
« Parfois, elle avait l’impression qu’elle était déjà morte. Mais lorsque Zouleikha s’approchait des latrines improvisées dans un coin de la cellule, qui consistaient en un grand seau de fer-blanc sonore, et qu’elle sentait ses joues brûler de honte, elle comprenait soudain qu’elle était encore en vie. Les morts ne connaissent pas la honte. »
Dans les années 30, dans le pays Tatar, région russe dont la capitale est Kazan, une jeune femme subit sa vie auprès d’un mari tyrannique et d’une belle-mère qui la prend pour une esclave. Mariée depuis quinze ans à cet homme bien plus âgé, elle a perdu quatre bébés filles toutes petites encore et s’en remet à de vieilles superstitions dans l’espoir d’avoir un enfant. Lorsque les autorités villageoises, sur ordre de Staline, décrètent la « dékoulakisation », à l’encontre des propriétaires terriens, si humbles soient-ils, le mari de Zouleikha est tué en tentant de résister et la jeune femme est déportée avec de nombreux autres habitants.
Le thème est le même que dans L’étrangère aux yeux bleus, mais d’un point de vue totalement différent puisque Zouleikha n’échappe pas au sort qui l’attend, alors que les personnages de l’autre roman tentaient de fuir avec leurs troupeaux. S’ensuit pour la jeune femme une longue errance dans un wagon bondé, puis l’arrivée dans un endroit éloigné de tout, en Sibérie, au bord du fleuve Angara, où les déportés devront s’organiser.
« Du haut de la colline, la plaine s’étendant en bas ressemble à une immense nappe blanche sur laquelle la main du Très-Haut a égrené des perles d’arbres et des rubans de routes. La caravane des koulaks forme un fil de soie fin qui s’étire jusqu’à l’horizon, où le soleil pourpre se lève solennellement. »
Un premier roman qui embrasse tout un pan de l’histoire de la Russie, du côté des petites gens qui ne comprennent pas forcément dans quoi ils sont embarqués, voici qui m’a tout de suite attirée, et j’ai été ravie de trouver ce roman à Saint-Malo, lors du festival Étonnants Voyageurs. Même si je n’ai pas pu y écouter Gouzel Iakhina, je n’ai pas douté un instant que ce roman allait me plaire. Et il m’a plu au-delà de ce que j’imaginais !
Outre le contexte passionnant, les personnages font la force de ce roman. Comment ne pas s’attacher à Zouleikha, toute menue et discrète, et au bouleversement de sa vie qui la fera passer quasiment du Moyen-Âge à l’époque moderne en seize années de déportation. Quel beau personnage qui malgré les épreuves, trouve toujours une force ultime pour avancer ! Il y a aussi le chef de camp, Ignatov, d’autres « déplacés » dont certains sont des intellectuels venus de Saint-Pétersbourg, comme Isabella ou le peintre Ikonnikov. Et ensuite, arrive Youssouf… des personnages intensément humains qui vont, chacun à leur heure, émouvoir et faire se sentir proche d’eux.
J’ai tout aimé dans ce roman, même l’ambivalence des personnages, qui ne sont ni entièrement mauvais, ni foncièrement bons. Si l’autrice s’est incontestablement bien documentée sur le Tatarstan des années 30, cela reste discret et jamais péremptoire.
L’écriture et la traduction rendent parfaitement les paysages et les saisons, comme les dialogues et les sentiments : que de qualités pour un premier roman ! J’en suis encore sous le charme…
Zouleikha ouvre les yeux de Gouzel Iakhina, (Zouleikha otkryvaet glaza, 2015), éditions Libretto, 2021, traduction de Maud Mabillard, 560 pages.
Pour les curieux, voici une interview intéressante qui n’en dit pas trop sur les livres de l’autrice pour laisser le plaisir de la découverte, et aussi la page consacrée à Gouzel du festival Étonnants voyageurs.
Roman repéré chez Aifelle, Claudialucia et Ingannmic, il participe au défi Pavé de l’été chez Brize.

Un roman qui enthousiasme les lecteurs, je l’ai constaté! Il est à la biblio, j’ignorais que c’était un pavé (gloups)
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Un tout petit pavé, 560 pages en poche, je l’ai lu en cinq jours, et sans jamais trouver le temps long !
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Voilà un billet qui me fait très plaisir, je garde de cette lecture un très beau souvenir..
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Ton avis après lecture m’avait fait remonter ce roman très haut dans ma liste !
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Oui, c’est une œuvre qui mérite le détour, je suis d’accord avec toi. Et un pavé qui te permet de réussir ton Challenge 😎 !
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Je me souviens que tu as préféré Zouleikha aux Enfants de la Volga que l’autrice a écrit ensuite… je le lirai sans doute, pour voir quel est mon sentiment ! 😉
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Je crois que tout le monde est unanime sur ce roman qui allie le romanesque à un solide fond historique.
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Je l’ai beaucoup aimé pour son écriture aussi…
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Ton commentaire me pousse à le retenir à la bib, ce que j’ai fait illico
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Très bonne idée ! 🙂
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Joli pavé :). Tu confirmes l’enthousiasme. J’y viendrai sûrement.
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J’en suis sûre !
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tout un monde dans ce livre : histoire et géographie! Et des personnages nombreux tous intéressants
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Mais oui, toi aussi, tu fais partie des tentatrices (et tu as bien fait !)
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Ce roman a l’air de faire l’unanimité et le sujet est passionnant. Je prends note aussi de l’autre roman cité : « L’étrangère aux yeux bleus ».
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Le sujet, passionnant, n’a pas fini de faire couler de l’encre, et les événements actuels font qu’on s’y intéresse davantage, peut-être.
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J’ai très très envie de le découvrir !
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Je crois que tu peux suivre ton instinct ! 😉
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Ah tu sembles avoir mis la main sur une petite pépite et tu es très convaincante ! Moi aussi le côté « tout un pan de l’histoire de la Russie, du côté des petites gens qui ne comprennent pas forcément dans quoi ils sont embarqués » m’attire. Je vais essayer de me trouver ça.
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Un roman qui m’a beaucoup plu aussi par sa manière de ne jamais plonger dans le sordide… et pourtant l’époque était rude !
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Un sacré portrait de femme on dirait, c’est tout ce que j’aime !
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Zouleikha est un personnage dont je me souviendrai…
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allez hop dans ma liste tu en parles si bien!
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Merci, c’est gentil. C’est un roman que je peux recommander assez largement… ce qui n’est pas toujours le cas des romans qui m’emballent.
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hum… tentant ce double voyage, temporel et spatial !
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Laisse-toi donc tenter ! 😉
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Intéressant et très romanesque.
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Exactement !
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Une lecture passionnante et forte.
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C’est vrai que tu fais partie aussi de celles qui m’ont ouvert les yeux 🙂 sur ce roman !
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Je le lirai, c’est sûr !
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C’est vraiment un excellent roman, je le recommande sans restriction.
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intéressant, cela me fait un peu penser à Djamilia, qui se passe au Kirghiztan dans les années 1940. je me le note, il a l’air passionnant.
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Je me souviens avoir entendu parler de Djamilia, mais pas lu. Tu devrais aimer ce roman, je pense.
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Un excellent souvenir de lecture et une très belle découverte de mon côté également. Je suis très heureux qu’il t’ait plu également !
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Je n’avais lu que de bons avis, j’étais confiante !
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Mon coup de cœur ♥️ de 2021 ! Et en plus, je l’ai fait lire à mon mari (lecteur occasionnel) qui a adoré !
Beau portrait de femme. J’ai apprécié l’aspect historique : les premiers camps en Sibérie sous Staline. A lire absolument !
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Je suis d’accord, on peut le recommander à toutes sortes de lecteurs, tant pour son côté historique que pour ses beaux personnages. (sans oublier l’écriture)
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La couverture ne m’attirait pas mais ton billet si et je vois dans les commentaires que ce livre plaît beaucoup.
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Bah, la couverture n’est pas folichonne, (en grand format, elle me plaisait encore moins) mais le contenu vaut bien de passer outre ! 🙂
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Merci pour la découverte, ton enthousiasme ne fait pas un pli, je le note !
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Il faut découvrir Zouleikha ! (parce que le stalinisme, on ne le découvre pas, lui !)
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Comme toi, j’ai beaucoup aimé de roman, ces personnages, cette histoire ! Et le paradoxe suivant : c’est dans un camp de prisonniers en Sibérie que Zouleikha trouve la liberté !
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Paradoxal et certainement plein de vérité…
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Ca m’a l’air d’être un très beau livre ! Je le note, merci !
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Un deuxième roman de l’autrice est paru depuis, Les enfants de la Volga, que je n’ai pas encore lu.
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Merci !
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