« La voiture n’était pas assez récente pour être luxueuse, pas assez vieille pour faire bohème. Un objet de classe moyenne pour des gens de la classe moyenne, conçu pour ne pas déranger ni séduire, achetée dans un showroom avec des murs en miroirs, quelques ballons peu enthousiastes, et plus de vendeurs que de clients. »
Une famille de Brooklyn, Amanda, Clay, et leurs enfants adolescents, se réjouit de passer une semaine dans une belle maison de Long Island, un peu isolée et assez luxueuse, un plaisir qu’ils n’ont pas l’habitude de s’offrir. L’arrivée et l’installation se passent bien, mais le deuxième soir, un couple de noirs d’une soixantaine d’années frappe à la porte, et se présente comme étant les propriétaires des lieux. Surpris par une panne générale d’électricité et de réseau à New York, ils demandent à pouvoir passer la nuit dans leur maison, en attendant de voir ce qui se passe. Les premiers contacts sont tendus entre les Afro-Américains aisés et les Blancs plus jeunes et plus modestes, pleins de suspicion, mais les locataires acceptent à contrecoeur la présence des propriétaires. Le lendemain, d’autres événements perturbants se produisent, un Bruit énorme et effrayant, des animaux qui semblent égarés, mais aucune information n’est disponible sur ce qui se passe.
« Il songeait qu’il lui arrivait encore de s’introduire en douce dans les chambres de ses enfants. Ils ne se réveillaient jamais au cours de ces visites nocturnes. On se dit que l’inquiétude prendra fin un jour. Quand ils feront leurs nuits, seront sevrés, sauront marcher, nouer leurs lacets, quand ils sauront lire, puis il y aura l’algèbre, le sexe, l’entrée à la fac, et alors on sera libéré, mais c’est un mensonge. L’inquiétude est sans fin. L’unique tâche d’un parent est de protéger son enfant. »
A mon avis, ce roman est plutôt une réussite, à laquelle je ne m’attendais pas trop au vu du début du roman, abondant en détails rajoutés pour créer l’ambiance, (mouchoirs sales et autres détails peu appétissants, ou listes d’achats détaillées) inutiles à mon avis. L’auteur ne les abandonne pas par la suite, mais, plus rares, ils finissent par ne plus irriter et n’entravent pas la lecture.
Finalement ce n’est pas tant du monde d’après qu’il est question, mais plutôt de la manière dont ça se passe au moment même où les choses commencent à se déliter, et où la peur gagne les personnages, chacun réagissant à sa manière. Le choix des personnages, bien trouvés, et bien décrits, est pour beaucoup dans la réussite du roman. Il est très intéressant de voir, je ne vais pas divulgâcher, laquelle de ces six personnes aura la réaction la plus efficace, à la toute fin du roman.
Par contre, il ne faut pas s’attendre à des explications sur le type d’événement qui se produit, que ce soit localisé à New York ou plus général… comme toute la narration est du point de vue des deux familles repliées dans la maison, s’ils n’ont pas de réponses à leurs questions, le lecteur n’en a pas non plus : c’est encore plus angoissant !
Ce n’est pas le livre de l’année, ni le meilleur dans le genre, mais il apporte un éclairage intéressant et très américain, sans oublier d’être particulièrement réaliste, sur le thème d’un déclin précipité de civilisation, et celui de la peur. L’auteur analyse les rapports familiaux, et les relations entre personnes de milieux et d’origines différentes, de manière très subtile.
Le monde après nous de Rumaan Alam, (Leave the world behind, 2020) Seuil, août 2022, traduction de Jean Esch, 304 pages.
Un film, tourné par Sam Esmail, vient d’être tiré de ce roman, avec Julia Roberts, Mahershala Ali et Ethan Hawke, il est diffusé sur Netflix.