je sais bien qu’il existe d’autres religions, celles des chrétiens, des juifs, des bouddhistes. Mais l’idée qu’il puisse exister des gens qui ne croient pas du tout m’est incompréhensible. »
Il s’agit ici de vécu, et non d’un roman. Rana Ahmad revient sur son enfance en Arabie Saoudite, avec les étés en Syrie, sur sa jeunesse et son mariage raté, elle raconte aussi le quotidien des femmes saoudiennes, privées de tout et cachées des convoitises masculines par des épaisseurs de tissu noir, dénuées de tous droits et même de toute identité (elles sont fille de… ou femme de…). Dans ce carcan, échapper à des agressions sexuelles de proches, fuir un mariage arrangé ou devenir athée, tout cela peut sembler inimaginable, et pourtant Rana l’a fait, soutenue uniquement par l’amour inconditionnel mais discret de son père. C’est d’Allemagne où elle est réfugiée qu’elle a écrit ce témoignage fascinant et bouleversant. Dommage que le récit, si dramatique soit-il, soit desservi par un style sans relief, que l’on remarque davantage lorsque la tension se relâche.
Le billet de Keisha
Nathacha Appanah, Le ciel par-dessus le toit, Gallimard, 2019, 128 pages.
« Bon sang, comment faut-il la mener cette putain de vie pour qu’elle ne vous morde pas au quotidien ? Phénix avait pourtant fait tout le contraire de ses parents, […] elle leur avait donné des prénoms de fauve et d’oiseau, elle leur avait donné des griffes et des ailes, mais ça n’avait servi à rien. »
Superbe roman sur l’amour maternel et la transmission des failles héritées de l’enfance, le roman débute au moment où Phénix apprend que son fils Loup, dix-sept ans, est placé en détention pour avoir pris et conduit la voiture de sa mère, provoquant un accident. J’avais cru que le roman allait se dérouler dans l’Océan Indien comme Tropique de la violence, il n’en est rien, mais l’écriture sensible est encore plus marquante que dans ce roman précédent.
Le texte est court, poétique et ciselé, et il propose une très belle réflexion. Que demander de plus ?
Luocine convaincue aussi.
Dan Chaon, Une douce lueur de malveillance, éditions Points, 2020, traduit par Hélène Fournier, 528 pages.
« Les souvenirs n’étaient pas plus fiables que les rêves. »
Dustin est un psychologue qui a un lourd passé, ses parents ont été assassinés alors qu’il avait treize ans. Son frère adoptif accusé des meurtres vient tout juste de quitter la prison après une trentaine d’années d’incarcération. Dustin reçoit un patient qui l’intrigue avec ses recherches sur des disparitions d’étudiants.
Ce roman est très particulier dans sa forme, avec par moments une présentation par colonnes, ou par tableau. C’est un aspect intéressant, de même que l’exploration sur le thème de la mémoire et de la vérité. J’ai trouvé malgré tout l’histoire assez prévisible, tout en étant compliquée à lire, et dérangeante dans sa manière de mêler quotidien fade et événements morbides. De Dan Chaon, j’avais beaucoup aimé Cette vie ou une autre, cette fois, j’ai abandonné à la moitié, sans grand regret…
Eva, elle, est enthousiaste.