Celeste Ng, Nos cœurs disparus

Bird a douze ans et vit avec son père dans une cité universitaire, depuis que la mère de l’enfant les a quittés quelques années auparavant. Le roman commence lorsque Bird, appelé Noah à l’école, reçoit un dessin sibyllin qui le persuade que sa mère aimerait le revoir. Dans un pays régi par des lois liberticides visant particulièrement les Américains d’origine chinoise, la poétesse Margaret Miu, mère de Bird, était devenue, on apprend comment au fil du récit, symbole de l’opposition. Dans la première partie du roman, Bird se lance dans des recherches, où les bibliothèques vont jouer un grand rôle, ce qui est l’un des aspects sympathiques du roman. Un autre côté plaisant, si l’on peut dire, dans ce monde bien peu enviable, vient des actions de résistance pacifiques et artistiques à la fois, qui sèment le trouble auprès des autorités en leur montrant qu’ils n’ont pas réussi à annihiler toute opposition.

La deuxième partie du roman offre un point de vue différent et plus informé que celui de Bird, qui aurait pu faire passer le livre pour un (très bon) roman pour la jeunesse. Celeste Ng dresse un tableau terrifiant de ces lois intitulées PACT, nées d’une Crise économique majeure, et qui visent à sauvegarder la culture et les traditions américaines. Dit comme ça, cela semble anodin, mais elles restreignent terriblement les libertés, allant jusqu’à réécrire l’histoire destinée aux enfants des écoles, à supprimer de très nombreux ouvrages des bibliothèques, et à enlever à leurs familles les enfants des opposants pour les rééduquer. Rien de tel pour obliger les parents à mettre un terme à toute opposition avec le mince espoir de récupérer leurs petits.
Celeste Ng a créé un univers prenant qui serre souvent la gorge, sans avoir besoin d’en faire trop pour créer l’émotion. Il est impossible de ne pas s’identifier aux personnages et à leur lutte minuscule contre un état tout-puissant.
L’imagination des auteurs est toujours effrayante lorsqu’il s’agit de dystopie, mais donne aussi à réfléchir sur notre monde actuel et sur tout ce qui pourrait déraper et conduire à un futur aussi sombre. Avec toujours l’espoir que les signaux d’alerte émis par les auteurs auront quelque effet…

Nos cœurs disparus de Celeste Ng, (Our missing hearts, 2022) éditions Sonatine, août 2023, traduction de Julie Sibony, 528 pages.

Des avis très variés, de l’enthousiasme à la déception, chez Nicole, Brize, Delphine et Luocine.

Emily St. John Mandel, La mer de la Tranquillité

Le roman commence en 1912 pour assez rapidement changer d’époque deux puis trois fois, et arriver finalement en 2401. Les personnages sont divers et tout aussi intéressants les uns que les autres : un jeune anglais aisé qui débarque au Canada au début du XXème siècle, et cherche un sens à sa vie, une romancière désabusée qui fait une tournée de conférences-lectures sur la Terre en 2203, un jeune homme qui souhaite travailler pour l’Institut du Temps, dans les années 2400, et tiens, un personnage venu du précédent roman d’Emily St. John Mandel, L’hôtel de verre ! Que cela ne vous arrête pas, on peut parfaitement lire l’un sans l’autre, c’est davantage un clin d’œil qu’une suite.
Ce qui relie tous ces personnages ? Un lieu, un arbre, une musique, un bruit étrange, un prénom… Mieux vaut ne pas en savoir plus, et se laisser porter par la prose assez envoûtante de l’autrice. Sachez qu’il s’agira de voyage dans le temps, mais pas seulement…

Et alors, ai-je aimé ce roman ? Oui, la lecture en est tout à fait agréable, et prenante, et on aime voyager avec les personnages, les retrouver, et essayer de comprendre de quoi il retourne à propos de ces failles temporelles. Mais il ne faut pas imaginer, et c’est déjà beaucoup, autre chose qu’un roman fort bien construit et qui mise sur l’intelligence du lecteur. Si on s’attend, dans cette lecture, à un monde futur parfaitement imaginé dans ses moindres détails, que ce soit dans une version noire dystopique, ou rose, utopique, on peut être partiellement déçu. En effet, les mondes du vingt-troisième ou du vingt-cinquième siècles ont certes évolué, mais pas tant que ça, et d’une manière « ni bien, ni mal », un entre-deux qui semble à peu près satisfaire le Terrien moyen, ou l’habitant des colonies lunaires, sans être pourtant tout à fait enviable.
Globalement, je n’ai rien à reprocher à ce roman, j’aurais même préféré qu’il soit légèrement plus long, pour mieux m’immerger dans l’histoire, et accompagner plus longtemps les personnages. Ceux-ci sont vraiment le point fort de l’histoire, bien caractérisés, leurs réflexions et leurs atermoiements étant, dans tous les cas, très subtilement développés.

La mer de la Tranquillité, d’Emily St. John Mandel, (Sea of Tranquility, 2022), éditions Rivages, août 2023, traduction de Gérard de Chergé, 304 pages.