Bande dessinée variées (6)

Tout d’abord, laissez-moi vous souhaiter une très bonne année, avec la réalisation de vos projets, la joie et la santé, et bien sûr, des lectures passionnantes.
Je vous présente aujourd’hui quelques romans graphiques qui m’ont séduite ces dernières semaines, auxquels il faudrait rajouter La dernière reine de Rochette, que j’ai aimé, mais lu sur ordinateur sur le site de ma bibliothèque, je ne l’ai plus entre les mains, et cela le rend plus difficile à résumer et à commenter.

Catherine Meurisse, La jeune femme et la mer, éditions Dargaud, 2021, 116 pages.
Après Les grands espaces ou La légèreté, Catherine Meurisse continue dans la veine d’autobiographie (ou autofiction?) dessinée qui lui va si bien. Elle arrive au Japon pour une résidence d’artiste. Son installation dans la région de Kyoto lui permet de rencontrer d’autres artistes, souvent en mal d’inspiration, d’échanger avec eux dans la mesure du possible, de découvrir aussi des paysages qui ne cessent de la surprendre.
Teinté d’une touche de fantastique, d’une bonne dose d’humour due aux incompréhensions culturelles, l’album m’a surtout émerveillée par ses paysages japonais somptueux en pleines pages. Décidément, j’aime tout ce que fait cette autrice et dessinatrice !

Wilfrid Lupano, La bibliomule de Cordoue, éditions Dargaud, 2021, 264 pages.
En Andalousie, au dixième siècle, le décès d’un calife amis des arts et de la culture, dont le fils est encore très jeune, entraîne une période trouble dominée par un vizir et sa cohorte de religieux radicaux. Ceux-ci veulent brûler tout ce que la bibliothèque de Cordoue compte de traités et de recherches de philosophes, de mathématiciens ou de scientifiques. C’est là qu’interviennent Tarid, un eunuque bibliothécaire, Lubna, une copiste noire, et Marwan, un apprenti bibliothécaire ayant mal tourné… sans oublier la mule, récalcitrante et grande dévoreuse de pages (au sens propre). Ce petit groupe va chercher à sauver une partie des ouvrages promis à l’autodafé, autant que la mule peut en porter, en direction d’une région échappant au vizir… L’histoire, alerte et contenant son lot de rebondissements, les dessins colorés et l’humour, sans oublier le fond historique bien documenté, tout concourt à en faire un roman graphique réjouissant et captivant à la fois.

Léonie Bischoff et Kathleen Karr, La longue marche des dindes, éditions Rue de Sèvres, 2022, 144 pages.
Encore une sorte de road-movie, après la traversée de l’Espagne avec une mule, voici celle de l’ouest des États-Unis avec mille dindes ! Nous sommes dans le Missouri, en 1860. Quittant l’école avec un maigre bagage, Simon, encouragé par son enseignante, se lance dans le projet un peu fou, d’aller vendre des dindes, dont personne ne veut dans sa région, à Denver, où elles valent bien davantage. Il lui faut recruter un conducteur de mules, prévoir son trajet qui comporte un passage sur les territoires des Indiens. Mais le danger ne vient pas forcément de là où on l’imagine…
Une bande dessinée destinée à la jeunesse qui m’a tout à fait séduite par son scénario, ses dessins et sa verve. Une réussite !

Elisa Shua Dusapin et Hélène Becquelin Le colibri, éditions La joie de Lire, 2022, 160 pages.
Célestin, quatorze ans, se sent un perdu depuis qu’il a déménagé du bord de mer jusqu’en ville. De sa fenêtre sur le toit, il observe les oiseaux, et parfois reçoit la visite de Célin, son grand frère explorateur des nuages. Il fait aussi la connaissance d’une jeune voisine de son âge, avec laquelle il observe un autre oiseau, un colibri apporté par Célin, colibri en état de torpeur.
Poétique et sensible, ce roman graphique raconte avec des mots tout simples le deuil, le passage d’un âge à un autre, la solitude, la naissance du sentiment amoureux.
J’ai trouvé ce récit parfois un peu trop elliptique et je me demande à quel lectorat il s’adresse. Si on en croit l’âge des personnages, il serait destiné à des adolescents ou préadolescents, mais je ne sais pas si beaucoup d’entre eux apprécieront autant qu’un adulte ce qui est à lire entre les images, et d’autre part s’ils aimeront ces tons très pastels. Mais il en faut pour tous les goûts, et certains jeunes lecteurs y trouveront un écho aux questions qu’ils se posent.

Lecture du mois (28) décembre 2022

Pour finir l’année, je vous propose quelques retours sur des romans, dont certains plus exposés que d’autres, mais qui ont tous un petit quelque chose d’original… mais lisez plutôt.

Nous étions le sel de la mer de Roxanne Bouchard, éditions de l’Aube, août 2022, 336 pages.
« Cyrille, il disait que, si on choisissait la mer, elle nous fiançait, pour le meilleur et pour le pire. Il disait qu’elle glissait à notre doigt l’anneau argenté du soleil, qu’elle promettait l’horizon et qu’elle tenait promesse. »

L’arrivée de Catherine Day en Gaspésie, où elle vient à la recherche de ses origines, coïncide avec la découverte d’un cadavre dans les filets d’un pêcheur. Nouveau aussi dans la région, le policier Joaquin Morales bute sur des personnages taiseux et ses recherches ne progressent guère. Roman d’ambiance plus que véritablement policier, j’attendais beaucoup de ce livre qui m’a laissé un goût d’inachevé. Pourtant, le style fait la part belle aux images inédites, les dialogues ont du mordant et les personnages ne manquent pas d’intérêt, mais l’enquête se traîne et les affres du policier finissent par lasser. C’est du moins l’effet que cela m’a fait.
A recommander plutôt pour ceux qui cherchent un roman à l’atmosphère dépaysante, sans forcément de trame policière, ou disons avec une trame policière peinarde.

Le pays des phrases courtes de Stine Pilgaard, éditions le Bruit du Monde, mai 2022, traduction de Catherine Renaud, 288 pages.
« La chorale répète une chanson du soir, pendant qu’il commence lentement à pleuvoir, et dans le potager le vent souffle entre les choux frisés, qui tremblent comme des amants qui viennent de se séparer. »

La narratrice du roman, toute jeune mère, s’installe dans une région rurale de l’Ouest du Danemark et tente de s’adapter à l’atmosphère locale, à commencer par la manière de s’exprimer par phrases parfaitement anodines. Son mari est enseignant dans une højskole, type de lycée assez particulier au Danemark, qu’il faut découvrir. La jeune femme tente de passer son permis de conduire, trouve un petit emploi à la rubrique courrier du quotidien local, s’occupe de son bébé… Avec un style frais et plein d’humour, le roman ne manque pas d’atout, mais cette sorte de chronique rurale a du mal à enchanter sur la longueur et ne m’a pas complètement séduite.

L’autre moitié du monde de Laurine Roux, éditions du Sonneur, janvier 2022, 256 pages, Prix Orange du Livre 2022.
« Les paysans sont coriaces, ils serrent les dents. De temps en temps, la Marquise enregistre un décès. Quand il s’agit d’un homme, elle propose à un fils de prendre la relève. S’il n’y a pas de garçon, Madame prie la famille de quitter les lieux. Elle possède la quasi-totalité du delta, l’exploite en fermage. Madame a tous les droits. »

Dans le delta de l’Èbre, dans les années trente, la vie est rude pour les paysans, et plus encore pour leurs femmes. La petite Toya, enfant unique de Juan et Pilar, observe et tente de comprendre ce qui se trame, de quoi discutent les hommes, le soir, à la veillée. Alors que Pilar doit faire face à une situation terrible, sa fille grandit et s’éveille grâce à la proximité d’Horacio, le jeune enseignant de l’école communale.
Une deuxième partie plus contemporaine va apporter un autre éclairage sur cette très belle histoire, portée par une écriture qui donne des frissons, et de très beaux personnages.

Argonne de Stéphane Émond, éditions de la Table Ronde, août 2022, 128 pages.
« Le ciel est d’un bleu intrépide, bravache, il tend son orgueil, drapé dans ses plus beaux atours. La rosée fait scintiller une myriade de perles d’eau dans les hautes herbes. En y glissant la main on pourrait laver le visage des enfants. »

En juin 1940, toute une famille entasse possessions et enfants sur une charrette tirée par un cheval, pour fuir l’avancée allemande. Quelques jours seulement pour atteindre un village de l’Aube où des avions allemands font malheureusement une victime parmi les membres de la famille. Stéphane Émond refait le chemin emprunté par ses arrière-grands-parents, quatre-vingt ans après, interroge des maires et des personnes âgées. Et de retour dans son village, il questionne aussi sa famille, recherche de vieux documents.
L’auteur m’était inconnu, mais le titre et le sujet me parlaient. Dès les premières pages, l’écriture m’a séduite, et rien n’est venu gâcher mon plaisir de retrouver cette région de collines et de forêts, de croiser des noms pas vraiment inconnus, de toucher grâce à l’auteur des traces du passé récent d’une région souvent chamboulée par l’Histoire.
Dans le genre témoignage familial, voire filial, le texte est délicat, sans pathos, et les précisions toujours bienvenues et pleines de justesse.

Maria Larrea, Les gens de Bilbao naissent où ils veulent

Rentrée littéraire 2022 (1)
« Rêvant de m’appeler Sophie ou Julie, je tenais parfaitement mon rôle de jeune fille modèle devant les parents des copines qui m’invitaient à dîner, à dormir. Je jouais au singe savant. Oh, qu’elle est cultivée pour une fille de femme de ménage ! »

Maria est née à Bilbao, de parents venus tenter leur chance à Paris. Fils d’une prostituée, son père a fait les quatre cents coups chez les jésuites où il était pensionnaire, maintenant il est gardien du théâtre de la Michodière et personnage apprécié dans son quartier. Victoria, la mère de la jeune fille est née en Galice, et a connu aussi un abandon et une vie misérable avant de rencontrer Julian. Maria est leur seule enfant, ils sont fiers de l’emmener chaque été au Pays Basque, et de lui faire connaître ses origines. Malgré tout, Maria sent que quelque chose lui est caché, derrière la mauvaise humeur permanente de son père et la dépression de sa mère. Après une révélation partielle de sa mère, c’est au Pays Basque qu’elle va devoir aller chercher des réponses à ses interrogations.

« Le Pays basque pour les Basques était son mantra, lui l’immigré qui habitait Paris et buvait du bordeaux dans un restaurant grec tenu par des Égyptiens. Il voulait incruster dans ma cervelle cette fierté de l’appartenance, tu es basque, tu n’es pas espagnole. »

Première lecture de la rentrée littéraire d’août, j’ai pris mon temps, j’avais envie d’une voix nouvelle, et le pari est tout à fait réussi avec ce premier roman d’une jeune autrice, aussi réalisatrice et scénariste.
Le style de Maria Larrea sonne moderne, est vif et parfois cru, sans trop en faire. Il convient parfaitement bien à cette émouvante quête des origines dont on ne sait pas trop si elle est strictement autobiographique ou pas, et d’ailleurs, peu importe ! Le récit n’est pas linéaire, entre le parcours des parents de Maria et ses recherches à propos de ses origines, il va et vient, et là encore, c’est pile ce qu’il fallait. Talent inné ou beau travail éditorial, de toute façon, le résultat donne envie de voir la jeune autrice continuer à écrire.

Les gens de Bilbao naissent où ils veulent de Maria Larrea, éditions Grasset, août 2022, 224 pages.

Chroniqué aussi par Delphine-Olympe, Eve ou Jostein.

Lectures du mois (27) juin 2022

Vu mon retard de rédaction de chroniques, je retrouve la bonne vieille méthode qui consiste à regrouper en un seul billet mes lectures, fastes ou non.

Margaret Kennedy, Le festin (The Feast, 1950) éditions La Table Ronde, 2022, traduction de Denise Van Moppès, 480 pages.
« Chacun s’était retiré, comme un animal se retire au fond de sa cage avec son os, pour ronger quelque idée fixe. Et cela lui faisait peur. Elle ne pouvait plus supporter d’être enfermée dans ce sombre repaire de bêtes étranges. Elle eut envie de sortir, de quitter l’hôtel, d’aller se réfugier sur les falaises. Elle se leva et quitta la pièce. Personne ne remarqua son départ. »

On a beaucoup vu cette réédition ces derniers mois. Margaret Kennedy a écrit en 1950 ce roman qui décrit un microcosme des plus anglais pendant quelques semaines. Plusieurs groupes de personnes se trouvent dans une pension de famille sur la côte de Cornouailles lorsqu’un pan de falaise se détache et fait un certain nombre de victimes. Cela est connu dès le début, et un retour en arrière va permettre de connaître tout ce petit monde. Tout de suite c’est l’humour anglais qui marque mais le nombre de personnages et les changements constants de narrateur déconcertent un peu. Finalement, l’humour est de moins en moins appuyé au fur et à mesure des pages, et j’ai trouvé cela dommage. J’ai été également incommodée par quelques discussions longuettes.
Une lecture agréable, finalement, mais pas inoubliable.

Luc Blanvillain, Le répondeur, éditions Quidam, 2020, 260 pages.
« Doublure vocale. Pas plus indigne que de nettoyer des bureaux ou de mener des enquêtes de satisfaction. Il avait fait les deux. Et bien d’autres choses épuisantes, matinales ou nocturnes, dominicales, répétitives. Au moins, il pouvait rester chez lui, perfectionner son répertoire et bosser au lit. Sans compter qu’endosser provisoirement la vie d’un glorieux quinquagénaire, à son âge, n’était pas donné à tout le monde. »

Baptiste tente de gagner sa vie en tant qu’imitateur. Assez doué, il réussit bien certaines voix, sans pour autant aller plus loin que les petites salles à moitié vides.
Jusqu’au jour où un auteur réputé lui propose de devenir son employeur. Si Baptiste l’imite en répondant à toutes ses sollicitations téléphoniques, Pierre Chozène aura ainsi le temps et l’esprit libre pour écrire. Il met Baptiste au courant des habitudes de chacun de ses interlocuteurs et lui confie son portable…
Habile comédie, ce roman distrait mais ne manque pas de profondeur en abordant les rapports familiaux et amoureux, et en poussant au bout la jolie idée de départ.
Je ne connaissais pas cet auteur, j’ai été emportée par cette histoire qui ne manque pas de sel.

Paco Ignacio Taibo II, Cosa facil, éditions Rivages, 1994, traduction de René Solis, 244 pages.
« — Vous n’avez jamais songé que la différence entre le Moyen Âge et la ville capitaliste consiste foncièrement dans le réseau d’égouts ?
Hector fit signe de la tête que non.
— Vous ne vous rendez pas compte que la merde pourrait nous arriver jusqu’aux oreilles s’il n’y avait pas quelqu’un pour s’en occuper ? »

Deuxième lecture de Paco Ignacio Taibo II, après Jours de combat qui m’avait enchantée. Dès les premières pages, Hector Belascoaran Shayne, pourtant le contraire d’un joyeux luron, m’a mis le sourire aux lèvres : les citations en tête de chapitres, le style inimitable, le côté improbable des enquêtes dans lesquelles Hector se lançait tête la première, tout fonctionnait encore comme dans le premier volume.
Mais petit à petit, j’ai trouvé les enquêtes de ce détective atypique tellement ténues, les personnages même manquant de chair, que je retournais à reculons vers le roman. Non, décidément, ça ne me passionnait plus…
Avis très mitigé donc, et je ne pense pas poursuivre la série.

John A. McLaughlin, Dans la gueule de l’ours, (Bearskin, 2018) éditions Rue de l’Echiquier, 2020, J’ai lu, 2021, traduction de Brice Mathieussent, 448 pages.
« La forêt était étrangement animée, une gigantesque bête verte en train de rêver, sa peau parcourue d’ondes frissonnantes.
Pas vraiment menaçante, mais puissante.
Attentive.
Il imagina un instant que la forêt était en colère, déçue, qu’il était personnellement responsable de cette intrusion des braconniers tueurs d’ours. » 

Je ne sais plus quel avis enthousiaste m’a fait noter ce roman noir, n’hésitez pas à vous signaler. Recherché par un cartel mexicain, Rice Moore espère sauver sa vie en se cachant dans les Appalaches en tant que garde forestier. Mais l’endroit n’est pas des plus calmes non plus, d’autant que des braconniers y tuent des ours.
Il faut savoir tout de suite que ce roman est plutôt rude, que les âmes sensibles en soient conscientes. J’avoue avoir un peu chipoté au cours de ma lecture, l’auteur ou son personnage en faisaient un peu trop, et puis, de manière surprenante, ce roman m’a manqué pendant plusieurs jours après l’avoir fini, j’aurais aimé continuer encore ou retrouver ce coin des Appalaches et aucune autre lecture ne trouvait grâce à mes yeux.
Un roman qui bouscule et laisse des traces…

Luisa Carnés, Tea rooms : femmes ouvrières, 1934, éditions La Contre-Allée, 2021, traduction de Michelle Ortuno, 270 pages
« Ces délectables odeurs exquises des cuisines riches (…) nous rappelant que notre faim ne date pas de quelques heures ni de plusieurs années, qu’il s’agit d’une faim de toute une vie, ressentie depuis plusieurs générations d’ancêtres misérables. »

Dans les années 30 en Espagne, les femmes de milieux défavorisés ont le choix entre le mariage et les maternités qui s’enchaînent ou des métiers difficiles et peu valorisés. Matilde doit absolument subvenir aux besoins de sa famille, et trouve un emploi dans un salon de thé madrilène. Sous-payée et exploitée, elle observe cependant et commence à prendre conscience du carcan où elle se trouve enfermée.
Ce livre est curieux autant qu’il est intéressant. Tout d’abord l’écriture dénote d’une certaine modernité. Ensuite, le roman raconte aussi bien les petits cancans et menus faits qui se déroulent dans le salon de thé, qu’il se fait féministe et politique lorsqu’il s’agit des droits des employés.
Cela déroute un peu, mais en fait un objet littéraire inhabituel, à découvrir si vous en avez l’occasion…


Voilà pour ce mois de juin !
Avez-vous lu certains de ces romans ?

Polars en vrac (7)

Puisque la météo ne se prête pas au jardinage ni à la marche dans la campagne, j’en profite pour résumer brièvement mes dernières lectures de polar, résumés assortis d’avis tout aussi brefs ! Voici donc les choix des deux derniers mois :

Maurizio de Giovanni, Le Noël du Commissaire Ricciardi, éditions Rivages noir, 2017, traduction de Odile Rousseau, 320 pages.
« Ricciardi pensait aux morts. Il pensait que Noël ou pas Noël, fête ou pas fête, fraternité ou pas fraternité, quelqu’un mourait toujours et qu’il lui revenait, à lui, de voir le sang et ses ravages. »

Avec le commissaire Ricciardi, je retourne toujours volontiers dans la Naples des années 30, non que la vie y soit particulièrement plaisante, mais parce que l’auteur réussit toujours tellement bien à esquisser les lieux et leurs personnages. Un couple est retrouvé assassiné à l’arme blanche dans son appartement cossu des hauteurs de Naples. L’enquête du commissaire et de son adjoint Maione révèle que le mari, milicien, n’était pas quelqu’un de bien, et que nombreux auraient pu être ceux qui lui en voulaient.
Dans ce volume se passant à Noël 1931, la politique prend davantage de place, et chacun se positionne plus clairement par rapport au fascisme. C’est, parmi les cinq que j’ai déjà lus, mon tome préféré, car les questionnements y sont nombreux, tant concernant l’enquête, que la vie privée de Ricciardi et Maione. J’ai aimé aussi que les investigations évoquent les crèches napolitaines, les presepe, un particularisme local très intéressant. (vous pouvez lire ceci si cela vous intrigue)
Voir un autre avis chez Marilyne.

Gwenaël Bulteau, La République des faibles, éditions de la Manufacture, prix Landerneau 2021, 368 pages.
« – On disait : vive la République ! et le client répondait : Qui prend soin des faibles ! »

Reculons un peu, à la fin du XIXème siècle, à Lyon. Là aussi, un commissaire devra s’intéresser à la manière dont vivent les classes populaires, sur les pentes de la Croix-Rousse, pour identifier l’assassin d’un garçon disparu depuis des semaines et qu’un chiffonnier retrouve mort. Le commissaire Soubielle devra aussi fouiner dans les milieux antisémites et parmi ceux qui les combattent.
J’ai trouvé ce roman vraiment bien tourné, avec un ton et des détails qui fonctionnent bien. L’auteur s’est particulièrement penché sur la manière dont les enfants étaient peu considérés par leurs parents, et par les adultes en général, des torgnoles tombant facilement, des paroles malheureuses leur étant adressées ou dites devant eux… J’ai tout de même trouvé ce roman très sombre, un peu trop, et parfois inégal au niveau des dialogues, mais ce sont des défauts finalement minimes pour un premier roman.

Dolores Redondo, De chair et d’os, éditions Folio, 2021, traduction de Anne Plantagenet, 608 pages.
« Elle avait lu quelque part qu’il ne faut pas revenir dans un lieu où on a été heureux, car c’est une façon de commencer à le perdre. »

Deuxième roman de la trilogie du Baztan, que j’ai enchaîné assez rapidement après avoir dévoré le premier. L’inspectrice Amaia Salazar, à peine remise d’une récent accouchement, et de l’enquête précèdente, travaille cette fois sur des crimes conjugaux, dont les auteurs sont connus, mais qui à chaque fois, se sont suicidés en laissant une inscription identique, « TARTTALO ».
Le scénario emberlificoté à souhait, la région du Pays Basque espagnol toujours aussi bien décrite, brumeuse et humide, font que le roman se lit aisément. Toutefois, je suis moins emballée que par le précédent, trop de fantastique et de superstitions m’ont un peu lassée, des rebondissements se succédant à un rythme effréné m’ont fait trouver le tout assez peu vraisemblable. Continuerai-je la série ?
Vu chez Eva.

Abir Mukherjee, L’attaque du Calcutta-Darjeeling, éditions Folio, traduit de l’anglais par Fanchita Gonzalez-Battle, 464 pages.
« D’après mon expérience, les très riches et les très pauvres sont souvent gênés par l’endroit où ils vivent. »

Encore une série, et un voyage dans le temps et l’espace, avec un enquêteur britannique, vétéran de la première guerre mondiale, Sam Wyndham. A peine arrivé, il doit débrouiller une affaire d’assassinat concernant un anglais influent, aux abords d’une maison de passe. Son adjoint indien lui est d’une grande aide, car Wyndham est encore peu au courant des pratiques locales. Il se demande pourquoi ses supérieurs l’envoient, alors qu’il est déjà en pleine enquête, en déplacement sur la ligne Calcutta-Darjeeling, où un train a été attaqué, sans que rien soit dérobé et faisant « seulement » une victime, un surveillant autochtone.
La plus grande partie du récit se déroule à Calcutta, et l’atmosphère recréée, des plus dépaysantes, constitue un vrai régal de lecture. L’enquête montre la répression britannique se mettre en place contre les velléités toutes neuves d’indépendance des Indiens, et s’appuie, avec beaucoup d’habileté, sur un grave événement historique survenu en 1919. L’ensemble est vraiment bien fait, et je continuerai cette série, sans aucun doute.
Repéré chez Athalie.

Craig Johnson, La dent du serpent, éditions Points, 2019, traduction de Sophie Aslanides, 480 pages.
« C’était une femme typique du Wyoming , de cet âge indéfinissable entre trente et cent ans où les femmes trouvent une certaine paix et s’y installent. »

Un jeune fugueur qui se réfugie dans un cabanon de jardin et vole sa nourriture, voilà une affaire pas bien compliquée pour Walt Longmire, si ce n’est qu’il est suivi par un drôle de bonhomme, venu d’un lointain passé (si, si !) et que la mère du tout jeune homme semble avoir disparu. Les recherches du shérif du Wyoming le mènent vers une secte plutôt fermée et hostile, dont le jeune homme a été exclu.
Lire Craig Johnson, c’est toujours une lecture réconfortante, avec de l’action, des incursions dans la vie privée des enquêteurs, beaucoup d’humour, et sans dérapage aucun vers le sordide. Et ça me plaît toujours autant, après une dizaine d’épisodes lus.
Autre avis chez Keisha.

Et vous, connaissez-vous ces auteurs ?
Dolores Redondo, Craig Johnson et Abir Mukherjee seront ces 1er, 2 et 3 avril aux Quais du Polar à Lyon.

Dolores Redondo, Le gardien invisible

« Amaia sentait dans cette forêt des présences si tangibles qu’il était facile d’y accepter l’existence d’un monde merveilleux, un pouvoir de l’arbre supérieur à l’homme, et d’évoquer le temps ou, en ces lieux et dans toute la vallée, êtres magiques et humains vivaient en harmonie. »

Avant d’évoquer les personnages ou l’investigation policière, il convient de parler des lieux : la vallée du Baztán, dans les Pyrénées espagnoles, environnée de forêts et au milieu de laquelle se trouve le bourg d’Elizondo. L’endroit semble idyllique, mais l’atmosphère devient plus trouble lorsqu’une jeune fille, puis deux, sont retrouvées mortes, leur corps à chaque fois soigneusement déposé au bord de la rivière, en pleine forêt. La présence de poils d’animaux font imaginer à tous, même à Amaia Salazar, policière chevronnée revenue de Pampelune dans son village natal, qu’un basajaun, créature mythique, pourrait être passé sur les lieux…

« L’architecture d’un village ou d’une ville témoigne des existences et préférences de ses habitants autant que les habitudes d’un homme révèlent sa personnalité. Les lieux reflètent un aspect du caractère, et ce lieu parlait d’orgueil, de courage et de lutte, d’honneur et de gloire. »

Dès les premières lignes, j’ai adopté sans difficulté cette nouvelle série policière venue d’Espagne. Tout d’abord, on n’y retrouve pas les clichés habituels. L’enquêtrice travaille au sein d’une équipe sans gros problèmes, a une vie de couple assez harmonieuse, ça change des policiers divorcés et alcooliques. Elle vient ensuite d’une famille unie, qui vit au cœur de la vallée du Baztán, mais là, je ne vous en dévoile pas trop, volontairement. On comprend qu’Amaia ne souhaite pas vraiment enquêter dans son village d’enfance, et qu’elle souffre d’un vieux traumatisme.
Si j’ai ressenti quelques petites baisses de rythme au cours du roman, qui est tout de même raisonnablement long, d’autres les trouveront sans doute négligeables. L’ensemble tient bien la route, est relevé d’une écriture tout à fait agréable, et comme c’est le début d’une trilogie, je ne demande qu’à lire la suite !

Le gardien invisible de Dolores Redondo, (El guardian invisibile, 2012), éditions Stock, 2013, traduction de Marianne Millon, 520 pages en poche.

Javier Cercas, Terra Alta

« Ici c’est une terre inhospitalière, très pauvre. Elle l’a toujours été. Une terre de passage où ne restent que les gens qui n’ont d’autre solution que de rester, ceux qui n’ont aucun autre endroit où aller. Une terre de perdants. »

Dans une province montagneuse et pauvre de Catalogne, un inspecteur nommé Melchor est appelé pour enquêter sur un meurtre sordide, celui de deux personnes âgées, un chef d’entreprise, potentat local, et son épouse. Des mobiles apparaissent, des suspects également. Un chef de service presse les policiers de terminer au plus vite l’enquête, au mépris des convictions intimes de Melchor.
Ce qui a amené le jeune homme à devenir policier, et aussi à atterrir dans cette région éloignée de sa Barcelone natale, est dévoilé petit à petit dans des chapitres alternés. L’enquête n’est pas de tout repos et va mettre en péril la vie de famille que le policier a construit en Terra Alta.

« Javert l’éblouit. Ce que Melchor éprouvait pour cet individu marginal et marginalisé était bien plus complexe et plus subtil que tout ce qu’il avait éprouvé pour Jean Valjean. Javert était le méchant du roman, l’auteur l’avait créé pour que son antipathie rocailleuse, sa véhémence légaliste et son fanatisme parfois diabolique fassent naître le mépris chez le lecteur. »

J’ai beaucoup apprécié les livres précédents de Javier Cercas, (L’imposteur, Le monarque des ombres) et ses analyses très fines de la nature humaine, dans des récits tournants autour de faits et de personnages réels. Le voici qui s’essaye à la fiction sous forme de roman policier, ce qui a de quoi intriguer. Si j’excepte la description de la scène de crime, des plus difficiles à lire, cette incursion dans l’univers du polar est tout à fait réussie. L’auteur en respecte les codes, sans toutefois abandonner les sujets qui lui tiennent à cœur, comme l’histoire récente de l’Espagne et ses répercussions sur la période contemporaine, et sur les communautés humaines, de la famille au village.
Des pistes s’avèrent nombreuses et des personnages se dévoilent au fur à mesure que l’enquête creuse leurs personnalités, et tout fonctionne très bien. Le parallèle avec les personnages et l’intrigue des Misérables, roman que Melchor a découvert lors de sa « première » vie, ajoutent une dimension littéraire tout à fait intéressante. Le personnage principal possède la profondeur nécessaire pour en faire un policier attachant et complexe à souhait, dont on regrette immédiatement qu’il ne soit pas le héros d’une série. Quoique, sait-on jamais ?

Terra Alta de Javier Cercas, éditions Actes Sud, 2021, traduction de Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, 307 pages

Repéré grâce à Delphine-Olympe ou Jostein.

Fernando Aramburu, Patria

patria« Neuf heures du soir. À la cuisine, fenêtre grande ouverte pour chasser les odeurs de friture. Le journal télévisé commença par une information que Miren avait entendue la veille à la radio. Arrêt définitif de la lutte armée – pas du terrorisme, comme disent ces gens-là, car mon fils n’est pas un terroriste. »
Je ne sais pas si vous connaissez beaucoup de romans qui se déroulent au Pays Basque espagnol, mais j’ai beau chercher, je pense que c’est la première fois que j’en lis un. Même si les dates ne sont pas précisées, l’action se déroule au début des années 2010, lorsque l’ETA déclare la fin de la lutte armée. Il s’agit ici de l’histoire de deux familles, et chacun se remémore les années où l’organisation séparatiste multipliait les attentats, obligeant chacun à se tenir sur ses gardes, et à choisir son camp avec le plus de discernement possible. Deux femmes sont les figures principales, Bittori, dont le mari, Txato, a été assassiné à deux pas de chez lui, pour ne pas avoir payé la « taxe » réclamée par l’Organisation. L’autre, Miren, est la mère d’un jeune homme accusé d’attentat et emprisonné à vie. Les deux familles étaient très liées, ces événements les ont séparées.

« Des mots. Impossible de s’en débarrasser. Ils ne vous laissent pas une seule seconde. Fléau d’insectes insupportables, hein. Elle devrait ouvrir les fenêtres en grand pour chasser les mots, les lamentations, les vieilles conversations, tristes, claquemurés dans l’appartement inhabité. »
C’est avec une écriture nerveuse, intéressante et, pour tout dire, inhabituelle, que l’auteur met en lumière les conséquences du passage à l’acte meurtrier, les répercussions innombrables sur les familles, les maris, les épouses, les enfants, les frères et sœurs. L’idée de laisser un certain nombre de mots en basque, avec un glossaire à la fin, contribue à immerger davantage le lecteur dans l’atmosphère de la région.
Des thèmes intéressants sont abordés, celui du harcèlement subi par la population, celui du rôle de l’église, celui de la justice réparatrice, celui de la culpabilité, parfois bien creusés, parfois plus effleurés. J’ai à certains moments attendu que tel ou tel thème refasse surface, en vain. Pourtant le roman ne manque pas de place pour se développer, sur plus de six cent pages, mais un peu trop de détails sur la vie des membres des deux familles, trois enfants d’un côté, deux de l’autre, détails qui n’ont pas toujours de rapport avec l’attentat, ni avec ses conséquences, donnent lieu à des paragraphes dont je me serais passée. J’insiste toutefois, l’ensemble est intéressant et se lit bien, c’est juste un dosage qui ne m’a pas tout à fait convenu.
Il est à noter que l’auteur se place davantage du côté des victimes, donnant une image peu reluisante des membres actifs de l’ETA, jeunes, peu éduqués, et endoctrinés sans trop comprendre le fond des revendications. C’est son choix, mais du coup, les personnages tout en nuances, notamment féminins, éveillent beaucoup plus l’attention. Les deux personnages des mères, fortes, obstinées, mais humaines, seront ceux que je retiendrai, c’est certain.

Patria de Fernando Aramburu, (Patria, 2016) éditions Actes Sud, mars 2018, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, 615 pages.

Je fais coup double avec les challenge Pavévasion chez Brize et Objectif PAL chez Antigone.
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Photographe du samedi (51) Ouka Leele

Comme bien souvent au retour des Rencontres de la Photographie d’Arles, mille images se bousculent dans ma tête pour prendre la première place et donner lieu à un petit billet de photographe. Mais quels sujets ou photographes choisir pour commencer ?
Aujourd’hui, ce sera une femme, elles sont bien représentées dans ces Rencontres qui fêtent leurs cinquantième anniversaire, et ce sera une photographe espagnole vue dans l’exposition sur la Movida. Impossible de ne pas remarquer les couleurs éclatantes de ses photos et son goût pour la provocation, sans rien d’excessif toutefois.

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Bárbara Allende Gil de Biedma est née à Madrid en 1957. Intéressée par tous les arts, la peinture, la poésie, elle suit une formation en technique photographique et certains de ses clichés sont publiés dans des magazines dès ses dix-huit ans. Elle prend le pseudonyme de Ouka Leele et travaille d’abord le noir et blanc, mais très vite elle imagine de peindre ses photos avec des aquarelles de couleurs vives, puis de les photographier de nouveau.
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J’ai aimé le travail de cette photographe représentative de la Movida madrilène, et ses thèmes féministes, ou sur l’identité, le genre. Sa série « salon de coiffure » est aussi amusante que remarquable, et l’une des photos constitue l’affiche des Rencontres 2019. J’ai aussi trouvé des paysages, de Madrid ou des Asturies, qui s’éloignent du classique, et restent bien caractéristiques de son style.
L’un de ses travaux (Le baiser, ci-dessus) était en couverture d’un livre paru en 2018 ou 2019, mais je n’ai pas réussi à retrouver lequel. Qui pourra me le dire ?

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A voir aux Rencontres photographiques d’Arles jusqu’au 22 septembre 2019 (Palais de l’Archevêché pour cette exposition)

Javier Cercas, Le monarque des ombres

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« La décision fut d’écrire d’autres histoires, mais qu’entre-temps je glanerais des informations sur Manuel Mena, même si c’était entre deux livres et à mes heures perdues, avant que la trace de sa courte vie s’estompe complètement et disparaisse de la mémoire précaire et usée de ceux qui l’avaient connu ou de l’ordre volatil des archives et des bibliothèques. »

Cela faisait des années que l’auteur espagnol Javier Cercas tournait autour de ce héros de la famille, jeune homme mort à vingt ans sur les bords de l’Ebre, mais le fait que rétrospectivement il ait été du mauvais côté, à savoir du côté du franquisme, était très certainement un frein à cette entreprise. Cela et aussi la mémoire des contemporains de Manuel Mena qui commençait à s’effacer… Pourtant, grâce à la proposition de son ami le cinéaste David Trueba qui lui propose de l’accompagner dans son village d’Estrémadure pour interroger et filmer ceux qui ont connu le jeune phalangiste, un projet de livre se dessine.
C’est avec plaisir que je retrouve Javier Cercas, dont j’avais lu avec un très grand intérêt L’imposteur.
Le présent livre relate scrupuleusement les recherches, les rencontres, en quête de la personnalité de Manuel Mena, mais curieusement, l’auteur parle de lui tantôt à la première personne, tantôt, notamment pour les membres de sa famille, en les nommant « le grand-père de Javier Cercas » ou « l’oncle maternel de Javier Cercas », un curieux dédoublement qui surprend, mais ne soulève aucun doute quand à la sincérité du propos.

« En prenant le café, je racontai à David que pendant des années cet endroit avait abrité le cinéma et le dancing du village et que c’était là que j’avais embrassé une fille pour la première fois et où j’avais vu mon premier film.
– C’était quoi comme film ? demanda-t-il.
Les quatre fils de Katie Elder
, répondis-je.
– Eladio avait raison, tu vois ? dit David.
Je le regardai sans comprendre.
Il précisa sa pensée :
– On est de là où on a embrassé pour la première fois et où on a vu son premier western.
Il paya les cafés et ajouta :
– Ici, ce n’est pas le village de tes parents, mec : ici, c’est ton foutu village. »
Les dialogues entre l’auteur et David Trueba rendent très vivante cette quête, près de quatre-vingts ans après les faits, ainsi que le retour au village natal qui m’a rappelé le très beau livre de Carine Fernandez, Mille ans après la guerre. Impossible de ne pas se passionner pour tous les doutes et les questionnements soulevés par l’enquête de l’auteur, et ils sont nombreux, car il n’est pas forcément facile d’évoquer un ancêtre franquiste dans l’Espagne actuelle. Tous les moments où il réussit à faire remonter des réminiscences de la part de proches parents ou de voisins de son village s’avèrent également très émouvants, et j’ai vraiment été emballée par le style. La traduction me semble d’ailleurs parfaite pour mettre en valeur ce texte.
Un seul petit bémol concerne les recherches qui relèvent davantage des textes d’archives. Les formulations manquent parfois un peu de clarté pour qui ne connaît pas parfaitement les protagonistes de la guerre civile espagnole : les franquistes, les républicains, ça va, les phalangistes, on voit bien de quel côté ils sont, mais lorsqu’est évoquée « l’armée de Yagüe » de quel côté se situe-t-on ? Il faut quelques lignes à rechercher des indices pour trouver la réponse, retomber sur ses pieds et reprendre le fil, compliqué par des phrases très longues. J’aime beaucoup habituellement les phrases longues, mais lorsqu’il s’agit de guerre, de différentes factions, ça n’aide pas à la compréhension… Certains épisodes sont toutefois captivants comme l’approche de Teruel à la fin de l’année 1937, connue par les photos de Robert Capa et Gerda Taro, et qu’on retrouve ici, vue de l’intérieur. La fin est également une grande réussite, très belle et émouvante, elle révèle enfin la signification du titre…

Le monarque des ombres de Javier Cercas (El monarca de las sombras, 2017) éditions Actes Sud (août 2018), traduit par Aleksandar Grujicic et Karine Louesdon, 320 pages.

Le billet de Marilyne, (merci !) ou celui de Delphine-Olympe.