« Peut-être que ce genre de choses plaît aux jeunes mariées d’aujourd’hui. Peut-être qu’elles aiment chevaucher la nuit enlacées à une ombre, dans les ténèbres et le néant. »
Perdez tout repère temporel, vous qui commencerez ce conte. Y parcourt-on des temps anciens, où l’on se déplace à cheval, ou plus modernes, puisqu’un inspecteur de police est chargé par les autorités laïques comme religieuses de mettre fin à une rumeur qui apporte avec elle une certaine perturbation ?
En effet, Doruntine, une jeune femme partie depuis trois ans se marier et vivre au loin, revient un soir dans sa famille. Elle ignore que ses frères sont morts de faits de guerre ou de maladie pendant son absence et elle affirme, provoquant un grand choc à sa mère, que c’est son frère Konstantin qui est venu la chercher, et derrière lequel elle a chevauché de longues nuits. Bien qu’elle n’ait pas distingué son visage, elle en est sûre, c’était lui. Konstantin était réticent à ce mariage en Bohême, et avait promis à sa sœur que si elle le désirait, il viendrait pour la chercher et lui permettre de revoir sa famille. Comment Konstantin a-t-il pu tenir sa promesse au-delà de la mort ?
Quantité de suppositions et de rumeurs circulent. Le capitaine Stres devient obsédé par cette affaire, d’autant qu’il est pressé par ses supérieurs et rattrapé par sa fascination passée pour Doruntine.
« À cause du froid, les gens se déplaçaient moins, mais, curieusement, la rumeur courait tout aussi vite que si le temps avait été plus clément. On eût même dit que, figée par le froid hivernal, cristalline et scintillante, elle filait plus sûrement que les rumeurs d’été, sans être exposée comme elles à la touffeur humide, à l’étourdissement des esprits, au dérèglement des nerfs. Néanmoins, cela ne l’empêchait pas, en se répandant, de se transformer de jour en jour, de s’amplifier, de s’éclaircir ou de s’assombrir. »
J’ai été attirée immédiatement à la sortie de ce roman, grâce à la conjonction du nom d’Ismaïl Kadaré (dont j’ai beaucoup aimé Avril brisé et Le palais des rêves), du titre énigmatique et de la réédition par Zulma… que des signes encourageants !
Et ma lecture a été très plaisante, avec sa langue rappelant celle des contes, mais utilisant aussi à merveille le dialogue ou les parenthèses de manière très moderne, et son thème s’inspirant d’un vieux mythe albanais : la « bessa ». La bessa est une promesse, une parole donnée, que rien, même la mort, ne saurait empêcher. On est parfois dans le domaine du surnaturel, avec ce cavalier sans visage, sans identité. Mais aussi, comme dans un roman policier, l’auteur, par les réflexions du capitaine Stres, explore des pistes, cherche des explications à ce phénomène étrange, et s’interroge, avec l’esprit critique qui le caractérise, sur la force de la promesse, sur le poids des traditions, sur le carcan religieux. Le texte rend à merveille les rudes saisons albanaises et la beauté des paysages. Les personnages sont passionnants, en particulier le policier, dans lequel l’auteur s’est projeté, entraînant à sa suite les lecteurs, ravis.
Qui a ramené Doruntine ? d’Ismaïl Kadaré (1986), éditions Zulma, 2022, traduction de Jusuf Vrioni, 175 pages.
Je l’ai repéré chez Marilyne, il me tente beaucoup (je crois que je n’ai jamais lu de livre albanais).
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Je ne connais qu’un auteur albanais, je crois, et c’est Ismaïl Kadaré.
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Il est dans mes projets de lecture depuis quasi sa parution, les avis sont très enthousiastes, tu les rejoins, et je suis très curieuse de cet auteur que je n’ai toujours pas lu.
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Sinon, les deux autres que je cite sont très bien aussi. Toi qui aime voyager par les livres, c’est un auteur qu’il faut que tu lises !
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Je n’ai lu que « le grand hiver » d’Ismail Kadaré, que j’avais aimé. Je ne sais pas si j’apprécierais ce genre de conte.
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C’est malin de la part de l’auteur, ça ressemble à un polar et à un conte philosophique tout à la fois.
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Oui, très plaisant d’être embarqué dans un véritable univers. Et pour ma part la découverte de Kadaré (mieux vaut tard que jamais)
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Tu peux te lancer dans ses autres romans, alors.
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Je suis fan de Kadaré! je l’ai lu autrefois, peut être est-ce temps de le relire?
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C’est un auteur que j’ai eu plaisir à retrouver.
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Il y a si longtemps que je n’ai pas lu Kadaré…..
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Tu vas bien trouver une occasion d’y revenir… 😉
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C’est la première fois que l’on me donne envie de lire Kadaré ! Auteur qui ne ma jamais attiré ( sans que j’ai la moindre idée du pourquoi …) En tout cas, celui-là, il passera par moi.
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J’espère que tu aimeras et qu’il te donnera envie de continuer avec son auteur.
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Un grand plaisir de lecture. Il y a tant d’aspects dans ce roman. Décidément, on n’en finit jamais avec Kadaré :). Merci pour le lien.
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C’est chouette qu’il y ait des auteurs qui traversent les années comme ça… je me souviens encore que je lisais ses romans il y a trente ans ou un peu plus…
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