Ian McEwan, Leçons

Il s’agit dans cet extrait d’un épisode de l’enfance de Roland Baines, dans les années 50 en Libye, là où son père était en garnison. Quoique le roman commence lorsque Roland est le jeune père d’un petit garçon de quelques mois, quitté brusquement par sa femme, il revient sur de nombreux faits marquants de son enfance et de sa jeunesse. Sa vie de presque enfant unique en Libye, puis l’internat en Angleterre, où il prendra à la demande de son père des leçons de piano. C’est une jeune professeur, à la fois autoritaire et perverse, qui le fait répéter, et qui va l’éveiller à la sexualité un peu plus tard, mais alors, il est encore trop jeune, toutefois.
Parvenu à la maturité, Roland se demande souvent quelle a été l’influence de ces leçons sur le cours de sa vie. Il s’interroge aussi sur ce qui se serait passé si tel ou tel événement n’avait pas eu lieu. Il a l’impression de passer un peu à côté de sa vie, ayant du mal à s’engager dans une relation comme à trouver autre chose que des petits boulots alimentaires.

Je ne peux pas finir l’année sans vous parler de cette lecture qui a répondu à toutes mes attentes. J’aime beaucoup les écrits de Ian McEwan, mais n’avait jamais été autant éblouie que par Expiation, mais cette fois, je ne peux que placer les deux romans sur un pied d’égalité. J’ai adoré l’ampleur du texte, couvrant plusieurs décennies des années cinquante à 2021, passant de l’Angleterre à l’Allemagne, pays d’origine d’Alissa, l’épouse de Roland. J’ai admiré la virtuosité de Ian McEwan à traiter de tous les sujets : l’adolescence, les rapports parents-enfants, la vie de couple, le travail d’écriture, autant que de la situation politique ou sociale, de passer de l’introspection à un débat de politique internationale… le tout avec une chronologie qui, sans être bouleversée, n’est ni linéaire, ni sagement alternée. Pas une fois au long des 650 pages, je ne me suis sentie égarée. Ni n’ai ressenti de longueurs. J’ai aimé aussi la façon dont il décrit avec bienveillance ses personnages, fussent-ils peu pourvus de qualités, pourtant.
C’est vraiment une réussite, un roman bien dans son époque, qui ne cultive pas une nostalgie stérile, ni ne se voile la face sur les défis qui attendent l’humanité dans l’avenir.

Leçons de Ian McEwan (Lessons, 2022) Gallimard, octobre 2023, traduction de France Camus-Pichon, 650 pages.

Les avis de Nicole et Pamolico.

Jan Carson, Les lanceurs de feu

« La couleur de l’Est c’est le gris, quarante nuances, chacune plus prononcée que la précédente. Il fait un complément parfait à la pluie, et ne pose problème que quand le soleil se montre. »

L’Est dont il est question dans la citation est celui de Belfast, en plein mois de juillet 2014. Les Troubles nord-irlandais appartiennent au passé, mais l’inquiétude va renaître lorsqu’une mystérieuse vidéo virale enjoint les jeunes à allumer des incendies. Tout le monde s’interroge sur les motivations du Lanceur de feu, de plus en plus suivi, et qui va bien plus loin que les traditionnels brasiers du 12 juillet, tels que la ville en connaît toujours, et qui eux sont plutôt festifs.
Parmi les plus inquiets, deux pères de famille qui ne se connaissent pas. L’un, Jonathan, est un médecin qui élève seul une toute petite fille, un bébé abandonné par une mère fantasque. Jonathan craint par-dessus tout que la petite Sophie ait hérité des dons très particuliers de sa mère.
Quant à Sammy, d’un milieu plus populaire, père de trois grands enfants, il se fait du souci pour l’aîné, Mark, en qui il a toujours senti une violence, peut-être héréditaire. Mark serait-il le Lanceur de feu ?

« J’aime bien regarder tes yeux et voir mon propre reflet, comme un miroir dans le noir. Te voilà, ma Toute Petite. Autant à moi qu’à elle.
Ta mère a les yeux bleus océan. Toute autre couleur aurait été une insulte. Mais les tiens sont bruns, comme la terre ferme, comme la glaise, comme les troncs d’arbre et les feuilles d’automne qui font les paillis d’hiver. »

Les deux pères ont en commun de penser que leurs enfants sont des dangers pour la société, et de ne pas vouloir baisser les bras face à ce pressentiment. Leurs deux récits se succèdent, avec des intermèdes en forme de fables sur le thème de la parentalité et des enfants à dons particuliers.
L’ensemble forme un puzzle insolite, parfait si vous cherchez un roman qui ne vous donne pas une impression de « déjà lu ». Ce roman nécessite de se laisser faire et d’accepter que le réalisme le plus strict se mêle à des considérations qui peuvent sembler folles.
Cela faisait un moment que je n’avais pas lu de roman irlandais, et celui-ci m’a tenté par son sujet très original et le cadre inhabituel de la ville de Belfast. Malgré les thèmes qui trouvent bien évidemment des résonances actuelles, été brûlant et violences urbaines, et bien qu’un peu déroutée par le côté presque fantastique, je n’ai pas été déçue. Je ne connais pas d’autre exemple de réalisme magique à l’irlandaise, il est peut-être le fait de cette seule autrice, mais ce n’est pas une raison pour le rater !

Les lanceurs de feu de Jan Carson, (The fire starters, 2019) éditions Sabine Wespieser, septembre 2021, traduction de Dominique Goy-Blanquet, 384 pages. Sorti en poche.

Repéré chez Alex, Cécile et Lectrice en campagne.

Bernardine Evaristo, Mr Loverman

« Comment prendre la décision de tout chambouler en disant à Carmel que je veux divorcer ?
La réalité, c’est que je suis trop habitué à la prison que je me suis fabriquée : juge, maton et crétin de codétenu. »

J’ai découvert Bernardine Evaristo l’année dernière grâce à la traduction de son roman primé Fille, femme, autre par les éditions Globe. Plus qu’une trouvaille, ça a été un véritable emballement pour ce roman choral très contemporain à la fois dans la forme et le fond, et pour ses personnages. J’étais donc pressée de poursuivre l’aventure avec Mr. Loverman, tout en sachant qu’il avait été écrit plusieurs années auparavant, en 2013, par l’autrice britannique.
Le personnage principal en est Barrington Walker, dit Barry, soixante-quatorze ans, et plus de cinquante ans de mensonges envers son épouse Carmel et sa famille. Barry, charmant dandy septuagénaire à la réputation de coureur de jupons, entretient en effet une relation avec Morris, son alter ego, l’amour de sa vie, depuis qu’ils vivaient tous deux à Antigua, bien avant que l’un comme l’autre émigrent à Londres.
Enfin, Barry l’annonce à Morris, il va tout dire à Carmel, faire enfin son coming-out, et ils vont pouvoir vivre tous les deux comme ils l’entendent. Mais le moment ne semble jamais propice, Barry tergiverse, ressasse ses scrupules…

« Je me vois, cinquante ans que je me comporte dans ma propre maison comme une souris d’hôtel, qui grimpe vers sa tanière, tenaillée par l’angoisse. »

De judicieux retours en arrière permettent de mieux connaître les trois personnages principaux, ainsi que les deux filles de Barry, intéressantes par bien des aspects également. Tous ces personnages expressifs, spirituels et spontanés, habiles à parler sans fin de tous les sujets de société, font le charme de ce roman, qui aborde des thèmes aussi passionnants et variés que l’identité, les préjugés, l’immigration, la paternité. Il se révèle toutefois moins bluffant que Fille, femme, autre, pas tout à fait aussi original sur la forme, et comportant quelques petites longueurs, mais si l’on a en tête qu’il a été écrit avant, ce n’est que logique…
Je dirais que si vous devez n’en lire qu’un de cette autrice, lisez Fille, femme, autre et si vous choisissez de lire les deux, mieux vaut commencer par Mr. Loverman. Que vous l’ayez lu ou non, qu’en pensez-vous ?

Mr. Loverman de Bernardine Evaristo, 2013, éditions Globe, février 2022, traduction de Françoise Adelstain, 302 pages.
Lu pour le mois anglais.

Lectures du mois (27) spécial littérature française

Vous devez savoir, pour ceux qui fréquentent régulièrement ce blog, que j’ai une préférence pour la littérature étrangère. Toutefois, il m’arrive de me laisser tenter par des romans français récents dont les critiques sont bonnes. Il faut bien se tenir un peu au courant !
Voici donc en bref mes ressentis sur des livres dont vous avez sans doute entendu parler, ou peut-être déjà lus.

Caroline Dorka Fenech, Rosa dolorosa, éditions La Martinière, août 2020, sorti en poche.
« Aux fenêtres, les linges pendus paraissaient en lambeaux. Et, à cette heure-ci, il n’y avait personne. Seuls les Messina passaient sous les fils électriques fragiles et noirs qui couraient d’une façade d’immeuble à l’autre, composant une toile d’araignée funèbre au-dessus d’eux. »

Toute la vie de Rosa tourne autour de son fils Lino. Le jeune homme d’une vingtaine d’années monte avec elle un projet d’hôtel à Nice, où Rosa possède déjà un petit restaurant. Jusqu’au jour où Lino est mis en examen pour un meurtre, chose impensable pour sa mère. Sous le choc, elle met tout en œuvre pour prouver l’innocence de son fils.
La force de ce roman assez court réside dans la tension qui parcourt le roman et dans la magnifique scène finale… Sinon, le style un peu inégal, avec de belles descriptions mais des dialogues pas toujours intéressants, font que j’ai été un soupçon déçue, j’attendais mieux de ce premier roman.

Karine Tuil, Les choses humaines, éditions Gallimard, août 2019, sorti en poche.
« Ils découvraient la différence entre l’épreuve et le drame : la première partie était supportable ; le second se produisait dans un fracas intérieur sans résolution possible – un chagrin durable et définitif. »

Tout le monde connaît les parents d’Alexandre Farel, jeune étudiant brillant à Stanford. Son père présente une émission politique très regardée, sa mère écrit des essais féministes. Mais Alexandre est accusé du viol d’une jeune fille. C’est là que deux ressentis s’affrontent, jusqu’au procès. Pour Alexandre, il y avait consentement, pour Mila, la jeune fille, traumatisée, il y a eu viol.
L’écriture des deux premières parties ne présente aucun intérêt notable… Le style qui consiste à aligner des faits à propos de chaque personnage avec une grande platitude m’a laissée assez effarée et inquiète de la suite. Ajoutons à cela que les protagonistes n’éveillent aucune identification ni compassion et ne montrent que des aspects assez odieux d’eux-même. Heureusement la troisième partie consacrée au procès s’avère plus intéressante à lire tout en ouvrant quelques perspectives et sujets de réflexion, mais je me suis tout de même demandée pourquoi ce roman avait soulevé autant d’enthousiasme…

Alice Zeniter, Comme un empire dans un empire, éditions Flammarion, août 2020, sorti en poche.
« On ne mettait pas les livres dans le salon, c’était trop intime pour être exhibé, la bibliothèque était dans le bureau.
Antoine avait compris que le député n’avait pas besoin de montrer qu’il lisait, c’était acquis qu’un homme comme lui ne pouvait pas ne pas lire. »

Deux personnages principaux se partagent le texte : L, son prénom réduit à une lettre, est une hackeuse bien connue du milieu où elle agit, notamment en venant en aide aux femmes harcelées par un conjoint violent. Antoine, lui, est assistant parlementaire d’un député socialiste. Il s’est lancé dans les études, puis en politique, pour échapper à un milieu d’origine assez modeste, dont il ne parle pas. On se doute que leurs chemins vont finir par se croiser.
Sur le thème des classe sociales et du militantisme, ce roman ne se montre jamais inintéressant, même si ni l’univers des hackers ni celui des assistants parlementaires ne me passionne de prime abord. L’écriture d’Alice Zeniter permet de laisser le lecteur toujours en attente, jamais en rade. Elle a le sens de l’observation, du détail exact, qui donne à chaque scène un air de vécu, et jamais elle ne donne l’impression de déployer une thèse. Encore une fois, cette autrice m’a surprise et épatée !

Pierric Bailly, Le roman de Jim, éditions P.O.L., mars 2021.
« Jim avait beau ne pas être mon fils de sang, je lui avais forcément transmis des attitudes, des traits de caractère, le genre de choses qu’on donne sans s’en rendre compte et sans le vouloir, et puis qu’on finit par avoir du mal à tolérer chez eux, c’est çà le pire. Il y a toujours un moment où on leur en veut d’être ces miroirs miniatures sur pattes. Mais on leur en veut aussi de ne pas nous ressembler totalement, de ne pas être des clones parfaits, d’avoir en plus de çà leur putain de personnalité à eux. »

Aymeric a vingt-cinq ans lorsqu’il croise Florence, quarante ans et enceinte. Le courant passe vite entre eux deux, et le jeune homme se retrouve à élever comme son fils le petit Jim. Entre le Jura et Lyon, sur plus de vingt ans, le roman déroule cette histoire d’amour passionné entre un père et le fils qui n’est pas de lui.
Je suis passée par différents sentiments en cours de lecture, certains passages me plaisant beaucoup et d’autres moins, et si, finalement, mon avis est assez mitigé, la raison en est très certainement le style. Le langage jeune et relâché du narrateur s’accorde parfaitement à son personnage, mais c’est peut-être ce qui m’a lassée, à la longue… Je ne saurais trop dire, pourtant le sujet de la paternité ne manque pas d’originalité, ni de sensibilité.

Si je devais n’en recommander qu’un, ce serait celui d’Alice Zeniter, qui a pourtant les critiques les plus mitigées (sur Babelio, par exemple). Encore une fois, je suis à contre-courant…
Et vous, connaissez-vous ces romans ? Et qu’en pensez-vous ?

Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit

Rentrée littéraire 2020 (3)
« Désormais, on allait devoir vivre avec ça, c’était ce qui me gênait le plus. Quoi qu’on fasse, quoi qu’on veuille, c’était fait : mon fils avait fricoté avec des fachos. Et d’après ce que j’en avais compris, il y prenait plaisir. On était dans un sacré chantier. La moman pouvait être fière de moi. Fus avait fini par se lever et dire : « Cela ne change rien. »
Une semaine a passé depuis mon dernier billet et si les lectures progressent bien, mes avis peinent à suivre. Priorité à la rentrée littéraire, donc, avec un roman français, premier de son auteur, qui a attiré mon attention, et presque aussitôt, été attrapé en librairie !
De quoi est-il question dans ce court roman ? Un père élève seul ses deux garçons après la mort de leur mère, dans une petite ville du nord-est de la France. Il travaille dur, milite à gauche, et regarde avec fierté ses deux gamins grandir. Fus (comme Fussball, football en allemand) et Gillou, tout en continuant à bien s’entendre, prennent des chemins bien différents, le plus jeune veut continuer ses études à Paris, comme Jérémy, un ami de la famille. Quant à l’aîné, il vire plus mal, se met à fréquenter des jeunes d’extrême-droite, et à partager leurs idées. C’est une famille où l’on préfère ne pas aborder frontalement les problèmes, ne pas provoquer de scission irrattrapable, mais plutôt tenter de convaincre par l’exemple, ou de traiter les dissensions par le silence et l’indifférence.

« On arrivait à vivre comme cela, en sachant, tant bien que mal. Les deux durant la semaine, les quatre pendant le week-end. La semaine, Fus et moi, on était en apnée, on parlait sans se parler. On posait les pieds là où on pouvait encore les poser. »
Les protagonistes n’ont pas toujours les mots, ressemblant comme des frères aux personnages de Leurs enfants après eux de Nicolas Mathieu. Les styles diffèrent cependant, l’écriture est plus concise, plus ramassée ici, les sentiments sont exprimés sans emphase et les situations de crise peuvent se cacher derrière un grand écart temporel. J’ai beaucoup apprécié cette manière de raconter qui est en parfaite adéquation avec les caractères et avec le sujet. Comment ce père va-t-il réagir face au fils qui, sans esbroufe ni opposition bruyante, embrasse des idées totalement opposées aux siennes ? Comment va se dénouer cette situation intenable, et qui le devient de plus en plus ?
Le lecteur peut s’identifier ou pas, le choix lui est laissé, et c’est aussi une des grandes forces du texte. Au final, une belle écriture, un sujet qui interpelle et un bon dosage de non-dits, jusqu’au final qui pourrait être un peu déroutant, mais cela n’a pas été mon cas. Je recommande, pour qui a envie d’un roman noir et sensible à la fois, et que le thème de l’amour paternel intéresse.

Ce qu’il faut de nuit, de Laurent Petitmangin, éditions La Manufacture de Livres, août 2020, 188 pages.

Si Delphine-Olympe reste un peu sur sa faim, c’est un coup de maître pour Joëlle et une très belle découverte pour Mimi Pinson.

Julia Glass, La nuit des lucioles

nuitdeslucioles« Jasper ne s’était intéressé aux balades en traîneau que deux ou trois ans après son mariage avec Daphne. La première fois qu’il l’avait emmenée, elle lui avait dit que ça lui rappelait Le Docteur Jivago : elle était Julie Christie et lui Omar Sharif. Étrangement, c’est ce qu’il regrette : une femme qui exagère l’aspect romantique de tout ce qui l’entoure, met l’accent sur la beauté. »
Kit traîne sa déprime chez lui depuis la naissance de ses jumeaux et sa recherche infructueuse d’un poste d’enseignant, jusqu’à ce que sa femme lui propose d’enfin partir se mettre en quête du père qu’il n’a jamais connu. Comme sa mère refuse de répondre à ses questions, il va interroger son beau-père Jasper, avec lequel il est resté en bons termes. Son père ou un membre de sa famille pourra-t-il enfin répondre aux questions que Kit se pose ?
Sous cette jolie couverture de chez Gallmeister (qui représente la maison de Jasper, telle que décrite dans le roman), se cache un roman qui sonne juste et qui amène à rencontrer des personnages gagnant à être connus.

« Vous connaissez cette chanson : What a wonderful world ? Nous l’entendons si souvent qu’elle nous émeut autant qu’une publicité pour de la bière. Mais c’est une belle chanson. L’avez-vous jamais écouté attentivement ? La liste des choses qui prouvent que ce monde est merveilleux ? Je suis toujours ému par cette phrase : « Le radieux jour béni et la nuit noire sacrée. »
Lire un roman de Julia Glass constitue la parfaite lecture d’été, pas mièvre, ni trop optimiste, on y déprime, on s’y dispute, on s’y sépare et on y meurt comme dans la vie, pourtant c’est pour moi ce qui s’approche le plus d’une lecture qui fait du bien, un moment passé avec des gens intéressants, capables de tirer des leçons de leurs erreurs et de se lancer dans des projets captivants.
J’ai beaucoup apprécié la véracité des personnages et les dialogues bien tournés. La proximité immédiate entre le lecteur et Kit et les nombreux membres de sa famille recomposée, ainsi que la construction faite d’ellipses et de retours sur le passé, cet ensemble est séduisant et m’a plu autant que Jours de juin il y a quelques années. Comme dans le précédent, dont il reprend quelques personnages, sans être vraiment une suite, les thèmes de la mémoire familiale, de la paternité et de la maternité, de la maladie également, sont très présents, et intelligemment approfondis.

La nuit des lucioles de Julia Glass (And the dark sacred night, 2014) éditions Gallmeister poche (2019), traduction de Anne Damour, 489 pages.

Aimé aussi par Aifelle, Cathulu, Keisha et Nadège.

Peter Geye, L’homme de l’hiver

hommedelhiverRentrée littéraire 2017 (15)
« Ce jour de novembre, deux histoires ont commencé. La première était nouvelle, la seconde aussi vieille que le monde. L’une et l’autre portées par la rivière. »

L’histoire se déroule à Gunflint, Minnesota, une région froide et inhospitalière, aux hivers des plus rigoureux, où Berit vit depuis plus de cinquante ans, depuis qu’elle est arrivée, toute jeune encore, dans cette bourgade. Les caractères des habitants y sont aussi rudes que le climat, et avec les noms suédois ou norvégiens des personnages, et les rigueurs de l’hiver, on se croirait plutôt en Scandinavie qu’aux Etats-Unis. Dans les années 90, la disparition d’un vieil homme nommé Harry, qui part vers la rivière pour ce qui semble être un dernier voyage, provoque un long dialogue entre Gus, le fils de Harry, et Berit, la femme qui a aimé son père. Au cœur de cette conversation, il y a surtout un épisode de l’hiver 1963, où Harry avait emmené son fils encore adolescent, pour un hivernage au fond des bois, au nord de Gunflint, un hivernage qui ressemblait plutôt à une fuite…

 

« Vous devez vous demander pourquoi nous étions là » dit Gus ce matin de novembre où il se mit à parler. « pas seulement dans cette partie de la rivière, mais au-delà, au fin fond du monde sauvage où nous nous sommes aventurés. »

Au croisement du nature writing et des drames familiaux scandinaves comme ceux d’Herbjorg Wassmo, ce roman avait tout pour me plaire et il a tenu ses promesses. J’en ai trouvé l’écriture et la construction brillantes, telles que même en l’ayant lu après le grand Dalva de Jim Harrison, je n’ai absolument aucune réserve à émettre à ce sujet. Les éléments passionnants au cœur de ce récit sont les rapports entre père et fils, pénibles et tendus, ainsi que la survie en hiver dans une région frontalière extrêmement froide, compliquée par une menace de plus en plus précise qui plane au-dessus du duo.

« Le troisième ou le quatrième jour, je la vis assise sur le brise-lames, son carnet de croquis omniprésent ouvert sur les genoux. »
Le récit se focalise le plus souvent sur l’hiver 63, et sur Harry et Gus, mais opère de fréquentes incursions avant et après cet épisode, de nombreux autres personnages se dessinent, notamment l’abominable Charlie qui fait peser une menace certaine sur Harry. Et n’oublions pas les beaux personnages féminins ! Si j’avais une minuscule critique, ce serait à l’encontre du personnage du père qui me semble un peu irresponsable, même si, étant donné que les événements sont racontés par les deux personnes qui l’ont aimé le plus, son inconséquence est plutôt minimisée dans leurs souvenirs.
Ce roman de Peter Geye est le premier traduit en français, mais son troisième publié aux Etats-Unis. Encore une bonne pioche chez Actes Sud, une lecture qui laisse des traces, et donne envie de rester encore un peu dans ces forêts aussi enneigées que dangereuses.

L’homme de l’hiver de Peter Geye (Wintering, 2016) éditions Actes Sud (2017) traduction d’Anne Rabinovitch, 364 pages.

C’est une lecture commune avec Edyta, dont je vais vite aller découvrir l’avis. Et voici ceux de Cuné, Léa et Revanbane45.

Défi 50 états, 50 romans pour le Minnesota.
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Jhumpa Lahiri, Longues distances

longuesdistances« Il n’en pouvait plus de cette peur qui ne le lâchait pas. Peur de cesser d’exister, peur qu’Udayan cesse d’être son frère s’il lui résistait. »
Avec ce roman, je commence le mois anglais, qui ira aussi voir ailleurs, et pas uniquement de l’autre côté du Channel. Mais commençons par Jhumpa Lahiri, que je découvre avec ce roman. Cette auteure est née à Londres de parents bengalis, a grandi à Rhode Island et fait ses études aux Etats-Unis. Ce qui explique que ses personnages ne soient pas attachés à un lieu, et envisagent l’expatriation. C’est le cas de Subbash, qui a passé sa jeunesse à Calcutta avec son frère d’un an plus jeune, Udayan, presque un jumeau, mais d’un caractère totalement différent.

« C’était le portrait d’une ville à laquelle Subbash n’avait plus le sentiment d’appartenir. Une ville au bord de quelque chose. Une ville qu’il s’apprêtait à laisser derrière lui. »
A la fin de ses études secondaires, Subbash décide d’aller poursuivre son cursus en sciences dans l’état de Rhode Island. Le frère ainé mène une vie calme et studieuse aux États-Unis, et entretient une correspondance un peu relâchée avec son frère. Pendant ce temps, Udayan, qui est resté étudier à Calcutta, devient actif dans un mouvement protestataire naxalite et, dans le même temps, se marie avec Gauri, une jeune femme qui partage ses convictions. Un drame survient qui oblige Subbash à rentrer auprès de ses parents.

« La porte de la chambre de ses parents était fermée. Il se rendit à la cuisine pour voir s’il restait quelque chose à manger, et il découvrit Gauri assise sur le sol, une bougie allumée près d’elle. »
Le roman s’étire ensuite sur une trentaine d’années, et va adopter par alternance le point de vue de Subbash, celui de Gauri, celui de l’enfant de Gauri. L’histoire des deux frères, de l’exil de l’un et de l’engagement de l’autre, des liens familiaux qui évoluent de manière inattendue après le drame (que je ne préciserai pas ici), tout cela ne manque pas d’intérêt. Le roman possède une belle profondeur et aborde de nombreux points de fond, la lecture n’a rien d’ennuyant ni de fastidieux, (vous sentez venir le « mais »…) toutefois, les personnages restent un peu froids et distants, et l’écriture trop sage et classique pour vraiment susciter l’enthousiasme. Une lecture captivante, dans mon cas pas inoubliable, qui séduira certainement davatage d’autres lecteurs…

Longues distances de Jhumpa Lahiri (The Lowland, 2013) éditeur Robert Laffont (2015) traduit de l’anglais par Annick Le Goyat, 456 pages, à paraître en poche le 15 juin 2017

L’avis de Delphine-Olympe que je viens de relire est mitigé aussi.

Le mois anglais est chez Cryssilda et Lou.
mois_anglais2017

Claire Fuller, Les jours infinis

joursinfinisL’auteur : Claire Fuller travaillait dans une agence de marketing lorsqu’elle a commencé à écrire à 40 ans. Les jours infinis, dont les droits sont vendus dans dix pays, est son premier roman. Elle vit à Winchester. Elle est aussi artiste-sculpteur.
325 pages
Éditeur : Stock (mai 2015)
Traduction : Mathilde Bach
Titre original : Our endless numbered days

Une des publications récentes qui me tentaient le plus était ce premier roman d’une auteure anglaise, aussi l’ai-je sélectionné lors de la dernière opération Masse critique avec un certain enthousiasme ! Il est vendu comme une histoire à la croisée de Sukkwan Island de David Vann et de Room d’Emma Donoghue. Et c’est exactement de qu’il est. Sachant que j’ai beaucoup aimé Room et détesté Sukkwan Island, qu’allait-il en être de celui-ci ?
L’histoire est racontée par Peggy, une toute jeune fille de dix-sept ans, dont l’enfance est bercée par les fantasmes de son père, qui imagine la fin du monde proche, et veut s’y préparer. Tant qu’il ne s’agit que de faire des provisions à la cave et camper dans le jardin, la fillette prend cela pour un jeu, et sa mère regarde ces fantaisies avec détachement. Mais, alors que cette dernière est en tournée de concerts en Allemagne, le père décide de partir avec sa fille pour s’installer dans « Die Hütte », une cabane perdue en montagne. Ils y passeront près de neuf ans, que Peggy, revenue seule, raconte plus tard. Au début, j’ai trouvé le style trop lisse, parfois même un peu convenu. Le personnage du père ne manque pas de relief, mais n’est pas de ceux auxquels on peut s’attacher, et ses motivations pour le moins floues s’apparentent assez vite à de la folie. Ensuite, je me suis prise au jeu, il y a l’alternance des périodes, Peggy ayant huit ans ou dix-sept, qui crée une attente et soulève bien des questions. Pourtant, je n’ai pas aimé la fin et trouvé l’ensemble parfois long, un peu « glauque », et pas foncièrement original.
« Les dates ne sont là que pour nous rappeler que nos jours sont comptés, que chaque jour qui passe nous rapproche de la mort. À partir de maintenant, Punzel, nous vivrons au rythme du soleil et des saisons. » Il me souleva et me fit voler dans les airs en riant : « Nos jours seront infinis. » Un père qui tient ce discours à sa fillette de huit ans laisse forcément planer des doutes sur son intégrité psychologique.
J’ai eu l’impression d’un bon travail d’écriture, mais il manque quelque chose pour que ce roman me plaise vraiment. C’est dans l’air du temps, ces histoires où un parent entraîne un enfant dans un lieu désert, voire hostile, loin de l’autre parent… je pense à David Vann, bien sûr, mais si vous ne devez en lire qu’une je vous conseillerais En mer de Toine Hejmans… Je serai toutefois curieuse de lire un futur roman de Claire Fuller, son talent est prometteur, même s’il m’a laissée un peu sur ma faim.

Les avis de Clara mitigée aussi, et Clarabel plus enthousiaste.
Sur le thème de la solitude recherchée et volontaire, toute une sélection de romans recommandés par les blogueurs !

tous les livres sur Babelio.com

Toine Heijmans, En mer

enmerRentrée littéraire 2013
L’auteur :
Toine Heijmans est né en 1969 à Nimègue, dans l’Est des Pays-Bas. Pendant ses études d’histoire à l’Université de Nimègue, il a travaillé pour des quotidiens locaux. Depuis 1995, il a rejoint la rédaction du journal De Volkskrant, à Amsterdam. Il est également l’auteur d’ouvrages de non-fiction : La Vie Vinex, sur un nouveau quartier d’Amsterdam, Die Asielmachine, qui se compose de témoignages de demandeurs d’asile aux Pays-bas et Respect !, sur le jeune milieu du rap en Europe. En mer est son premier roman.
156 pages
Editeur : Christian Bourgois (août 2013)
Traduction : Danielle Losman
Titre original : Op zee
Prix Médicis étranger 2013

Avant de faire un billet de mes découvertes de l’année, je me devais de parler de ce roman néerlandais, faisant partie d’une série de bonnes pioches effectuées en bibliothèque. Il me rappelle que j’ai souvent eu l’occasion de faire des découvertes passionnantes parmi les littératures européennes !
Un navigateur, après quelques mois en solitaire en mer, emmène sa fille pour la dernière partie du trajet, une broutille, du Danemark à chez lui aux Pays-Bas. Quand on sait que la petite n’a que sept ans, et que les conditions météorologiques ne sont pas forcément parfaites, il y a de quoi s’inquiéter. Toutefois, la mère (j’ai failli écrire la mer) a donné son accord pour cette sortie, afin que le père retrouve sa fille. Les préparatifs étant faits, ils partent tous les deux. Petit à petit, le lecteur en apprend plus sur le père qui a obtenu de son employeur un congé sabbatique, loin de sa routine habituelle, et tout ce qu’il apprend tend à faire monter l’angoisse.
Parfaitement mené, le récit fait monter la tension, jusqu’à un événement plus stressant que les précédents, et une fin totalement inattendue ! L’écriture et la traduction sans fausses notes, les thèmes abordés, en particulier la paternité, la dépression, m’ont beaucoup plu et j’ai dévoré ce roman, je pense d’ailleurs qu’il n’est possible QUE de le dévorer, et assez facilement compte-tenu de son petit format… J’ai lu des comparaisons avec Sukkvan Island, je ne saurais dire, puisque je n’ai pas voulu lire ce dernier, mais en tout cas je vous conseille sans réserves En mer !

Extrait : Un pêcheur marchait sur l’embarcadère, longeant le bateau. Je suis sorti par l’écoutille de secours pour le regarder. Un homme grand, chaussé de bottes en caoutchouc ; il portait un pantalon de ciré orange vif. Il a fait un signe de tête. Je l’ai interrogé sur la météo. Le pêcheur n’a pas répondu. J’ai répété ma question. Il a levé les bras puis les a laissé retomber.
« Only God knows. »
Il avait bu. Il me rappelait le prophète qui apparaît au début de Moby Dick. Un clochard ivre qui prévient Ismaël de ne pas embarquer sur la baleinière, parce que le bateau court un danger. Dans le livre, le prophète a raison. Mais ce voyage-ci n’était pas un livre. Jusqu’à présent tout s’était bien passé, et tout allait bien se passer.