« Acculée, la Navy n’eut d’autre choix que de réquisitionner pour l’escadre d’Anson cinq cents soldats invalides du Royal Hospital, une institution établie au XVIIe siècle à Chelsea pour des vétérans devenus “vieux, éclopés ou infirmes au service de la Couronne”. Nombre d’entre eux avaient la soixantaine bien tassée et ils souffraient de convulsions, étaient perclus de rhumatismes, durs d’oreille, en partie aveugles, ou bien il leur manquait plusieurs membres. En raison de leur âge et de leur extrême faiblesse, ces soldats avaient été jugés inaptes au service actif. »
Je ne prétendrai pas être la première à parler de ce formidable récit, d’autres billets l’ont déjà très bien fait depuis sa parution. David Grann a choisi de parler d’une expédition formée en 1740 par la Royal Navy, dans le but plus ou moins avoué d’aller récupérer un trésor sur un galion espagnol. Mais pour cela il faut d’abord une flotte de cinq navires armés jusqu’à ras bord de mousquets, de poudre et de canons, puis recruter des marins et des soldats, des officiers et des canonniers… Ce qui n’est pas le plus facile, la chance de se sortir d’un tel voyage ne dépassant guère une sur deux, si tout se passe bien. Pour les marins du Wager et du reste de la flottille, ce sera bien pire puisqu’on sait dès le prologue que seule une trentaine d’hommes sur les deux cent cinquante que comptait le navire sont revenus en Angleterre.
Après avoir vu l’équipage décimé par le typhus et le scorbut, contourné à grand peine le Cap Horn, et avoir perdu de vue le reste de l’escadre, le Wager fait naufrage près de la côte chilienne, dans une région rude et inhospitalière où vivent quelques autochtones. Les rescapés se réfugient sur une île, tentent d’organiser un campement, mais des clans se forment et s’affrontent, réduisant encore leurs chances de survie. Et les mois passant, les conditions vont en se dégradant, jusqu’à ce que certains d’entre eux décident de construire un navire avec les restes du Wager.
« Les mers de l’extrême Sud étant les seules eaux à circuler sans obstacle autour du globe, elles accumulent une puissance démesurée, avec des vagues qui se forment sur des distances de plus de vingt mille kilomètres, gagnant en intensité à mesure qu’elles roulent d’un océan à l’autre. Enfin, à leur arrivée devant le cap Horn, elles se retrouvent enserrées dans un étroit couloir entre les terres continentales de la pointe sud du continent américain et la partie la plus septentrionale de la péninsule antarctique. Ce détroit, appelé le passage de Drake, rend le déferlement maritime d’autant plus ravageur. Les courants ne sont pas seulement les plus longs de la Terre, mais aussi les plus féroces, transportant plus de cent millions de mètres cubes d’eau par seconde, soit plus de six cents fois le débit de l’Amazone. »
Évoquer de manière globale l’équipage du Wager n’est pas rendre justice au livre, qui dessine des personnages aussi réels que fascinants : le commandant Cheap, le jeune John Byron, le canonnier Bulkeley, entre autres.
J’ai été embarquée des le début par le style de David Grann, et me suis demandée si je pourrais lire un autre roman de navigation après cela. Réussir à rendre aussi vivante chaque manœuvre, chaque épisode, du recrutement de l’équipage aux maladies des marins, de l’ascension de la grande voile à la charge des canons, je gage que peu d’auteurs sont capables de le faire aussi bien !
Et ce n’est là que le début. Les parties concernant la survie des naufragés, le retour d’un petit nombre d’entre eux, le procès où les différentes versions s’affrontent, entre accusations de mutinerie, et dénonciation d’abandon de poste, sont tout aussi passionnantes. Ce qui tient à la masse de documentation lue et « digérée » pendant cinq ans par David Grann, et aussi et surtout à sa manière de restituer tout ce matériau historique de manière expressive et exceptionnellement captivante.
J’avais été éblouie par La note américaine, je l’ai été tout autant par Les naufragés du Wager, mais un peu moins par The white darkness, c’est bien dommage.
Les naufragés du Wager de David Grann, (The Wager, 2023), éditions du Sous-sol, août 2023, traduction de Johan-Frédérik Hel Guedj, 448 pages.
Première étape du Book-trip « en mer » orchestré par Fanja. Vous trouverez tous les renseignements ici, et d’autres lectures de ce roman, parmi d’autres évasions maritimes.
J’ai souri en voyant la première citation. Cette partie du roman m’a beaucoup amusée. Pour le reste, je suis comme toi, j’ai été complément embarquée dans cette histoire. David Grann a l’art de restituer les faits. C’est captivant.
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Dès les premières pages, avec le recrutement de l’équipage, j’étais complètement ferrée ! Et la suite ne m’a à aucun moment ennuyée.
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ça a l’air très prenant!
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Tout à fait, c’est tout un art de raconter des faits historiques d’aussi belle manière.
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Un auteur toujours pas lu malgré les billets positifs qui se succèdent sur la blogosphère. Ça viendra j’espère ..
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Ce sont des livres qui se lisent aussi bien que des polars (je pense à La note américaine) ou des romans d’aventure.
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Ayé , je ne l’ai pas encore, le bouquin est emprunté… J’espère aimer autant que les autres!
Sinon, c’est fou ce qui existe de livres pour ce book trip, j’ai plein d’idées à la bibli;
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Bon, les lecteurs précédents prennent leur temps !
J’ai remarqué aussi que les idées ne manquaient pas.
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j’ai aussi été embarquée dans ce roman . Un excellent livre tellement bien documenté et écrit.
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C’est rare que l’aspect « bien documenté » n’alourdisse pas à la narration : là, c’est parfaitement réussi.
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Hourra, j’ai trouvé la version audio, je me la mets entre les oreilles tout bientôt !
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Je serais curieuse de savoir ce que ça donne de l’écouter : j’imagine que ça doit chalouper !
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C’est en effet un excellent livre, passionnant du début jusqu’à la fin !
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Je ne saurais mieux dire !
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Bonjour Kathel, l’histoire est intéressante, on s’y croirait. Cela fait penser à l’expédition de Lapérouse (qui s’est moins bien terminée). Bonne journée.
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Côté français, l’expédition Lapérouse est plus connue, malheureusement pour ses participants.
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J’attends sa sortie poche, il est un peu encombrant à transporter dans sa version grand format, et j’ai trouvé d’autres titres pour le Book Trip en mer… j’avais adoré La note américaine, et aussi apprécié Le Diable et Sherlock Holmes, qui est une compilation de sujets de reportages très variés mais ayant comme point commun de sortir de l’ordinaire (on y apprend en effet des drôles de trucs !)..
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C’est sûr qu’il est d’un format plutôt « canapé » que « sac à main » ! 😉
Je note Le diable et Sherlock Holmes.
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Je
Je l’ai noté plusieurs fois et je le lirai sans doute un jour car le sujet et l’auteur m’intéressent
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Tu peux foncer si tu as l’occasion de le lire !
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Tu as visiblement commencé très fort ton book trip, je comprends que tu craignes des voyages moins palpitants pour la suite… Mais il y a de nombreuses pépites maritimes heureusement 😀 La note américaine est en tête de ma sélection David Grann, mais Les naufragés du Wager est en bonne position aussi. Quoique la suggestion d’Ingannmic soit très tentante aussi…
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La note américaine est un incontournable, à mon avis !
Je compte bien continuer le voyage en mer, ce n’est pas un genre qui m’attire d’habitude, mais le fait de lire ensemble est motivant.
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C’est la même chose pour moi, je suis clairement plus montagne que mer, mais ce Book trip est l’occasion de naviguer un peu.
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Je croyais avoir déjà lu David Grann mais je ne me souvenais plus du titre. J’ai fait des recherches et non, apparemment, je ne l’ai jamais lu. MAIS je suis tombée sur ce titre irrésistible: « Le diable et Sherlock Holmes » ! Je vois qu’il fait 540 pages et je me dis que ce serait pas mal pour les Pavés de l’Ete… 😀
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Hé oui, ce serait une très bonne idée pour l’été. 😉
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Très envie de lire ce livre. j’ai déjà La note américaine, toujours pas lu, cependant.
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As-tu lu l’histoire du Batavia? Un navire qui fit naufrage également, et qui malheureusement avait à son bord un bonhomme pas franchement recommandable (voire carrément psychopathe). j’ai lu un récit à ce sujet, qui était lui aussi palpitant. je te laisse le lien vers mon billet de l’époque. (http://ya-dla-joie.over-blog.com/article-batavia-118026606.html). C’est donc en anglais, mais il y a aussi eu une BD (http://ya-dla-joie.over-blog.com/article-jeronimus-dabitch-pendanx-118226425.html)
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Je viens d’aller lire tes billets. Je pencherais plutôt vers la BD que vers le roman en anglais, d’autant que tu ne sembles pas emballée par l’écriture… Merci pour l’info en tout cas.
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bonjour,
Les naufragés du Batavia existe en Français. Il s’agit en revanche d’une écriture plus impersonnelle. Beaucoup plus journalistique ou historique. L’horreur est poussé bien plus loin sur les relations humaines. En revanche on sent moins la puissance et la durete des éléments qui sont très présentes dans Wager. À+
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Merci pour ce commentaire.
Après recherche, j’ai trouvé Les naufragés du Batavia de Simon Leys, il ne s’agit donc pas du livre cité par Choup qui est de Peter Fitzsimons. La mer et les naufrages ont beaucoup inspiré les auteurs !
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J’ai aussi beaucoup apprécié ce récit mais je lui ai préféré « Endurance« , d’Alfred Lansing que j’ai trouvé encore plus prenant et haletant (un de mes coups de cœur de l’an dernier).
Même si tu n’as pas accroché à « The White Darkness » (que je n’ai pas encore lu) qui évoque la traversée de Shackleton, tu devrais, je pense, prendre du plaisir à lire un nouveau récit de navigation 😉
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Pourquoi pas, j’ai vu que Endurance était sorti en poche, je me « permets » donc de le noter ! 😉 Ce n’est pas que je n’ai pas accroché à The white darkness, c’est qu’il est moins dense que La note américaine qui était ma référence.
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Je crois que je peux l’emprunter à mon frère, j’ai un filon ! J’aime vraiment beaucoup ce thème et j’y participerai avec un de mes livres de jury la semaine prochaine.
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C’est parfait si un de tes livres du jury rentre dans le thème, je suis curieuse de te lire. Quant aux Naufragés du Wager, il est hautement recommandable et… recommandé ! 😉
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Oui, hein, une fois qu’on a lu les Naufragés du Wager, la barre est haute pour les autres romans maritimes !:) Et ce qui est impressionnant, c’est que Grann arrive en effet tout autant à nous passionner sur une histoire de naufrage que pour un tout autre sujet, comme dans la Note américaine. Très dommage que The White Darkness ne soit pas à la hauteur. C’est une de mes prochaines lectures, auteur chouchou oblige, mais au moins je suis prévenue.
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Oui, David Grann a le chic pour passionner les lecteurs avec des recherches parmi les archives ! Quant à The white darkness, tu n’auras peut-être pas le même ressenti que moi, une lecture dépend de tellement de choses…
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Et ben dis donc, je vais finir par croire que ce roman est incontournable. J’ai le temps de réfléchir, il est à la médiathèque !
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N’hésite pas, si tu en as l’occasion !
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Bon, ben visiblement, je suis la seule à n’avoir jamais entendu parler de cet auteur … Je surnote vu ta note et les commentaires ! J’ai du rattrapage à faire d’urgence.
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Ce n’est pas un auteur de fiction, et du coup, il perd peut-être en visibilité. On en a surtout parlé quand le film de Martin Scorsese tiré de son roman La noté américaine est sorti (Killers of the flower moon).
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Rattrapage à faire pour moi aussi !
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Vous avez de la chance de ne pas l’avoir encore lu !
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C’est sûr que c’est un auteur passionnant : la note américaine est une lecture marquante et Les Naufragés du Wager aussi, avec, en plus, pour ce dernier livre l’attrait des voyages en Mer et des aventures de l’extrême ! J’ai aimé aussi dans ce livre, la découverte de ce peuple du froid qui vient en aide aux marins anglais et la réflexion sur la prétendue supériorité des peuples « civilisés » sur ceux qui ne le sont pas mais qui, pourtant, leur viennent en aide !Claudialucia
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Je n’ai pas évoqué leur secours aux naufragés, c’est vrai qu’ils sont remarquables !
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un très bon souvenir de lecture au mois de décembre lorsque pourtant j’étais malade. J’ai été embarquée !
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J’imagine que ça doit changer les idées de se trouver à bord de ce navire…
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C’est clairement LE roman phare de la dernière rentrée littéraire pour ce qui est de la littérature étrangère. Il vient d’arriver dans les nouveautés de ma médiathèque, il risque d’être très demandé, je ne sais pas quand je pourrais mettre la main dessus.
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Patience, et tu verras, l’attente en vaut la peine !
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comme j’ai hâte de le lire à mon tour ! Il fait l’unanimité, je crois bien !
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Je ne crois pas avoir lu d’avis négatif ni même mitigé.
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