Fernando Aramburu, Patria

patria« Neuf heures du soir. À la cuisine, fenêtre grande ouverte pour chasser les odeurs de friture. Le journal télévisé commença par une information que Miren avait entendue la veille à la radio. Arrêt définitif de la lutte armée – pas du terrorisme, comme disent ces gens-là, car mon fils n’est pas un terroriste. »
Je ne sais pas si vous connaissez beaucoup de romans qui se déroulent au Pays Basque espagnol, mais j’ai beau chercher, je pense que c’est la première fois que j’en lis un. Même si les dates ne sont pas précisées, l’action se déroule au début des années 2010, lorsque l’ETA déclare la fin de la lutte armée. Il s’agit ici de l’histoire de deux familles, et chacun se remémore les années où l’organisation séparatiste multipliait les attentats, obligeant chacun à se tenir sur ses gardes, et à choisir son camp avec le plus de discernement possible. Deux femmes sont les figures principales, Bittori, dont le mari, Txato, a été assassiné à deux pas de chez lui, pour ne pas avoir payé la « taxe » réclamée par l’Organisation. L’autre, Miren, est la mère d’un jeune homme accusé d’attentat et emprisonné à vie. Les deux familles étaient très liées, ces événements les ont séparées.

« Des mots. Impossible de s’en débarrasser. Ils ne vous laissent pas une seule seconde. Fléau d’insectes insupportables, hein. Elle devrait ouvrir les fenêtres en grand pour chasser les mots, les lamentations, les vieilles conversations, tristes, claquemurés dans l’appartement inhabité. »
C’est avec une écriture nerveuse, intéressante et, pour tout dire, inhabituelle, que l’auteur met en lumière les conséquences du passage à l’acte meurtrier, les répercussions innombrables sur les familles, les maris, les épouses, les enfants, les frères et sœurs. L’idée de laisser un certain nombre de mots en basque, avec un glossaire à la fin, contribue à immerger davantage le lecteur dans l’atmosphère de la région.
Des thèmes intéressants sont abordés, celui du harcèlement subi par la population, celui du rôle de l’église, celui de la justice réparatrice, celui de la culpabilité, parfois bien creusés, parfois plus effleurés. J’ai à certains moments attendu que tel ou tel thème refasse surface, en vain. Pourtant le roman ne manque pas de place pour se développer, sur plus de six cent pages, mais un peu trop de détails sur la vie des membres des deux familles, trois enfants d’un côté, deux de l’autre, détails qui n’ont pas toujours de rapport avec l’attentat, ni avec ses conséquences, donnent lieu à des paragraphes dont je me serais passée. J’insiste toutefois, l’ensemble est intéressant et se lit bien, c’est juste un dosage qui ne m’a pas tout à fait convenu.
Il est à noter que l’auteur se place davantage du côté des victimes, donnant une image peu reluisante des membres actifs de l’ETA, jeunes, peu éduqués, et endoctrinés sans trop comprendre le fond des revendications. C’est son choix, mais du coup, les personnages tout en nuances, notamment féminins, éveillent beaucoup plus l’attention. Les deux personnages des mères, fortes, obstinées, mais humaines, seront ceux que je retiendrai, c’est certain.

Patria de Fernando Aramburu, (Patria, 2016) éditions Actes Sud, mars 2018, traduit de l’espagnol par Claude Bleton, 615 pages.

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36 commentaires sur « Fernando Aramburu, Patria »

  1. Dans ma PAL depuis sa parution. J’en ai sorti un autre espagnol il y a peu, « Confiteor » de Jaume Cabre : j’ai laissé tombé après 250 pages… (j’en attendais beaucoup et en fait, j’attends toujours que l’histoire commence.. j’ai besoin d’histoires qui m’entrainent en ce moment…).
    Pour les romans au pays basque : la série policière de Dolores Redondo.

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    1. Contrairement à toi, j’ai sorti Patria et laissé Confiteor, qui m’attend aussi depuis une éternité… et qui va rester dans son coin encore un peu. C’est vrai, j’avais repéré Dolores Redondo, à voir un peu plus tard.

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  2. j’ai cherché, mais non, je n’ai pas souvenir d’avoir lu de roman se déroulant au Pays Basque espagnol mais j’ai en revanche pensé comme Sandrine à la trilogie de Redondo, que j’avais noté, mais dont je repousse la lecture après une première expérience très mitigée avec cet auteur… ayant vécu plusieurs années au Pays basque (français), je suis toujours intéressée par cette thématique (du côté de l’hexagone, il y a le très bon roman de Marin Ledun : L’homme qui a vu l’homme), mais tes bémols me font hésiter, je crois que je vais plutôt rester sur mon projet de lire Redondo quand même..

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    1. Dolores Redondo revient dans les commentaires, mais avec des bémols, je le noterai donc pour la bibliothèque… Tu me rappelles également L’homme qui a vu l’homme que j’avais lu, mais trouvé très dur. Rien d’aussi violent dans Patria, ce qui m’a bien convenu. Comme je le dis à Aifelle, mes bémols ne signifient pas que je déconseille, au contraire, mais à ne pas susciter d’attentes exagérées.

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  3. Une géographie politique que je maîtrise mal; ce qui me tenterait à priori. Le dosage et le point de vue pourraient aussi me convenir. Après 600 pages, tu ne sembles pas regretter cette sortie de PAL !

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  4. J’ai connu des étudiants basques espagnols leur opinion sur l’ETA était très sévère . Ils étaient loin d’être pour la répression mais ils n’arrivaient pas à justifier les crimes de cette organisation.

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    1. On sent Fernando Aramburu sévère aussi, même s’il essaye de donner la parole aux deux côtés. Par contre, il évite soigneusement de faire de chaque famille un bloc monolithique : dans chacune, il y a des opinions variées.

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  5. J’ai beaucoup aimé ce roman, le souvenir qui me reste, c’est le sentiment que de chaque côté, aucune issue, les conséquences des choix pendant la guerre civile en plus sont encore très vivaces, les aveuglements des indépendantistes mènent au tragique.
    Avez-vous lu les romans noirs de Vasquez Montalban, sur cet héritage bien lourd pour les Espagnols ?

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    1. C’est vrai qu’il y a aussi, comme presque toujours dans les romans espagnols, l’héritage de la guerre civile… Manuel Vasquez Montalban est un auteur que j’aimerais lire ou relire (j’ai dû en lire un), merci de me le rappeler !

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  6. pourquoi pas je n’ai lu aucun livre sur ce thème…
    « Confiteor » est aussi dans ma PAL depuis des lustres, mais je n’ai pas encore envie de l’en sortir…Je me sens moins seule 🙂

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  7. Je suis incapable de citer un titre pour le pays basque espagnol ! ( je lis dans les commentaires que Confiteor t’attend, je croyais que j’étais la dernière à ne l’avoir pas lu ;))

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    1. Apparemment, pour Confiteor, nous sommes plusieurs… mais je ne propose pas de lecture commune, je n’arrive déjà que rarement à m’y tenir, avec des livres de petit ou moyen format… 😉

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  8. Pas souvenir d’avoir lu de romans dans ce contexte et sur ces thèmes, comme la plupart j’ai l’impression, mais bon, pas l’impression que je commencerais avec ce roman-ci.

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  9. J’ai récemment lu Oyana d’Eric Plamondon qui est aussi centré sur l’ETA et qui mêle habilement fiction et éléments historiques (coupures de presse…). Un roman percutant et captivant que je te recommande vivement 😉

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    1. ça m’arrive assez souvent de laisser tomber des livres où je n’accroche pas. Là, ce n’était pas le cas, mais je ne saurais dire que tu as eu tort ! 😉

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