Leila Guerriero, Les suicidés du bout du monde

« Dehors, les arbres gris semblaient faits de plumes, d’ailes mortes, griffés par une force armée de mauvaises intentions.
Quelle étrange obstination, me suis-je dit. Là où la nature renonce et met des arbustes et quelques pierres, la bête humaine s’obstine à mettre des maisons, des écoles, une place, et persiste à se reproduire. »

Sous-titré Chronique d’une petite ville de Patagonie, ce livre, qui n’est pas un roman, relate l’immersion de la journaliste Leila Guerriero dans une petite ville de Patagonie, à 1700 kilomètres de Buenos Aires. Elle est partie là-bas sur un coup de tête, sur ses congés, sans l’aval de sa rédaction, à l’automne 2002, attirée par un article relatant la mise en place d’un programme spécial de l’Unicef dans cette petite ville, suite au suicide de vingt-deux jeunes entre dix-huit et vingt-huit ans. Elle enquête sur ces décès brusques et inexpliqués, rencontre les familles ou les amis des jeunes. Elle fait connaissance avec des personnages hauts en couleurs de Las Heras, et relate leur histoire, comme celle de Pedro :

« On était en 1991. Pedro avait trente ans et des habitudes cent pour cent gays qui ont profondément déplu, mais il s’en fichait. Il sortait avec la douce courbure de son rimmel, un sarouel en satin et de magnifiques chaussures à talons compensés, reine du désert dans une petite ville pétrolière en plein essor : j’ignore ce que peut être le courage mais cela y ressemble »

Emballée l’année dernière par Une histoire simple, autre enquête, plus récente, de Leila Guerriero, j’avais bien envie de lire cette autre traduction. J’ai été très intéressée par l’enquête et les pistes évoquées, sans qu’aucune explication ne vienne réellement conclure le livre. La recherche passionnante pointe surtout le manque de perspectives d’avenir des jeunes de cette région dévolue à l’extraction pétrolière, l’ennui, le climat, le vent qui souffle sans cesse, les grossesses non désirées et les familles explosées. Plusieurs solutions ont été proposées par différentes institutions ou associations, au fil des années, sans que les suicides ne cessent tout à fait. Les cas, pris individuellement, sont glaçants à la fois par leur banalité et le sentiment d’incompréhension qu’ils provoquent. Toutefois, est-ce un effet de la traduction ou parce que c’est la première fois que l’autrice se lançait dans un projet d’ampleur avec ce livre, le style m’a parfois beaucoup plu et m’a aussi souvent gênée, même si je comprends certains partis-pris expliqués en postface.
Cette lecture édifiante et dépaysante à la fois pourrait pourtant vous passionner, qu’en pensez-vous ?

Les suicidés du bout du monde de Leila Guerriero, (Los suicidas del fin del mondo, 2005) éditions Rivages, septembre 2021, traduction de Maïra Muchnik, 224 pages.

Lu pour le mois latino-américain d’Ingannmic.

14 commentaires sur « Leila Guerriero, Les suicidés du bout du monde »

  1. Bien sûr, que cela pourrait me passionner… à vrai dire, j’avais déjà noté ce titre, et celui que tu as lu l’an dernier, suite à ton billet, mais je ne me suis pas encore procuré ses ouvrages.. du coup merci pour ce rappel !

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  2. Ouch, c’est un sujet bien chargé, mais c’est tout à son honneur d’avoir voulu mettre au jour l’histoire et les problèmes des habitants de cette petite ville du bout du monde.

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    1. C’était son premier livre, elle n’écrivait que des articles de journaux avant, c’est peut-être du à une difficulté à lier les différentes parties du livre ?

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  3. Intriguant mais pas vraiment tentant pour moi. Dès qu’on quitte la forme roman, j’ai vraiment du mal à rentrer dans une lecture… j’ai d’ailleurs quelques livres non romans qui m’attentent et je n’arrive pas à trouver l’envie de m’y mettre.

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