
« Je ferme ensuite les yeux et j’écoute le grondement et le fracas du monde qui passe en trombe. Nous aussi, nous passons en trombe. Le vent cinglant nous double. Nous sommes si brefs. Un pissenlit d’un jour. L’enveloppe d’une graine ricochant sur la glace. Nous sommes une plume tombant de l’aile d’un oiseau. Je ne sais pas pourquoi il nous est donné d’être tellement mortels et d’éprouver tant de sentiments. C’est une blague cruelle, et magnifique. »
Il n’est pas facile de donner un aperçu du thème de ce roman, aussi, par avance, si mon résumé ne vous paraît pas clair, n’hésitez pas à lire la quatrième de couverture pour mieux comprendre !
Une jeune femme d’origine Ojibwé, adoptée par des Blancs, se retrouve enceinte dans un contexte bien particulier. Le monde, celui que nous connaissons, a subi une grave catastrophe écologique, et les États-Unis sont dirigés par un gouvernement totalitaire qui entend tout régenter, notamment la natalité. Les femmes doivent signaler leur grossesse et se rendre dans un centre spécialisé. Cedar cherche à comprendre les raisons de cet intérêt pour les enfants à naître, et en même temps, forme le projet de retrouver ses parents biologiques, dans une réserve du Minnesota.
« Tia, sa petite dans les bras, fredonne puis se met à chanter. Pas un chant composé de paroles, mais une suite de sons que j’entendrai plus tard, en un lieu différent. Des sons qui furent créés il y a cent mille ans j’en suis sûre, et que l’on entendra dans cent mille ans, l’espère. »
Pour les nouveaux lecteurs de Louise Erdrich, l’univers décrit dans ce roman peut être déstabilisant, mais si elle vous est déjà connue, pas tant que ça. On y retrouve l’attention extrême qu’elle porte aux nations premières, aux droits des femmes et des minorités en général, au thème de la maternité également. Malgré l’écriture qui ne s’est pas faite en une seule fois, mais sur plus d’une décennie, Louise Erdrich a réussi à imprimer un rythme parfait au roman, avec des rebonds qui arrivent juste lorsque l’attention aurait pu commencer à faiblir.
Placé du point de vue de Cedar, le roman est écrit comme un journal intime qu’elle adresse à son futur enfant. Les lecteurs découvrent donc avec elle les conditions de vie qui se dégradent, les restrictions imposées par un état tyrannique, les choses que cet état tente de cacher à la population, les groupes religieux qui prennent de l’importance, les solutions éventuelles de fuite… On ne comprend pas forcément tout dans le détail, exactement comme Cedar. Elle peut compter sur son compagnon, ainsi que sur ses parents adoptifs, sinon la délation règne, et il lui faut se méfier de tout le monde si elle ne veut pas se retrouver enfermée avec son enfant à naître, vers une issue qu’elle ignore.
On pense bien sûr à La servante écarlate, mais les deux romans laissent finalement des impressions totalement différentes. L’écriture de Louise Erdrich, très belle, contribue à alléger le contexte dystopique fort sombre, les personnages, même secondaires, ne manquent pas de relief, et on se prend à espérer une issue heureuse pour la jeune femme et son enfant.
Une fois de plus, l’autrice américaine m’a emportée de belle manière, et éblouie par son talent.
L’enfant de la prochaine aurore de Louise Erdrich, (Future home of the living God, 2017), éditions Albin Michel, janvier 2021, traduction d’Isabelle Reinharez, 402 pages (sortira en Livre de Poche le 14 septembre 2022)
Louise Erdrich sur le blog.
Je me prépare au festival America de Vincennes avec mon petit mois américain à moi…