« Ce n’était pas un rêve. Il était bien éveillé. C’était bien lui, le commissaire Maigret, de la Police Judiciaire, qui était là, à plus de dix-mille kilomètres de Paris, à assister à l’enquête d’un coroner qui ne portait ni gilet ni veston et qui avait pourtant l’air sérieux et bien élevé d’un employé de banque. »
L’affaire se passe en 1949. Au sortir d’un bar de Tucson, Arizona, la jeune Bessy Mitchell, dix-sept ans et déjà mariée, se fait raccompagner par son cavalier, un militaire de la base aérienne toute proche, et les quatre camarades de celui-ci. Mais tous sont passablement éméchés et après une dispute, Bessy décide de rentrer à pied. Son corps est retrouvé le lendemain matin sur la voie de chemin de fer.
Le roman retrace toute l’enquête du coroner, enquête publique où un jury va devoir trancher. S’agit-il d’un accident, d’un suicide, de non-assistance ? S’il s’agit d’un crime, les suspects sont nombreux, un des cinq militaires, le mari de Bessy, une rencontre de hasard ? Les témoins se suivent et se contredisent, et plongent le commissaire Maigret, qui revient de jour en jour assister au procès, alors qu’il devrait suivre son homologue du FBI dans ses enquêtes sur le tout récent trafic de marijuana, dans la perplexité.
« C’était une misère que l’on comprenait, dont on pouvait retrouver l’origine et suivre la progression.
Ici, il soupçonnait l’existence d’une misère sans haillons, bien lavée, une misère avec salle de bains, qui lui paraissait plus dure, plus implacable, plus désespérée. »
Le hasard m’a fait prendre ce roman de Georges Simenon à la médiathèque, car pour préparer le mois belge, quoi de mieux que de retrouver cet auteur, avec son policier fétiche ou pas ?
Là, l’originalité du roman réside dans le fait que le commissaire Maigret est en stage d’observation avec un agent du FBI à Tucson, en Arizona. Voilà donc une sorte de Candide chez les Yankees, qui observe avec circonspection la manière de mener l’enquête devant un jury. Le jury en question devra décider s’il s’agit d’un crime ou d’un accident, et le cas échéant, mettre un suspect en examen. Cette manière de faire pose bien des questions à notre commissaire, heureusement assez doué en anglais pour suivre les débats. Il saura bien évidemment au moment opportun et en toute discrétion mettre son grain de sel pour désigner celui qu’il pense coupable.
La lecture d’une affaire menée par le commissaire Maigret est habituellement l’occasion d’une plongée dans la France des années 50, mais là, le dépaysement est des plus inattendus. Racontée avec un sens de la formule qui fait mouche et un talent d’observation inimitable, cette affaire se lit avec plaisir, enfin, sauf du point de vue de la malheureuse victime, qui manqué de chance ou bien fait une très mauvaise rencontre ce soir-là.
Maigret chez le coroner de Georges Simenon (1949) éditions du Livre de Poche, 2001, 189 pages.
Lecture pour le mois belge organisé par Anne.
