Louise Erdrich, Celui qui veille

« Alors on en est là, se dit Thomas en fixant la froide succession de phrases de la proposition de loi. On a survécu à la variole, à la carabine à répétition, à la mitrailleuse Hotchkiss et à la tuberculose. À la grippe de 1918 et à quatre ou cinq guerres meurtrières sur le sol américain. Et c’est à une série de mots ternes que l’on va finalement succomber. Réallocation, intensification, termination, assurer, et cetera. »

En 1953, dans une usine de pierres d’horlogerie du Dakota du Nord, Thomas Wazhashk est veilleur de nuit, mais aussi celui qui veille à sauvegarder les droits des indiens Chippewas contre le projet de loi d’un député, projet qui sous couvert de plus de libertés, conduirait à la fin des réserves et à l’assimilation totale de son peuple. Ce qui irait à l’encontre des traités qui avaient été conclus auparavant. « Termination » est le mot employé, mot qui fait froid dans le dos tant il évoque « extermination » et contre lequel Thomas va lutter avec tous les moyens possibles. Quant à sa nièce Pixie, elle décide de prendre en main la recherche de sa sœur aînée partie pour Minneapolis, et dont la famille est sans nouvelles. Ce pourrait être l’occasion pour Wood Mountain, jeune boxeur prometteur, de l’aider dans sa recherche, compliquée par le fait qu’elle ne connaît pas du tout la ville.

« Thomas appartenait à la génération d’après le bison, celle des qui-sommes-nous-désormais. Il était né sur la réserve, avait grandi sur la réserve, et tenait pour acquis qu’il mourrait sur la réserve. Il possédait une montre, n’avait jamais appris à lire l’heure en étudiant la position du Soleil et de la Lune. Il avait d’abord parlé l’ancienne langue, puis aussi l’anglais avec un petit quelque chose à lui et une infime trace d’accent. Un accent qui n’appartiendrait jamais qu’aux gens nés comme lui au début du siècle. Elle serait bientôt perdue, cette façon douce mais ferme de s’exprimer. Sa génération devrait se définir. Qui était indien ? Qu’est-ce que ça voulait dire ? »

Les extraits parlent d’eux-mêmes sur le sujet de la lutte pour les droits des minorités, qui est brillamment traité par Louise Erdrich, inspirée par le souvenir de son propre grand-père. J’ai surtout aimé les personnages, pleins de force et d’humanité, et la description de la vie sur la réserve dans les années cinquante. L’autrice américaine rend l’histoire particulièrement vivante et intense, avec sa manière toute personnelle de passer d’un personnage à l’autre, d’insérer des réflexions passionnantes, et de créer des attentes pour le lecteur, manière qui me ravit toujours.
Celui qui veille de Louise Erdrich (The Night Watchman), Albin Michel, janvier 2022, traduction de Sarah Gurcel, 560 pages

D’autres chroniques (aussi approfondies qu’enthousiastes), chez Claudialucia, Eve-Yeshé, Keisha, Le Bouquineur ou Pamolico.

Les pavés de l’été sont dorénavant chez Sibylline (La petite liste). Mes projets pour cette année sont, outre Celui qui veille, Le vieux jardin de Sok-Yong Hwang, Tous, sauf moi de Francesca Melandri… ou autre chose si l’occasion se présente. Je préfère ne pas trop m’avancer…

Si vous cherchez LE pavé qui peut vous réjouir sur la plage ou en terrasse de café, je vous propose d’essayer Le grand Monde de Pierre Lemaître, Où vivaient les gens heureux de Joyce Maynard ou Lorsque le dernier arbre de Michael Christie, tous sortis en poche, et donc pas trop lourds dans le sac !
Vous trouverez une foule d’autres idées chez Brize qui a animé avec brio les Pavés de l’été les onze années précédentes.

Ce roman entre aussi dans l’activité sur les minorités ethniques chez Ingannmic.

54 commentaires sur « Louise Erdrich, Celui qui veille »

  1. Un des meilleurs de l’auteur, exactement! (même si moi j’ai aussi regretté de ne pas avoir aussi les documents de son ancêtre, mais bon ^_^)

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  2. Les extraits soulignent bien toutes les difficultés auxquelles sont soumis les Indiens . Je lirai ce livre ….je ne donne pas de date.

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  3. J’ai l’impression que ce roman fait l’unanimité et en plus tu fais une pierre deux coups pour les défis. Bien joué !

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  4. Qu’est-ce que j’ai aimé ce roman…
    Et j’espère que tu te régaleras autant que moi avec Tous, sauf moi… Je l’avais trouvé sublime. Je l’avais prêté à une lectrice qui l’a abandonné…
    En ce moment je suis plongée dans Où vivaient les gens heureux… un régal !

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  5. Alors non, je ne l’ai pas lu, celui-là, mais tu me donnes très envie de la faire ! Je n’ai lu que La chorale des maîtres bouchers, de cette auteure, et j’avais beaucoup aimé (c’est il me semble l’un de ses rares romans où il n’est pas question d’Amérindiens).
    Merci pour ta participation en tous cas, le récap de l’activité s’est bien enrichi.
    J’avais adoré Tous, sauf moi, c’est un livre formidable tu verras.. et de mon côté, Lorsque le dernier arbre fait partie de mes projets de lectures de pavés 2023..

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    1. Mais oui, je me suis mélangée car j’ai aussi cherché des avis sur « Tous, sauf moi » que tu as lu, lui ! 😉
      Je pense que tu aimerais ce roman de Louise Erdrich, si tu as l’occasion de le lire.

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  6. Bonjour Khatel, s’il te prend de lire un autre pavé, j’espère qu’il fera au moins 600 pages… Sinon, je n’ai encore rien lu de Louise Erdrich, ce roman m’a l’air bien avec une intrigue prenante. Bon week-end.

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    1. Ah oui, pas assez épais… ;-/
      Même la version en « poche », annoncée pour le mois d’août 2023, n’est donnée que pour 576 pages…
      Plus sérieusement, le thème en a l’air intéressant, sur le « mal-être » des derniers Amérindiens de nos jours…
      Et puisque vous lisez aussi des bandes dessinées: j’ai lu jadis une série en BD, de Derib, en deux cycles. Le premier, « Celui qui est né deux fois » (3 tomes), se déroulait au XIXe siècle. L’autre, « Red Road » (4 tomes), dans les années 1970 (avec un descendant du héros initial).
      Je vous les recommande.
      (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

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      1. Je ne pouvais donc pas faire croire que je l’avais lu en poche ? 🙂
        Intéressant, ces titres de BD, je vais voir s’ils sont à la médiathèque que je fréquente… Merci !

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  7. Comme j’ai envie d’une série de romans « marins », je vais tenter Le Prince des marées cet été comme pavé. Mais je devrais remettre Louise Erdrich à mon programme de lecture…

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  8. J’ai aussi Le vieux jardin dans ma PAL pour le challenge des pavés 😊. Tu me rappelles que je veux découvrir depuis longtemps Louise Erdrich. Je ne serai sûrement pas déçue par ce titre-là au vu des nombreux avis enthousiastes!

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    1. Mais je vois que j’ai bien fait de parler de cette autrice amérindienne, qui n’est pas si lue que ça !
      Et nous sommes d’accord sur les trois pavés à ne pas rater. 😉

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  9. Oh oh, que voilà une bonne idée de pavé ! Et « tous sauf moi » est aussi sur ma PAL… je te rejoins sur le conseil pour « Où vivaient les gens heureux » !!

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    1. Bientôt ma chronique sur Tous, sauf moi… je ne sais pas si je dois te conseiller de lire mon avis, d’ailleurs… ou alors en même temps qu’un autre comme celui de Krol. 😉

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  10. Toujours pas lu Louise Erdrich mais ce prix Pulitzer pourrait bien faire l’affaire ! Reste à pouvoir le caser…^^

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  11. Coucou Kathel. Chez vu chez Dasola que tu prévois de lire « Le vieux jardin » de Hwang Sok-yong. Je l’ai commandé chez mon libraire. Je dois le recevoir mardi. Tu pensais publier ton billet bientôt ?

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    1. Je viens de voir que Dasola a déjà inscrit mes titres… ça me met la pression !
      Pour Le vieux jardin, je n’ai pas encore prévu de date de lecture, j’ai une pile de la médiathèque à faire descendre avant (et qui comporte peut-être elle-même un pavé !). Bref, impossible de dire une date. Et toi, tu comptes le lire tout de suite ?

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      1. Non, je n’ai pas de date en tête. Je suis comme toi, j’ai une PAL en attente pour les vacances d’été. Je ne suis pas pressée. Je peux t’attendre. Qu’en penses tu ?

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