Goliarda Sapienza, L’art de la joie

La conjonction de la saison estivale et de ses pavés, et d’une trouvaille en boîte à livres, m’a fait attaquer enfin L’art de la joie, dont je remettais sans cesse la lecture depuis une tentative il y a quelques années. La plupart des critiques promettent un chef d’œuvre, je n’allais donc pas plus longtemps reporter cette lecture !

«  Il est temps de se remuer, de lutter de tous ses muscles et de toutes ses pensées dans cette partie d’échecs avec la Certa (la mort) qui attend. Et chaque année volée, gagnée, chaque heure arrachée à l’échiquier du temps, devient éternelle dans cette partie finale. Réfléchis, Modesta, peut-être que vieillir de façon différente n’est qu’un acte révolutionnaire de plus… »

L’art de la joie, pour faire court, raconte le destin d’une petite fille née en janvier 1900 dans une famille sicilienne aussi pauvre que peu aimante. Le roman la suit jusqu’à un âge avancé, et détaille comment, toute jeune, elle connaît ses premiers émois amoureux, comment elle quitte sa famille pour le couvent, après un drame intime et familial (ce passage est particulièrement saisissant), comment elle développe ses capacités intellectuelles puis devient par des circonstances étonnantes, Princesse et maîtresse d’une grande demeure proche de Catane, puis mère, égérie et lumière d’une famille dont elle restera pourtant indépendante. Mais surtout, comment les rencontres et les amours que Modesta aborde avec toujours la plus grande liberté, et sans toujours se soucier des sentiments des personnes qui l’entourent, ont contribué à former sa personnalité. Le féminisme et le socialisme avant l’heure de Modesta vont se mêler avec l’histoire de la Sicile tout au long du XXème siècle, et former une fresque hors norme.

« Il y a une limite précise dans l’aide apportée aux gens. Au-delà de cette limite, invisible à beaucoup, il n’y a que volonté d’imposer sa propre façon d’être… »

Mais, et il faut bien que j’en arrive à l’avouer, j’ai trouvé tout cela original, parfois enthousiasmant, souvent très intéressant, mais aussi bien long !
Les changements de rythme, s’attardant sur des discussions entre les personnages pendant des pages et des pages, pour passer ensuite plusieurs années en quelques lignes, m’ont souvent gênée, plus que les passages de la première à la troisième personne, qui, eux, m’ont paru cohérents, et apportent quelque chose de plus au texte.
Je trouve que les points forts du roman portent en eux-mêmes chacun leur inconvénient : par exemple, j’ai trouvé beaucoup d’intérêt au côté féministe du texte, mais, il apparaît au travers de longs dialogues où les idées progressent et gagnent du terrain dans les esprits, mais assorties de longueurs finissant par lasser. Quant au magnifique personnage, libéré et incomparable, de Modesta, s’il est de toutes les pages et de toutes les avancées intellectuelles, il fait paraître tous les autres personnages assez insignifiants, en particulier les autres femmes.
Au bout du compte, ce n’est pas pour moi la coup de cœur annoncé, je lui ai préféré les romans de nature autobiographique de Goliarda Sapienza, moins délayés, que sont Moi, Jean Gabin, sur son enfance à Catane, et L’université de Rebibbia, sur son incarcération dans une prison romaine.

L’art de la joie de Goliarda Sapienza, (L’arte della gioia, 1996), éditions Le Tripode, 2016,traduction de Nathalie Castagné, 798 pages en poche.
L’autrice a travaillé dix ans à ce roman qui n’a été publié qu’après sa mort, et a connu le succès surtout après sa publication française, chez Viviane Hamy tout d’abord, puis au Tripode.

Coup de cœur pour Ariane, enthousiasme pour Athalie, un peu moins pour Valentyne.
Je croyais être la dernière à le lire, mais j’ai trouvé assez peu de chroniques, et vous, l’avez-vous lu ?

Je l’ajoute à mes « pavés de l’été » et « épais de l’été ».

35 commentaires sur « Goliarda Sapienza, L’art de la joie »

  1. Pas encore lu, non, mais il fait partie des romans que je veux découvrir. Je suis contente de connaître tes bémols car j’avais surtout eu des échos dythirambiques.

    J’aime

  2. Non, je ne l’ai pas lu! Un bon pavé. Tu ne me donnes pas envie de m’y précipiter, mais y a t il des pavés sans longueurs, finalement?

    J’aime

    1. Bonne question, je ne suis tombée cette année que sur des pavés un peu longs, je me la suis donc posée aussi. Mais si je cherche dans mes souvenirs des autres années, j’avais dévoré quelques pavés sans me plaindre de quoi que ce soit !

      J’aime

  3. Je ne l’ai pas lu mais je ne crois pas que je le lirai car je sais par avance que tes réticences seront les miennes. Je redoute les pavés de plus en plus.

    J’aime

  4. Je ne connaissais pas du tout cette autrice ni son oeuvre (même si j’ai dû l’apercevoir dans le film Senso…). Elle a aussi écrit sur Jean Gabin semble-t-il? Ca attise davantage ma curiosité…
    Merci en tout ças pour cette occasion d’en apprendre davantage sur cette personnalité née dans une famille « anarchiste » liée à la gauche italienne sous le fascisme… et bravo pour cette troisième participation aux challenges estivaux sur de gros bouquins!
    (s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

    J’aime

    1. Je vois que tu as compulsé sa biographie ! Pour en savoir plus sur sa famille, il faut lire Moi, Jean Gabin, qui parle surtout d’elle enfant, et pas de l’acteur français… J’avais bien aimé ce roman autobiographique.

      J’aime

  5. Ma belle-mère me l’avait donné après l’avoir lu, je l’ai gardé un temps, puis déposé dans une boîte à livres… j’ai eu par la suite de vagues regrets, à la lecture de billets élogieux, le tien me conforte finalement dans ma décision !

    J’aime

    1. Certains avis très élogieux m’avaient fait regretter aussi un emprunt suivi d’un retour rapide à la bibliothèque. Je lui ai donc donné une deuxième chance. Je suis tout de même contente de l’avoir lu !

      J’aime

    1. Par moments, oui, je ne m’attendais pas à autant de dialogues, je pensais que notamment au niveau politique, il y aurait plus d’action, mais elle passe souvent par le biais de discussions entre personnages.

      J’aime

  6. Je ne l’ai pas lu non plus. Pour l’instant, j’ai un peu de mal à me mettre aux pavés, épais et autres mastodontes littéraires… mais ça va passer.

    J’aime

  7. Je ne l’ai pas lu, non, ce n’était pas trop en projet et j’avoue que ton billet ne m’incite pas plus à le lire.^^ Peut-être un jour si je m’intéresse brusquement fortement à la Sicile.;)

    J’aime

    1. Oui, ces longueurs, notamment dans les dialogues, me surprennent un peu : pourquoi l’éditeur n’a-t-il pas suggéré des coupures ? Peut-être parce que Goliarda étant décédée, il avait affaire à son mari ? (je crois)

      J’aime

Et vous, qu'en pensez-vous ?