« Quand il a reçu ma lettre, Toumany était à la maison d’arrêt de Fresnes, un édifice en meulière qui sentait probablement la peinture à son inauguration en 1898, mais qui a du mal avec le progrès : 200 % d’occupation, des punaises de lit, des champignons, des rats qui couinent en dévalant les coursives. Les cours de promenade consistent en un couloir vétuste aux murs si hauts qu’on ne peut espérer le soleil qu’au zénith. Plusieurs tribunaux les ont jugées « attentatoires à la dignité humaine » mais Toumany n’a rien d’autre pour courir alors il slalome entre les détenus, trouve une foulée correcte et avale les 21 kilomètres d’un semi-marathon dans une cour de quinze mètres de long. »
C’est la recherche de romans autour du thème du sport et des Jeux Olympiques qui m’a amenée à découvrir ce livre de Mathieu Palain, qui n’est pas un roman, d’ailleurs. Mathieu Palain est journaliste, mais a rêvé de devenir footballeur professionnel. Lorsqu’il entend parler de Toumany Coulibaly, jeune athlète et champion de France du 400 mètres, emprisonné pour des faits de cambriolages répétés, il ne peut qu’être intéressé, voire fasciné. Quelle force, quelle pulsion peut pousser le jeune homme, le besoin d’argent, certes, l’athlétisme ne nourrit pas son homme, mais encore ? Et comment cela a-t-il commencé ?
Mathieu Palain demande à rencontrer le jeune sportif pour des entretiens au cours desquels les deux se dévoilent : ils ont le même âge, ont grandi dans des banlieues proches, se sont passionnés pour le sport… Mais Toumany vient d’une fratrie très nombreuse, commence les bêtises dès l’école primaire, et son père l’envoie au Mali pendant plusieurs années. Lorsqu’il revient, il ne résiste pas aux propositions de mauvais coups, mais se met aussi à s’intéresser à l’athlétisme. Le 400 mètres est une discipline des plus rudes, un sprint durant les trois quarts de la course, jusqu’à ce que la douleur due à l’acide lactique rende la dernière longueur des plus douloureuses.
« C’est ce qui est désarmant chez lui, il dit oui en vous regardant au fond des yeux, et vous savez qu’il ne ment pas, sur le moment il est tout à fait d’accord, il va quitter le quartier, se trouver un métier, rentrer dans le rang. Seulement, un type passe après vous, le tire dans l’autre sens et Toumany lui dit oui avec la même sincérité. »
Mathieu Palain cherche dans sa propre enfance et dans son intérêt pour une jeune militante basque amie de sa famille, emprisonnée elle aussi, les raisons de son intérêt pour ce jeune homme incarcéré. L’auteur cite Janet Malcolm et s’interroge comme elle sur la distance à garder avec la personne sujet de son livre. À mon avis, il a su garder la bonne distance, et s’il a mis le jeune athlète en confiance, ce n’est pas pour le trahir dans ses écrits. Toumany ne nie pas avoir toujours eu tendance à se précipiter vers les mauvais coups, n’avoir pas su résister. Il est touchant, lorsqu’il continue de croire qu’il pourra être sélectionné pour des compétitions, les JO notamment, quelques mois seulement après sa sortie de prison, alors que la fédération d’athlétisme ne souhaite manifestement pas s’encombrer d’un sportif avec un tel bagage.
Ce roman s’avère être un coup de cœur, tant pour l’écriture que pour le sujet, et, comme Mathieu Palain qui s’interroge sur sa fascination pour la prison, je me demande pourquoi les livres qui parlent de ce sujet me passionnent toujours autant. Un des derniers livres qui m’avaient fascinée à ce point, c’était Les contemplées de Pauline Hillier. En tout cas, je pense que je vais dorénavant m’intéresser aux autres publications de Mathieu Palain, quel qu’en soit le thème.
Ne t’arrête pas de courir de Mathieu Palain, éditions L’Iconoclaste, 2021, 422 pages, Grand Prix des lectrices de Elle 2022, catégorie documents, Prix Interallié 2021, Roman des étudiants France Culture 2021.
Vous pourrez retrouver d’autres livres sur le thème carcéral ici.
apparemment son livre à paraître à la rentrée littéraire séduit les libraires … À suivre
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Merci pour l’info, je verrai les commentaires à sa sortie…
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Surtout pas de sport pour moi en ce moment, tout ça m’exaspère…
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Je ne pense pas faire toute une série de lecture sur ce thème, et ici, ce n’est qu’un thème parmi d’autres, pour un portrait tout à fait saisissant d’un jeune homme sans repères.
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J’avais bien aimé ce livre moi aussi ! Moins que Les contemplées qui m’avait vraiment emballéée.
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J’avais aussi été emballée par Les contemplées… mais tout de même, ce roman-ci à quelque chose de très attachant.
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Je me souviens d’en avoir entendu parler à sa sortie, je trouvais ce sujet fascinant moi aussi, mais je ne savais pas si l’écriture serait à la hauteur. Il semblerait bien que oui 😁.
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Pour moi, l’écriture coule bien, et est bien en accord avec son ou ses sujets.
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J’ai repéré cet auteur dès son premier titre, sans pour autant franchir le pas… plus tard sans doute, et plutôt avec Sale gosse. Et tu me fais repenser à renoter Les contemplées…
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Je vais suivre cet auteur dorénavant, et revenir aussi sur ses textes précédents.
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Tiens, cela devrait m’intéresser, histoire vraie (si j’ai bien compris) et référence à Janet Malcolm.
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Oui, oui, tout y vrai, mais l’auteur ne s’est pas contenté de reproduire les entretiens, c’est parfaitement mis en forme et bien écrit.
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Je ne serais pas allée spontanément vers ce livre si ton billet n’était aussi enthousiaste. Si je le trouve à la bibli, je le lirais peut-être.
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J’ai de la chance, mes biblis ont ses autres livres… J’espère que tu pourras le lire aussi.
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Le sujet ne me tentait pas, mais la lecture m’a finalement bouleversée.
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Je n’ai pas pensé à rechercher d’autres avis, mais je me souviens bien avoir été tentée par un billet au moins… le tien ?
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la prison me fait peur mais je trouve passionnant de comprendre la destinée de ce garçon
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C’est effectivement ce qui est le plus intéressant, il n’y a pas de description trop longues du milieu carcéral…
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J’avais beaucoup aimé aussi ce roman tout en nuances et sans manichéisme, je l’avais trouvé passionnant !
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J’y ai mis du temps, mais j’ai fini par le lire, et je ne le regrette pas !
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Il m’avait été fortement conseillé à sa sortie, et je l’avais oublié … J’aime ce que tu en dis, on sent beaucoup d’empathie.
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On lit tellement de choses à propos de livres qui nous intéressent, et qu’on oublie… J’ai beaucoup aimé ce livre, et le ton de l’auteur.
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Pourquoi pas ? On a des champions du 400 m et du 4 fois 400 en Belgique ! (Mais ils n’ont jamais fait de prison.) 😉
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Il avait un bel avenir devant lui, qu’il n’a pas pu s’empêcher de gâcher…
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Je fuis les livres autour du thème du sport pour ma part, les JO me sortant par le nez (je suis à Paris^^), mais là, c’est plus une enquête journalistique avec le thème carcéral à son coeur, ça me plairait sûrement. J’avais repéré ce livre à sa parution, on en a pas mal parlé, mais je ne m’étais pas trop penchée dessus. Ton billet me relance sur le sujet.^^
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Oui, je pense que le thème du sport n’est pas assez central pour t’ennuyer. Toumany aurait pu être un cuisinier d’exception ou un brillant chercheur, l’important c’est comment il en est arrivé là.
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j’aime le sport (et les JO !) j’avais entendu parler de ce livre, mais ton billet enthousiaste me rappelle qu’il faut que je le lise. Je pense le trouver à la BM
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Tu devrais le trouver facilement, enfin, je l’espère.
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