Anna Enquist, Quatuor

quatuor« Dans le mouvement lent, Hugo et Caroline modulent en alternance les soupirs mélancoliques, ils font la course au vague à l’âme, puis échangent un sourire à la fin du passage. Le trio du menuet est un vrai plaisir, avec ses enchaînements de sauts fiévreux à trois temps ; le finale, exécuté à vive allure, les laisse tous hors d’haleine, comme s’ils venaient de franchir la ligne d’arrivée d’une course d’obstacle. »
Voilà un livre enfin sorti de la pile où il m’attendait. Il m’a permis de retrouver une auteure découverte avec Les porteurs de glace, et de lire dans l’ordre logique puisque Quatuor a été suivi il y a quelques mois par un autre roman reprenant les mêmes personnages, intitulé Quand la nuit s’approche, que je pourrai donc lire par la suite. Le roman que j’avais lu était très sombre, pas dans le sens pessimiste ou mélancolique, non, plutôt explorant les conséquences d’une épreuve, et les nuances de la tristesse. Vous penserez que ce n’est pas très gai, et pourtant, j’avais beaucoup aimé sa plume précise et efficace pour cerner les sentiments.
Venons-en au quatuor du titre. L’une est infirmière, l’autre médecin, l’un dirige un centre culturel, et le quatrième est luthier. Chacun dans son domaine soigne et répare, que ce soit les autres, la culture ou les instruments, chacun traînant plus ou moins vaillamment ses propres chagrins ou ses doutes. Seule la musique les transporte ailleurs, autre part que dans cette ville d’Amsterdam où plus rien ne semble aller. Sans qu’aucune date ne le précise, l’intrigue se déroule dans un futur proche, où la culture n’intéresse plus grand monde, et surtout pas le gouvernement, où les personnes âgées finissent dans des centres fermés où tout le monde ignore ce qui se passe.

« Mon Dieu, pense Reinier, qu’est-ce qui m’arrive ? Je le laisse entrer chez moi sans rien dire. Il va raconter à ses délinquants de frères tout ce qu’il y a ici, les archets qui valent plusieurs milliers d’euros, le violoncelle qui pourrait se vendre pour cinq cent milles aux enchères… Je pourrais aussi bien attendre qu’ils viennent dévaliser la maison, triple imbécile que je suis. C’est de ma faute. Je n’ai pas toute ma tête. »
Le cinquième personnage est Reinier, un vieil homme qui était un violoncelliste réputé, et le professeur de Caroline, la femme médecin du quatuor. Dans un pays où le gouvernement ne leur est plus d’aucun soutien, Caroline de même que Reinier ont du mal à laisser les autres les aider. Il en va de même, dans une moindre mesure pour les autres personnages, qui ont chacun des tourments dont ils évitent de parler.
Je me suis sentie en phase avec l’écriture précise d’Anna Enquist, faite de phrases courtes et très bien traduite. J’ai trouvé le dosage bien fait entre les moments plus légers et les réminiscences tragiques. Les personnages ont pris rapidement une épaisseur intéressante et la tournure prise par les faits à la fin du roman, quoiqu’un peu surprenante, ne m’a pas gênée. Pour faire court, parce que ma lecture date d’une quinzaine, je peux affirmer que ce roman a rempli parfaitement son rôle, de dépaysement autant que de mise en résonance. Presque un coup de cœur !

Quatuor d’Anna Enquist, (Kwartet, 2014) éditions Actes Sud, 2016, traduction de Emmanuelle Tardif, 303 pages en collection Babel.

Les avis d’Ariane et de Keisha.
Objectif PAL d’avril (à retrouver chez Antigone)
objectifpal2016

33 commentaires sur « Anna Enquist, Quatuor »

  1. Ton passage sur les vieux me fait penser à la demande de l’UE qui veut confiner les vieux jusqu’à la fin de l’année dans des conditions que je préfère ignorer … (comme quoi tout es ressenti à l’aune de l’actualité ces temps-ci). J’en ai lu un d’Anne Enquist, mais je ne sais plus lequel.

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    1. Ce roman a des aspects très universels, ce n’est pas étonnant d’y trouver des échos avec l’actualité… C’est une auteure intéressante, de mon point de vue.

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    1. Je suis ravie de te l’avoir appris. Figure-toi que j’ai déjà le deuxième car je l’ai trouvé dans une boîte à livres il y a quelques mois. Une aussi bonne pioche, c’est rare !

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  2. Pour moi aussi, cette période me fait ressortir des titres de ma PAL, plutôt fournie, heureusement, l’objectif PAL d’Antigone risque d’être conséquent en ce mois d’avril !
    Pour ce titre, malgré le presque coup de coeur, je ne suis pas certaine d’adhérer à aspect uchronique, qui me lasse depuis un moment déjà.

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    1. Ce côté est assez léger, on se croirait presque dans notre monde actuel, à quelques détails près (détails qui ne vont pas dans le « bon » sens, malheureusement)

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  3. Roman que je vais laisser passer à cause du « presque » … mais pas seulement .
    PS verifie tes liens quand on clique sur Keisha on ne tombe pas sur son blog. À moins que l’erreur vienne de moi.

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  4. Presque un coup de cœur ? Alors, il en faut pas passer à côté. Ton enthousiasme me donne bien envie de le lire!
    Daphné

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  5. Oh là là, excuse-moi, Kathel, mon esprit n’est pas très vif en ce moment… Mais je n’ai pas bien saisi de quoi il s’agissait précisément dans ce livre… Est-ce juste une tranche de vie en mode choral ?

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    1. C’est moi qui, à force de ne pas vouloir en dire trop, ne suis pas très claire. C’est plus qu’un roman choral, il s’intéresse surtout aux états d’âme des personnages, et une certaine tension dramatique est présente tout du long, jusqu’à la fin que certains lecteurs ont trouvé digne d’un thriller. Ce n’est pas tout à fait mon avis, c’était peut-être un peu trop, mais en cohérence avec le reste, en tout cas.

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