Karel Čapek, La guerre des salamandres et R.U.R.

Aujourd’hui, je vous présente deux pièces de théâtre. Non, ne fuyez pas, tout d’abord parce qu’elles nous permettent de découvrir Karel Čapek, auteur tchécoslovaque devenu classique, ensuite parce que la première pièce est tirée d’un de ses romans les plus connus, et que cette version permet de lire un roman de 380 pages en deux heures, tout au plus.
De plus, ces deux fables politiques restent d’une grande modernité. Dire que R.U.R. a été écrit en 1920, et La guerre des salamandres en 1936 !

« Marek : Mon Dieu, mon Dieu, quand j’ai fait entrer ce capitaine, qui aurait dit qu’on en arriverait là ? C’est comme ça qu’on détruit le monde, pour rien…Tout ça à cause de moi.
L’Auteur : Stop, Marek ! Stop ! Ca ne va pas, qu’est-ce que tu racontes ? Ce n’est pas toi, c’est l’avidité, l’avidité de quelques-uns, la lâcheté des autres. C’est l’indifférence, l’inconséquence, la gloutonnerie, c’est le manque de mesure… »

La guerre des salamandres est ici adaptée par Evelyne Loew et mise en scène par Robin Renucci. Et l’histoire, alors ? Le capitaine Van Toch, faisant escale en Europe, s’associe avec un certain Bondy, homme d’affaires, pour une entreprise de pêche de perles. Il a découvert des salamandres géantes et intelligentes dans une île proche de Sumatra, qui, mangeuses d’huîtres, mais pas intéressées par les perles, pourraient leur faire une main d’oeuvre toute trouvée. Mais d’autres vont vouloir tirer parti de cette manne jusqu’alors inconnue, et exploiter les salamandres à d’autres fins. Celles-ci finiront par se révolter…
Les thèmes abordés par Karel Čapek ne peuvent pas laisser indifférent, même et surtout maintenant : la protection des espèces, le bien-être animal, la montée des eaux des océans, la mondialisation, le pouvoir des médias, et j’en oublie sans doute ! La mise en scène est très intéressante, avec des incursions de l’auteur dans la trame du récit, et j’aurais beaucoup aimé voir cette pièce sur scène. Toutefois, je n’ai pas eu de mal à m’immerger dedans, et suis ravie de la découverte !

« Domin : Alors le jeune Rossum s’est dit : Un homme, ça ressent par exemple de la joie, ça joue du violon, ça a envie de se promener, bref il y a tant de choses qui sont, au fond, inutiles.
Hélène : Oh non !
Domin : Attendez un peu. Qui sont inutiles lorsqu’on doit, disons, tisser ou calculer. Un moteur diesel ne doit pas non plus avoir des franges ou des ornements, mademoiselle Glory. Et fabriquer les ouvriers artificiels, c’est la même chose que de fabriquer les moteurs diesel. La production doit être simplifiée au maximum et le produit le meilleur possible. »

Le deuxième texte était dès l’origine écrit pour le théâtre. Jouée pour le première fois à Prague, en 1921, puis à New York dès 1922, la pièce a été traduite en français, puis montée par Jacques Hébertot et présentée à Paris en 1924.
R.U.R. signifie Rossum’s universal robots, il s’agit d’une entreprise crée par un certain Rossum, qui fabrique des robots d’apparence humaine, capables de faire toutes les tâches ingrates dont les hommes ne veulent plus s’embarrasser. D’ailleurs cette pièce est à l’origine du mot robot qui n’existait pas auparavant, il vient d’un mot tchèque « robota » qui signifie corvée.
Une jeune femme, Hélène, vient visiter l’usine qui fabrique ces robots et finit par rester et épouser le directeur de l’usine. Mais elle reste ennuyée par le fait qu’il manque des sentiments à ces robots presque humains, et en voulant faire leur bonheur, précipite la chute de l’entreprise Rossum.
De mise en scène plus classique, cette pièce étonne aussi par sa modernité. Les questions posées par l’intelligence artificielle y sont très bien développées, s’y mêlent des réflexions sur l’exploitation des travailleurs, et cela en fait une lecture très intéressante.

La guerre des salamandres et R.U.R., Karel Čapek, L’avant-scène théâtre, 2018, 168 pages.

Lu pour le mois de l’Europe de l’Est.

D’autres avis : précédemment, Doudoumatous a lu une bande dessinée adaptée de R.U.R., Pativore a lu La guerre des salamandres dans sa version pour le théâtre et Keisha a lu le roman.

Deon Meyer, L’année du lion

« L’espèce humaine ne peut pas changer , l’homme ne peut tout simplement pas changer. L’évolution nous a programmés pour continuer à consommer jusqu’à ce que tout ait disparu. »

Une situation post-apocalyptique où tout manque, un père, son fils, on pense immédiatement à La route, mais L’année du lion est bien différent du roman de Cormac McCarthy, tout d’abord parce qu’il présente des personnages, quelques-uns du moins, à qui la catastrophe sanitaire n’a pas fait perdre toute humanité, et aussi par son dénouement qui ne manque pas de surprendre.
Dès les premières lignes, on apprend que le fils veut venger la mort de son père, et on peut en déduire pas mal de choses et aussi voir se dessiner beaucoup d’interrogations. Pour faire court, une pandémie à coronavirus à décimé la population mondiale, laissant cinq personnes sur cent capables de résister au virus. Tout est désorganisé, et une catastrophe nucléaire dans la région du Cap oblige les rescapés à fuir vers le nord. C’est là, près d’un barrage dont il espère remettre en route la centrale électrique, que s’installe Willem Storm avec son fils de treize ans, Nico. D’autres les rejoignent, pour peu qu’ils adhèrent à leur idée de la démocratie. Des personnages intéressants et venus d’horizons très divers…

« Ainsi, dit Père, nous sommes unis en tant que contrepoids au mal. Nous constituons le poids qui doit rétablir l’équilibre de l’univers. Nous découvrons notre identité dans notre différence, nous sommes le lieu de la lumière mais nous ne pouvons l’être que si « eux » représentent les ténèbres. »

Cette pandémie a été décrite par l’auteur en 2016, sans doute parce que les chercheurs qu’il a interrogé lui ont affirmé que ce virus était le plus vraisemblable, s’il voulait prédire une pandémie très rapide et généralisée. La très bonne idée du roman est d’avoir imaginé un groupe d’habitants prêts à intégrer une communauté utopique, alors que le reste du pays semble vivre sous la coupe de gangs dont la survie passe par le pillage et pire encore. Et pourtant, ça fonctionne, et, en prenant beaucoup de précautions contre de possibles attaques, les habitants d’Amanzi (qui veut dire « eau » en xhosa) réussissent à vivre relativement en harmonie. La création d’une société nouvelle, pas à pas, avec ses réussites et ses déboires, se lit avec enthousiasme. L’auteur, au travers du personnage de Willem Storm, développe des idées passionnantes sur la capacité de l’homme à construire une société autour d’un mythe. (je synthétise, l’intérêt est dans l’explication claire de cette idée).
Bien sûr, certains de ces villageois ne sont pas dépourvus de défauts, et de goût pour le pouvoir, et on se demande sans cesse par qui le malheur va arriver. Tout en admirant la résilience de la plupart d’entre eux et leur capacité à s’adapter à des conditions de vie moins consuméristes et plus communautaires que ce qu’ils avaient connu auparavant. Comme Deon Meyer est habitué à tisser des intrigues de polars, le suspense est parfaitement maintenu tout du long des six cents pages du roman. Les rapports compliqués entre le père et son fils adolescent, tous deux à leur chagrin dû à la perte de leur épouse et mère, apportent la touche indispensable de sentiment.
Même si vous avez l’impression d’avoir déjà lu assez de romans post-apocalyptiques, ce serait dommage de passer à côté de celui-ci. Il soulève des questions intéressantes sur notre monde d’aujourd’hui, des questions qu’il s’agirait de prendre à bras le corps dès maintenant.

L’année du lion de Deon Meyer (Koors, 2016), éditions du Seuil, 2017 et Points, 2018, traduction de Catherine Du Toit et Marie-Caroline Aubert, 710 pages.

Actu du noir a apprécié aussi.

Mois africain, la suite !

H.G. Wells, La guerre des mondes

« Je voyais maintenant que c’étaient les créatures les moins terrestres qu’il soit possible de concevoir. Ils étaient formés d’un grand corps rond, ou plutôt d’une grande tête ronde d’environ quatre pieds de diamètre et pourvue d’une figure. Cette face n’avait pas de narines – à vrai dire les Martiens ne semblent pas avoir été doués d’un odorat – mais possédait deux grands yeux sombres, au-dessous desquels se trouvait immédiatement une sorte de bec cartilagineux. »

C’est la coïncidence du billet de Keisha, du mois anglais et d’un défi H.G. Wells lancé par La petite liste qui m’a donné l’idée de lire ce classique publié en 1898. Il relate l’invasion de la Terre par des êtres venus de Mars, catapultés par une technologie inconnue des hommes dans d’énormes cylindres d’acier qui atterrissent, ou plutôt qui tombent dans le sud de l’Angleterre. Cela a commencé avec l’apparition de phénomènes astronomiques étranges, des atterrissages violents, plusieurs jours successifs, suivi par un épisode calme. Lorsque des êtres semblant faits de métal, armés de rayons destructeurs, émergent des cylindres métalliques, ils provoquent la curiosité, puis sèment la panique, et l’armée étant incapable de les abattre, ils progressent. Londres sera bientôt leur cible.

« C’est comme les hommes avec les fourmis. À un endroit, les fourmis installent leurs cités et leurs galeries ; elles y vivent, elles font des guerres et des révolutions, jusqu’au moment où les hommes les trouvent sur leur chemin, et ils en débarrassent le passage. C’est ce qui se produit maintenant – nous ne sommes que des fourmis. »

L’auteur a eu l’excellente idée de choisir le point de vue d’un observateur assez banal, dans lequel s’intercale le récit du frère de celui-ci, et parfois celui d’autres personnes rencontrées au hasard de sa fuite. Cette forme de récit fonctionne très bien et rend l’histoire vivante et prenante. Il a été très certainement difficile après avoir lu le roman de Wells d’imaginer un autre roman sur une invasion de Martiens ou d’autres êtres venus d’ailleurs, tant il est complet et soulève de nombreuses questions.
La guerre des mondes peut être vu comme la métaphore de beaucoup de guerres visant à une destruction massive d’une population, ou aussi comme celle de la colonisation. Les Martiens n’ont pas particulièrement de haine vis à vis des humains, ils s’en débarrassent simplement comme on écraserait des insectes, d’ailleurs la comparaison avec les fourmis revient plusieurs fois.

Je ne vous raconterai pas le dénouement, bien entendu, mais là encore, l’idée est intéressante et assez moderne. Bref, je ne regrette pas du tout d’avoir enfin découvert ce classique de la science-fiction ! Je l’ai lu dans une vieille édition Folio junior avec texte intégral et illustrations en noir et blanc d’Anne Bozellec.

La guerre des mondes de Herbert George Wells, (The war of the worlds, 1898) éditions Folio, traduction de Henri D. Davray, 320 pages.

lu dans le cadre du mois anglais #lemoisanglais et du mois H.G. Wells