Arttu Tuominen, La revanche

Le polar nordique est une source inépuisable de découvertes, et voici cette fois la Finlande, celle d’une petite ville sur la Baltique, celle aussi d’une boîte de nuit accueillant toutes sortes de communautés. Une nuit, un engin y explose, tuant cinq personnes et faisant de nombreux blessés.
Une équipe de la brigade criminelle est chargée de l’enquête, et parmi les policiers, Henrik Oksman. Lui qui avait toujours réussi à séparer sa vie privée et son métier se trouve plongé dans un dilemme infernal. Il était en effet présent dans la boîte de nuit, et l’a quittée peu de temps avant l’explosion en compagnie d’un homme qui s’avère être connu pour son homosexualité. Connu ne voulant pas dire accepté… Le lendemain de l’attentat, un individu revendique cette attaque sur les réseaux sociaux, prétendant mener une croisade contre l’homosexualité.

Ce roman fait partie d’une série, et vient en deuxième position, ce qui ne m’a pas gênée. Les personnages principaux en sont Henrik Oksman et son collègue Jari Paloviita, qui était, semble-t-il, plus central dans le premier volume. Je le saurai bientôt puisque je me suis déjà procuré Le serment. Voilà qui vous confirme que j’ai beaucoup aimé cette lecture, aux personnages bien campés et assez complexes pour qu’on s’intéresse autant à eux qu’à la découverte du coupable.
L’histoire, bien menée, voit son suspense aller en grandissant au fil des pages, et s’attache surtout à faire entrer dans l’esprit d’Oksman, à partager ses interrogations. Devra-t-il se dévoiler, dans un pays où la différence, sa différence à lui, n’est pas si bien acceptée que l’on pourrait l’imaginer ? Le jeune policier est très touchant dans son immense désarroi.
Ce roman a reçu plusieurs prix dans le monde du polar scandinave, et c’est bien mérité !

La revanche de Arttu Tuominen, éditions La Martinière, septembre 2023, traduction de Anne Colin du Terrail, 384 pages.

Lu aussi par Eve-Yeshé

Marc Villard, Ciel de réglisse

« En danseuse », la première nouvelle, est assez longue, avec une ambiance prenante et un style concis qui mène l’action plutôt rapidement, de Paris à Marseille. Sylvia, une jeune livreuse à vélo, ainsi qu’un jeune poète venu de Syrie et sa sœur en sont les personnages principaux. Dommage qu’il y ait des coquilles et des incongruités : une fillette de trois ans et demi joue au Monopoly, et plus loin, il est question de la mettre à la garderie ou à la crèche… Je peux comprendre que l’auteur ne s’y connaisse pas en jeunes enfants, mais à quoi sert l’éditeur ? Toute intéressée que je sois par les personnages, la manière qu’adopte l’auteur pour les faire vivre au travers de leurs actions et de leurs dialogues ne me séduit pas vraiment.

J’ai préféré la suite avec les courtes nouvelles à thème « jazz », globalement plus convaincantes, situées dans des milieux géographiques variés, courtes et bien tournées. L’extrait ci-dessus vous donnera une idée du style.
Dans le dernier texte, plus long et situé au Nouveau-Mexique, qui a donné son titre au livre, un chercheur français s’installe pour quelques mois aux États-Unis, avec sa femme, mais ce changement d’ambiance n’améliore pas leur relation.
Cette nouvelle me laisse dubitative. Ce n’est pas un problème de mise en place, ni de chute, je ne suis pas très attachée au genre de la nouvelle « à chute », et d’ailleurs, la fin n’est pas mal du tout. C’est plutôt le cœur même de l’action qui ne me convainc pas, le rythme donné par l’auteur ne fonctionne pas, de mon point de vue.
Je suis un peu étonnée de l’enthousiasme des amateurs de polars autour de Marc Villard, mais il est vrai que je n’accroche que rarement aux romans policiers français.

Ciel de réglisse de Marc Villard, Gallimard, octobre 2023, 192 pages.

En janvier, on lit des nouvelles sur une idée de Je lis, je blogue.

Virginia Woolf, La fascination de l’étang

Première lecture pour moi de Virginia Woolf, autrice qui m’a jusqu’alors suffisamment intimidée pour que je ne me risque pas à lire un de ses romans. Serait-ce une bonne idée de commencer par des nouvelles ?
Celles-ci ont été écrites de 1906 à 1941, certaines sont donc ses tout premiers écrits alors que les dernières datent de l’année de sa disparition. Comme elles sont fort différentes les unes des autres, tant par la longueur que par le genre, le plus simple va être de décrire si ce n’est toutes les nouvelles, du moins certaines d’entre elles, avec mes impressions à la lecture…

« Phyllis et Rosamond » : l’autrice y décrit une journée de deux sœurs, jeunes filles dont toutes les activités sont tournées vers la recherche d’un prétendant. Elles croisent lors d’une soirée une jeune femme plus libre, intellectuelle qui a d’autres aspirations dans la vie… le dialogue n’est pas facile… Woolf avait vingt-quatre ans, c’est l’un de ses premiers écrits et c’est vif, d’une écriture acérée et qui sonne juste. (20 pages)
« Le journal de maîtresse Joan Martyn » plonge dans le Moyen-Âge, après une mise en situation classique, et aborde le thème de l’écriture et de la place des femmes dans la société et dans l’histoire. C’est original et l’écriture est remarquable. (48 pages)
Dans « Mémoire de romancière », je n’ai pas trop vu où Woolf voulait en venir, peut-être est-ce une nouvelle qui renvoie à une personne connue d’elle, peut-être une romancière du groupe de Bloomsbury ? On peut aussi y voir une sorte de revendication féministe : les femmes aussi peuvent avoir une vie intéressante, qui puisse inspirer une biographie. Mais on sent aussi beaucoup d’ironie.
De « La soirée » je n’ai pas tout compris, il y est question de lecture, des anciens et des modernes, les dialogues sonnent comme de la poésie, et si c’est beau, j’ai été ravie que la nouvelle soit courte.
« Sympathie », une courte nouvelle de 1919 à propos de la mort, une très belle réflexion sur ce qui reste et ce qui passe, assortie d’une chute inattendue ! (7 pages)
« Une société » est une nouvelle féministe où des jeunes femmes décident d’observer et de questionner les hommes pour décider si leur comportement et ce qu’ils produisent en terme d’art, mérite que les femmes portent leur progéniture. Questionnement hautement déplacé pour l’époque ! Nouvelle agréable à lire quoique le coq à l’âne y soit parfois perturbant. (21 pages)
« Le rideau de Miss Lugton, l’infirmière » (3 pages) courte nouvelle au fantastique léger et humoristique.
« La veuve et le perroquet, historie vraie » (12 pages) Une fable ironique qui ne semble absolument pas véridique, contrairement au titre, mais qui met le sourire aux lèvres… et sans rien de biscornu dans l’écriture, pour une fois.
« Mrs Dalloway dans Bond street » On lit le flux de pensée d’une dame d’une cinquantaine d’années, de la bonne société, qui sort de chez elle, passe aux abords de plusieurs monuments emblématiques de Londres et fait quelques emplettes, un livre, une paire de gants… S’agit-il de montrer le vide de sa vie ou au contraire, malgré cette disponibilité, le foisonnement de son esprit ? Écrit avant le roman, mais le personnage de Mrs Dalloway était déjà apparu dans une autre nouvelle… (13 pages)
« Le bonheur » est un texte génial dans sa brièveté : là encore le flux de pensées, entrecoupé de dialogues, d’un quinquagénaire ressentant un inexplicable sentiment de bonheur, qu’il cherche à analyser. (6 pages)
« Ancêtres », en 5 pages, considère avec une certaine ironie la nostalgie d’une Mrs Vallance : elle se remémore une image de son enfance et regrette que ce jour n’ait pas pu durer toute sa vie.
Dans « Présentations », une jeune fille fait sa première sortie dans le « monde », tout en repensant à son mémoire sur Jonathan Swift très bien noté par son professeur… On lui présente un jeune homme. Une nouvelle courte, mais bien caustique.
« Mélodie simple » Je n’ai pas compris grand chose à cette nouvelle, il faut dire que plusieurs notes, renvoyant à d’autres nouvelles que je n’ai pas lues, et à d’autres personnages, m’ont plutôt égarée. A l’image de ce Mr Carslake qui, lors d’une soirée (serait-ce toujours la même soirée chez Mrs Dalloway ?) laisse son esprit vagabonder en regardant un tableau représentant un paysage de campagne.
Me voici rassérénée avec les trois pages si accessibles et belles de « La fascination de l’étang ».

Ce recueil contient encore trois ou quatre nouvelles, je vais cependant m’arrêter là. Je suis contente d’avoir surmonté mes réticences et d’avoir lu enfin Virginia Woolf, mais c’est tout de même une lecture ardue, dans l’ensemble, et je continuerai peut-être la découverte avec un court roman. Si vous avez des conseils, je suis preneuse.

La fascination de l’étang de Virginia Woolf, (The complete shorter fiction of Virginia Woolf), éditions Points, janvier 2013, préface d’Arnaud Cathrine, traduction de Josée Kamoun, 292 pages.

Lecture commune avec Keisha qui lit en VO et a déjà commenté d’autres nouvelles ici. Voici son billet du jour, certaines nouvelles sont les mêmes.

Bonnes nouvelles, c’est en janvier chez Je lis, je blogue :

Petros Markaris, Trois jours

J’ai découvert en préparant, bien en amont, le mois des nouvelles, que l’auteur de romans policiers grec Petros Markaris avait aussi publié des nouvelles. J’ai beaucoup aimé le ton et l’ambiance des quelques romans que j’ai lus, c’est donc parti pour une autre facette de son œuvre.

Avec « L’assassinat d’un Immortel », on entre immédiatement dans le vif du sujet, avec l’humour habituel aux romans de l’auteur grec, et son personnage de policier fétiche. Il s’agit donc d’une nouvelle policière au sens premier du terme, avec enquête et résolution finale. C’est bien ficelé, et décrit avec malice le monde littéraire grec.

Changement de décor avec « En terrain connu » où nous suivons en Allemagne un policier turc, puis direction Istanbul pour « Trois jours » qui permet d’avoir un aperçu de l’histoire grecque, en particulier de ses relations conflictuelles avec la Turquie, au travers de trois journées de 1955. C’est là que j’ai appris que Petros Markaris était né à Istanbul, au sein d’une importante communauté grecque : il évoque fort bien les habitants de ce quartier et ces journées particulières, c’est la nouvelle la plus longue et ma préférée.
« Le cadavre et le puits » est une nouvelle courte et pleine de malice.
« Ulysse vieillit seul » reprend un personnage de Grec né dans la Ville, c’est-à-dire Istanbul, jamais nommée, et qui retourne y finir sa vie.
« L’arc de Pompéi » évoque les immigrés et le père Ioannis qui leur vient en aide.
« Tentative tardive » raconte la journée d’un couple d’Allemands en juillet 1944 et enfin, « Crimes et poèmes » revient à Athènes pour un meurtre dans le monde du cinéma, bouclant le périple commencé dans des décors un peu semblables.
J’ai bien aimé ces huit textes, variés et agréables à lire, toujours avec une connotation policière, et j’imagine qu’ils plairont davantage à celles et ceux qui comme moi, connaissent déjà l’auteur, ou alors à ceux que l’histoire des Grecs d’Istanbul intéresse, puisque c’est un aspect qui revient dans plusieurs nouvelles, et qui est tout à fait passionnant.

Trois jours de Petros Markaris, éditions du Seuil, 2019, traduction de Loïc Marcou, Michel Volkovitch et Hélène Zervas, 192 pages, sorti en collection de poche (Points).

C’est le mois de la nouvelle sur le site « Je lis, je blogue »

Olivier Dorchamps, Fuir l’Éden

In extremis, un court avis sur ce roman paru l’année dernière, qui entre bien dans le thème du mois « Sous les pavés, les pages » organisé par Athalie et Ingannmic.
Adam a dix-sept ans et vit dans une tour baptisée l’Éden avec sa petite sœur de quatorze ans, et « l’autre », toujours ainsi nommé, et que manifestement Adam n’aime pas. Sa mère a quitté le domicile familial lorsque le garçon avait neuf ans, et il a peu à peu cessé de l’attendre.
Un matin, à la gare, Adam croise une jeune fille de son âge qui le laisse pantois et brusquement amoureux. Il n’a dès lors de cesse de la retrouver. Ses deux amis, Ben, venu de Somalie et grapheur talentueux, et Pav, d’origine polonaise, ne demandent pas mieux que de l’aider, à leur manière, dans sa quête. Mais lorsqu’on est habitant de l’Éden, leur immeuble, un bâtiment à l’architecture brutaliste caractéristique, tout en béton, avec sa tour d’ascenseur qui ressemble à une rampe de lancement, il n’est pas forcément facile d’aborder une fille habitant un pavillon bourgeois, de l’autre côté des voies de chemin de fer.
Dit comme ça, le pitch semble assez peu original, et je me demandais, malgré mon intérêt pour la vie dans ce quartier de Londres, et la qualité de l’écriture, d’où venaient les appréciations très élogieuses de ce roman.
Et puis, la deuxième partie du roman éclaire le tout d’un jour nouveau, et laisse le cœur serré et l’œil embué.
C’est une belle manière d’aborder le roman social sur la banlieue, londonienne ou autre, sur l’engrenage du chômage, de l’alcool et de la violence, mais aussi sur les mille et une façons de s’en sortir. Adam est un personnage attachant, aussi fragile qu’original, à un âge charnière où toutes les possibilités s’ouvrent devant lui.
Je vous conseille de ne pas passer à côté de ce joli roman d’apprentissage, apprécié aussi par Nicole et Sylire.

Fuir l’Éden, d’Olivier Dorchamps, éditions Finitude, mars 2022, 272 pages, sorti en poche.




Thomas B. Reverdy, Le grand secours

Récit d’une journée, une journée forcément particulière, à Bondy en Seine-Saint-Denis, dans un périmètre restreint entre un immense croisement de routes, d’autoroute et de voies de tramway, un pont qui surplombe le tout, une barre de dix étages avec vue sur la circulation, et une cité scolaire réunissant un collège et un lycée.
Mo, lycéen plutôt tranquille, est témoin d’une violente empoignade entre un de ses camarades de classe et un homme qui attendait le bus. Le jeune partage ce qu’il a filmé sur les réseaux sociaux, et cela va faire monter la tension au fil de la journée. C’est aussi le jour où Paul, écrivain, vient animer des ateliers d’écriture à la demande de Candice, une professeure de français. Il prend conscience d’un univers aux portes de la capitale, bien éloigné de ce qu’il connaît, et pourtant, si proche.

Comme dans Il était une ville, Thomas Reverdy s’y entend pour faire vivre des paysages urbains, et ses descriptions de Bondy Nord, de son animation, de son multiculturalisme, sont parfaites de réalisme. Sa connaissance du monde lycéen est aussi évidente pour s’imaginer la cour ou les couloirs, tout autant que les salles de classe aux ambiances bien différentes selon les enseignants. L’agitation de ce jour-là commence sans doute comme celle d’un jour de janvier habituel, et l’auteur montre bien ce qu’elle a d’ordinaire, puis la pression qui s’installe et monte de plus en plus, au grand dam de la proviseure qui souhaite avant tout « ne pas faire de vagues ».
A part peut-être une romance entre des protagonistes qui naît précisément ce jour-là, mais pourquoi pas, après tout, le roman tient bien la route, rend un bel hommage aux enseignants enthousiastes comme aux autres, et frappe par sa puissance d’évocation, loin de toute caricature.
Et tiens, détail amusant, l’auteur a repris, pour la professeure de français le prénom, et même le rouge à lèvres, d’un personnage de Il était une ville !

Le grand secours de Thomas B. Reverdy, éditions Flammarion, août 2023, 318 pages.

Thomas B. Reverdy sur le blog : Les évaporés et Il était une ville.
Lu précédemment par Pamolico, le roman entre bien dans le parcours « Sous les pavés, les pages » chez Ingannmic et Athalie.

Lionel Shriver, Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes

Un couple de sexagénaires se retrouve à la retraite ou proche de ce moment fatidique, bien trop souvent en tête-à-tête, dans leur grande maison. Et cela leur pèse, bien qu’ils s’entendent plutôt pas mal. Serenata, la femme, qui a été une grande sportive, du genre à faire de grandes courses solitaires, se trouve contrainte au quasi-repos en attendant, ou plutôt en faisant reculer la date d’une opération de prothèse du genou. Remington, son époux, vient d’être licencié et, brusquement inoccupé, se lance dans le jogging. N’étant pas du genre à faire les choses à moitié, il vise directement le marathon, et s’entraîne en conséquence, non sans avoir adopté la tenue fluo appropriée. Serenata attend patiemment qu’il ait couru ses quarante-deux kilomètres et que cette lubie l’abandonne, ce qui bien sûr ne se passera pas comme ça.

Le sujet peut paraître ténu, mais d’autres univers s’y mêlent, les environnements de travail des deux époux, avec une séquence de licenciement hallucinante, les relations avec le groupe d’entraînement de Remington, mené par une certaine Bambi, les rapports aussi des parents avec leurs deux enfants adultes, rebelles à leur manière, si étranges ou étrangers l’un comme l’autre aux yeux de leurs géniteurs.
Qui connaît l’autrice se doute qu’elle critique à tout va, et de manière réjouissante, que ce soient les fondus de sport, ou disons, ceux qui se découvrent une passion soudaine pour la compétition, et qui sont prêts à croire n’importe qui leur affirmant qu’ils peuvent se surpasser, que ce soient les adeptes béats d’une religion, comme la fille du couple, ou les bien-pensants du monde du travail, prêts à réévaluer de manière négative les moindres comportements de leurs collègues.
Pas aussi fort que Il faut qu’on parle de Kevin, j’ai pourtant trouvé ce roman agréable et rapide à lire, et aimé l’acuité avec laquelle Lionel Shriver examine ses contemporains !

Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes de Lionel Shriver, (The motion of the body through space, 2020), éditions Belfond, août 2021, traduction de Catherine Gibert, 384 pages.

Un roman qui partage : Athalie et Luocine se sont ennuyées, Cécile et Une Comète l’ont trouvé un peu long, Eve retient surtout l’humour, Jérôme a pris plaisir à lire cette plume incisive, Nicole trouve que l’autrice touche très juste, Sibylline l’a trouvé intéressant sans être séduite, Titine a été enchantée.

Gaspard Koenig, Humus

Arthur et Kevin se rencontrent lors de leurs études d’agronomie. Très dissemblables par leur cursus et leurs origines sociales, ils sont cependant attirés par les mêmes problématiques environnementales, et se dirigent tout naturellement, suite à une conférence éclairante, vers l’étude des sols et leurs habitants les plus emblématiques et les plus utiles, les vers de terre. Mais alors qu’Arthur reprend la ferme de son grand-père aux sols rendus stériles par les pesticides, Kevin a l’idée de créer une petite entreprise de compostage de déchets grâce aux vers de terre. Qu’on ne s’y trompe pas, c’est Arthur qui vient d’un milieu aisé, alors que les parents de Kevin ont toujours vécu de petits boulots, et qu’il doit sa présence à AgroParisTech à ses excellents résultats et à des bourses universitaires.

C’est plus le sujet que l’auteur, pour moi inconnu, qui m’a attirée vers ce roman bien ancré dans l’époque contemporaine. Ce thème n’est pas fait pour rassurer les éco-anxieux, puisque un des personnages dresse un constat alarmant de l’avenir, avec l’appauvrissement des terres cultivables, d’où les lombrics ont presque disparu, et des cultures qui ne poussent qu’à grand renfort d’engrais, mais jusqu’à quand ? Et que se passera-t-il lorsque les céréales ne pousseront plus ?
Alors, bien sûr, ce n’est pas un essai, et la fiction s’en mêle, avec les réussites et les déboires de nos deux jeunes scientifiques. L’ensemble se lit agréablement, l’écriture ne se pare pas d’effets inutiles, et sert bien l’histoire qui se déroule sans temps mort. Seules quelques séquences d’intimité m’ont laissée perplexe, sauf lorsqu’il s’agissait de relations entre vers de terre… bon, disons qu’après coup, j’ai mieux vu où elles menaient… Je me suis amusée d’un bon nombre de scènes et notamment, d’une mise en abyme avec un certain Gaspard, et aussi de portraits bien sentis de personnages issus de divers milieux, habilement croqués les uns comme les autres.
La fin, qui va s’accélérant, est vraisemblable sans être attendue, et vient clore avec virtuosité ce roman d’amitié et d’apprentissage qui prend la mesure des problèmes environnementaux actuels.

Humus de Gaspard Koenig, éditions de l’Observatoire, août 2023, 380 pages, prix Transfuge du roman français. Présent dans la première liste du Goncourt (oui, je sais, ça ne veut pas dire grand chose).

Karim Miské, La Situation

Imaginez 2030, dans un quartier de Seine-Saint-Denis où s’affrontent, depuis un attentat sanglant à l’Assemblée Nationale, des milices d’extrême-droite et des groupes de gauche. Kamel, écrivain de polars presque sexagénaire, préfère rester chez lui, depuis trois mois que cette Situation, qui a gagné toute la France, se prolonge. Lorsqu’il accepte finalement d’aller boire un verre avec Eminé, sa meilleure amie, au bar en face de son immeuble, les événements vont se précipiter, et il va se trouver embarqué au cœur de l’action. Impossible de faire marche arrière, ou de retourner au calme relatif de son appartement.

Difficile de ne pas se laisser emporter par le désarroi et les inquiétudes de Kamel face à cette situation tout à fait imaginable, malheureusement. Il faut ajouter que pour compliquer un peu les choses, la fille de Kamel, Daphné, est en couple avec une députée d’un parti conservateur, alors que les amis de Kamel sont nettement engagés à gauche. Kamel va devoir, malgré sa frilosité, prendre parti et s’impliquer dans la lutte, d’une manière ou d’une autre.
Voilà pour l’aspect intéressant de ce roman. Le narrateur ne manque pas d’autodérision, et, par ses atermoiements, attire la sympathie, contrairement aux autres personnages, très investis d’un côté ou de l’autre, de manière souvent intransigeante.
Si j’ai lu avec intérêt cette histoire qui fait plutôt froid dans le dos, je n’ai pas été particulièrement séduite par l’écriture. La narration abonde de personnages, de factions, de sigles, de références diverses, qui peuvent égarer un peu, et, heureusement, est assaisonnée d’un certain humour. Cela fait mieux passer le tout.
A noter que l’auteur a écrit jusqu’alors des romans policiers, que je n’ai jamais lus encore, et qu’il publie pour la première fois aux éditions Les Avrils, sous une couverture et avec une présentation très soignées.
Mon ressenti un peu mitigé tient peut-être au mélange des genres, politique, action, dystopie et même histoire d’amour. Je recommanderai ce roman surtout à celles et ceux qui s’intéressent à la politique fiction.
J’aime bien ce que l’auteur dit à propos de son texte : « Mon boulot, c’est d’explorer les lignes de faille de la société et d’en tirer des histoires fortes, émouvantes, vibrantes, pas de prédire l’avenir. Ce qui se passera dans cinq, dix ou vingt ans, sera le produit de nos actions, c’est cela que je veux montrer. »

La Situation de Karim Miské, éditions Les Avrils, août 2023, 260 pages.
Cette lecture est une proposition de Masse critique de Babelio, et anticipe quelque peu la rentrée littéraire et (peut-être) des futurs achats.

L’avis de Miriam.

Donal Ryan, Soleil oblique et autres histoires irlandaises

Cela faisait un moment que je tournais autour de cet auteur irlandais, et voilà qu’un recueil de ses nouvelles est publié (et disponible à la médiathèque !). C’est une occasion à ne pas manquer, non ?
Vingt nouvelles, vingt instantanés de vie irlandaise, plutôt rurale, parfois d’une époque ou d’une région un peu plus lointaine, jusqu’en Syrie même. Une fillette issue de la communauté gitane découvre une forme de racisme cachée derrière les bonnes intentions, un jeune homme hésite à partir pour l’Australie, un drôle de paroissien attend patiemment sur la place du village qu’on vienne l’arrêter, un amour commence, une amitié se termine… Résumer ces nouvelles, outre que ce n’est pas toujours facile, ne servira pas à vous montrer à quel point leur écriture éblouit et laisse sans voix.

Ce sont des claques successives que ces textes aux phrases qui percutent, aux images qui marquent, à la formidable justesse. L’empathie de l’auteur pour ses personnages, et de légères notes d’humour jamais cynique, rendent les textes lumineux malgré des sujets parfois déchirants. Je mets à part une ou deux nouvelles que je n’ai pas complètement comprises, même si j’ai trouvé de l’intérêt à les lire : deux sur vingt, ce n’est rien !
Si vous aimez les nouvelles, si vous êtes attirés par la littérature irlandaise, ne ratez pas ce livre.

Soleil oblique et et autres histoires irlandaises de Donal Ryan, (A slanting of the sun, 2015), éditions Albin Michel, avril 2023, traduction de Marie Hermet, 244 pages.

Maeve
vous convaincra aussi.