Mariana Enriquez, Ce que nous avons perdu dans le feu

« Oublier les gens qu’on a seulement connus à travers des mots est bizarre, tant qu’ils existaient ils étaient plus intenses que la réalité, et à présent ils sont plus éloignés que des étrangers. »

La première nouvelle met en scène une jeune fille qui vit seule dans la maison de ses grands-parents dans le quartier devenu le plus mal famé de Buenos Aires. Elle fait la connaissance d’un petit garçon qui vit dans la rue avec sa mère droguée, et s’inquiète pour lui. Avec raison sans doute, car la violence et l’horreur ne sont pas loin. La deuxième nouvelle emmène les lecteurs dans un hôtel où le passé sombre de l’Argentine va ressurgir brièvement, mais fortement.
Les personnages de tous les textes sont des fillettes ou des jeunes filles, parfois de jeunes femmes au début de leur vie adulte : premier couple, premier appartement, premier travail. Cette découverte de la vie s’accompagne de révélations perturbantes, parfois même franchement effrayantes.

« Tous les jours je pense à Adela. Et si son souvenir ne surgit pas au cours de la journée -taches de rousseur, dents jaunes, cheveux blonds trop fins, moignon à l’épaule, bottines en peau de chamois- il revient la nuit, quand je rêve. »

Voici une lecture que je repoussais depuis de longues années ! J’ai écouté Mariana Enriquez lors d’une rencontre en 2017, à propos de ces nouvelles, précisément, et je l’avais trouvé très intéressante. Je n’avais pas pris de notes, malheureusement, mais j’ai reconnu un passage de la troisième nouvelle qui avait été lue lors de cette rencontre. La jeune autrice a écrit ensuite Notre part de nuit, un bon gros roman de 800 pages et très récemment Du danger de fumer au lit, un deuxième recueil de nouvelles. Je vous conseille d’aller voir la couverture de ce dernier livre, si ce n’est déjà fait.
Me voici donc lancée, six ans après, dans ces douze nouvelles qui m’ont toutes frappée les unes plus que les autres. Quelques lignes suffisent à mettre dans l’ambiance, et quelle ambiance ! Une fois les personnages posés, une sensation de malaise, diffuse, ou plus prégnante, s’installe très vite, et rend la lecture captivante. La pauvreté y est montrée par l’autrice comme une composante essentielle de l’Argentine, ainsi que la violence, qu’elle soit familiale, de rue ou ordonnée par l’état. Les femmes en sont bien souvent les premières victimes, et leurs échappatoires ne sont pas toujours celles auxquelles on penserait spontanément. Les textes vont crescendo, avec des scénarios de plus en plus terribles et fascinants à la fois (mais rien que je ne puisse lire, tout de même). Je peux vous dire qu’après cette lecture, beaucoup de romans risquent de vous paraître bien mièvres.

Ce que nous avons perdu dans le feu, de Mariana Enriquez (Las cosas que perdimos en el fuego) éditions du Sous-sol, 2017, traduction de Anne Platagenet, 240 pages. Existe en poche.

Un autre billet chez Krol.
Première participation au mois latino d’Ingannmic.


31 commentaires sur « Mariana Enriquez, Ce que nous avons perdu dans le feu »

  1. Merci pour cette 1ère participation. Il faut absolument que je découvre cette auteure, ce qui est prévu puisque j’ai Notre part de nuit qui m’attend sur mes étagères depuis un moment (mais j’ai eu la mauvaise idée de l’acheter en grand format, et c’est compliqué de le faire suivre dans les transports en commun…). J’ai noté aussi son dernier recueil de nouvelles (et quelle couverture en effet !!), qui a l’air sombre comme j’aime..

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    1. Tout ce qu’elle écrit est bien sombre, avec une dose de fantastique et/ou d’horreur dans le cas de ces nouvelles, peut-être plus dans le roman, d’après ce que j’ai lu.

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  2. Je viens de lire un article sur l’autre recueil de nouvelles d’elle !! Je confirme c’est une autrice époustouflante, et « Notre part de nuit » m’a énormément marquée l’an dernier !

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  3. J’ai l’impression que les nouvelles de « Du danger de fumer au lit » sont encore plus noires … En tout cas, ce que j’ai lu à leur sujet ne m’a pas donnée envie de les découvrir. En revanche, j’ai lu et apprécié (sans que ce soit un coup de coeur), à sa sortie, « Notre part de nuit » (non chroniqué).

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    1. Je crois aussi qu’elles sont très noires, je suis curieuse de les lire. Pour « Notre part de nuit », c’est plutôt l’épaisseur qui me freine, et le fait que j’ai aimé la relative brièveté des nouvelles.

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  4. Brr ! Elle fait peur mais on le sait quand on aborde la littérature de l’Amérique latine ! Des pays en proie à la dictature, à la violence, à la misère… Tu as lu les romans de cette écrivaine ? Comme d’habitude je préfère les romans aux nouvelles. Peut-être Notre part de nuit ?

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    1. Pour le moment, le seul roman paru est Notre part de nuit, et je compte bien le lire. C’est noir et dérangeant, mais aussi très bien dosé entre fantastique et réalisme.

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    1. Je tenterais bien aussi Notre part de nuit ou ses dernières nouvelles. J’avais tenté un roman d’Elsa Osorio, mais c’était vraiment sombre et pour le coup, assez réaliste pour que je ne réussisse pas à continuer.

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  5. quel concert d’éloges, cela donne envie , sauf que … je suis rarement conquise par la littérature d’Amérique latine , trop violente pour moi .

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  6. Ce qui me retient depuis le début de lire cette autrice, en dépit des nombreux retours élogieux à son sujet, c’est l’aspect « fantastique/horreur » de ses histoires, qui n’est généralement pas trop ma tasse de maté.

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    1. Le fantastique et l’horreur (qui ne sont pas trop mon « truc » non plus) ne sont pas trop présents, dans certaines nouvelles, c’est même très discret, et peut être assimilé à une faiblesse psychique d’un personnage… Non, rien de rédhibitoire à mon avis. 😉

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  7. Je ne suis pas très nouvelles donc je lirai sans doute plutôt Notre part de nuit qui est en projet de lecture depuis un moment.

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  8. Je suis en train de lire son roman, c’est très surprenant. Très noir et très « masculin » dans l’écriture je trouve. Ces nouvelles me tentent énormément aussi.

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    1. Oui, son écriture est marquante, j’aime sa façon d’entrer dans le vif du sujet, et d’introduire des éléments perturbateurs sans crier gare… Ce ne sera pas tout de suite, mais je lirai aussi son roman.

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