Natalia Garcia Freire, Mortepeau

« Sarai était la plus jeune des quatre et il lui manquait deux doigts à la main gauche : l’index et la majeur. Quand elle me prenait par la main, elle utilisait ses trois doigts valides en pressant un peu trop, comme une poule en colère. Mais c’était sa seule marque de rudesse. J’avais parfois l’impression que cette main n’était pas la sienne, qu’il s’agissait d’une prothèse qu’on lui enlèverait un jour pour qu’apparaisse à sa place une main de nouveau-né que nous verrions grandir au fil des années, jusqu’à ce qu’elle ait la même taille que sa main droite. »

Lucas, tout jeune homme, revient dans la maison de son enfance, ou plus précisément dans le jardin où son père est enterré. Par les fenêtres, il observe les habitants de la maison. On comprend progressivement qu’il s’agit des servantes qui ont pris soin de lui lorsqu’il était plus jeune, et de deux hommes haïssables. Dans une longue harangue à son père défunt, il revient sur ce moment où le père a introduit ces deux individus chez lui. Pour quelle raison, on ne le sait pas, et pourquoi le père et ses comparses tiennent la mère de Lucas pour folle, non plus. C’est une folie bien douce, alors, qui consiste à s’occuper de son jardin et à constituer des herbiers. Tout cela va mal tourner, on ne peut que le deviner.

« Je ne crois pas que mon défunt père m’observe. Mais son corps est enterré dans ce jardin, ce qui reste du jardin de ma mère, entouré de limaces, d’araignées-chameaux, de lombrics, de fourmis, de coléoptères et de cloportes. Peut-être même qu’un scorpion s’est posé près de son visage à moitié décomposé, et tous deux évoquent les dessins qui ornent les tombeaux des pharaons égyptiens. »

Avant-dernière chronique pour le mois de la littérature latino-américaine, et me voilà bien ennuyée. Je ne sais pas trop quoi en penser. Le roman, court, ne manque pas d’originalité ni de profondeur. L’écriture est intéressante, loin des platitudes ou des clichés. Cependant, je n’ai pas réussi à aimer ce roman que je peine même à définir : roman gothique, roman noir, histoire de famille ou roman d’initiation ? Un peu tout cela à la fois sans doute. Pas un roman psychologique en tout cas, puisque tout est vu à hauteur d’enfant, et aucune explication n’est donnée. Une grande place est donnée au lecteur, ce qui pourrait vous plaire, peut-être ?
De mon côté, j’ai eu du mal à avancer dans le roman, je n’ai pas succombé à sa langue poétique. Parvenue à la fin, j’admets que celle-ci réussit à surprendre et à toucher, même s’il faut passer auparavant par beaucoup de passages malsains, par de nombreuses allusions à des fluides corporels et par des descriptions d’êtres humains bien plus repoussants que les insectes et autres animaux qui pullulent dans le roman.

Mortepeau de Natalia Garcia Freire, (Nuestra piel muerta, 2019) éditions Christian Bourgois, août 2021, traduit de l’espagnol (Equateur) par Isabelle Gugnon, 156 pages.

Repéré chez Electra qui a beaucoup aimé, et lu pour le mois latino-américain organisé par Ingannmic.

19 commentaires sur « Natalia Garcia Freire, Mortepeau »

    1. Oui, ça m’arrive de ne pas savoir quoi penser… 😉
      En tout cas, j’aime beaucoup les mois thématiques, plus que les challenges au long cours, ça me motive et me permet de faire des découvertes, même si elles sont bizarres, comme ce roman.

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  1. J’ai l’impression que c’est le genre de romans latino-américains qui me laisserait perplexe comme toi. Dommage car côté Equateur, j’aurais bien noté quelques pépites.

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    1. En plus, ce n’est parfois pas le bon moment, tout simplement… Je n’ai pas détesté ce livre, mais il m’a mise mal à l’aise. (et d’autres aimeront ça)

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