Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome

Rentrée littéraire 2012
L’auteur : Né à Paris en 1968, Jérôme Ferrari, après avoir enseigné en Algérie puis en Corse, s’apprête à occuper un poste à Abou Dhabi (Émirats arabes unis) à partir de septembre 2012.
Chez Actes Sud, il est l’auteur de cinq romans : Dans le secret (2007 ; Babel n° 1022), Balco Atlantico (2008), Un dieu un animal (2009, prix Landerneau ; Babel n° 1113), Où j’ai laissé mon âme (2010, prix roman France Télévisions, prix Initiales, prix Larbaud, grand prix Poncetton de la SGDL) et Le sermon sur la chute de Rome (2012).
208 pages
Editeur :
 Actes Sud (août 2012)

A moins d’habiter le Pôle Nord, et encore, vous entendrez forcément parler de Jérôme Ferrari dans les semaines qui viennent et vous verrez son livre dans les pages de tous les magazines traitant de la rentrée littéraire. Ce qui suffirait habituellement à me faire fuir, mais les habitudes sont faites pour changer… Même si Entrée Livre ne me l’avait pas envoyé pour son opération de rentrée, j’aurais remarqué ce roman, et la mention du « petit bar corse » m’aurait intriguée et intéressée. D’ailleurs, cela faisait un moment que je lisais des billets sur cet auteur, mais le thème de son précédent roman me faisait un peu peur. Voilà, je suis entrée dans le monde de Jérôme Ferrari, et pas prête d’en sortir !

Deux fils conducteurs s’enchevêtrent au long de ce roman, qui tous deux évoquent un thème à la portée universelle, la fin d’un monde, qui peut être aussi la fin des illusions, la fin de la jeunesse. Une société n’est pas éternelle, elle naît, vit et meurt, il faut en faire son deuil avant de pouvoir passer à autre chose, et Jérôme Ferrari l’écrit magnifiquement. J’ai été sous le charme de son écriture tout de suite, et cela ne s’est pas démenti au fil des pages.

Tout d’abord, Marcel, petit dernier d’une fratrie des environs de Sartène, né après la première guerre mondiale, traverse le siècle comme le symbole d’un monde en train de disparaître, de façon particulièrement marquée dans cette Corse rurale pétrie de traditions. Marcel arrive toujours trop tard, ne parvient pas à trouver sa place, comme si le sol se délitait sous ses pieds. Ensuite, arrivent Matthieu et Libero, deux jeunes hommes originaires du même village, qui décident sur un coup de tête d’abandonner leurs études parisiennes et de reprendre le bar local que plusieurs gérances malheureuses ont laissé péricliter. Mais même un petit monde comme celui d’un café de village doit connaître une fin.

Les liens entre les personnages apparaissent petit à petit, associés aussi à l’histoire d’Augustin et du sermon qu’il prononça en Afrique du Nord à ses fidèles effarés de la prise de Rome par les barbares. Cela est superbement construit, amené et, désolée de me répéter, l’écriture m’a subjuguée : toute en longues phrases, quand il s’agit de dérouler les années de vie de Marcel, formée de phrases plus courtes et dynamiques pour la partie contemporaine. Ce roman est un coup de cœur et je compte bien me rattraper en lisant les précédents ouvrages de l’auteur.

Le début : Comme témoignage des origines – comme témoignage de la fin, il y aurait donc cette photo, prise pendant l’été 1918, que Marcel Antonetti s’est obstiné à regarder en vain toute sa vie pour y déchiffrer l’énigme de l’absence. On y voit ses cinq frères et sœurs poser avec sa mère. Autour d’eux, tout est d’un blanc laiteux, on ne distingue ni sol ni murs, et ils semblent flotter comme des spectres dans la brume étrange qui va bientôt les engloutir et les effacer. Elle est assise en robe de deuil, immobile et sans âge, un foulard sombre sur la tête, les mains posées à plat sur les genoux, et elle fixe si intensément un point situé bien au-delà de l’objectif qu’on la dirait indifférente à tout ce qui l’entoure – le photographe et ses instruments, la lumière de l’été et ses propres enfants, son fils Jean-Baptiste, coiffé d’un béret à pompon, qui se blottit craintivement contre elle, serré dans un costume marin trop étroit, ses trois filles aînées, alignées derrière elle, toutes raides et endimanchées, les bras figés le long du corps et, seule au premier plan, la plus jeune, Jeanne-Marie, pieds nus et en haillons, qui dissimule son petit visage blême et boudeur derrière les longues mèches désordonnées de ses cheveux noirs.

Citation : Mais nous savons ceci : pour qu’un monde nouveau surgisse, il faut d’abord que meure un monde ancien. Et nous savons aussi que l’intervalle qui les sépare peut être infiniment court ou au contraire si long que les hommes doivent apprendre pendant des dizaines d’années à vivre dans la désolation pour découvrir immanquablement qu’ils en sont incapables et qu’au bout du compte, ils n’ont pas vécu.

9 commentaires sur « Jérôme Ferrari, Le sermon sur la chute de Rome »

  1. J’y pense aussi à déménager d’over-blog, mais comme dirait mon fils : « La flemme ! » et puis, je suis tellement mauvais en technique et je me suis habitué à la plate forme. Bon, on verra bien ce que l’avenir dira. Pour le bouquin, j’ai bien aimé même si je trouve que le résumé est anti-vendeur et ferait plutôt fuir le lecteur (Saint Augustin, quand même !). j’aime beaucoup l’écriture de Jérome Ferrari que j’avais découverte avec l’excellent Un dieu un animal

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    1. En ce qui concerne Le sermon sur la chute de Rome, j’imagine les lycéens qui doivent le lire pour le Goncourt et qu’un tel titre doit faire fuir ! Dommage, parce qu’il a tout pour leur plaire, à commencer par des personnages à peine un peu plus vieux qu’eux et un décor, petit bar de village rajeuni, qui pourrait leur convenir aussi.

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  2. Bonsoir Kathel, c’est bien d’avoir eu le courage de déménager. Bravo. Il faudrait que je fasse pareil avec canalblog (ils ont créé des nouvelles fonctionnalités pas forcément bienvenues, je ferme la parenthèse). Comme Yv, j’ai beaucoup aimé le style de Jérôme Ferrari. En revanche, je n’ai compris le rapport entre l’histoire et le dernier chapitre (mais ce n’est pas grave). Très beau roman.

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    1. Je me suis laissée porter par le style de Jérôme Ferrari, et je ne prétendrais pas avoir compris tout ce qui est plus philosophique, mais je suis prête à relire cet auteur… Bon dimanche, Dasola.

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