Choi Kyu-Sok, Intraitable, tome 1

L’activité sur le monde du travail d’Ingannmic m’a fait voir d’un autre œil ce roman graphique gagné grâce à un concours et un peu oublié depuis. C’est en effet le sujet, l’unique sujet de cette BD coréenne.
Tout commence par une sorte de mise en appétit qui présente Gu Go-Shin, un curieux personnage, un peu redresseur de torts, qui vient en aide aux salariés que leur entreprise pressure et exploite sans aucune vergogne. Sorte de conseil des prudhommes privé, il leur apprend leurs droits et les seconde face à des patrons que rien n’arrête : salaires non payés, accident du travail non déclaré, …
Ensuite, changement de décor avec un jeune homme très intègre, Lee Soo-In, qui a démissionné de l’armée et trouvé un emploi de cadre dans la grande distribution.

Le monde du travail en Corée du Sud, voilà qui promet d’être intéressant ! Une fois passée la mise en place, l’identification des personnages (je suis assez lente pour cela, comme dans la vie, je ne suis pas très physionomiste), cela devient passionnant. Le dessin en noir et blanc, assez classique, pas trop « manga », convient très bien au sujet.

Voici tout d’abord, les personnages : Gu, le personnage intraitable du titre, lorsqu’il s’agit de défendre les travailleurs, puis Lee, sympathique jeune homme que l’on voit sur l’extrait ci-dessus. La BD revient sur son enfance, sa jeunesse, son entrée dans l’armée où il ne s’habituera pas à des pratiques qu’il juge non conforme à ses idées. Lorsqu’il entre pour travailler dans la grande enseigne française qui s’implante en Corée, « Les Fourmis », il se rend vite compte qu’il n’accepte pas non plus de devoir licencier certains de ses collaborateurs ou de les harceler pour les pousser à démissionner. C’est là qu’il rencontre Gu, et décide de se syndiquer.
On reconnaît vite Carrefour dans ce groupe qui adopte avec enthousiasme des pratiques de management qui seraient difficiles à employer en France.
Parfaitement réaliste, ce roman graphique est très instructif sur le monde du travail, les personnages ont du relief et l’envie est grande de savoir comment tout cela va évoluer. Car l’histoire se déroule sur six volumes (et bien évidemment, mes bibliothèques n’en ont aucun) et ce premier n’est donc qu’une mise en appétit… qui me rappelle, si vous ne l’avez pas vu, un film coréen sur le harcèlement au travail, About Kim Sohee de July Jung.

Intraitable, tome 1 de Choi Kyu-Sok, éditions Rue de l’Echiquier, 2019, traduction de Kette Amoruso, 248 pages

Activité sur le monde du travail chez Ingannmic.

Troub’s, Le Paradis… en quelque sorte (90 jours à Bornéo)

Un petit point géographique va peut-être vous être nécessaire, tout d’abord. J’ai découvert en préparant la lecture de ce livre pour le défi Asie du Sud-est, que Bornéo n’y figurait pas ! L’explication en est simple : Bornéo est une très grande île, de forme assez compacte mais divisée administrativement en trois parties : Brunei, Malaisie (Sarawak), Indonésie (Kalimantan)… Le voyage de Jean-Marc Troubet, dit Troub’s, au printemps 2005, se situe dans la partie indonésienne, en remontant le fleuve Mahakam depuis le complexe Total de Balikpapan où il est intervenu dans l’école, jusqu’aux petits villages en amont, de plus en plus isolés et traditionnels. La seule voie de communication et de transport étant le fleuve. Le long du fleuve, qui peut être très dangereux, avec des rapides, et des crues subites, s’échelonnent des villages de maisons sur pilotis, avec de grandes maisons communes aux piliers de bois sculptés, et de petites églises peu entretenues.
Les dialogues sont difficiles entre l’auteur et les habitants, la plupart issus de l’ethnie dayak. Peu d’entre eux parlent anglais et chaque région possède un dialecte, en plus de l’indonésien. L’auteur apprend avec un habitant quelques rudiments d’aoheng, pour communiquer un peu mieux, mais cela reste laborieux, et une certaine méfiance existe toujours envers cet étranger qui dessine. Les touristes sont peu nombreux, plus l’auteur remonte le fleuve, moins il en rencontre. Ce sont souvent des Asiatiques, de Java par exemple, qui se comportent comme s’ils étaient très conscients de leur supériorité.

Ce roman graphique comporte beaucoup de texte et c’est bien utile, pour qui ne connaît pas ou peu l’Indonésie, avec en alternance de belles grandes pages dessinées, sans texte… L’ensemble est agréable à lire, permet de pénétrer dans des régions encore assez éloignées de la « civilisation » contemporaine. La télévision est arrivée partout, et chaque soir les habitants se regroupent autour des deux ou trois téléviseurs du village, les groupes électrogènes vrombissent à toute heure du jour, mais dans les endroits où il n’y en a pas, ce sont les chiens et les coqs qui font du « barouf ». Autant dire que trouver le sommeil n’est pas l’aspect le plus simple de ce séjour. Pour l’alimentation, si on aime le poulet et le riz, ça ne semble pas trop compliqué !
Si vous êtes curieux, sans être sûrs pour autant de trouver le livre, vous pouvez feuilleter le carnet de croquis de l’auteur en Indonésie sur son site.

Le Paradis… en quelque sorte (90 jours à Bornéo) de Troub’s, éditions Futuropolis, 2008, 240 pages.

Le défi Littératures d’Asie du Sud-Est est organisé par Sunalee.

Riff Reb’s, Le loup des mers

Une traversée de la baie de San Francisco va devenir pour Humphrey van Veyden, un journaliste gringalet, le début d’une terrible aventure. Après un naufrage dû à un épais brouillard, il est recueilli par un bateau de pêche au phoque, mais le capitaine Larsen refuse de dévier de sa route pour le reposer à terre, et l’engage donc plus ou moins comme mousse. Humphrey prend dès le début la mesure de la férocité de cet homme, et du manque d’empathie du reste de l’équipage. Certains se rebelleraient bien, mais Loup Larsen veille et ne laisse personne prendre le dessus sur lui. Seul maître à bord, sans Dieu, dans son cas, il initie toutefois avec quelque plaisir des discussions à teneur philosophique avec ce nouveau membre d’équipage intellectuel. Larsen a des méthodes bien à lui pour démontrer la véracité de ses idées, par exemple pour nier qu’il y ait quelque chose après la mort.

Pas de doute, cette BD entre parfaitement dans la thématique marine, avec naufrage, brouillard marin et tempête, querelles de matelots et tentative de mutinerie. Quelle histoire ! Dès le début, elle embarque le lecteur tel le malheureux critique littéraire enrôlé de force sur ce navire de pêche au long cours pour une traversée du Pacifique. Les dessins sombres, lugubres même, rendent parfaitement l’atmosphère de cauchemar qui prend possession du mousse improvisé, et le texte a des fulgurances d’une grande beauté. Manifestement, Jack London s’est focalisé sur Larsen et son absence absolue d’humanité et de morale, et ce, malgré une intelligence et une culture certaines. L’aspect « aventures en mer » n’est pas négligé pour autant avec les scènes de pêche, ou l’affrontement avec un autre navire dirigé par le propre frère de Larsen, son pire ennemi.
Cette rencontre entre la bande dessinée et la littérature est une réussite certaine !

Le loup des mers de Riff Reb’s, librement adapté de Jack London, éditions Soleil, 2012, 136 pages.

Le book-trip en mer, c’est chez Fanja.

Idées de fin d’année

Arrivant un peu avant ou en lieu et place du traditionnel bilan de l’année écoulée, voici un choix de cadeaux qui peuvent constituer une alternative au dernier Goncourt ou au tout récent Lucky Luke…

Des animaux, de l’humour, des situations bien identifiables, ça marche !
Une baignoire bien remplie de Susanna Strasser, ou un autre de ses albums.
Maman, c’est toi ? de Mathieu Maudet (ses autres albums méritent le détour aussi)
Un meilleur meilleur ami d’Olivier Tallec, un joli album où le personnage principal est un champignon qui se pose beaucoup de questions. Et quels superbes dessins !

La longue marche des dindes de Leonie Bischoff, une très belle bande dessinée, western mais aussi éloge de la différence.
Mémoires de la forêt tome 1, Les souvenirs de Ferdinand Taupe de Mickaël Brun-Arnaud, ravira les amis des animaux.
Le cochon de Noël de J.K. Rowling, un conte de saison qui plaira aux jeunes lecteurs, avec pour seul risque de tomber ensuite dans la marmite « Harry Potter » !

Le jardin des oiseaux, un regard antispéciste sur le vivant, de Jean-Louis Lovisa avec ses pages riches en documentation et ses magnifiques photographies.
Le jardin spontané de Noémie Vialard vous incite à recueillir dans votre jardin des plantes à fleurs qui vont se ressemer toutes seules.
La petite cuisine potagère de Sonia Ezgulian pour se régaler de recettes de légumes de saison.

Sambre, radioscopie d’un fait-divers d’Alice Géraud, l’excellente enquête qui a inspiré la série diffusée récemment
Les nuits que l’on choisit d’Elise Costa, chroniqueuse judiciaire qui a suivi des affaires plus ou moins médiatisées avec rigueur, et non sans émotion.
Les contemplées de Pauline Hillier, une plongée frappante dans une prison pour femmes à Tunis.

Jours de sable, un photographe dans le Dust Bowl dans les années 30, très bien dessiné par Aimé De Jongh
Les pizzlys de Jérémie Moreau, sur le thème de la nécessaire adaptation au changement climatique.
Les entrailles de New York, de Julia Wertz, pour (re)découvrir autrement la ville qui ne dort jamais.

Et vous, avez-vous des idées d’incontournables à offrir ?
A suivre : une sélection de romans, polars ou recueils de nouvelles…

Julia Wertz, Les entrailles de New York

Il fait une météo parfaite pour avancer dans mes lectures à propos des villes, et après avoir tenté Au café de la ville perdue d’Anaïs Llobet, dont le thème me passionnait pourtant, mais qui a eu raison de moi par sa construction, ses longueurs, et aussi le manque de résonance avec ses personnages butés, raides dans leurs convictions, inlassablement nostalgiques, j’ai fini par trouver mon bonheur avec cette échappée à New York.
C’est bien sûr l’archétype de la ville, qui a vu émerger avant toutes les autres cités les problèmes liés à la surpopulation, à la mixité sociale ou la ghettoïsation, aux transports, à la pollution, à la communication… et j’en passe. L’autrice et dessinatrice propose une vision très originale de la ville, avec des dessins de façades à différentes époques, des vitrines de librairies, de pâtisseries, de cafés ou de salles de spectacles, une rétrospective des divers modes de nettoyage des rues, de la charrette à cheval à la balayeuse électrique, une liste non exhaustive des objets du quotidien dont l’invention a eu lieu à New York, un inventaire des bouches de métro historiques, mais aussi de différentes camionnettes de vente de nourriture (oui, food-truck est plus court, c’est certain!) ou une série très touchante de petites maisons restées coincées entre deux tours parce que leurs propriétaires n’ont pas voulu les vendre.

Ce roman graphique constitue une sorte d’archéologie du New York des vingtième et vingt-et-unième siècle, de Brooklyn à Manhattan, de Harlem à Staten Island… Son titre original est plus parlant, car Tenements, towers and trash, qui se traduit par Immeubles, tours et ordures, représente parfaitement le contenu de ce très beau livre. Si j’excepte quelques longueurs, pour des portraits ou l’histoire du Village Voice, et l’écriture pas aussi facile à déchiffrer que des lettres imprimées, j’ai vraiment apprécié ce retour, sur un ton léger et empreint d’humour, sur des endroits que je reconnaissais parfois, que je découvrais souvent.
Les entrailles de New York de Julia Wertz, (Tenements, towers and trash, 2017) éditions L’Agrume, 2019, traduction de Aude Pasquier, 288 pages.

Jérémie Moreau, Les pizzlys

« Il faut tuer pour se nourrir, c’est ainsi. Mais considérer l’animal que je mange comme une personne, c’est très différent de le considérer comme un objet, ou comme une chose, comme on le fait en France dans les supermarchés. »

Aujourd’hui, une bande dessinée, pour changer ! Ou plutôt un beau roman graphique, qui sort des sentiers battus. C’est l’émission Book club sur France Culture qui m’a donné envie de le lire. Alors, le titre tout d’abord ? Vous aimeriez savoir ce que sont ces pizzlys, et s’ils existent… Hum, j’hésite à vous en dire trop.
Voici l’histoire : Nathan, jeune chauffeur Uber, est au bord du burn-out avec ses longues journées passées au volant, suivies de courts moments passés avec sa petite sœur et son petit frère qu’il élève seul. Des événements imprévus l’obligent à prendre une décision brusque et radicale, celle d’accepter une drôle d’invitation à aller passer quelque temps en Alaska avec ses frère et sœur.
Annie a passé quarante ans à Paris et retrouve, avec ce jeune trio d’invités, son Alaska natale, et les traditions qu’elle n’avait pas oubliées. Les deux enfants, Zoé et Étienne, n’imaginaient même pas le mode de vie auquel Annie les convie, sans connexion, au plus proche de la nature.

« Des fois, j’imagine un monde où toute l’intelligence des scientifiques des villes serait mise au service de la vie dans la forêt.»
Les thèmes de cette très belle histoire sont la reconnexion avec la nature, le changement climatique, la nécessaire adaptation à ce changement. Les croyances des chasseurs-cueilleurs athapascans ajoutent un aspect légèrement fantastique à une histoire sinon assez réaliste, notamment à propos du climat et des fléaux qui frappent les peuples autochtones.
Avec un graphisme original, des couleurs vives et quasiment fluorescentes, des couleurs d’aurores boréales qui envahissent l’image, ce sujet prend une dimension tout à fait intéressante. Seul le dessin des visages ne m’a pas trop plu, ils sont un peu impassibles. Et les pizzlys alors ? Ils sont le résultat d’un croisement entre les ours polaires et les grizzlys, croisement bien réel, rien d’imaginaire dans ces animaux, et leur présence en Alaska est avérée. Étonnant, non ?

Sinon, pour prolonger et relier à l’activité sur les minorités, il existe un livre de Nastassja Martin, sous le titre Les âmes sauvages, à propos de « ces hommes qui se nomment eux-mêmes les Gwich’in et peuplent les forêts subarctiques » d’Alaska, livre cité par Jérémie Moreau comme référence, et que j’essayerai de trouver à l’occasion.

Les pizzlys, par Jérémie Moreau, éditions Delcourt, octobre 2022, 200 pages.

Fábio Moon et Gabriel Bá, Daytripper : au jour le jour

« Et il était là, rêvant à l’avenir. Tout lui semblait clair et net. Prêt pour lui. Un futur n’impliquant pas d’effrayants mystères, et à portée de main. Puis Bras se réveilla et comprit qu’au coin de la rue, cet avenir que vous aviez prévu et espéré n’était pas toujours celui qui vous attendait. En réalité, c’était généralement tout le contraire… »

Suivant, à mon rythme, ma collègue blogueuse A girl from earth dans son voyage littéraire au Brésil, j’ai noté cette bande dessinée, et bien m’en a pris !
Écrite et dessinée par deux frères, elle présente un personnage dont j’imagine qu’il leur ressemble un peu. Brás de Oliva Domingos a trente-deux ans, et alors qu’il se rêvait auteur reconnu comme son père, vit de l’écriture de nécrologies pour un quotidien de Sao Paulo. Le jour même où son père fête ses quarante ans de carrière, Brás se trouve pris dans une fusillade et meurt.
Fin de l’histoire ? Pas du tout, puisqu’il ne s’agit là que de l’un des dix chapitres du roman graphique. Dans chacun, Brás va vivre une vie et affronter une mort différente, à des âges différents. En ayant eu le temps de vivre selon ses rêves ou en ayant seulement eu le temps d’imaginer…
À quel âge la vie commence-t-elle vraiment, que faisons-nous de nos rêves d’enfants, comment une amitié ou un amour auraient-ils pu évoluer si le temps ne leur avait pas été compté ?

Cette superbe bande dessinée pose quantité de questions très personnelles, tout en rendant très attachant le personnage principal, à tous les âges de sa vie. C’est plein d’intensité et de douceur à la fois. Alors que le dessin ne me semblait pas de prime abord de ceux que j’apprécie le plus, j’ai tout aimé, l’histoire, la construction, le dessin, la couleur et la mise en page.
Si vous avez l’occasion de la lire, n’hésitez pas !

Daytripper, au jour le jour de Fábio Moon et Gabriel Bá, éditions Urban Comics, 2012, couleur de Dave Stewart, traduction de benjamin Rivière, préface de Cyril Pedrosa, postface de Craig Thompson (ouf, c’est tout !), 256 pages.

Book-trip brésilien ici.

Edo Brenes, Bons baisers de Limón

En cherchant à la médiathèque deux bandes dessinées que j’avais notées pour le mois latino, (et que je n’ai pas trouvées), j’ai vu tout à fait par hasard la couverture de celle-ci, et en vérifiant si elle ne venait pas du continent sud-américain, j’ai vu qu’il s’agissait du Costa Rica, un des pays les moins représentés dans nos lectures !

Un étudiant retourne dans sa famille au Costa Rica, dans la petite ville côtière de Limón. Il veut profiter d’un court séjour pour interroger les membres de sa famille encore vivants sur leur jeunesse des années 40 et 50 environ. Que ce soit la famille de son père ou celle de sa mère, il s’agit de jeunes gens de milieu modeste, mais au mode de vie plutôt occidental, pour ce qu’on en voit. L’histoire repose sur des photos et des films de famille qui les montrent le plus souvent dans des situations de loisirs, ce qui est logique : balades à vélo, matches de foot, bal ou fêtes de famille… Un court intermède pour la deuxième guerre mondiale, puis la vie reprend… Mariages, naissances…

Il faut un petit temps d’adaptation pour comprendre que les paroles échangées se superposent aux photos regardées, et ne semblent donc pas toujours en adéquation. D’autres chapitres prennent placent, avec des coloris plus vifs, directement dans les années 40 et mettent davantage l’accent sur les grands-parents du narrateur. Une fois que je m’y suis habituée, j’ai trouvé que les différents types de narration se succédaient de manière bien rythmée et que c’était drôlement bien fait.
Il semblerait que pour ce premier album l’auteur se soit inspiré de la vie de sa famille. Deux arbres généalogiques aident à se repérer parmi les personnages, mais on peut ne pas les suivre assidument. La grand-mère et ses deux amoureux, qui sont les personnages principaux, s’avèrent dignes d’intérêt, et le dessin, assez naïf, convient bien à ce roman familial, nostalgique et chaleureux.
Une découverte qui ne manque pas de charme, donc !

Bons baisers de Limón d’Edo Brenes, éditions Casterman, 2021, traduit de l’anglais par Basile Béguerie, 272 pages.

Un autre avis chez Yv

Le mois latino-américain est chez Ingannmic.

Bande dessinée variées (6)

Tout d’abord, laissez-moi vous souhaiter une très bonne année, avec la réalisation de vos projets, la joie et la santé, et bien sûr, des lectures passionnantes.
Je vous présente aujourd’hui quelques romans graphiques qui m’ont séduite ces dernières semaines, auxquels il faudrait rajouter La dernière reine de Rochette, que j’ai aimé, mais lu sur ordinateur sur le site de ma bibliothèque, je ne l’ai plus entre les mains, et cela le rend plus difficile à résumer et à commenter.

Catherine Meurisse, La jeune femme et la mer, éditions Dargaud, 2021, 116 pages.
Après Les grands espaces ou La légèreté, Catherine Meurisse continue dans la veine d’autobiographie (ou autofiction?) dessinée qui lui va si bien. Elle arrive au Japon pour une résidence d’artiste. Son installation dans la région de Kyoto lui permet de rencontrer d’autres artistes, souvent en mal d’inspiration, d’échanger avec eux dans la mesure du possible, de découvrir aussi des paysages qui ne cessent de la surprendre.
Teinté d’une touche de fantastique, d’une bonne dose d’humour due aux incompréhensions culturelles, l’album m’a surtout émerveillée par ses paysages japonais somptueux en pleines pages. Décidément, j’aime tout ce que fait cette autrice et dessinatrice !

Wilfrid Lupano, La bibliomule de Cordoue, éditions Dargaud, 2021, 264 pages.
En Andalousie, au dixième siècle, le décès d’un calife amis des arts et de la culture, dont le fils est encore très jeune, entraîne une période trouble dominée par un vizir et sa cohorte de religieux radicaux. Ceux-ci veulent brûler tout ce que la bibliothèque de Cordoue compte de traités et de recherches de philosophes, de mathématiciens ou de scientifiques. C’est là qu’interviennent Tarid, un eunuque bibliothécaire, Lubna, une copiste noire, et Marwan, un apprenti bibliothécaire ayant mal tourné… sans oublier la mule, récalcitrante et grande dévoreuse de pages (au sens propre). Ce petit groupe va chercher à sauver une partie des ouvrages promis à l’autodafé, autant que la mule peut en porter, en direction d’une région échappant au vizir… L’histoire, alerte et contenant son lot de rebondissements, les dessins colorés et l’humour, sans oublier le fond historique bien documenté, tout concourt à en faire un roman graphique réjouissant et captivant à la fois.

Léonie Bischoff et Kathleen Karr, La longue marche des dindes, éditions Rue de Sèvres, 2022, 144 pages.
Encore une sorte de road-movie, après la traversée de l’Espagne avec une mule, voici celle de l’ouest des États-Unis avec mille dindes ! Nous sommes dans le Missouri, en 1860. Quittant l’école avec un maigre bagage, Simon, encouragé par son enseignante, se lance dans le projet un peu fou, d’aller vendre des dindes, dont personne ne veut dans sa région, à Denver, où elles valent bien davantage. Il lui faut recruter un conducteur de mules, prévoir son trajet qui comporte un passage sur les territoires des Indiens. Mais le danger ne vient pas forcément de là où on l’imagine…
Une bande dessinée destinée à la jeunesse qui m’a tout à fait séduite par son scénario, ses dessins et sa verve. Une réussite !

Elisa Shua Dusapin et Hélène Becquelin Le colibri, éditions La joie de Lire, 2022, 160 pages.
Célestin, quatorze ans, se sent un perdu depuis qu’il a déménagé du bord de mer jusqu’en ville. De sa fenêtre sur le toit, il observe les oiseaux, et parfois reçoit la visite de Célin, son grand frère explorateur des nuages. Il fait aussi la connaissance d’une jeune voisine de son âge, avec laquelle il observe un autre oiseau, un colibri apporté par Célin, colibri en état de torpeur.
Poétique et sensible, ce roman graphique raconte avec des mots tout simples le deuil, le passage d’un âge à un autre, la solitude, la naissance du sentiment amoureux.
J’ai trouvé ce récit parfois un peu trop elliptique et je me demande à quel lectorat il s’adresse. Si on en croit l’âge des personnages, il serait destiné à des adolescents ou préadolescents, mais je ne sais pas si beaucoup d’entre eux apprécieront autant qu’un adulte ce qui est à lire entre les images, et d’autre part s’ils aimeront ces tons très pastels. Mais il en faut pour tous les goûts, et certains jeunes lecteurs y trouveront un écho aux questions qu’ils se posent.

Bandes dessinées variées (5)

Un petit billet pour regrouper des avis brefs sur des BD que j’ai aimé ces derniers mois…

Grégory Panaccione, Quelqu’un à qui parler, Le Lombard, 2021, 256 pages.
Samuel fête ses trente-cinq ans avec gros gâteau et bouteille de champagne, mais tout seul. Pas d’amis, pas de famille, pas de copine. Après avoir tenté d’appeler son ex qui l’envoie promener, il compose le seul numéro qu’il connaisse par cœur, celui de ses parents, lorsqu’il était enfant. Et voilà qu’il tombe sur un Samuel de dix ans. Une conversion va se poursuivre au fil des semaines entre Samuel et celui qu’il est devenu. De quoi se remettre en question…
J’aurais pu rester réfractaire au dessin si le sujet n’avait été aussi passionnant et bien traité, et finalement j’ai adoré les deux personnages et les questions posées.

Abe Yaro, La cantine de minuit, tomes 1 et 2, Le lézard Noir, 2017, 300 pages chacun.
Du manga, du vrai, qui se lit en commençant par la fin, et les images de droite à gauche ! Cette série, dont j’ai lu les deux premiers avec délice, se situe dans le quartier de Shinjuku, à Tokyo, dans une gargote ouverte toute la nuit. Le patron n’a mis qu’un seul plat à la carte, mais cuisine tout ce qui lui est demandé. Et c’est souvent surprenant, les sortes de madeleines de Proust que les clients commandent et qui leur rappellent leur famille, ou des amours passées. Ou alors, les clients qu’un même goût rapproche… Ou d’autres dont les histoires circulent entre les piliers de comptoir…
(Pour l’anecdote, je m’imaginais demander comme plat improbable des pieds de cochon, spécialité de ma ville de naissance, eh bien, dans le deuxième tome, un chapitre est intitulé « pieds de cochon » !)
C’est savoureux, bien sûr, et plein de tendresse. La préparation des plats et la variété de la clientèle nocturne, bien particulière, rajoutent au charme de l’ensemble.

Catherine Meurisse, Les grands espaces, Dargaud, 2018, 92 pages.
L’autrice et dessinatrice a passé son enfance dans le Poitou, et raconte dans ce très bel ouvrage les grands espaces du jardin créé par ses parents, et de la campagne environnante. Les arbres plantés avec amour, les boutures rapportées de visites ici et là, les sorties culturelles aussi. Ses parents ont à cœur de faire découvrir la nature, la vraie, à leurs deux filles, et n’hésitent pas à pointer du doigt les dérives de l’agriculture intensive ou de l’urbanisation.
Il y a les dessins, doux et évocateurs, et encore beaucoup de choses à découvrir dans ce très bel album !

Aimée de Jongh, Jours de sable, Dargaud, 2021, 288 pages.
Bon, vous ne trouverez pas de critique de BD négative ou mitigée ici aujourd’hui… Je n’ai fait que des bonnes pioches ! Jours de sable raconte la mission d’un jeune photographe envoyé dans les années 30 dans le Dust Bowl, région entre l’Oklahoma, le Texas et l’Arkansas, devenue à force d’agriculture intensive, complètement invivable. Les tempêtes de poussière n’étant pas photogéniques, ce sont des clichés de familles en détresse, d’enfants affamés, de départs et d’enterrements que son patron lui commande. Mais il se prend d’intérêt pour les habitants et rechigne à mettre en scène leur souffrance.
Les dessins et la mise en scène sont magnifiques, le sujet passionnant, la réussite incontestable !