Karina Sainz Borgo, La fille de l’Espagnole

« Ce jour là, je suis devenu ma seule et unique famille. Les dernières bribes d’une vie qu’on allait pas tarder à m’arracher à coup de machette. A feu et à sang, comme dans toute cette ville. »
Peu après les funérailles de sa mère, restant seule, sans aucune autre famille, Adelaida Falcon assiste à de violentes manifestations au cœur de Caracas, tout près de son immeuble. Les soutiens au gouvernement ne s’embarrassent de scrupules d’aucune sorte, et lorsqu’un groupe de femmes décide de prendre son appartement comme plaque tournante de leur trafic, Adelaida est complètement impuissante. Elle trouve refuge chez une voisine, la fille de l’Espagnole. Un refuge bien précaire, d’autant que tous ses souvenirs, toutes ses possessions, ont été détruites par les occupants de son appartement tout proche, qu’elle doit se cacher, et que les ressources de la jeune femme s’amenuisent. Adelaida va devoir prendre une suite de décisions qui la conduiront à changer complètement de vie.

« Vivre, un miracle que je ne parviens pas encore à comprendre et qui nous mord avidement avec les crocs de la culpabilité. Survivre fait partie de l’horreur qui voyage avec celui qui fuit. Une bête perfide qui cherche à nous mettre à terre quand elle nous trouve sains et saufs, pour nous faire savoir que quelqu’un méritait plus que nous de continuer à vivre. »
Le tableau de la ville soumise à une crise économique sans pareille, à des violences incessantes, contraste avec les souvenirs plus doux de l’enfance de la narratrice. L’atmosphère est tendue, dure, parfois difficilement supportable. Seul le projet qu’Adelaida finit par former pour échapper à tout cet effondrement m’a permis de continuer la lecture, en espérant une accalmie. L’état d’âme de la jeune femme, entre culpabilité et déchirement, est très bien décrit.
Mais ce roman n’est pas pour les âmes sensibles et j’ai failli deux ou trois fois en arrêter la lecture. Même s’agissant vraisemblablement d’une dystopie, d’une projection dans un futur pire que le présent. Sachant qu’au Venezuela, la vie quotidienne n’est déjà pas des plus simples, cet avenir bien sombre prend des allures de réalité, et la part qui relève de l’imagination de l’auteure, qui a elle-même dû quitter son pays, semble bien mince. À lire pour qui veut connaître un pan de la littérature vénézuélienne. L’écriture tendue et nerveuse de l’auteure fait plonger dans un univers des plus noirs, il vaut mieux le savoir avant de choisir ce livre.

La fille de l’Espagnole, de Karina Sainz Borgo (La hija de la Espagnola, 2019) éditions Gallimard, janvier 2020, traduction de Stéphanie Decante, 240 pages.

Le mois latino-américain continue chez Goran et Ingannmic.

 

32 commentaires sur « Karina Sainz Borgo, La fille de l’Espagnole »

  1. Pas fait pour moi je pense, beaucoup trop sombre. Ce n’est pas que je ne peux pas lire de livres sombres, mais il y en a trop et ça finit par saturer.

    J’aime

    1. Ouh là là Kathel … ça doit être très fort… je le lirais bien mais en ce moment j’ai peur de ne pas tenir le choc … je le note quand même, lorsque j’aurai les nerfs plus solides!

      J’aime

  2. les commentaires reflètent bien mon dilemme : lire des livres qui informent sur notre époque mais aussi très noirs et très durs. seule l’écriture peut alors m’attirer.

    J’aime

Et vous, qu'en pensez-vous ?