Lori Roy, De si parfaites épouses

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1958. « Desperate housewives » de la fin des années 50, Julia, Grace et Malina vivent chacune dans leur proprette maison d’Adler Avenue, quartier blanc ouvrier de Detroit. Les maris travaillent à l’usine, rentrent à l’heure pour profiter de leur pelouse et du bon repas maison qui les attend, sauf le jour de la paye où ils rentrent un peu plus tard… Les journées se passent en coiffure, courses, ménages et préparations de gâteaux pour les ventes de charité, jusqu’au jour où Elizabeth, une jeune fille un peu attardée qui vit avec son vieux père, disparaît en rentrant chez elle. Très vite vont apparaître lézardes et fissures dans les façades si nettes… Car violence et racisme voisinent avec des douleurs plus intimes.
Avec un univers qui rappelle celui de Richard Yates (La fenêtre panoramique, Un été à Cold Spring) l’auteure vise un peu plus le domaine du roman policier, mais se plaît surtout à détailler les comportements, à ausculter les petites défaillances et les blessures secrètes. Le roman se lit bien, ne laisse de côté aucun personnage, appuie bien là où ça fait mal… C’est suite à sa lecture que j’ai cherché des photos de Detroit en 1958 et suis tombée sur le photographe Bill Rauhauser, et les correspondances entre le roman et les images sont nombreuses et très intéressantes. Je ne regrette pas du tout cette incursion dans le Michigan des années 50.

Extrait : Au cours de l’année écoulée, ces voisins-là ont parlé, certains plus fort que d’autres. Ils n’ont pas tant peur des Noirs qui vivent dans ces appartements que de la possibilité de voir l’un d’eux acheter une maison et y emménager. Ça, ça marquerait un changement durable. Leur vie ne serait plus jamais aussi belle, plus jamais la même. Ils doivent se serrer les coudes. Si l’un d’eux tombe, ils tomberont tous.

Rentrée littéraire 2015
L’auteure :
Lori Roy est née et a grandi au Kansas. Elle vit avec sa famille en Floride. Elle est l’auteur de Bent Road (Le Masque, 2013), prix du meilleur premier roman policier Edgar Award.
350 pages
Éditeur : Le Masque (août 2015)
Traduction : Valérie Bourgeois
Titre original : Until she comes home

L’avis (tout récent) de Marie-Claude.

Photographe du samedi (31) Bill Rauhauser

Pour ce billet du samedi, ce sera photographie (ça faisait longtemps !). J’ai choisi de vous présenter un photographe que j’ai découvert grâce à un roman, dont je vous parlerai bientôt. Roman contemporain, mais qui se passe à Detroit à la fin des années 50… rien à voir avec la ville du XXIème siècle décrite dans Il était une ville. La ségrégation y était très présente, frappante, symbolisée par une autoroute (Eight Mile Road) qui séparait les quartiers blancs, banlieues aisées, des quartiers noirs et pauvres.
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Bill Rauhauser a promené inlassablement, à la manière de Vivian Maier à Chicago, son objectif par les rues de Detroit, il a capté et immortalisé la vie quotidienne des années 50 ou 60, si éloignée et si proche de la nôtre à la fois !
Il disait que sa ville n’était pas aussi belle que Paris, mais que le fait de bien la connaître lui permettait d’en saisir l’essence, ce que cette cité avait de vraiment spécial.
Bill Rauhauser, né à Detroit en 1918, a obtenu un diplôme d’ingénieur en 1943 à l’Université de Detroit avant de travailler dans le domaine de ingénierie pendant 18 ans. Sa passion pour la photographie l’a ensuite conduit à enseigner la photographie à l’Université du Michigan à Ann Arbor. C’est une exposition d’Henri Cartier-Bresson qui lui fait comprendre que la photographie serait beaucoup plus pour lui qu’un hobby…
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Depuis les années 40, il a photographié sa ville natale, et a montré ses travaux dans de nombreuses expositions, notamment « The Family of Man » au Museum of Modern Art de New York. Ses travaux photographiques couvrent 60 ans, permettant ainsi de montrer de nombreuses facettes de l’évolution de Detroit. Son talent a été reconnu tardivement, sans doute à cause de la modestie de son sujet. Âgé de plus de 96 ans, il n’arpente plus les rues de Detroit, mais ses photos resteront…
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D’autres photographes en parcourant les pages et chez Choco.

Thomas B. Reverdy, Il était une ville

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L’auteur :
Thomas B. Reverdy, né en 1974, obtient l’agrégation de lettres modernes en 2000 et enseigne depuis dans un lycée. Ses trois premiers romans, La Montée des eaux, Le Ciel pour mémoire et Les Derniers Feux, constituent une sorte de cycle poétique. Ils abordent les thèmes du deuil, de l’amitié et de l’écriture. En 2010, il publie L’Envers du monde. En août 2013, Les évaporés est retenu dans la sélection de plusieurs prix et reçoit le Grand Prix de la Société des gens de lettres.
268 pages
Éditeur : Flammarion (août 2015)

Je n’ai ordinairement aucune propension à enchaîner les romans d’un même auteur, même à les faire suivre à quelques temps l’un de l’autre. La pire crainte de la lectrice boulimique (parmi beaucoup d’autres) à savoir celle d’être déçue par le deuxième ouvrage m’empêche de tenter cette expérience contre-nature. Et pourtant, je l’ai fait avec Il était une ville, même pas quinze jours après Les évaporés
La mondialisation n’est pas un thème romanesque qui déchaîne mon enthousiasme, le thème de la disparition volontaire me parlait bien plus dans Les évaporés, mais pourtant la petite musique des mots de l’auteur est bien là, et les personnages ont de la chair, de l’épaisseur. J’aime les retrouver au fil de la construction éclatée qui les remet sur le devant de la scène l’un après l’autre : le petit Charlie de douze ans, un gentil garçon qui n’a pour religion que ses copains, Georgia, la grand-mère de Charlie, Eugène, le jeune cadre français d’une entreprise de plus en plus fantôme, l’inspecteur Brown obsédé par les disparitions d’enfants, Candice la serveuse « au rire rouge et brillant ».
Le cadre extraordinaire est la ville de Detroit en déliquescence, usines fantômes, lotissements en voie de disparition, terrains vagues dont personne ne connaît la mesure, centres commerciaux vétustes. Là-bas, la zone est au centre-ville et les villas cossues le plus loin possible en banlieue.
Chacun des personnages, au début coincé dans son monde, sa bulle de solitude ou de dépression, va prendre pied dans des endroits de la ville qu’il ignorait, et ce faisant, aller vers l’autre, vers les autres. Le livre s’articule autour de la disparition de Charlie, mais constitue surtout le portrait d’une ville, d’une cité dédiée au taylorisme que la mondialisation a laissée de côté.
Je proclame donc réussies les retrouvailles avec cet auteur. Un peu moins de dépaysement qu’avec le Japon des évaporés, mais une belle balade aussi, pleine d’émotion et d’humanité.

Extrait : On voyait la tour, de l’autre côté des bâtiments industriels, où le Treizième Bureau était presque le seul étage éclairé. Ils étaient parvenus au bord de la Zone. Les rails se perdaient ensuite dans les broussailles et ils s’arrêtèrent.
Devant eux, soudain, il n’y avait plus rien. Une prairie dont on ne voyait pas le bout, plantée d’arbres et de quelques haies qui tenaient bon, autour de bâtiments effondrés. Le corridor de Packard débouchait dans une zone de friches tellement abandonnée qu’on aurait dit qu’elle n’était plus en ville. Personne ne devait jamais venir ici. Il n’y avait rien.


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Projet 50 romans, 50 états :
retour dans le Michigan

Bonnie Jo Campbell, Il était une rivière

iletaituneriviereL’auteur : Bonnie Jo Campbell est l’auteur de deux recueils de nouvelles, et d’un premier roman. Elle est diplômée en philosophie, mathématiques et création littéraire. Elle vit avec son mari à Kalamazoo, dans le Michigan.
396 pages
Éditeur : JC Lattès (janvier 2013) sorti en poche
Traduction : Elisabeth Peelaert
Titre original : Once upon a river

J’avais entendu, ou plutôt lu, beaucoup de bien à propos de ce roman. Quelques semaines après lecture, même si je reste un peu plus mitigée que je ne m’y attendais, je reconnais que c’est un de ces livres auquel on trouve plus de qualités après un certain temps que dès la dernière page tournée, quand la frustration pointe le bout de son nez…
L’histoire est celle de Margo, une toute jeune fille de quinze ans, qui après des dissensions familiales allant jusqu’à sortir des armes à feu, va se retrouver seule au monde ou presque. En effet, son père est mort de manière tragique, et sa mère a quitté le domicile familial depuis des années, sans donner de nouvelles ni laisser d’adresse.
Margo, qui ne se passionne que pour la chasse, la nature et la rivière près de laquelle elle vit, à savoir la Stark River, va se laisser aller au fil de la rivière, sans but, ou du moins dans le but, vaguement énoncé, mais pas vraiment décidé, de retrouver sa mère. Au fil des jours, elle va faire des rencontres. Malgré son allure débraillée, sa violence, sa méfiance, et son arme en bandoulière, ce sont presque toujours des hommes qu’elle rencontre, auxquels elle ne résiste guère, même s’ils ne sont pas très intéressants. C’est là un des points négatifs de ce roman, le manque d’initiative et de libre arbitre de la jeune fille, qui confie son destin au hasard, ou à des personnes plus ou moins recommandables. C’est pesant, on a envie qu’elle réagisse davantage, ou autrement.
Comme bien des romans d’initiation au fil de la route, même si c’est ici au bord et au fil d’une rivière que Margo voyage, le personnage se construit par des rencontres successives, et le procédé peut sembler répétitif. Au moins, contrairement à des romans comme Sukkwan Island ou Les jours infinis, on évite la présence d’un parent pernicieux.
Ce qui m’a gênée aussi est la culture des armes, et de la chasse, chère à Margo, qui semble aimer la nature, et pourtant tue parfois sans raison. Les paragraphes sur la chasse et le dépeçage des animaux n’étaient pas des plus à mon goût… Par contre l’évolution de la jeune fille est réelle, et intéressante, mais cette transformation prend du temps, ce qui est normal par rapport au milieu d’où elle vient. C’est ce qui me restera de ce roman.

Les avis d’Electra, Maeve et La tête dans les livres.
USA Map OnlyProjet 50 romans, 50 états : le Michigan.
Pour cet état, j’ai aussi en réserve Nageur de rivière de Jim Harrison, et les choix de mes collègues ès défi se sont portés sur Virgin suicides de Jeffrey Eugenides ou A moi pour toujours de Laura Kasischke : rien que des auteurs selon mon cœur !