« Devenir adulte, ça signifie apprendre à naviguer dans le courant : apprendre quand se cramponner, quand jeter l’ancre, quand se laisser porter. »
Les voix s’enchevêtrent dans le Chant des revenants, les plus claires étant celles de Jojo, un jeune garçon de treize ans, né métis d’un père blanc et d’une mère noire, très proche de son grand-père River et de sa petite sœur Kayla. Ensuite celle de Leonie, sa mère, souvent absente, doux euphémisme pour évoquer tout ce qu’elle ingurgite pour s’éloigner de la réalité, à savoir deux enfants qui attendent qu’elle s’occupe d’eux, un mari tant aimé en prison, des parents qui l’observent, et la jugent peut-être… Lorsqu’elle apprend que Michael va sortir de détention, elle décide d’aller le chercher à plusieurs centaines de kilomètres de là, en voiture, avec ses enfants et son amie Mitsy.
Ne vous attendez pas à un road-movie plein de bons sentiments, non, on est dans un roman réaliste, sordidement réaliste, si ce n’est que des âmes errantes viennent participer à ce périple, et ajouter leur voix au chœur. Celle de Richie, en particulier, très touchante, car elle présente un écho, bien des années auparavant, de ce qu’a pu subir un jeune noir de l’âge de Jojo, emprisonné à Parchman, le pénitencier où le grand-père était incarcéré aussi.
« Je me suis penchée. J’ai aspiré. Une bonne brûlure a parcouru mes os, en ensuite j’ai oublié. Les chaussures que je n’ai pas achetées, le gâteau fondu, le coup de fil. Le bébé qui dort dans mon lit pendant que mon fils dort par terre, au cas où je rentrerais pas claire et où je l’obligerais à se mettre par terre. Plus rien à foutre.
« L’extase. » Je l’ai articulé lentement. J’ai fait sonner les syllabes. Et c’est là que Given est revenu. »
Je viens de finir ce roman et je suis un peu mitigée… Peut-être avais-je encore à l’esprit Ruby de Cynthia Bond que j’avais lu en apnée, ou Home de Toni Morrison, ou encore Les moissons funèbres de la même Jesmyn Ward, son essai sur les jeunes noirs du Sud. Bref, par comparaison, j’ai été moins touchée par ce roman. Deux raisons à cela : la présence des fantômes, trop présents, justement, à mon goût, et dont les voix ne m’ont pas semblé si indispensables que cela.
J’ai eu aussi l’impression que l’auteure cherchait des excuses à Leonie, à son comportement envers ses enfants… Je n’ai pas l’habitude de dire qu’un roman me déplaît parce qu’un personnage m’est odieux, mais là, c’est tout de même le personnage de Leonie qui m’a maintenue à l’extérieur du roman, en simple spectatrice, là où d’autres se sont immergés et ont même coulé sous l’avalanche d’émotions provoquées. Pourtant cela avait bien commencé avec la relation entre Jojo et son grand-père, qui pour le coup, avait touché son but, et que j’étais prête à suivre sur un plus grand nombre de pages.
Tant mieux si ce roman rencontre du succès, le sujet est bien évidemment inattaquable, mais ce n’est pas une raison pour que je m’abstienne de dire que je n’ai pas été complètement séduite par les choix stylistiques et narratifs de l’auteure. Je recommande par contre sans réserves Les moissons funèbres, que j’ai trouvé sonnant plus juste, où j’ai l’impression que l’auteure a mis plus d’elle-même, et que j’ai dévoré.
Le chant des revenants de Jesmyn Ward (Sing, unburied, sing, 2017) éditions Belfond (février 2019) traduit par Charles Recoursé, 272 pages.
Les avis de Cathulu, Eva, Eve-Yeshé et Mumu dans le bocage, enthousiastes, et Alex mots à mots, déçue…