Alice Géraud, Sambre

Ensuite, gendarmerie et police n’ont pas coordonné leurs recherches, n’étaient même pas au courant des plaintes déposées dans d’autres services. Ils ont choisi de ne pas alerter la presse, pour ne pas que le violeur s’enfuie ou change de méthode… On voit le résultat de ce choix ! Quant aux juges d’instructions, jeunes magistrates dont c’était le premier poste, elles ont fait de leur mieux, mais aucune n’est resté bien longtemps dans la région, et il a manqué un suivi.

Une autre erreur des enquêteurs a été de chercher du côté des délinquants connus ou des marginaux, n’imaginant à aucun moment qu’il puisse s’agir d’un homme marié, bien inséré, avec une vie sociale qui ne laissait rien paraître. De plus en plus prudent au fil des années, l’homme devenait aussi plus violent, tout en continuant tranquillement son travail, ses loisirs, sa vie de famille, alors que la vie des femmes, elle, s’arrêtait, scindée en deux par l’acte qu’elles avaient subi. C’est ce qui est terrible dans ces récits qui se suivent et se ressemblent : le fait qu’elles n’aient pas été, ou très peu, écoutées, et à quel point leur vie a basculé. De collégienne ou vendeuse, apprentie, directrice d’école ou lycéenne, elles sont devenues victimes, apeurées, traumatisées, craignant de sortir, imaginant entendre ou sentir partout leur agresseur, qu’elles n’avaient souvent pas vu.
Puis un policier a fini par noter des recoupements, des traces d’ADN ont enfin été conservées et comparées, des spécialistes engagés… vingt ans après les premiers faits.
L’enquête d’Alice Géraud, très bien faite et complète, est suivie de la chronique du procès. Cela fait mal au cœur pour toutes ces adolescentes et femmes d’âges divers de lire tout cela, mais c’est indispensable.
C’est grâce à l’avis de Keisha, suivi par Ingannmic et Aifelle, que j’ai réservé ce livre, et l’ai lu avant d’entendre parler de la série qui en a été tirée, diffusée en ce moment.
Je n’ai vu encore que trois épisodes, centrés chacun sur un personnage, et je la trouve bien faite, par un réalisateur de documentaire, et en collaboration avec Alice Géraud. Comme signalé à la fin des épisodes, elle est destinée à rendre hommage aux victimes, et si elle s’écarte parfois un peu de la réalité, c’est pour elles, et seulement pour elles.

Sambre : Radioscopie d’un fait-divers, d’Alice Géraud, éditions J.C. Lattès, janvier 2023, 400 pages.
Série en six épisodes de Jean-Xavier de Lestrade sur France 2.

50 commentaires sur « Alice Géraud, Sambre »

  1. j’ai commencé à regarder la série, cela m’a donné envie de mettre des baffes … quand un des gendarmes ose dire à la victime, qu’elle a eu de la chance (entre autres!) il y a encore des progrès à faire dans la prise en charge des violences sexuelles 🙂
    par contre je ne suis pas sûre de lire le livre ou alors plus tard 🙂

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    1. Oui, ça met en rage aussi dans le livre d’Alice Géraud, mais on voit une évolution au fil des décennies, dans la série également. Cette prise en charge est encore loin d’être parfaite, mais il y a des progrès.

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  2. Une lecture qui m’aura bien marquée, je ne risque pas de l’oublier. J’enregistre la série, mais j’attendrai avant de la regarder.

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  3. La série passe sur la RTBF aussi mais je la regarde sur France 2 (il n’y a pas de pubs !). Je pense que je lirai aussi le livre, ce sera bien plus complet, j’imagine. Il n’y a pas eu non plus de collaboration entre la France et la Belgique, puisque ce type a passé la frontière pour continuer ses crimes « en douce ».

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    1. Effectivement, j’avais écrit sur le côté belge de l’enquête et l’absence de collaboration, et puis j’ai raccourci un peu, c’est rare que j’écrive un billet trop long… mais le sujet mérite qu’on en parle, et reparle encore ! Et oui, le livre est beaucoup plus complet que la série.

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      1. Merci pour l’info et le lien. J’ai vu en effet ces jours-ci que la série était encore diffusée mais je n’ai pas osé prendre en cours de peur de n’y rien comprendre. Je regarderai le replay.

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  4. Je ne vais pas tarder à me le procurer… Je recommande de regarder La grande librairie de mercredi dernier consacrée à la justice. Il y a été question du combat de Gisèle Halimi et du scandale que constitue la requalification des viols en délit passible de la correctionnelle au lieu des assises. C’est (tristement) édifiant et représentatif !

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      1. J’avoue que je ne regarde pas d’habitude mais c’était ma librairie indépendante qui était mise à l’honneur alors je ne voulais pas rater ça. Et finalement, le débat était passionnant, je suis laissée happée, en particulier par Laura Heinich, l’avocate qui était sur le plateau…

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  5. Ah on aurait pu se faire une LC, ce qui m’aurait sans doute motivée à sauter le pas sur une telle thématique. Je l’ai repéré dispo dans ma bibli la semaine dernière, j’avais failli l’emprunter. Bon, pour une prochaine fois, quand je serai vraiment prête.

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  6. J’ai vu passer la série sur la TV mais comme je n’en regarde jamais je n’ai pas eu la curiosité de la suivre, maintenant c’est un peu tard peut-être pour prendre les épisodes en marche, quoi que…ce que tu dis du livre me tente par contre davantage et donc je verrai si je le trouve en médiathèque mais plus tard, je reconnais ne pas trop avoir envie de lire ce sujet en ce moment.

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  7. J’ai regardé la série. Ce sujet est un sujet pour moi majeur, et cette série est une réussite. Quand on sait que ce sont des faits authentiques, ça fait froid dans le dos. Et on a toutes des exemples plus ou moins proches. De toutes sortes de violences, et croire que les femmes n’ont plus à combattre, est une grossière erreur de jugement. On a pas tout acquis dans les années 70 ( voir ce qui est en train de se passer ici ou là sur les droits des femmes, comme l’avortement ) Rien n’est acquis, loin de là. On se gausse ici et là des combattantes actuelles, je me demande pourquoi… Excessives? Parce que le viol ne serait pas un excès? Je me sens toujours en colère sur ce sujet. Merci de ton article, merci

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    1. Le livre de 400 pages n’a pas un mot de trop et se dévore autant qu’il met en colère, surtout au début avec les réactions incompréhensibles des forces de l’ordre, et aussi leur manque de moyens et d’intérêt pour les victimes de viol.

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  8. C’est terrible, ce que décrit Alice Géraud, à propos de la prise en charge des victimes, ce récit m’a vraiment marquée… j’ose espérer qu’il y a eu des progrès dans ce domaine, mais je crains qu’il y ait encore beaucoup à faire..

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    1. A lire son enquête, on a tout de même l’impression d’une amélioration, sans doute pas partout ni toujours, de la prise en charge… espérons que ça aille dans le bon sens.

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  9. Merci Kathel pour ce compte rendu !! Je viens aujourd’hui de terminer la série qui est vraiment remarquable, très respectueuse des victimes et tout en nuances. Les acteurs sont parfaits. Et comme une des blogueuses le dit en commentaire moi aussi j’avais une furieuse envie de coller des baffes à ces flics incompétents, macho et flemmards…

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  10. Je n’ai encore pas lu ce titre que va beaucoup me plaire, c’est certain car le fonctionnement de la justice m’intéresse beaucoup, de même que le traitement médiatique de ce genre d’affaire. Je le souligne quatre fois sur ma liste et peut-être qu’un jour j’aurai le temps de regarder des séries en x épisodes…

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    1. Je suis sûre que tu vas te passionner pour cette enquête édifiante, pas toujours dans le sens positif, malheureusement. Elle est beaucoup plus complète que la série, qui a pour elle de toucher un large public.

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  11. Je regarde la série sur France 2 qui est exceptionnelle en tous points : l’interprétation, le choix du réalisateur de se focaliser sur différents protagonistes, sa mise en scène, la photographie, la bande originale et bien entendu le discours porté. On apprend de ce traitement l’importance de sortir une affaire du traitement local où la concomitance et la proximité entre enquêteurs et population peut fausser le jugement, le sens critique des premiers…surtout quand certains n’ont pas la capacité intellectuelle à gérer une affaire criminelle. On comprend aussi l’importance de communiquer et de lier les informations entre différentes polices mais avec une veille aussi au respect des procédures. On voit que les divers déménagements ont facilité le brouillage des pistes. Une série impressionnante et fantastique, servie par une enquête qui a l’air exceptionnelle. C’est très bien de parler de ce livre que je n’ai pas lu.

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    1. Merci de tes observations très complètes sur la série.
      « certains n’ont pas la capacité intellectuelle à gérer une affaire criminelle » c’est bien dit, il me semble que certains commentaires sur ces policiers sont plus… directs ! 😉

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  12. J’ai vu la série, très bonne. Je lirai le livre. On peut espérer que la police a progressé depuis et surtout que le viol va être considéré vraiment comme un crime ! Il y a tant de laxisme et je vois que la France ne s’inscrit pas, même maintenant, comme bon élève en Europe en ce qui concerne le notion de consentement !

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