Lectures du mois (22) septembre 2020

Elliot Ackerman, En attendant Eden, éditions Gallmeister 2019, traduction de Jacques Mailhos, 153 pages
« Il lui suffisait de regarder sa fille, Andy, pour ressentir ce besoin. La fillette fit ses premiers pas sur le linoléum des couloirs du centre des grands brûlés.
Au bout ce cette première année, la culpabilité qu’elle éprouvait envers sa fille supplanta la culpabilité qu’elle éprouvait envers son époux. »
Ce court roman américain développe avec pudeur le thème de la fin de vie, dans le cas d’un GI, revenu d’Irak avec des brûlures qui n’ont laissé qu’une moitié de lui-même. Dans le coma, il ne se réveillera pas, et le récit raconté de son point de vue, ou de celui de sa femme, puis de son meilleur ami, est souvent poignant. L’écriture originale colle bien au sujet et sonne de manière assez inhabituelle, mais pourtant… Je ne sais pas trop quoi en penser, au début je suis restée spectatrice passive, sans réelle implication dans ce livre, me demandant combien de pages il restait. Toutefois, pour certains passages vraiment puissants, je ne regrette pas de l’avoir lu.

Shlomo Sand, La mort du Khazar rouge, éditions Points, 2019, traduction de Michel Bilis, 450 pages.
« Il aimait à se dire intérieurement plus israélien que l’Israélien ordinaire, sans que cela affaiblisse pour autant l’opiniâtre sentiment d’arabité qui l’accompagnait comme son ombre. »
L’auteur était intervenant dans un documentaire sur Arte à propos de la création d’Israël, ce qui m’a donné envie d’ouvrir ce roman présent dans ma pile à lire. L’affaire commence avec la mort d’un historien qui travaille sur un sujet fort sensible, celui de l’origine du peuple juif. L’enquêteur est un commissaire arabe israélien… Beaucoup d’éléments plutôt originaux et intrigants, donc.
Solidement documenté, avec des personnages de policiers atypiques, le roman se lit bien. Il présente beaucoup d’intervenants, s’étale sur un temps assez long pour un polar, ce qui demande une certaine concentration. Bien construit, mais pas sur un rythme trépidant, avec une écriture et une traduction qui ont du punch, je l’ai lu avec plaisir, surtout pour son éclairage sur la société israélienne et ses déchirements.

André Buffard, Le jeu de la défense, éditions Points, 2018, 405 pages.
« Pourquoi devient-on avocat ?
Parce qu’on a depuis toujours, chevillée au corps, la passion de défendre, vous diront les idéalistes. Dans mon cas, c’était surtout dû à un esprit de contradiction et à une forme de mauvaise foi qui étaient les traits marquants de mon caractère, depuis ma petite enfance. »
Un roman qui se déroule à Lyon, dont le principal personnage est un avocat, cela m’a suffisamment intéressé pour que j’ouvre ce roman gagné à un concours « Quais du polar ». Une jeune magistrate est trouvée battue à mort sous un passage couvert. Son amant se trouve aussitôt soupçonné. Écrit par un avocat, il s’est avéré passionnant pour la pédagogie, les détails concernant les mécanismes de la justice. L’enquête elle-même est suffisamment émaillée de moments plus stressants et de rebondissements pour maintenir l’attention et l’envie de continuer. Certes, le personnage principal est macho et peu sympathique, mais je pense ou du moins je laisse planer le doute : il s’agit sans doute d’humour, et d’ailleurs son comportement et ses remarques m’ont fait sourire plus d’une fois. Au final, une lecture fluide et captivante, mais sans grand relief au niveau de l’écriture.

Sylvain Prudhomme, Par les routes, éditions Gallimard, 2019, 304 pages.
« Ce jour-là je suis resté tout l’après-midi chez lui. J’avais eu besoin autrefois de couper les ponts. Ce dimanche j’ai constaté que ce serait toujours là : ce courant. Cette immédiate intelligence entre nous. Cette intuition chacun des pensées de l’autre. »
Vous avez sans doute vu passer l’année dernière cette histoire d’amitié entre un écrivain installé dans une petite ville du Sud et « l’autostoppeur », jamais nommé autrement, homme marié et père de famille, qui pourtant, part régulièrement sur les routes, drogué qu’il est au hasard, aux rencontres et aux conversations inopinées.
Ce roman se remarque d’abord par le style, la façon d’écrire les questions dans les dialogues sans point d’interrogation, donnant ainsi l’impression d’interrogations vagues, ni vraiment nécessaires, ni venues du fond du cœur. Cela donne une tonalité particulière aux dialogues, une langueur, une impression de deux monologues côte à côte.
Sinon, si le versant amitié du roman est convaincant, l’histoire sentimentale m’a laissée de marbre. Il reste que la fin, jolie et poétique, rattrape les passages plus faibles, ou un peu répétitifs.

Jean-Paul Dubois, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, éditions de L’Olivier, 247 pages.
« Pas plus que moi, ils ne savaient comment tout cela était arrivé, ni pourquoi tout avait basculé si vite en quelques jours. Ils n’étaient pas là pour déterrer l’origine du malheur. Ils s’efforçaient seulement de reconstituer notre famille. »
J’ai enfin lu le Goncourt 2019. J’ai retrouvé avec plaisir le style et l’univers de Jean-Pau Dubois, qui sous ce titre à rallonge, cache un roman plus sombre que la plupart de ses précédents textes, mais jamais dépourvu d’humour ni de foi en l’être humain.
En prison pour deux ans à la prison de Montréal, Paul Hansen revient sur ce qui l’a amené là. Les chapitres alternent entre sa cellule partagée avec Patrick Horton, un Hell’s Angel haut en couleurs, et sa vie remémorée à partir de son enfance. On n’a pas envie de quitter les personnages, que ce soient les parents de Paul, son épouse, les habitants de l’Excelsior où il est gardien et homme à tout faire…
Une lecture savoureuse, avec une construction et un style irréprochables, vous ne me réussirez pas à me faire dire que ce Goncourt n’était pas mérité !

43 commentaires sur « Lectures du mois (22) septembre 2020 »

  1. Pourquoi autant de romans en un seul billet? J’ai l’impression d’être dans une librairie et de devoir faire un choc. Je vais,sans doute repartir avec le roman de Dubois.

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    1. Désolée de te déstabiliser, Luocine ! 😉 J’ai regroupé quelques livres pour lesquels je ne me sentais pas d’écrire un billet plus long, voilà. Et tu fais bien de repartir avec le Dubois qui est celui qui m’a le plus enchantée.

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  2. Je ne note plus pour le moment, trop d’envies en cette rentrée 😉 J’ai un autre titre de Dubois dans ma PAL, comme je ne l’ai jamais lu encore, je vais attendre pour d’autres titres.

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  3. Moi qui aime beaucoup Dubois, je n’avais pas été convaincue par celui-ci même s’il se laisse lire, hein… Je crois que j’ai mieux aimé que toi le Prudhomme et les autres ne m’attirent pas trop et c’est tant mieux !

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  4. J’avais beaucoup aimé Par les routes, que j’avais trouvé assez original. Je n’ai toujours pas lu le Goncourt de Dubois, je voulais attendre que la mayonnaise retombe pour l’emprunter en biblio….

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  5. Tu es efficace ! Il faudrait que je fasse de même pour me « débarrasser » de tous les romans que j’ai lus et pas chroniqués. Je suis en retard, retard ! Je suis d’accord avec toi, le Dubois vaut le coup !

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  6. J’avais bien aimé André Buffard, même si, comme tu le dis, le style n’a rien d’exceptionnel. Beaucoup aimé également le prix Goncourt de l’année dernière.

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  7. Aah Jean-Paul Dubois ! Il faut vraiment que je me décide à le lire, depuis le temps que je le dis !! Mais lequel de ses romans choisir pour une première découverte ? Hmmm…

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  8. Il y a encore des tentations par ici ! 😉 Je note le roman israélien et il faudrait bien que je relise du Jean-Paul Dubois à l’occasion. Aux débuts du blog, j’avais bien aimé Une vie française.

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