« Jusqu’à l’hôtel de ville juif, la rue était semée de grappes humaines qui sans cesse bougeaient, se désagrégeaient, se reconstituaient, les gens courant de-ci de-là, s’attroupant autour d’un homme qui venait d’inventer encore une nouvelle alarmiste, pour ensuite se précipiter vers un autre qui se faisait l’écho d’un bruit plus rassurant. Ils allaient ainsi d’espoir en désespoir, faisant circuler les nouvelles qui, bonnes ou mauvaises, se heurtaient de front. »
La ville de Prague en 1941 est occupée par les Allemands et gouvernée par Heydrich, sinistrement connu pour avoir imaginé la solution finale. Le problème immédiat du gouverneur en ce jour d’octobre 1941 consiste en une statue qui offense sa vue, celle de Mendelssohn sur le toit de l’Opéra. Un sous-fifre délègue à deux petits fonctionnaires tchèques la mission de déboulonner cette statue de compositeur juif. Faute de plaques pour l’identifier, ils hésitent, tergiversent, manquent de détruire Wagner ! Puis finalement demandent de l’aide à un intellectuel juif. Cette anecdote est le prétexte à dresser un tableau de Prague en 1941, mais aussi la ville-ghetto de Terezin…
« Il y avait eu d’abord un ordre du protecteur par intérim lui enjoignant de trouver pour les Juifs une cité close. La mort devait faire halte un instant dans une ancienne ville tchèque. C’était indispensable, pour mieux tromper l’opinion internationale. Et il n’était pas non plus inutile, pour prévenir toute velléité de résistance, de donner aux victimes une petite lueur d’espoir. »
C’est typiquement le genre de roman que j’achète un peu sur un coup de tête, sur la foi de la quatrième de couverture qui me suggère une découverte insolite. Après je le laisse en attente et n’ose pas toujours le sortir de mes étagères, de crainte d’être déçue… Le mois de l’Europde l’Est était l’occasion de le sortir ! Le début de quelques dizaines de pages conte l’histoire, réelle, de la fameuse statue, sur un mode parfois teinté d’humour. Il est suivi de chapitres qui passent à d’autres personnages, et déstabilisent donc un peu, mais une fois ceux-ci identifiés, je me suis parfaitement coulée dans le roman. Jiri Weil a imaginé une construction subtile, qui décrit des événements tragiques, puis viennent des passages plus doux qui jettent un regard en arrière sur Prague et ses environs avant l’envahissement par les sinistres drapeaux aux araignées noires.
Et quelle brochette de personnages ! Il y a Reisinger qui perd son poste de gardien pour tomber de mal en pis, il y a Becvar qui ne donne pas satisfaction lors de l’épisode de la statue et qu’une dénonciation fait envoyer pour le travail obligatoire en Allemagne, il y a le Dr Rabinovic obligé de renier tous ses principes pour ne pas mettre en danger sa famille, il y a Rudolf Vurlitzer qui se meurt à l’hôpital, il y a son ami Jan Krulis qui prend soin de trouver des caches pour les deux nièces de Rudolf, il y a Frantisek, l’architecte du ghetto de Terezin, et d’autres encore.
L’humour cynique et grinçant auquel il faut s’accoutumer, et les faits, si terribles soient-ils, décrits par une narration détachée, presque neutre, donnent à ce roman un ton particulier, et proposent une vision de Prague occupée unique et saisissante.
Pour finir, je citerai Philip Roth : « Il faut lire et faire lire le Mendelssohn de Jiri Weil. Ce n’est pas seulement un témoignage poignant porté par une qualité d’écriture rare. C’est aussi une belle leçon d’humanité au sein d’un monde qui s’en trouve trop souvent dépourvu. »
Mendelssohn est sur le toit, de Jiri Weil, paru en 1960, éditions le Nouvel Attila, 2020, traduit du tchèque par Erika Abrams, 318 pages.
Roman remarqué chez Patrice lors du mois de l’Europe de l’Est 2020 et acheté (presque) aussitôt (dès la réouverture des librairies), il participe aussi à l’Objectif PAL.
Un livre que je ne connais pas du tout ; dans les années 60 je ne sautais pas sur ce genre de lecture ! Je note, en ne sait jamais.
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Je ne suis pas sûre qu’il ait été traduit en français dès cette date. En tout cas, cette édition du Nouvel Attila est un très bel objet, au-delà du texte, très marquant.
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Je suis vraiment heureux que ton choix se soit porté sur ce livre qui est également un très bon souvenir de lecture, même si tout cela est finalement très tragique. Un grand merci pour ta participation !
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J’ai rarement lu un livre aussi sobre, grinçant et dramatique à la fois. C’est un style très particulier !
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Et bien je le note!
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J’en suis ravie !
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Et hop dans la liseuse !
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je ne connais pas du tout, alors je note illico presto pour 2022…
Je connais beaucoup moins l’histoire de Prague pendant la seconde guerre mondiale et le ghetto de Terezin (que le ghetto de Varsovie notamment)
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Là, c’est Prague pendant la guerre, par quelqu’un qui l’a vécu de l’intérieur, et c’est vraiment saisissant. C’est un roman où le vécu affleure souvent.
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Comme toi j’ai des achats compulsifs, j’aurais certainement fait comme toi pour ce titre. Je trouve l’histoire de la statue de Mendelsohn incroyable.
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D’autres histoires sont incroyables dans ce roman, et dramatiques en même temps.
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Je prends ! Heureusement que tu rappelles ce titre. Autant te dire que ma curiosité est sérieusement attisée 🙂
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Il a tout pour te plaire, il sort vraiment des sentiers battus. 😉
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Merci pour cette découverte…
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Je suis contente de la partager !
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Confondre Mendelssohn et Wagner, ça me fait sourire…
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C’est une question de nez ! Les scènes sur le toit de l’Opéra montrent le grand sens de l’humour à froid de l’auteur. L’ensemble est plus tragique, mais toujours avec ce détachement inimitable.
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C’est assez tentant, je dois dire
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J’aimerais que beaucoup d’autres le lisent, c’est à la fois un document historique et une œuvre littéraire forte.
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Pour le mois belge, bientôt, j’ai un livre sur les Mendelsohn, et cette histoire de statue y est!
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Mais oui, c’est La carte des Mendelssohn de Diane Meur. J’avais l’intention de le lire aussi, mais j’ai calé, non sans avoir retrouvé l’histoire de la statue.
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J’avais bien aimé la construction d’ensemble de ce titre, qui progresse par petits bouts presque ordinaires vers la noirceur absurde …
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La construction est tout à fait moderne, et originale pour un roman des années 50.
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C’est très intéressant, je comprends ton impulsion pour ce livre.
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Quand l’impulsion mène à une lecture inhabituelle, et passionnante, ça va !
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Je fais plus confiance à ton billet qu’à l’avis de Roth.
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Oh, vraiment ? 😉
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Je parlais justement hier avec le compagnon de ma fille de HHhH, que j’avais aimé et que je lui ai offert (il a beaucoup aimé aussi !). Lire un autre roman avec en toile de fond Prague de ces années-là me plairait bien (et lui aussi certainement). Je note !
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Et moi, je ne savais pas (ou j’avais oublié) que HHhH avait pour sujet Heydrich et Prague. Du coup, je vais m’y intéresser !
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Je viens je le terminer mon billet demain pour le Mois de la Littérature d’Europe de l’Est
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et voici un lien vers mon billet
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Merci pour le lien, je suis contente que nous soyons deux à l’avoir présenté !
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Je me demandais bien quel auteur avait attiré mon attention sur ce roman, Roth ou Diane Meur? Mais c’est une lecture plus récente, donc cela doit en être un autre.
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