
« Au mois de mars 1912, il se produisit dans le port de Naples, lors du déchargement d’un grand transatlantique, un étrange accident sur lequel les journalistes donnèrent des informations abondantes, mais parées de beaucoup de fantaisie. »
Un transatlantique navigue de l’Asie vers l’Europe. Un homme qui profite de la fraîcheur nocturne et du calme sur le pont, et se croit seul, va faire une étrange rencontre. L’autre homme se dérobe d’abord, mais les jours suivants, agité et perdu dans ses souvenirs, il finit par raconter ce qui l’obsède, au cours de plusieurs nuits de confidences. Le premier voyageur apprend que l’homme était médecin dans un village de Malaisie, et qu’une femme de la haute société, fière mais anxieuse, était venue le trouver dans son cabinet perdu dans la jungle, pour une demande un peu particulière. Et comment, entre puissante attraction et désir de la tourmenter, il l’avait poussée à une alternative dramatique…
« Soudain, une main me serra convulsivement le bras, au point que j’aurais presque crié d’effroi et de douleur. Dans l’obscurité, le visage s’était tout à coup rapproché de moi, grimaçant ; je vis surgir subitement ses dents blanches, je vis les verres de ses lunettes briller comme deux énormes yeux de chat dans le reflet du clair de lune. »
C’est bref, soixante-dix pages si on excepte les préfaces et appendices divers… mais magistral. La construction est parfaite, qui ramène dans les dernières pages le lecteur à l’endroit où tout a commencé, dans le port de Naples. Le style est d’un grand classicisme, clair, habile à faire monter la tension, et à restituer des atmosphères : la promiscuité et l’accablement ressentis à bord du navire comme la moiteur des forêts de Malaisie et la crasse des villes. Et aussi à imbriquer une histoire dans une autre et à sonder la psychologie de plus en plus fragile et affolée du médecin de Malaisie.
Je l’ai lu dans une version qui ne comporte que cette seule nouvelle, il en existe d’autres où Amok est suivi de Lettre d’une inconnue et de La ruelle au clair de lune.
Amok de Stefan Zweig, 1922, Livre de Poche, 2013, 128 pages.

Les Feuilles allemandes, c’est en novembre chez Patrice et Eva et Livr’escapades.
Aujourd’hui, lecture commune de La pitié dangereuse de Stefan Zweig chez Brize, Ingannmic, Keisha, Patrice…