Ziska Larouge, Hôtel Paerels

hotelpaerels« Quand Antonin est logé à l’hôtel Paerels, où il réalise que Claudie est la fille du patron (Geert). Il fait la connaissance de son principal collègue (Doritos), maître yogi à ses heures perdues. »
Même si le jeune Antonin semble cumuler tous les déboires au début du roman de Ziska Larouge, impossible de penser qu’on a mis les pieds, ou plutôt les yeux, dans un roman noir. Le ton qui se moque gentiment de lui-même avec lequel il raconte ses déconvenues, ainsi que les têtes de chapitres du genre de celle que j’ai copiée en début de billet ne trompent pas. On est dans un roman qui donne le sourire, mêlé à une sorte de roman d’initiation car le jeune homme reste un peu naïf, malgré les responsabilités qui lui incombent depuis qu’il a perdu ses parents dans un accident : un petit frère de sept ans et une grand-mère atteinte d’Alzheimer. Autant dire que ses amours et sa recherche de travail vont souvent être contrariées, en une suite de péripéties joyeusement dramatiques.

« Il n’y a pas un seul bouquin dans cet hôtel, et je me demande comment je vais y survivre. De Quatre-vingt jours en ballon à Martine à la plage, du dernier Le Clézio au premier roman d’un inconnu, je ne peux pas m’endormir si je ne suis pas entré de plain-pied dans une histoire qui n’a rien à voir avec la mienne.
Finalement, j’embarque un plateau de petit déjeuner laissé pour compte et quelques prospectus, puis je remonte en m’arrêtant devant chaque tableau, ce qui me prend un certain temps (quatre toiles par étage). Devant ma soupente, il me semble que Paerels et moi sommes devenus intimes. »
Antonin est apprenti comédien. Comment un casting raté et une rencontre éblouissante vont le mener à se retrouver à la rue et à accepter un travail au casino d’Ostende, ce n’est que le début… Les mésaventures d’Antonin, ses rencontres avec le personnel et les résidents du casino et de l’hôtel Paerels où il est logé, sont menées à un rythme rapide, avec un style très visuel, et des rebondissements successifs. L’auteure est également scénariste, cela se sent, et se savoure avec plaisir. Ce n’est pas son premier roman, et elle a écrit aussi bon nombre de recueils de nouvelles.
Enfin, pour ceux qui le découvriraient comme moi, sachez que Willem Paerels est un peintre belge du début du XXe siècle, dessinateur et peintre de marines et de scènes de rue. (par exemple ici)
En tout cas, si vous en avez l’occasion, Hôtel Paerels constitue une parenthèse rafraîchissante qui ne se refuse pas.

Hôtel Paerels de Ziska Larouge, éditions Weyrich, 2019, 205 pages.

Merci à Anne qui m’avait permis de gagner ce roman lors du précédent mois belge et qui m’avait donné envie de le lire ! (voir son billet)

Le mois belge 2020, c’est chez Anne et Mina.
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Encore un livre sorti de ma pile à lire !
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M.C. Beaton, Agatha Raisin enquête, La quiche fatale

agatharaisin_quiche« La retraite pourrait s’avérer extrêmement agréable, pour peu qu’elle oublie tout de Reg Cummings-Browne et de cette fichue quiche. »
Attention, lecture légère aujourd’hui ! Légère, mais savoureuse et très plaisante… Les deux premiers tomes de cette série qui n’en compte pas moins de 27 outre-Manche sont sortis en juin, tout juste pour le mois anglais, et j’avais repéré leurs jolies couvertures et surtout des avis plutôt favorables sur plusieurs blogs. Comme précipitation n’est pas (pas toujours, du moins) mon second prénom, j’ai pris note et attendu un peu… et ai trouvé les deux romans quelque mois plus tard dans une boîte à livres bien garnie ce jour-là !

« Agatha n’était habituée qu’à trois registres : autoritaire avec ses employés, insistant avec les médias, onctueux avec ses clients. »
Voici donc Agatha Raisin, qui, fraîchement retraitée (d’une agence de publicité), décide de réaliser un rêve de toujours, acheter un cottage dans un pittoresque village des Cotswolds. Mais Agatha, pure londonienne, peu habituée aux relations de voisinage, qui ne sait ni jardiner, ni cuisiner, trouve vite ce cottage savamment restauré et les habitants de Carsely plutôt mornes et ennuyeux. Cherchant toutefois à s’intégrer, elle décide de participer à un concours de quiches. Il faut savoir qu’Agatha ne connaît que les plats de traiteur ou les surgelés…


« Un lieu charmant n’attirait pas nécessairement les gens charmants. »
Agatha est peu sympathique, mais c’est ce qui fait la saveur de l’histoire, de se régaler de ses relations compliquées par son caractère, ainsi que de l’espoir de lui voir apparaître quelques soupçons d’humanité. D’ailleurs les autres personnages lui disputent le titre d’enquiquineurs et enquiquineuses publics du petit village de Carsely. Au mieux, ils sont relativement indifférents et ne parlent que du temps qu’il fait, au pire, ils voient mal l’arrivée de cette nouvelle voisine. Surtout quand sa quiche « de compétition » empoisonne un retraité chargé de juger les plats du concours. L’enquête menée par Agatha, qui trouve là un dérivatif à sa mesure, est un prétexte à décortiquer les relations et les conventions du petit bourg anglais, le genre d’endroit où l’on est toujours un nouvel arrivant vingt ans après s’être installé.


« Une brusque averse venait de tomber. Comme Londres sentait bon le béton mouillé, les vapeurs d’essence et de gasoil, les détritus, le café chaud, les fruits et le poisson, toutes ces odeurs si chères et familières à Agatha ! »
J’ai tout de suite adopté cette quinquagénaire si peu accoutumée à la vie campagnarde. Le style est enlevé et dynamique, et malgré quelques tournures maladroites, dues peut-être à la traduction, je me suis délectée de l’histoire. Ce n’est pas l’enquête en elle-même qui fait la saveur du livre, c’est l’humour typiquement anglais, alliage de descriptions efficaces et d’observations bien senties, qui fait qu’on se régale sans chipoter ! J’ai déjà le deuxième sous le coude pour le cas où… et je note que l’auteur sera aux Quais du Polar fin mars !

Agatha Raisin enquête : la quiche fatale (The quiche of death, 1992) éditions Albin Michel (2016) traduit par Esther Ménévis, 320 pages

Les avis de Anne, de George ou de Keisha, parmi d’autres !
Un billet sur les romans et l’humour ici et la catégorie correspondante avec pas mal de lectures !

Auður Ava Ólafsdóttir, Le rouge vif de la rhubarbe

rougevifdelarhubarbe

Avant de vous emmener en Islande, je vous souhaite tout d’abord une belle année 2017, que vos lectures, entre autres menus plaisirs, vous apportent joie et sérénité !

« – La plupart des gens oublient de regarder ce qui relie les choses entre elles. La lacune ou l’intervalle, ça compte aussi.
– Tu veux dire que ce n’est pas seulement ce qui se passe qui a de l’importance, mais aussi ce qui ne se passe pas. »

Cette citation évoque au mieux ce court roman, le premier de l’auteure islandaise. Ce doit être ce qui est dit entre les mots qui est important, je dis « ce doit être » parce que je ne suis pas sûre d’avoir parfaitement tout saisi, mais j’ai pris plaisir à ce que j’ai lu, même au premier degré, comme les phrases venaient…

Avant Rosa candida
Le roman contient déjà ce qui va faire le charme des suivants, et que j’ai beaucoup aimé lors de mes premières lectures : un personnage pas gâté par la vie, mais plein de ressources, un entourage qui est loin d’être banal, des ambitions d’aller voir plus loin, ailleurs. Dans L’embellie, une jeune femme part faire un tour d’Islande, dans Rosa Candida, un jeune homme s’envole pour un pays plus clément, dans Le rouge vif de la rhubarbe, une adolescente handicapée projette d’escalader une montagne…

« Là, au soixante-sixième degré de latitude nord et à deux cents mètres au-dessus du niveau de la mer, la rhubarbe atteignait soixante centimètres en août, mois privilégié pour sa récolte dans l’île. Une hauteur suffisante pour dissimuler deux corps nus étendus de tout leur long. »
C’est à cet endroit qu’Agustina a été conçue. Un père marin vite reparti, une mère toujours à l’étranger à étudier la migration des animaux des tropiques, la petite est laissée à Nina, qui, entre confitures et tricots, s’en occupe fort bien. Mais Agustina ne suit jamais le droit chemin, au sens propre comme au figuré.
Tout est attachant dans ce roman, un peu léger, aérien et poétique aussi. Il faut accepter le style et se laisser porter, tout en sachant que ce ne sont là que les prémices de l’univers de l’auteure.

Amusant
Comme dans La valse de Valeyri, le village voit arriver une chef de chœur. Cela semble être particulier à l’Islande, de faire venir, même de loin, des chefs de chœur itinérants qui dirigent une saison ou deux la chorale locale…

Le rouge vif de la rhubarbe (Upphaekuð jörð, 1998) chez Zulma (2016) traduit de l’islandais par Catherine Eyjolfsson, 156 pages
L’avis d’Hélène.

 

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Luis Sepulveda, L’ombre de ce que nous avons été

ombredecequenous« – Je suis l’ombre de ce que nous avons été et nous existerons aussi longtemps qu’il y aura de la lumière. »
Il pleut des cordes sur Santiago, lorsque trois vieux communistes se retrouvent autour de poulets rôtis pour préparer un dernier coup. Ils attendent un quatrième, viendra-t-il ou pas ? Pendant ce temps, une scène de ménage dégénère et un « des plus grands prodiges technologiques des années soixante », un tourne-disque, vole au travers d’une fenêtre et jusque sur la tête d’un malheureux passant. Si un policier et sa collègue enquêtent sur cette mort originale, le roman n’a rien d’un roman policier.
J’ai plutôt pensé à un livre plus récent, et beaucoup vu sur les blogs, La variante chilienne de Pierre Raufast lorsque j’ai lu ce roman de Luis Sepulveda, les univers en sont proches, ils dévoilent tous deux une histoire simple truffée de petites histoires et anecdotes fantaisistes.
Pourtant, l’histoire du Chili bien présente dans leurs mémoires, les exactions du gouvernement que les trois compères ont combattu, ne sont pas occultées, mais abordées de manière sobre et pudique. Le style recèle également de beaux moments poétiques. Le tout se lit fort bien, les personnages sont attachants et sincères, chacun avec leurs petites manies ou leurs obsessions. Une mention spéciale pour le passionné de cinéma à l’imagination débordante.
Un joli moment lecture, plus profond qu’il n’y paraît, déniché lors d’une braderie de livres !

Extrait : Ces deux hommes qui se tapent sur l’épaule étaient amis. Ils faisaient partie de la même bande d’accros au foot, à la politique et aux grillades du week-end. Ils avaient fait des plans pour prolonger l’amitié et la protéger du cours du temps, avaient été des camarades, des complices dans leurs efforts pour faire du pays un endroit, pas meilleur peut être, mais moins ennuyeux, jusqu’à l’arrivée de ce matin pluvieux de septembre où, à partir de midi, les horloges commencèrent à indiquer des heures inconnues, des heures de méfiance, des heures où les amitiés s’évanouissaient, disparaissaient, ne laissant que les pleurs épouvantés des veuves et des mères. La vie s’était remplie de trous noirs et il y en avait partout ; on entrait dans une station de métro et on n’en ressortait jamais plus, on montait dans un taxi et on n’arrivait pas chez soi, on disait lumière et les ombres vous engloutissaient.

L’auteur : Luis Sepulveda est né en 1949 au Chili et vit actuellement en Espagne. Son œuvre est marquée par son engagement politique. Ses romans les plus traduits dans le monde sont Le vieux qui lisait des romans d’amour, Journal d’un tueur sentimental…
146 pages
Editeur :
Points (2011) Paru chez Métailié en 2009.
Traduction :
Bertille Hausberg
Titre original :
La sombra de lo que fuimos


Sur ce blog : Dernières nouvelles du sud.

Kent Haruf, Le chant des plaines

chantdesplainesHolt County est une bourgade du Colorado, semblable à bien des petites villes américaines. Ike et Bobby, deux garçons de neuf et dix ans découvrent Holt County en même temps qu’ils ouvrent les yeux sur le monde pas toujours séduisant des adultes. Tom Guthrie, leur père, professeur au lycée, tente de concilier vie de famille et problèmes avec sa direction, et avec certains parents d’élèves suffisants et rustres. Victoria, l’une de ses élèves, se retrouve à la rue, chassée par sa mère, enceinte d’un garçon qui a disparu après l’avoir fréquentée quelques temps.

Les situations ne sont pas réjouissantes, et pourtant, c’est un roman qui magnifie l’Amérique profonde, pas tant grâce à de larges paysages, que grâce à de beaux, de très beaux personnages. Je croyais avoir affaire à du « nature writing », ça n’en est pas vraiment, quoique quelques scènes, notamment celle, mémorable, du cheval, pourraient se rattacher à ce genre, ainsi que de belles descriptions de paysages, en dépit d’une traduction pas toujours à la hauteur.

Le contexte est âpre, rude, parfois violent, et les figures angéliques n’émergent pas aussitôt parmi les habitants de la bourgade rurale d’Holt County. C’est d’ailleurs pour cela que je ne rentre pas dans le détail de la suite du roman. Mais quelles figures inoubliables, quels caractères chaleureux ! L’impression finale et durable qui ressort est celle d’un roman qui fait du bien, qui aide à croire en la bonté humaine, fut-elle bien cachée, et même surtout celle-là, la bonté discrète, qui ne fait pas parler d’elle !

Je compte bien lire rapidement Les gens de Holt County qui reprend les mêmes personnages, pour rester encore un peu dans cette ambiance réconfortante.

Extrait : L’air du soir n’était pas encore froid quand la fille quitta le café. Mais il devenait aigre, répandant un sentiment automnal de solitude. Quelque chose d’indicible suspendu dans l’air. Elle quitta le centre, traversant les voies, et continua vers chez elle dans l’obscurité grandissante. Les gros globes avaient déjà frémi au coin des rues, leurs lumières bleues étalaient maintenant des flaques plates sur les trottoirs et la chaussée, et devant les maisons les lampes des porches, accrochées au-dessus des portes closes, avaient été allumées. Elle tourna dans la maigre rue qui passait devant les maisons basses et arriva dans la sienne. La maison semblait anormalement sombre et silencieuse.

L’auteur : Né en 1943, Kent Haruf vit dans l’Illinois. Il était enseignant à l’université. Il a publié en 1999 Le Chant des plaines qui a remporté un grand succès, tant auprès de la critique que des lecteurs. Il a ensuite écrit Colorado Blues et Les Gens de Holt County.
448 pages
Éditeur : Robert Laffont (2001) Paru en poche
Traduction : Benjamin Legrand
Titre original : Plainsong

Les tentatrices : Keisha et Electra.
Projet 50 états, 50 romans pour le Colorado !
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Vanessa Barbara, Les nuits de laitue

nuitsdelaitueRestons en Amérique du Sud, et après le Vénézuela, je vous propose un court détour par le Brésil. Changement de langue, mais un peu le même décor et la même atmosphère que le roman précédent. Les personnages peuvent vivre des choses graves, là Octavio souffrait de son illettrisme, ici Otto, un vieil homme, vit seul et désemparé depuis la mort de son épouse avec qui il partageait tout. Car c’est Ada qui était la plus sociable des deux, et lui ne se sent pas le courage d’affronter le monde extérieur. Pourtant, le ton reste souvent léger et les personnages des quartiers populaires, aussi hauts en couleurs que les petites maisons qui les abritent, sont prétextes à scènes loufoques, au comique de répétition, à des mystères qui n’en sont pas vraiment.
Bref, pour tout vous dire, je n’ai pas énormément à dire sur ce court roman, agréable à lire, bien écrit et joliment traduit, où le capital-sympathie des personnages est énorme. Comment ne pas aimer un couple passionné par les plats à base de choux-fleurs, un facteur qui s’embrouille quotidiennement et volontairement dans ses distributions, un commis pharmacien obnubilé par les effets indésirables des préparations qu’il vend. Sans oublier trois petits chiens affreusement pénibles…
J’avoue que je l’ai lu il y a deux mois, je ne vais donc pas entrer dans les détails, mais si vous cherchez un petit roman qui vous change les idées, qui ne vous ramène pas à une actualité perturbante, qui sent bon la solidarité et l’optimisme, je peux vous conseiller cette jolie parenthèse qui fait voir le Brésil et les brésiliens tout à fait différemment de ce qu’on imagine.

Extraits : La couverture sur les genoux, Otto eut l’envie subite de se préparer un bon petit chou-fleur, mais il se ravisa, il était tout de même trop tôt. Il resta dans son fauteuil, à cligner lentement des yeux. En rassemblant les indices sonores, olfactifs et visuels (robot mixeur, Blattix, chien féroce), il s’amusait à imaginer la vie des habitants du quartier.

Otto sentait le vent de la rue s’engouffrer dans la maison. L’air figé ne lui rappelait jamais Ada ; c’était le vent qui la faisait revenir, agitée, le tirant par la main les jours de pluie.


Rentrée littéraire 2015
L’auteure :
Vanessa Barbara est née à São Paulo en 1982. Elle écrit des chroniques pour le journal Folha de São Paulo et The International New York Times. Les Nuits de laitue est son premier roman.
224 pages.
Éditeur : Zulma (août 2015)
Traduction : Dominique Nédellec
Titre original : Noites de Alface

Et dans les autres blogs ? Hélène lui a trouvé un charme indéniable, Nadège aime ce livre qui fait du bien et Yv le trouve frais, original, mais un peu inégal… je suis d’accord avec les trois, je ne suis pas contrariante !

Pierre Raufast, La variante chilienne

variantechilienneRentrée littéraire 2015
L’auteur :
Ingénieur et informaticien, Pierre Raufast, 42 ans, vit et travaille à Clermont-Ferrand. Son premier roman, La fractale des raviolis a remporté un vif succès public, et des prix : le prix du premier roman au salon du livre de Villeneuve-sur-Lot, et le prix Jeune Mousquetaire du premier roman.
264 pages
Éditeur : Alma (août 2015)

J’ai enfin découvert cet auteur dont je lisais le plus grand bien sur les blogs depuis la sortie de La fractale des raviolis. Ce premier titre ne m’ayant pas d’emblée attirée, c’est avec le deuxième que je fais connaissance.
Réunis par les circonstances dans un hameau isolé quelque part en France, les trois personnages principaux vont passer deux mois d’été à lier connaissance, et surtout à écouter les histoires peu ordinaires de Florin, le seul à habiter à l’année sur les lieux.
Depuis sa jeunesse, Florin, comme cela sera expliqué au cours du livre, a perdu toute propension à ressentir des sentiments, et doit conserver ses souvenirs d’une bien étrange manière. Florin se révèle alors un grand raconteur d’histoires, il en fait tout d’abord profiter Pascal, le prof quinquagénaire un peu désabusé, puis la jeune Margaux, qui semble être venue dans le hameau pour se cacher. De l’archéo-acoustique à la piscine pleine de légumes, du village où la pluie ne s’arrête jamais à la partie de cartes interminable, il y a entre eux des histoires, oui, mais aussi le début d’une belle amitié.
Au premier chapitre, j’ai froncé les sourcils, une histoire de Lolita du XXIème siècle, ça ne me tentait pas des masses ! J’ai été rapidement rassurée, et ai pris plaisir à la lecture, et même à la faire durer. Quatre jours pour un livre de deux cent cinquante pages, ce n’est pas très rapide, la raison en est que j’ai eu un moment l’impression de lire une suite de nouvelles, plutôt qu’un roman… mais cependant, cette impression n’a pas duré jusqu’au bout.
Est-il bon de conserver en soi ou pour soi ses souvenirs, que peut-on et doit-on en faire ? Voici le sujet de ce roman où chaque bocal qui s’ouvre dévoile un ou plusieurs souvenirs curieux, dérangeants, émouvants ou plus cocasses. J’ai beaucoup aimé la fin qui clôt fort bien cette suite de petits cailloux semés au fil des pages.

Extrait : Sa vie d’homme pouvait démarrer. Dans une revue, il avait lu que l’étirement d’un muscle devait durer dix-huit secondes pour être efficace. Sa propre expérience lui enseigna qu’il fallait serrer une fille dans ses bras pendant au moins vingt-sept secondes pour qu’un câlin soit recevable. Deux secondes de moins, et la fille se plaignait du manque de tendresse. Aussi, les yeux fermés et le visage dans les cheveux de l’autre, il comptait dans sa tête patiemment. À la vingt-septième seconde, il pouvait s’écarter et lui sourire. Elle souriait. Recette magique.

Les avis de Jérôme (merci !), Jostein, Keisha, Leiloona, Noukette et Philisine.Ce livre peut continuer son chemin, si vous êtes intéressés.

Zoyâ Pirzâd, C’est moi qui éteins les lumières

cestmoiquieteinsL’auteur : Romancière et auteur de nouvelles, Zoyâ Pirzâd est née à Abadan d’un père iranien d’origine russe et d’une mère arménienne. Découverte par Zulma en 2007, elle a reçu le Prix Courrier International du meilleur livre étranger en 2009 pour Le Goût âpre des kakis. Ses livres rencontrent aussi du succès en Iran.
350 pages
Editeur : Zulma (2013)
Traduction : Christophe Balaÿ
Titre original : Cheragh-ha ra man khamush mikonam

Les romans ou les nouvelles de Zoyâ Pirzâd sont pour moi des lectures, qui sans être les plus marquantes, constituent toujours d’agréables souvenirs, une impression de moments douillets comme se lover au coin d’une cheminée, ou paresser dans une chaise longue sous un arbre… Elle n’a pas son pareil pour décrire des atmosphères familiales et plutôt bon enfant, où se révèlent les petits ressentiments, les petites mesquineries, mais aussi les traits de caractères plus nobles et le bon fond de chacun.
La narratrice, Clarisse, est venue de Téhéran vivre avec sa famille dans le quartier préservé de la petite ville d’Abadan réservé aux employés de la Compagnie des Pétroles. Femme au foyer un brin bohème et rêveuse, elle ne manque cependant jamais de s’occuper de son foyer et de son mari Artosh, de préparer des bons petits goûters à ses deux jumelles de six ans, et à son ado de fils. L’arrivée d’une nouvelle voisine, arménienne comme Artosh et Clarisse, mais au mode de vie sensiblement différent, et, pour tout dire, assez spéciale, provoque un petit remue-ménage à l’échelle du quartier. Les fillettes s’entichent de la petite-fille de la voisine. Clarisse est un peu chamboulée par le fils veuf, amateur de poésie, et qui n’a pas son pareil pour s’occuper des plantes ! Et elle commence à en avoir assez que tout le monde se repose sur elle, s’invite à dîner, impose des choix sans la consulter…
Des détails, posters dans la chambre du garçon, musique écoutée, montrent ici et là que le récit se situe plutôt dans les années soixante, mais l’important est surtout dans la finesse psychologique et la légèreté et l’humour du ton de Zoyâ Pirzâd.
Un roman tendre et intemporel, ça ne se refuse pas !

Extrait : Chaque fois que j’allais mal, je pensais à lui. Et dès que j’allais bien, je pensais encore à lui. Par exemple, quand je voyais pousser des racines à la branche que j’avais mise à l’eau. Ou bien lorsque je réussissais un plat que je faisais pour la première fois. Ou encore, quand Armen rapportait de bonnes notes. Je me mis à déchiqueter le mouchoir en papier en me demandant pourquoi je pensais toujours à mon père dans ces moments de joie ou de peine.

Wilfrid Lupano, Paul Cauuet, Les vieux fourneaux

vieuxfourneaux1Le scénariste : Wilfrid Lupano est né à Nantes, il a vécu à Pau et à Toulouse, maintenant il vit à Paris. Il débute comme scénariste, en développant un personnage dans l’Amérique du XIXe siècle, Little Big Joe. Ses influences sont nombreuses et vont du cinéma à la littérature classique et la science-fiction.
Il est le scénariste, entre autres, d’Alim le tanneur, de L’Assassin qu’elle mérite, de L’Homme qui n’aimait pas les armes à feu, de Ma révérence qui reçoit le prix Fauve Polar SNCF au festival d’Angoulême, des Vieux fourneaux, de Un océan d’amour qui obtient le prix Fnac de la BD 2015.
vieux-fourneaux2Le dessinateur : Paul Cauuet est né à Toulouse, en 1980. Chez les Cauuet, le dessin est une histoire de famille, papa est dessinateur de pub et fan de BD. À l’adolescence, Paul devient illustrateur pour un journal lycéen. Il étudie quatre années en fac section arts plastiques. Côté influences, Paul Cauuet s’inspire de l’épopée Star Wars , le prince d’Égypte, Alladin et Stargate, des ambiances futuristes, oniriques et orientales. Depuis 2012, il travaille au sein de l’atelier « La Mine », à Toulouse. Il est l’auteur avec Wilfrid Lupano de L’Honneur des Tzarom et Les vieux fourneaux.

Editeur : Dargaud (2014)

A l’occasion d’une petite pause à la bibliothèque, je me suis installée pour lire quelques pages des Vieux fourneaux, et j’ai enchaîné les deux tomes !
Ces trois papys turbulents sont bien réjouissants. J’ai préféré le premier avec le voyage en Toscane à bord d’un camion rouge, mais les communautés parisiennes du deuxième ne manquent pas de sel.
Pour ceux qui ne connaissent pas encore, Pierrot, Antoine et Mimile sont trois amis d’enfance qui dépassent tous trois les soixante-dix ans. Ils se retrouvent dans le premier tome, « Ceux qui restent », pour l’enterrement de Lucette. Antoine, le tout nouveau veuf, disparaît aussitôt après la lecture d’une lettre de Lucette, et ses deux copains tentent de comprendre quelle mouche l’a piqué et de le retrouver. Ils se feront aider par Sophie, petite-fille de Lucette, qui a repris le camion et le métier de marionnettiste de sa grand-mère. A cela il faut ajouter que Sophie est enceinte, et qu’elle va conduire Pierrot et Mimile sur les routes jusqu’en Toscane. Un road-movie épatant, plein d’humour et de truculence…
Et bien sûr, c’est un vrai plaisir de retrouver les trois papys frondeurs dans un deuxième tome… Dans « Bonny et Pierrot », Pierrot reçoit une grosse somme d’argent, et se persuade qu’elle vient de son ancienne amie, Anita, disparue depuis des dizaines d’années. Ses amis vont tout tenter pour le convaincre qu’il n’en est rien. Encore beaucoup d’humour dans ce deuxième tome, le milieu de la boulangerie donne lieu à un comique de répétition que j’adore, et les attentats d’un genre nouveau perpétrés par un gang de vieux sont impayables aussi !
Les dessins collent parfaitement au sujet, les trois papys sont croqués avec tendresse par le dessinateur, les dialogues sont à la hauteur. Bref, à quand le troisième tome ?

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Les avis de Dasola, Hélène, Jérôme, Noukette et Stephie.

Audur Ava Olafsdottir, L’exception

exceptionL’auteur : Auður Ava Ólafsdóttir est née en 1958. Elle a fait des études d’histoire de l’art à Paris et a longtemps été maître-assistante d’histoire de l’art à l’Université d’Islande. Directrice du Musée de l’Université d’Islande, elle est très active dans la promotion de l’art. En France, Rosa candida a été finaliste du Prix Fémina et du Grand Prix des lectrices de Elle.
338 pages
Editeur : Zulma (avril 2014)
Traduction : Catherine Eyjolfsson
Titre original : Undantekningin

 

Voilà un livre pour lequel je ne me risquerais pas à affirmer qu’il peut plaire à tout le monde, car il y aurait forcément des exceptions, mais comme j’ai vraiment passé un très bon moment avec, j’ai envie d’en parler !
La nuit du 31 décembre, au milieu du feu d’artifice, avec un sens parfait du timing, Floki annonce à Maria qu’il a envie d’être lui-même, et qu’il la quitte pour « l’autre Floki », son collègue du même nom. Maria se retrouve seule avec les vestiges de son couple, ses meubles, le lampadaire offert par sa belle-mère, les restes bien trop abondants de nourriture du réveillon et surtout deux adorables bambins de deux ans et demi.
Heureusement, sa voisine Perla, aussi petite que dynamique, qui écrit à la fois des romans policiers pour le compte d’un célèbre auteur, et un essai sur le couple et le divorce, prend les choses en main, et empêche Maria de partir complètement à la dérive. C’est le moment que choisit la mère de Maria pour lui annoncer une nouvelle peu ordinaire, elle aussi.
Ceux qui ont déjà lu Auður Ava Ólafsdóttir comprendront sans peine qu’on reste dans son univers très particulier, qui me plaît de plus en plus à chaque lecture. Je ne m’explique pas pourquoi je me sens aussi bien avec les personnages de cette auteure, j’en arrive à éprouver un réel coup de cœur pour ce troisième roman lu après avoir beaucoup aimé les deux premiers. Son univers emprunt d’humour et d’une légère bizarrerie me séduit, tantôt très quotidien et terre à terre, tantôt loufoque, tantôt plein d’une poésie tendre et gentiment philosophique.
Et ne croyez pas qu’il ne se passe pas grand chose parce que je ne vous en dis que très peu, au contraire, chaque jour qui passe amène de nouveaux événements, qu’ils soient minuscules ou du genre à changer une vie, et avec eux, l’évolution de Maria vers autre chose.
Allez, ne pleurez plus sur cette rentrée littéraire, si vous la trouvez terne ou tristouille, il existe bien sûr de jolies pépites à découvrir ailleurs !

Extraits : Selon elle, avoir un pied dans la fiction et l’autre dans les sciences humaines, c’est un peu comme se tenir debout sur deux icebergs s’éloignant l’un de l’autre. Ces domaines fusionnent néanmoins souvent dans son esprit.

Je m’étonne de ne pas être venue plus souvent ici, au bord de la rivière, avec Floki. Sans doute parce qu’une union se nourrit aussi de tout ce qui demeure inaccompli, tout ce qu’il reste à faire ensemble.

Lu auparavant par Anis, Cathulu, Clara, Hélène, Jostein, Krol et Sev