« Stuart Elton se penche pour retirer d’une pichenette un fil blanc sur son pantalon, et ce geste banal, accompagné qu’il est d’une coulée, d’une avalanche de sensations, lui paraît être la chute d’un pétale de rose : en se redressant pour reprendre sa conversation avec Mrs Sutton, Stuart Elton sent qu’il est tout entier fait de pétales compacts, serrés et touffus, teintés, rougis, embrasés tous de cette luisance inexplicable. Si bien que, quand il se penche, un pétale tombe. Dans sa jeunesse, il n’a pas connu cela, non. Maintenant, à quarante-cinq ans, il lui suffit d’envoyer promener un fil d’une pichenette, et voilà que l’envahissent tout entier cette magnifique harmonie de la vie, cette coulée, cette avalanche de sensations, ce sentiment d’unité lorsqu’il se relève, rééquilibré. Mais que disait-elle donc ? » (Le bonheur)
Première lecture pour moi de Virginia Woolf, autrice qui m’a jusqu’alors suffisamment intimidée pour que je ne me risque pas à lire un de ses romans. Serait-ce une bonne idée de commencer par des nouvelles ?
Celles-ci ont été écrites de 1906 à 1941, certaines sont donc ses tout premiers écrits alors que les dernières datent de l’année de sa disparition. Comme elles sont fort différentes les unes des autres, tant par la longueur que par le genre, le plus simple va être de décrire si ce n’est toutes les nouvelles, du moins certaines d’entre elles, avec mes impressions à la lecture…
« Phyllis et Rosamond » : l’autrice y décrit une journée de deux sœurs, jeunes filles dont toutes les activités sont tournées vers la recherche d’un prétendant. Elles croisent lors d’une soirée une jeune femme plus libre, intellectuelle qui a d’autres aspirations dans la vie… le dialogue n’est pas facile… Woolf avait vingt-quatre ans, c’est l’un de ses premiers écrits et c’est vif, d’une écriture acérée et qui sonne juste. (20 pages)
« Le journal de maîtresse Joan Martyn » plonge dans le Moyen-Âge, après une mise en situation classique, et aborde le thème de l’écriture et de la place des femmes dans la société et dans l’histoire. C’est original et l’écriture est remarquable. (48 pages)
Dans « Mémoire de romancière », je n’ai pas trop vu où Woolf voulait en venir, peut-être est-ce une nouvelle qui renvoie à une personne connue d’elle, peut-être une romancière du groupe de Bloomsbury ? On peut aussi y voir une sorte de revendication féministe : les femmes aussi peuvent avoir une vie intéressante, qui puisse inspirer une biographie. Mais on sent aussi beaucoup d’ironie.
De « La soirée » je n’ai pas tout compris, il y est question de lecture, des anciens et des modernes, les dialogues sonnent comme de la poésie, et si c’est beau, j’ai été ravie que la nouvelle soit courte.
« Sympathie », une courte nouvelle de 1919 à propos de la mort, une très belle réflexion sur ce qui reste et ce qui passe, assortie d’une chute inattendue ! (7 pages)
« Une société » est une nouvelle féministe où des jeunes femmes décident d’observer et de questionner les hommes pour décider si leur comportement et ce qu’ils produisent en terme d’art, mérite que les femmes portent leur progéniture. Questionnement hautement déplacé pour l’époque ! Nouvelle agréable à lire quoique le coq à l’âne y soit parfois perturbant. (21 pages)
« Le rideau de Miss Lugton, l’infirmière » (3 pages) courte nouvelle au fantastique léger et humoristique.
« La veuve et le perroquet, historie vraie » (12 pages) Une fable ironique qui ne semble absolument pas véridique, contrairement au titre, mais qui met le sourire aux lèvres… et sans rien de biscornu dans l’écriture, pour une fois.
« Mrs Dalloway dans Bond street » On lit le flux de pensée d’une dame d’une cinquantaine d’années, de la bonne société, qui sort de chez elle, passe aux abords de plusieurs monuments emblématiques de Londres et fait quelques emplettes, un livre, une paire de gants… S’agit-il de montrer le vide de sa vie ou au contraire, malgré cette disponibilité, le foisonnement de son esprit ? Écrit avant le roman, mais le personnage de Mrs Dalloway était déjà apparu dans une autre nouvelle… (13 pages)
« Le bonheur » est un texte génial dans sa brièveté : là encore le flux de pensées, entrecoupé de dialogues, d’un quinquagénaire ressentant un inexplicable sentiment de bonheur, qu’il cherche à analyser. (6 pages)
« Ancêtres », en 5 pages, considère avec une certaine ironie la nostalgie d’une Mrs Vallance : elle se remémore une image de son enfance et regrette que ce jour n’ait pas pu durer toute sa vie.
Dans « Présentations », une jeune fille fait sa première sortie dans le « monde », tout en repensant à son mémoire sur Jonathan Swift très bien noté par son professeur… On lui présente un jeune homme. Une nouvelle courte, mais bien caustique.
« Mélodie simple » Je n’ai pas compris grand chose à cette nouvelle, il faut dire que plusieurs notes, renvoyant à d’autres nouvelles que je n’ai pas lues, et à d’autres personnages, m’ont plutôt égarée. A l’image de ce Mr Carslake qui, lors d’une soirée (serait-ce toujours la même soirée chez Mrs Dalloway ?) laisse son esprit vagabonder en regardant un tableau représentant un paysage de campagne.
Me voici rassérénée avec les trois pages si accessibles et belles de « La fascination de l’étang ».
Ce recueil contient encore trois ou quatre nouvelles, je vais cependant m’arrêter là. Je suis contente d’avoir surmonté mes réticences et d’avoir lu enfin Virginia Woolf, mais c’est tout de même une lecture ardue, dans l’ensemble, et je continuerai peut-être la découverte avec un court roman. Si vous avez des conseils, je suis preneuse.
La fascination de l’étang de Virginia Woolf, (The complete shorter fiction of Virginia Woolf), éditions Points, janvier 2013, préface d’Arnaud Cathrine, traduction de Josée Kamoun, 292 pages.
Lecture commune avec Keisha qui lit en VO et a déjà commenté d’autres nouvelles ici. Voici son billet du jour, certaines nouvelles sont les mêmes.
Bonnes nouvelles, c’est en janvier chez Je lis, je blogue :
Je ne sais pas comment tu as choisi l’extrait en début de billet mais il me dit clairement que je ne suis pas prête à lire Virginia Woolf. Pas impressionnée, non, mais à peu près sûre de fermement m’ennuyer. Mais tu sembles cependant avoir apprécié certaines nouvelles… il faudrait que je lise juste celles-là…
J’aimeJ’aime
Hé, l’extrait choisi est très représentatif, c’est ce qui a guidé mon choix ! Certaines nouvelles peuvent ennuyer, c’est clair, mais d’autres, pas du tout. J’ai aimé la variété de styles, de tons, de sujets. Si tu as l’occasion de trouver ce livre en bibliothèque, ça vaut le coup d’y jeter un œil.
J’aimeJ’aime
J’ai hésité à vous suivre dans l’aventure mais j’étais trop intimidée par l’autrice. Il y a des textes qui demandent une grande attention du lecteur mais quelle satisfaction quand on en vient à bout !
J’aimeJ’aime
Tout à fait d’accord, c’est particulièrement satisfaisant ! Il m’a fallu la lecture commune et quinze jours tout de même (avec une autre lecture plus facile en parallèle) pour y arriver.
J’aimeAimé par 1 personne
Je vois des nouvelles que je n’ai pas lues, et certaines en commun. Peu importe. J’ai mal su en parler, pour une raison expliquée dans mon billet.
Par quel roman commencer? Mrs Dalloway peut-être? N’abandonne pas Woolf.
J’aimeJ’aime
J’ai pris quelques notes après chaque nouvelle pour m’y retrouver et écrire mon billet. Certaines m’ont vraiment beaucoup plu, les plus classiques au niveau de l’écriture, d’autres m’ont plus perdue… Bravo encore pour la lecture en VO !
J’aimeJ’aime
Comme toi c’est une auteure qui me fait un peu peur, et tu as raison, la découvrir par des nouvelles serait peut-être la solution même si tu ne parais pas toujours convaincue !
Merci de ta présentation.
Anne
J’aimeJ’aime
Je pense (et j’espère convaincre d’autres lectrices et lecteurs) que c’est une autrice à lire au moins une fois, même et surtout si elle fait un peu peur ! 😉
J’aimeJ’aime
Je ne peux que te conseiller la lecture d’Orlando qui est réjouissante et très agréable à lire.
Son Journal de l’écrivain est également magnifique.
J’aimeJ’aime
Je prends note, merci !
J’aimeAimé par 1 personne
C’est une bonne idée je pense de commencer à la découvrir en lisant des nouvelles. Pour ma part j’ai lu certains de ses livres quand j’étais plus jeune et je me dis chaque année que je devrais la relire et puis je passe à autre chose. Ses écrits sont superbes mais demandent beaucoup d’attention et même à la retraite je suis très rarement assez tranquille mais je n’ai pas dit mon dernier mot à son sujet…en tous les cas tu me donnes envie de persévérer.
J’aimeJ’aime
J’espère réussir à la lire de nouveau, je suis comme toi, rarement très concentrée sur ma lecture, et ça ne s’arrange pas avec l’âge, je trouve ! 😉
J’aimeJ’aime
Malgré ma lecture marquante (dans le bon sens du terme) de Mrs Dalloway, c’est une auteure qui continue à m’effrayer. J’ai tout de même 2 de ses titres sur ma pile : La promenade vers le phare et Un lieu à soi, et Le bouquineur, qui a cette semaine publié un billet sur Orlando, m’a convaincue de les en sortir au plus vite !
France 5 a diffusé récemment un (bon) documentaire sur l’auteure, qui est toujours accessible sur france5.tv
J’aimeJ’aime
Oui, j’ai repéré ce documentaire, il faut que je trouve un moment pour le voir… et j’espère bien continuer, je ne sais pas encore trop avec lequel de ses romans…
J’aimeJ’aime
Que de thèmes passionnants et si modernes! Je n’ai lu que Mrs Dalloway de cette autrice. Je n’en ai sans doute pas compris toutes les subtilités mais je l’ai beaucoup aimé quand même. Je serai curieuse de lire la nouvelle qui a précédé le roman. Une chambre à soi m’attend sagement sur mes étagères, là je n’ai pas encore franchi le pas sachant que c’est un essai
J’aimeJ’aime
C’est vrai que les thèmes étonnent dans ces nouvelles. J’ai comme l’impression que Mrs Dalloway n’est pas le plus facile de ses romans, enfin, les avis divergent un peu… Il va me falloir digérer d’abord ces nouvelles avant d’en lire un autre.
J’aimeAimé par 1 personne
je n’ai lu que Mrs. Dalloway et il n’y a pas si longtemps. C’est une grande écrivaine mais j’hésite à en lire davantage.
J’aimeJ’aime
Je te comprends, je ne vais pas continuer tout de suite à la lire, il me faudra sans doute une motivation quelconque pour m’y encourager.
J’aimeJ’aime
Je vénère Virginia Woolf, mais je sais qu’elle ne peut pas parler à tout le monde. Peut-être que tu peux commencer par Une chambre à soi, un essai qui a l’avantage d’être très abordable. Dans ses romans, mes préférés sont « Vers le Phare », « La Traversée des apparences » et « Les Années ».
J’aimeJ’aime
C’est bien, les titres que tu cites ne sont pas ceux qui reviennent le plus souvent, et ça m’intrigue, du coup ! 😉
J’aimeJ’aime
J’ai lu Mrs Dalloway que j’avais aimé, mais il y a déjà un certain temps. Je ne m’en souviens plus assez bien et je n’ai pas continué. Je ne sais pas trop pourquoi. Je ne savais pas qu’elle avait écrit également des nouvelles.
J’aimeJ’aime
Décidément, c’est un peu l’autrice qu’on ne lit qu’une fois, sauf à devenir un ou une adepte. Je ne désespère pas de continuer à la lire, cependant.
J’aimeJ’aime
Je reprends ce que j’ai dit à Keisha : J’aime beaucoup Virginia Woolf mais je pense que c’est dans ses romans qu’elle est au meilleur car en tant que lecteur il faut se laisser engloutir par sa prose et les sensations qui s’en dégage. Le roman laisse plus de possibilités en ce sens que la nouvelle.
J’aimeJ’aime
Pour toi, il faut donc lire un roman : vais-je m’y laisser engloutir ou non ? L’avenir le dira.
J’aimeJ’aime
Comme toi j’ai longtemps été effrayée, impressionnée, malgré les encouragements de ma meilleure amie fervente admiratrice de la plume et de la personnalité de la dame… et puis, il y a quelques mois j’ai enfin eu une irrésistible envie de lire Mrs Dalloway, j’ai trouvé ça éblouissant, j’ai enchaîné avec son Journal d’un écrivain qui m’a captivée et donné envie de lire Vers le phare que j’ai adoré. Voilà tout est débloqué même si mes lectures de La chambre de Jacob et Les années ont été beaucoup moins enthousiastes. Mais je vais continuer, c’est un style, un univers, une forme de pensée singuliers au service d’expériences qui ne laissent pas indifférent. Je crois que je vais tenter Orlando pour la prochaine 🙂
J’aimeJ’aime
Tu fais donc partie de la catégorie de celles et ceux qui ont lu plusieurs de ses livres, des vrais fans, quoi ! Je crois qu’elle ne peut pas laisser indifférent, c’est sûr… Avec les nouvelles, je suis un peu passée d’un extrême à l’autre, mais surtout dans le sens positif, avec beaucoup d’admiration, tout de même.
J’aimeJ’aime
Quant un auteur est aussi cérébral, il vaut mieux y aller franco avec un roman (pas trop long), c’est ma devise.;) Ceci dit, je n’avais pas accroché avec Mrs Dalloway. En revanche, son essai, Une chambre à soi, m’a complètement conquise, mais son sujet nous parle, forcément.
J’aimeJ’aime
Avec tous ces encouragements, je ne peux que continuer à la lire ! Ce seront les disponibilités en médiathèque qui décideront (quoique je ne pense pas que ses livres sortent tous les deux jours)
PS : tu signes Fanja maintenant ? J’aime beaucoup ton prénom, même si je ne suis pas sûre de savoir le prononcer correctement. 😉
J’aimeJ’aime
Oui, A Girl commençait à dater, c’est un pseudo qui a fait son temps.;) J’ai opté pour le prénom pour faire simple. Ça se prononce Fandz(a) (accent tonique sur la première syllable).^^ Je te recommande vivement Une chambre pour soi si ta médiathèque l’a, sinon je retenterai probablement Woolf un de ces quatre, on pourra peut-être prévoir une LC.:)
J’aimeAimé par 1 personne
impossible ces derniers jours de mettre un commentaire chez toi
cela à l’air de fonctionner à nouveau ouf
V W est une auteure que j’aime énormément mais certains textes sont un peu faibles et je en suis pas certaine qu’ils étaient faits pour être publiés
J’aimeJ’aime
J’en suis désolée, Dominique, je viens d’aller voir les réglages et je ne vois rien qui empêche de commenter et surtout rien sur lequel je puisse agir.
Je comprendrais si certains textes de VW n’étaient pas destinés à la publication, ils semblent un peu expérimentaux pour l’époque…
J’aimeJ’aime
Hello, je fais partie des fans de cette autrice ! J’ai adoré Mrs Dalloway, en plus je crois qu’il existe une toute nouvelle traduction par une autrice française actuelle. Orlando est aussi très abordable. Comme Keisha, je te conseille de persévérer !! Tu sais qu’un film génial a été fait il y a plusieurs années, d’après Mrs Dalloway ? C’est The hours avec trois grandes actrices !
J’aimeJ’aime
Je vois que tu es intarissable sur le sujet ! 😉 Il va falloir que je me penche sur ses romans. Je connais le film par son titre mais ne crois pas l’avoir vu. C’est avec Nicole Kidman ou Meryl Streep ? Je le regarderai si j’en ai l’occasion.
J’aimeJ’aime
Oui c’est ça ! C’est vraiment un super film…
J’aimeAimé par 1 personne
Je n’ai lu que Mrs Dalloway et j’ai trouvé ça ardu et ennuyeux… je suis un peu gênée de penser ça, je ne suis pas assez maligne, sans doute, mais je n’ai plus envie de lire Virginia Woolf (par contre, des romans ou autres qui parlent d’elle m’intéressent toujours).
J’aimeJ’aime
Ne serait-ce que pour voir pourquoi il suscite des avis tellement différents, il faudrait que j’ouvre Mrs Dalloway ! Mais je ne suis pas encore prête, je suis tout de même passée par des hauts et des bas avec ces nouvelles, il y en a quelques-unes où j’avais l’impression de ne pas comprendre grand chose. Et après venait une autre nouvelle très différente. Alors, qu’en sera-t-il avec un roman ?
Des romans qui parlent d’elle, ou qui s’inspirent de son travail, ça peut être intéressant, effectivement.
J’aimeJ’aime