T.C. Boyle, Les vrais durs

vraisdursDu jour au lendemain, il était devenu une célébrité et son histoire puisait dans quelque profond recoin régressif de la psyché américaine.
Le roman commence par une soixantaine de pages en Amérique Centrale qui pourraient constituer à elles seules une nouvelle plutôt frappante. Un couple de retraités participe à une sortie non prévue lors d’une croisière. Il s’agit d’une excursion avec un autocar local, pour aller voir des animaux sauvage en forêt. Mais cela tourne mal, et Sten devient le héros du jour en mettant un terme radical à l’existence d’un petit malfrat détrousseur de touristes.
Revenu en Californie, Sten et son épouse Carolee n’ont plus à se soucier que de leur célébrité récemment acquise et surtout de leur fils unique Adam, très perturbé depuis l’adolescence, qui se croit la réincarnation d’un trappeur, voit des « hostiles » partout, et vit dans les bois qu’il considère comme son domaine intouchable.
Adam fait la connaissance de Sara, une femme plus âgée que lui, et tout aussi paumée. Je ne suis d’ailleurs pas d’accord avec la quatrième de couverture, qui exagère l’influence de Sara, je pense qu’elle est, tout autant qu’Adam, une victime du système, du mode de vie à l’américaine dont il est impossible de s’extraire, et qui se retourne contre ceux qui n’y adhérent pas complètement. Deux individus fragiles, en marge, qui se mettent plus ou moins ensemble, cela peut conduire à des situations ingérables, que ce soit pour les parents d’Adam, ou la police locale…
Elle mit le clignotant avant d’obliquer dans l’allée de gravier au moment où il vit les pins sylvestres illuminés de soleil et les trois poubelles en plastique marron qui débordaient car personne ne semblait jamais venir les vider, et la chose, la masse vrai de vrai, l’objet qui le percuta comme un missile tiré de nulle part : la voiture de son paternel, garée à l’ombre d’un mur comme si elle était dans son élément naturel.
La voiture dont il est question dans l’extrait est une Toyota hybride, bien sûr, car c’est l’une des grandes qualités de TC Boyle, de ne pas caricaturer ses personnages, de ne pas les dessiner tout d’un bloc. Sten est un principal de collège à la retraite, ex-marine, capable de tuer pour se défendre, mais qui se préoccupe de protection des espaces naturels et roule en voiture hybride… ce que son fils commente en pensant que « si on voulait vraiment être sérieux, il fallait tout bonnement renvoyer la voiture au Japon et se déplacer à pied. »
Une petite réflexion en passant : si l’évolution de la société aux États-Unis a toujours une longueur d’avance sur l’Europe (je ne dis pas que ce soit un progrès, loin de là) et donne à imaginer ce que seront notre pays et ses voisins dans quelques années, l’avance est encore plus sensible en Californie, à tel point que ce roman pourtant actuel donne parfois l’impression d’être un roman s’inscrivant dans un futur proche. Et ça provoque une impression assez bizarre…
La violence, la facilité à posséder une arme à feu aux États-Unis, même pour quelqu’un de déséquilibré, la vie en marge de la société, l’incompréhension entre parents et enfants, l’écologie et la protection des espaces sauvages, sont les thèmes, assortis d’une dose certaine d’humour, de ce roman. Dans le genre « drame familial et écologie », je préfère T.C. Boyle à David Vann, sans doute à cause de l’humour de Boyle, justement, mais je sais que d’autres auront la tendance inverse. On peut aussi le rapprocher de Ron Rash, et là, je sais où vont mes préférences !
Je ne recommanderais peut-être pas ce roman pour découvrir l’auteur, qui est pour moi un très bon romancier américain actuel. Mieux vaut sans doute commencer par son premier roman, Water music, si on aime les pavés historiques, ou l’excellent America sur l’immigration mexicaine en Californie. Ou des nouvelles, pourquoi pas ?

Extrait : Le chien était couché sur le tapis devant le canapé, à quelques centimètres de ses bottes. Des dreadlocks ! Un chien à dreadlocks. Ça, c’était cool. Il pensa à Bob Marley et à Jimmy Cliff, il pensa à son campement dans les bois dont personne ne connaissait l’existence, il pensa à la ganja, à l’opium, à ses semis de pavot dans deux cent vingt-sept pots en plastique noir pour les mettre à l’abri des rongeurs.

L’auteur : Thomas John Boyle est né en 1948 dans une petite ville de la vallée de l’Hudson, dans l’état de New York. A dix-sept ans, il change son second prénom pour Coraghessan, qu’il utilise tout au long de sa carrière littéraire. Diplômé de l’université de New York en 1968, il enseigne à l’Université de Californie du Sud à partir de 1978. Son premier roman, Water Music, pavé polyphonique et historique, remporte en 1982 un grand succès. Il écrit entre 1982 et 2006 huit romans et quatre recueils de nouvelles. Certains de ses romans ont pour thème l’écologie, d’autres la société américaine de la fin du XIXe ou début du XXe siècles. Il obtient le Prix Médicis étranger pour America. Il vit en Californie dans une vaste maison conçue par Frank Lloyd Wright.
442 pages.
Éditeur :
Grasset (mars 2016)
Traduction : Bernard Turle
Titre original (2015) The harder they come

Les avis de Clara, d’Antigone, de Winnie
Projet 50 états, 50 romans pour la Californie.

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20 commentaires sur « T.C. Boyle, Les vrais durs »

  1. Je n’ai lu que Water Music et quel immense souvenir de lecture ! J’ai « Les Femmes » qui traîne dans ma PAL, à propos de Frank Lloyd Wright et ses nombreuses maîtresses. Je note America.

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  2. J’ai adoré Water Music et America moi aussi, bien que dans des styles complètement différents. J’ai en revanche été déçue par La belle affaire, et je n’ai pas depuis relu cet auteur (mais j’ai Talk talk dans ma PAL). Je ne note pas ce titre, j’ai l’impression que tu as bien aimé, sans que ce soit un coup de cœur…

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    1. Je n’avais pas été emballée par Riven Rock, je ne me souviens seulement de mon ennui… C’est un auteur un peu inégal ou tellement touche à tout qu’on ne peut pas aimer à chaque fois. Mais si, j’ai beaucoup aimé ce dernier. (quoique « coup de coeur » serait un terme trop fort)

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  3. Ce titre m’a laissé une drôle d’impression de gêne… et pourtant je l’ai bien aimé. Mais c’est certainement pour les raisons que tu évoques, cette violence « presque » gratuite et tellement facile.

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