Lectures africaines (octobre 2022)

Je regroupe aujourd’hui trois romans d’auteurs francophones, respectivement nés en Tunisie, sur l’île Maurice et au Cameroun.

Yamen Manai, Bel abîme, éditions Elyzad, 2021, 112 pages. Prix Orange du livre en Afrique en 2022.
« Ce n’est pas avec un tel discours que je pourrai prétendre à un allègement de peine? Ma peine, celle au fond de mon cœur, ne sera jamais allégée. Mais tant qu’il y a des souvenirs et tant qu’il y aura des livres, je ferai mieux que survivre. »

Le roman de Yamen Manai se présente sous la forme d’un monologue, ou plutôt d’une moitié de dialogue (c’est très bien fait), adressé par un adolescent à son avocat, puis au psychiatre qui viennent le visiter en prison, à Tunis. Les faits qui l’ont conduit sous les verrous, leur engrenage, tout est révélé entre les mots de ce qui n’est pas une confession, mais un véritable cri de colère. Contre ses parents d’abord, son père professeur d’université, plus préoccupé de la propreté de sa voiture que du bien-être de son fils, sa mère qui acquiesce à tout ce que dit son mari. Mais heureusement, il y a Bella avec laquelle il s’entend si bien, à laquelle il peut confier tous ses chagrins…
Ce jeune homme sensible s’emporte aussi contre les institutions, et contre ses compatriotes qui ne vivent qu’au travers de la violence, qui ne respectent rien, surtout pas la nature qui les entoure. « La vérité, c’est qu’on ne mérite pas une si belle compagnie. La vérité, c’est qu’on ne mérite pas une si belle nature. La vérité, c’est qu’on ne mérite pas un si beau pays. »
Je ne veux pas en dire trop, ce roman court, mais extrêmement percutant, où chaque mot sonne juste, pourra être mis entre les mains de lycéens, tout en fascinant de la même manière les lecteurs de tous âges. Dans un tout autre genre, Yamen Manai a écrit aussi La sérénade d’Ibrahim Santos, que je vous recommande.
Les avis de Krol ou Jostein.

Barlen Pyamootoo, L’île au poisson venimeux, éditions de l’Olivier, 2017, 176 pages.
« Le quartier éveillait des souvenirs qui flottaient en lui, il marchait pourtant d’un pas lourd, peut-être à cause de la rue qui lui paraissait interminable, comme creusée au centre de la Terre. Mon chemin de croix, a-t-il soupiré quand il a commencé à confondre des fragments du passé avec l’image de quelques vieux qui trottinaient devant lui. »

Le plus discret de ces trois romans, mais pourtant son style devrait en séduire plus d’un et d’une ! Sur l’île Maurice, dans une petite ville, Anil et Mirna tiennent un commerce de vêtements et mènent une vie dépourvue d’aspérités. Un jour, après un repas avec un ami, Anil disparaît. Mirna fait appel aux amis et voisins, puis à la police, mais ni Anil, ni son corps ne sont retrouvés. Tout en tentant de continuer à vivre sans lui, Mirna ne peut que tourner et retourner des questions qui la hantent.
L’écriture poétique de Barlen Pyamootoo, découvert dans Whitman, est de celles qui se remarquent. Elle est riche de mots que viennent percuter des images originales, et décrit non sans humour cette petite communauté dans son cadre de vie qui assurément, offrent un beau dépaysement.

Djaïli Amadou Amal, Les impatientes, éditions Emmanuelle Collas, 2020, 245 pages. Prix Goncourt des Lycéens en 2020.
« Car un mariage réussi se compte dans le nombre de parures en or qu’on affiche avec ostentation à la moindre opportunité festive. Et une femme heureuse se reconnaît à ses voyages à la Mecque et à Dubaï, à ses nombreux enfants et à sa belle décoration intérieure. Le meilleur époux n’est pas celui qui chérit mais celui qui protège et qui est généreux. Il est inconcevable que les choses soient autrement. »

Je termine avec ce roman dont vous avez sans doute entendu parler et même lu.
Situé dans un village du Nord Cameroun, dans un milieu de commerçants musulmans plutôt aisés, comme le montre l’extrait, il dénonce les mariages forcés, les violences conjugales et la polygamie, au travers de trois portraits de femmes : Ramla doit renoncer à ses études pour devenir la deuxième épouse d’un homme beaucoup plus âgé qu’elle, et sa sœur Hindou est forcée d’épouser son cousin alcoolique et violent. Quant à Safira, elle voit d’un mauvais œil arriver une toute jeune deuxième épouse dans sa maison.
Ce roman, dont l’écriture, un peu atone, fait bien ressentir l’étouffement, tient plutôt d’une suite de témoignages, et dénonce avec force ces situations où les seuls conseils donnés aux jeunes filles sont de prendre patience et de ne pas mettre en péril les alliances passées par leurs oncles, pères et maris. Le patriarcat forme là un système tellement serré qu’aucune d’entre elles ne peut rien y faire. Un constat bien désespérant !

D’autres avis chez Cécile.
Retrouvez le mois africain ici.

45 commentaires sur « Lectures africaines (octobre 2022) »

  1. Constat tellement désespérant pour le 3e livre que je n’ai pas envie de m’y plonger. C’est le premier qui me tente le plus et comme on ne peut pas tout lire, mieux vaut limiter ses envies …

    J’aime

    1. C’est aussi le premier roman que je te conseille le plus vivement, il a vraiment tout pour lui, l’écriture, la mise en place, l’empathie pour le personnage…

      J’aime

  2. Merci pour ces trois lectures. J’ai beaucoup aimé aussi le style percutant de Yamen Manai. Je le lirais volontiers un autre titre. Je ne connaissais pas le second et il m’attire pour son style. On a effectivement davantage parlé du troisième. Je ne l’ai pas lu mis pourquoi pas. Il me semble comme le dis Keisha que ce mois d’octobre était un peu compliqué pour les lecteurs. Moi la première! Si j’ai lu cinq romans africains, je n’ai pas été très présente sur l’animation. Merci à toi pour ce beau partage

    Aimé par 1 personne

    1. Merci à toi de m’avoir poussée à sortir ces livres de ma PAL ou à la médiathèque. Heureusement, la plupart étaient assez courts, et assez passionnants pour m’inciter à les faire passer avant d’autres ! Je te conseille de découvrir Barlen Pyamootoo à l’occasion, il a un style à nul autre pareil.
      Je viens aussi de me rendre compte que j’avais gagné L’année du lion lors du mois africain 2021 ! Je te le dois donc aussi ! 😉

      Aimé par 1 personne

  3. J’aime bien quand tu groupes plusieurs livres. On a l’impression d’aller faire son marché… et un marché de livres, quoi de mieux ? Le troisième parait intéressant pour le thème, mais je crois que c’est le second que je préfèrerais pour le style et Walt Whitmann. Après il faut parvenir à les trouver en bibliothèque !

    J’aime

    1. Tu me fais sourire avec « l’impression d’aller faire son marché »… c’est vrai que c’est un peu ça avec les billets groupés. Je pense que l’originalité du style de Barlen Pyamootoo devrait te plaire : c’est ce que j’aime dans la littérature francophone venue d’ailleurs; des voix nouvelles et remarquables.

      J’aime

  4. J’ai lu le premier et le dernier.
    En ce qui concerne le premier j’ai aimé le livre mais plus encore ma rencontre avec l’auteur.
    En ce qui concerne le dernier. Désespérant, oui mais il faut le lire et le faire lire aux plus jeunes pour qu’ils comprennent ce qu’est la domination masculine quand elle s’exerce. Ca me révolte…

    J’aime

    1. Tout à fait d’accord, il faut le faire lire, et c’est super qu’il ait eu le Goncourt des lycéens, mais je reste un peu soupçon par sa qualité littéraire.

      J’aime

  5. J’ai lu le premier et le troisième et je les ai beaucoup aimés. Il faut tout lire de Yalen Manai. C’est un auteur qui se renouvelle et qui est un conteur remarquable.

    J’aime

  6. Je n’ai pas entendu parler des romans que tu évoques ici; mais ton billet me rappelle qu’il faudrait que lise à nouveau un ou plusieurs auteurs africains. Il y a de belles découvertes à faire!
    Bonne fin de semaine à toi.

    J’aime

  7. Très belle sélection de lectures africaines. Je n’ai lu que le premier mais je te rejoins tout à fait sur la qualité ce ce livre !

    J’aime

        1. Ah, oui, excuse-moi, j’avais compris « premier roman » dans le sens « premier de l’auteur » et ce n’était le cas d’aucun des trois, d’où ma perplexité… 🙂

          J’aime

Et vous, qu'en pensez-vous ?